C. LE PÉTROLE

1. Une embellie conjonturelle des résultats du secteur pétrolier

Après des résultats très négatifs en 1995, l'industrie pétrolière a affiché une forte hausse de ses résultats pour le premier semestre 1996.

Ainsi, le bénéfice semestriel net de Total a progressé de 45 %, à 2,6 milliards de francs, pour un chiffre d'affaires en hausse de 20 % (à 80,7 milliards de francs).

De même, Elf Aquitaine a vu son bénéfice semestriel progresser de 24 %, à 3,6 milliards de francs.

Cette évolution est liée à une hausse de la production et des cours du pétrole, ainsi qu'à la remontée des marges de raffinage.

Au premier semestre 1996, le cours du « brent » de la mer du Nord a, en effet, dépassé 19 dollars le baril, contre 17,5 dollars un an auparavant.

Cette augmentation des prix du pétrole résulte essentiellement de la rigueur de l'hiver 1995-1996, d'une baisse des stocks et de l'agitation politique au Moyen-Orient.

En raison de l'abondance de l'offre dans les pays non OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), elle ne peut cependant être considérée comme durable.

C'est pourquoi, confrontée à des difficultés structurelles, les compagnies pétrolières poursuivront leurs efforts en matière de réduction des coûts.

L'objectif des deux grands groupes français est de porter, dès 1998, la rentabilité de leurs fonds propres au-dessus de 10 %, comme leurs concurrents étrangers (contre 7,3 % en 1995 pour Total, par exemple).

2. Des problèmes structurels persistants

a) Production : une nécessaire adaptation de la fiscalité

Le montant des recettes fiscales en 1995 issues du secteur de l'amont pétrolier a été d'environ 719 millions de francs (MF), dont 195 MF de redevances progressives, 210 MF de redevances départementales et communales des mines, 277 MF d'impôt sur les sociétés et 38 MF de prélèvement exceptionnel, pour une production de 2,5 millions de tonnes de pétrole brut et de 3,4 milliards de m 3 de gaz commercialisé.

Le poids de ces redevances sur le résultat opérationnel des compagnies pétrolières représente environ 2 $ par baril de pétrole produit, non compris l'impôt sur les sociétés.

Or, l'activité pétrolière française, quoique rentable, reste trop mal placée à l'échelle mondiale pour apparaître suffisamment attractive.

La France doit donc adapter sa fiscalité, afin de tenir compte de la maturité de son domaine minier et de la situation économique du moment. C'est ce qui a été fait, par exemple, par les Etats-Unis ou même, plus récemment, par la Grande-Bretagne.

A l'instar de ces pays, il est donc essentiel qu'un juste équilibre puisse être trouvé entre les intérêts respectifs des opérateurs pétroliers et l'Etat, propriétaire du sous-sol : c'est le principe du partage équitable de la rente. Ce partage doit nécessairement s'adapter à la situation économique mondiale (prix du baril) et à l'état des réserves potentielles ou prouvées. Il faut donc savoir adapter une fiscalité créée en période d'abondance et la réorienter de telle manière qu'elle ne participe pas à la fuite des investisseurs pétroliers vers de nouveaux domaines jugés plus rentables.

Or, la production française est actuellement en déclin et si la fiscalité à la production a connu des ajustements positifs ces dernières années, elle nécessite encore des adaptations pour inverser cette tendance néfaste, y compris au plan des recettes fiscales.

C'est pourquoi le Gouvernement étudie actuellement des mesures visant, d'une part, à favoriser l'arrivée de nouveaux opérateurs sur le domaine minier français et, d'autre part, à encourager les opérateurs existants à prolonger l'exploitation des champs anciens.

Dans cet esprit, est mise à l'étude l'extension du principe de la provision pour reconstitution de gisements (PRG) ( ( * )9) qui permettrait d'attirer de nouveaux opérateurs en France. En effet, le mécanisme de la PRG n'est actuellement incitatif qu'à partir du moment où l'entreprise a déjà commencé à produire. Il est donc envisagé de proposer à ces nouveaux investisseurs de les faire bénéficier du même avantage fiscal, à condition que ces travaux de recherche génèrent une production d'hydrocarbures.

Est également envisagée la possibilité de supprimer le prélèvement exceptionnel pour tous les gisements, mesure qui avait été introduite en 1980 à une époque où les cours du brut étaient élevés. Il est d'ailleurs significatif de constater que tous les pays industrialisés à régime de concession ont supprimé le prélèvement exceptionnel, ou leur équivalent, depuis les années 1986-1988, après le deuxième contre-choc pétrolier. Ce « super-impôt » exerce une influence psychologique particulièrement négative en particulier auprès d'investisseurs potentiels anglo-saxons, pour des recettes désormais modestes.

Enfin, dans le souci de tirer le meilleur parti des ressources du sous-sol national, il est également important de veiller à ce que la fiscalité pétrolière n'incite pas les opérateurs à abandonner prématurément les gisements en fin de production. Il s'agit ici des champs mis en exploitation avant le 1er janvier 1992 et qui subissent le taux plein de la redevance départementale et communale des mines (RDCM) ( ( * )9) . Or, ces taux sont ajustés chaque année en fonction de l'évolution du PIB en valeur tel qu'il est défini dans le projet de loi de finances de l'année. Il en est résulté depuis une quinzaine d'années une augmentation de plus de 200 % de ces taux. A l'évidence, le poids de la RDCM sur la rentabilité des champs marginaux, particulièrement en fin de vie, peut être déterminant pour un opérateur de continuer ou non l'exploitation, surtout en période de prix bas des hydrocarbures. C'est pourquoi, pour prolonger la vie des anciens gisements, il serait sans doute économiquement souhaitable d'aligner la progression de la RDCM sur l'indice des prix tel qu'il est estimé dans la projection économique présentée en annexe au projet de loi de finances de l'année, comme c'est déjà le cas pour les nouveaux gisements.

Votre commission se félicite de ce souhait du Gouvernement de poursuivre l'adaptation de la fiscalité supportée au stade de la production pétrolière. Elle souhaite que le Gouvernement fasse des propositions précises en la matière et en définisse le calendrier de mise en oeuvre.

b) Raffinage : la restructuration tarde

Comparé aux autres pays européens, le raffinage français est handicapé par une structure de marché particulière :

- part grandissante du gazole, en inadéquation avec la capacité des raffineries, qui est liée à l'évolution de la fiscalité sur les carburants.

La France est le pays de l'Union européenne (sauf la Finlande) où la différence de prix à la pompe entre l'essence et le gazole est la plus élevée (1,80 F/litre). Par ailleurs, la part du gazole atteint 55 % de la consommation de carburant et la « diésélisation » du parc de voitures particulières progresse (50 % des nouvelles immatriculations) ;

- demande en fioul lourd en déclin constant, et exceptionnellement basse, compte tenu du programme nucléaire qui a supprimé le débouché des centrales électriques (le marché du fioul lourd a été divisé par 7 en 20 ans).

En outre, l'industrie européenne du raffinage est en surproduction.

Ces derniers mois, la réflexion s'est poursuivie sur l'éventualité de la fermeture d'une raffinerie française d'ici la fin de l'année 1996.

Les discussions se sont concentrées sur la situation dans le Sud-Est, où Total, Esso, Shell, BP et Elf disposent chacun d'une raffinerie. Shell et BP ont annoncé leur volonté de vendre chacun la leur. Pour déterminer la meilleure façon de réduire les surcapacités dans cette zone, les raffineurs concernés ont fait réaliser une étude par un cabinet américain. Depuis, les cinq compagnies étudient la possibilité de cofinancer la fermeture d'un des sites, les coûts d'arrêt d'une raffinerie étant évalués entre 500 et 600 millions de francs. Mais aucun groupe ne s'est encore résolu à fermer son unité.

c) Distribution : l'évolution est-elle inéluctable ?

Le raffinage ne peut s'appuyer sur la distribution pour compenser ses difficultés, car le marché français est l'un des moins rentables d'Europe : le poids exceptionnel de la grande distribution explique que les marges de distribution (et les prix de vente hors taxes) soient les plus faibles de l'Union européenne. Il faut souligner que les conséquences de cette politique ont été très lourdes en termes d'emploi et d'aménagement du territoire : fermeture de 30.000 stations-services depuis 20 ans et perte de 120.000 emplois (selon l'évaluation de la profession).

Le graphique ci-dessous illustre la part de marché croissante de la grande distribution dans la vente des carburants. En 1995, cette part s'est encore accrue, à 46,5 %, contre 49,9 % pour les marques des pétroliers.

Le rapport Boisson-Lepine remis au Gouvernement en 1995 sur les problèmes de la distribution en France dégageait notamment des pistes possibles en vue d'une amélioration des marges de distribution (ventes de produits annexes, frais de cartes bancaires réduits, remboursement de la TIPP sur les impayés, etc..) et abordait leurs conséquences sur le raffinage (10 c/litre sur la distribution correspondraient à une marge supplémentaire de 60 francs par tonne de brut traité).

Rappelons que cet important et délicat problème a fait l'objet d'un récent débat au Parlement, à l'occasion de l'examen :

- de la loi du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et à l'équilibre des relations commerciales ;

- de la loi du 5 juillet 1996 relative à la promotion et au développement du commerce et de l'artisanat.

Dans le cadre de la première, avait été étudiée la possibilité de soumettre les ventes de carburant à la nouvelle infraction du prix abusivement bas, dans le but de lutter contre la pratique du « prix d'appel », dont la grande distribution est coutumière.

En définitive, cette idée a été abandonnée au profit de la création d'un nouveau système d'aide aux petites stations-service, particulièrement en zone rurale, auxquelles 60 millions de francs seront consacrés.

Votre commission souhaite que le Gouvernement précise ses intentions sur les modalités d'allocation de cette aide. Elle veillera avec vigilance à son efficacité.

Par ailleurs, dans le cadre de la loi du 5 juillet 1996, sont dorénavant soumis à autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet la création ou l'extension de toute installation de distribution au détail en carburants, quelle qu'en soit la surface de vente, annexée à un magasin de commerce de détail ou à l'ensemble commercial d'une surface de vente dépassant 300 mètres carrés.

De plus, la taxe dont sont redevables les magasins de plus de 400 mètres carrés est étendue aux stations-service des grandes surfaces, dans le but de venir en aide aux petits détaillants en difficultés.

C'est dans ce contexte que le Gouvernement vient de présenter au Parlement un rapport sur l'utilisation du gazole.

d) Le rapport sur l'utilisation du gazole conclut à un nécessaire rééquilibrage de la fiscalité sur les carburants

L'article 20 de la loi de finances pour 1996 avait prévu que le Gouvernement présenterait au Parlement un rapport sur les conséquences de l'utilisation du gazole dans différents domaines (industrie pétrolière, industrie de la construction automobile, santé publique et environnement, distribution des carburants, aménagement du territoire et besoins professionnels, carburants les moins polluants).

Le Gouvernement vient de déposer ce rapport sur le Bureau du Parlement, avec retard d'ailleurs, puisque la date de sa parution avait été fixée au 30 juin dernier.

Le rapport met en avant la « spécificité française » en faveur du diesel, liée aux avantages dont il bénéficie (fiscalité bien moindre que celle des autres carburants, abattement de 30 % pour le calcul de la puissance fiscale qui détermine les prix de la vignette et de la carte grise). A l'inverse, l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède pénalisent le diesel !

Au chapitre de la pollution, le rapport ne laisse guère plus de place à l'équivoque. Après avoir rappelé que le moteur diesel « est le principal émetteur de particules » et qu'il « émet plus d'oxydes d'azote » que le moteur à essence, il avance que ces oxydes jouent un rôle «.probablement prépondérant », en favorisant la formation d'ozone, « sur la morbidité respiratoire inflammatoire et la sensibilité des asthmatiques ».

L'encadré ci-dessous expose les principales conclusions du rapport.

PRINCIPALES CONCLUSIONS DU RAPPORT SUR L'UTILISATION DU GAZOLE

1) La fiscalité des produits pétroliers se caractérise, en France, par un écart de taxation entre l'essence et le gazole beaucoup plus important que dans les autres pays de l'Union européenne (hors TVA : 1,43 francs par litre, contre 0,92 francs par litre).

2) Les progrès réalisés par la motorisation diesel en terme de puissance et de confort d'utilisation sont venus s'ajouter aux avantages traditionnels (longévité, consommation).

3) Dans le cas de la France, la fiscalité contribue à orienter les choix des utilisateurs vers les véhicules diesel (46 % des immatriculations de véhicules neufs en 1995, contre 22 % dans l'ensemble de l'Union européenne ).

4) La situation actuelle est source de déséquilibre pour l'industrie française du raffinage.

L'industrie automobile française a une spécialisation diesel marquée, ce qui comporte des avantages mais aussi des risques en cas de retournement du marché.

5) Les effets respectifs des deux types de véhicules sur la santé et l'environnement ne justifient pas aujourd'hui l'existence d'avantages fiscaux pour la motorisation diesel.

6) La croissance de l'utilisation du carburant le moins taxé (doublement de la consommation entre 1984 et 1994) pèse sur le rendement de la fiscalité pétrolière.

7) Une politique nationale en matière de taxation des carburants s'inscrit dans le cadre de l'harmonisation des taux d'accises au sein de l'Union européenne.

Sa principale conclusion va ainsi à rencontre de la politique française en matière de fiscalité pétrolière : les effets sur la santé et sur l'environnement « ne justifient pas l'existence d'avantages fiscaux pour la motorisation diesel ».

Logiquement, le Gouvernement aurait donc dû proposé au Parlement un début de rééquilibrage de la fiscalité pétrolière.

Or, c'est une hausse uniforme de 6 centimes par litre, identique pour le gazole et le super sans plomb, que prévoit le projet de loi de finances pour 1997 !

Certes, l'écart entre les deux carburants est gelé. Mais, votre commission souhaite que le Gouvernement ait le courage politique de réduire progressivement cet écart.

Parallèlement, des solutions devront être trouvées pour que la compétitivité du secteur des transports routiers n'en souffre pas. Il faut, en effet, rappeler que le gazole représente, en moyenne, 17 % des charges d'exploitation des transporteurs routiers.

De la même manière, il conviendra de prendre en considération les répercussions d'un tel rééquilibrage sur l'attitude des consommateurs. Très légitimement, ceux-ci ont porté un intérêt soutenu au diesel et l'industrie automobile française, s'adaptant à la demande, a orienté une part importante de ses recherches et de son appareil de production vers cette motorisation. Un retournement brutal de tendance pourrait gravement déstabiliser ce secteur d'activité.

* (9) La provision pour reconstitution de gisements, destinée à compenser la non prise en compte sur le plan fiscal, de la dépréciation d'actifis que constitue, pour une société, l'épuisement progressif des réserves du gisement exploité, consiste à autoriser les compagnies pétrolières à déduire de leurs bénéfices imposables des sommes qui devront être obligatoirement réemployées, dans un certain délai, à la recherche de nouveaux gisements ou à l'amélioration du rendement de gisements anciens.

* (9) Rappelons que cette redevance, perçue sur chaque tonne de produit extrait selon des taux révisés annuellement par arrêté, est destinée aux départements et communes sur le territoire desquels se situent les installations d'extraction et de production d'hydrocarbures liquides ou gazeux. Pour les gisements mis en exploitation à compter du 1er janvier 1992, les taux de ces redevances ont été divisées par deux et leur évolution annuelle a été indexée sur l'indice des prix.

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