C. PRÉVENIR ET DISSUADER

Le troisième volet du projet de loi renforce les moyens visant à dissuader de recourir directement ou indirectement au travail clandestin, ou dissimulé. Trois dispositifs ont été retenus.

D'abord, le projet de loi ajoute aux sanctions relatives au travail clandestin ou dissimulé et à l'emploi d'étrangers dépourvus de titre de travail la peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civiles et de famille. Sur ce point, l'Assemblée nationale a supprimé la mention des droits de famille, considérant que la famille n'avait rien à voir avec le travail clandestin. Votre commission est sur ce point réservée car les droits dit " de famille " concernent la tutelle et la curatelle qui s'apparentent à une délégation de justice : or, cela suppose que le tuteur ou le curateur soit irréprochable (article 8).

Ensuite, le projet ouvre la possibilité à l'administration de refuser pendant cinq ans aux personnes physiques ou morales qui auraient fait l'objet d'un procès-verbal constatant des faits de travail clandestin, l'accès aux aides à l'emploi ou à la formation professionnelle (article 9). L'Assemblée nationale a étendu ces sanctions au délit de marchandage et a prévu que les aides déjà octroyées puissent être suspendues si un procès-verbal était dressé ultérieurement. Votre commission est très réservée sur cette suspension qui pourrait avoir notamment pour conséquence l'arrêt d'un contrat de qualification ou d'apprentissage et elle vous en proposera la suppression. Par ailleurs, l'Assemblée a supprimé un paragraphe mettant fin à cette possibilité de refus en cas de jugement de relaxe, ce qui s'explique par l'autonomie déjà évoquée des pouvoirs de l'administration par rapport à la voie juridictionnelle. Cette faculté laissée à l'administration constitue un dispositif préventif particulièrement efficace lors de la signature des conventions qui préludent le plus souvent à l'octroi des aides.

Enfin, un candidat à un marché public ainsi que ses éventuels sous-traitants devront faire la preuve qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée depuis moins de cinq ans, pour infraction à la législation sur le travail clandestin ou sur l'emploi d'un étranger sans autorisation du travail (art. 10). Le dispositif a été renforcé par l'Assemblée nationale sur deux points : la preuve de la non-condamnation a été étendue aux " contrats " passés par une collectivité publique, et ces dernières devront insérer une clause dans les contrats et marchés supérieurs à une somme fixée par décret en Conseil d'Etat leur permettant de s'assurer que leur cocontractant n'a pas recours au travail illégal -et pas seulement dissimulé. Ce dispositif est intéressant, car il peut être dissuasif. Mais il a un inconvénient : il risquerait d'engager la responsabilité de la collectivité territoriale si un accident survenait : on pourrait en effet accuser celle-ci de ne pas s'être assurée, par exemple, qu'un chauffeur de bus scolaire possédait bien la qualification requise. Pour éviter cela tout en conservant le caractère préventif du dispositif, votre commission vous proposera de supprimer la référence au travail illégal pour ne mentionner que le travail clandestin, l'emploi d'étrangers sans titre de travail et le marchandage. L'adjonction de cette clause, dans ces conditions, n'ajoute rien aux responsabilités des personnes morales de droit public, mais dissuade le cocontractant de recourir à de telles pratiques.

Au renforcement des mesures prévues par le projet de loi, l'Assemblée a ajouté d'autres sanctions portant sur des dispositifs variés : elle a ainsi voulu sanctionner plus durement et plus rapidement le non-respect de la déclaration préalable à l'embauche (art. premier A), en en faisant une sanction administrative automatique ; il a toutefois semblé à votre commission que cette automaticité allait un peu loin dans la mesure où un tiers des DPAE ne sont pas faites dans les délais ; en conséquence, elle vous proposera de recourir à la procédure de l'ordonnance pénale ; l'Assemblée a également fait passer de un mois à six mois l'indemnité que le travailleur clandestin verse au salarié non déclaré dont il se sépare (art. 3) ; elle a institué une responsabilité solidaire de celui qui ne s'est pas assuré que son cocontractant n'employait pas d'étranger sans titre de travail, délit sanctionné par une contribution spéciale due à l'office des migrations internationales (art. 3 bis) ; elle a élargi le champ de la solidarité des bénéficiaires et intermédiaires dans le cas de recours au travail clandestin (art. 6 ter, 6 quater, 6 quinquies et 6 sexies) ou lorsque toutes les vérifications prévues par la loi n'ont pas été faites (art. 6 septies, 6 octies, 6 nonies et 6 decies) aux pénalités et majorations de cotisations et d'impôt ainsi qu'aux indemnités versées aux salariés. Sur l'ensemble de ce dispositif, qu'elle vous proposera d'approuver, votre commission ne vous présentera que des amendements rédactionnels.

En revanche, elle est plus réservée sur une autre disposition qui consiste à mettre à la charge des employeurs les frais d'éloignement des travailleurs étrangers sans autorisation de travail : d'abord parce que cet article aurait plutôt sa place dans le texte sur l'immigration, ensuite parce qu'il pose des problèmes juridiques, cette " peine " n'ayant pas de rapport avec l'infraction et venant s'ajouter à d'autres peines, alors que le cumul des peines est interdit : elle laisse cependant à la commission des lois le soin de se prononcer sur cet article.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a souhaité le dépôt d'un rapport annuel sur le travail dissimulé, et a modifié le titre du projet de loi, qui parle désormais de travail illégal, pour tenir compte du fait qu'il ne concernait plus seulement le travail clandestin ou dissimulé.

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En conclusion, la commission des Affaires sociales n'a pas cru nécessaire d'aller au-delà de ce qu'avait fait l'Assemblée nationale.

Il lui semble en effet qu'une réglementation très détaillée ne permet pas toujours de gagner en efficacité, alors même que croît le risque de mettre en place une législation trop inquisitoriale vis-à-vis des entreprises : la jurisprudence révèle ainsi que le juge utilise moins les dispositions spécifiques de lutte contre le travail clandestin que les outils de droit traditionnel tels que l'analyse des relations économiques ou le recours à la notion de complicité, qui sont moins attentatoires aux libertés publiques que certaines interprétations administratives relatives au travail clandestin diffusées par voie de circulaires, tout en étant très efficaces.

D'ailleurs, l'étude réalisée par la Division des études de législation comparée du Service des affaires européennes [5] montre que le choix d'une législation spécifique pour lutter contre le " travail noir " n'est pas la voie la plus communément répandue, seuls deux pays, l'Allemagne et la Belgique, sur les six pays étudiés y recourant ; les autres ont cherché à rendre le travail déclaré plus attractif ou ont axé leur action sur la lutte contre la perception indue de prestations. On notera toutefois que dans tous les pays étudiés la législation ne reste pas figée, la volonté de lutter contre le travail clandestin étant partout présente.

Par ailleurs, votre commission constate que la lutte contre le travail dissimulé ne repose pas uniquement sur la multiplication des textes législatifs ou réglementaires : il faut déjà appliquer les textes existants, recenser les informations et coordonner les actions : la mission de liaison interministérielle pour la lutte contre le travail clandestin, l'emploi non déclaré et les trafics de main-d'oeuvre (MILUTMO), les commissions départementales et les structures qui leur sont associées s'y emploient. Le Gouvernement a jugé opportun de renforcer cet aspect de la lutte contre le travail clandestin. Un nouveau dispositif de coordination interministérielle au plan national devrait être mis en oeuvre dès le début de 1997, par voie réglementaire. La politique du Gouvernement en matière de lutte contre le travail illégal serait animée et évaluée par un comité interministériel pour la lutte contre le travail illégal, présidé par le Premier ministre. Une commission nationale de lutte contre le travail illégal, présidée, comme cela a été annoncé, par le ministre délégué pour l'emploi, sera chargée de coordonner l'action des départements ministériels : elle sera notamment composée du directeur des affaires criminelles et des grâces, du directeur général de la gendarmerie nationale, du directeur des gens de mers, et du directeur de la sécurité sociale... Enfin, un délégué interministériel à la lutte contre le travail illégal sera nommé par décret sur proposition du ministre chargé du travail et de l'emploi. Une commission de lutte contre le travail illégal sera également créée dans chaque département, ainsi qu'un comité opérationnel de lutte contre le travail illégal. L'ensemble de ces structures devrait permettre, en association avec les organisations professionnelles, de mener des actions de grande ampleur, notamment pour démanteler les réseaux existants.

L'avancée proposée par le Gouvernement, le texte de loi et le nouveau dispositif réglementaire, devrait donc permettre de renforcer efficacement la lutte contre le travail clandestin, le travail dissimulé ou d'autres formes de travail illégal. Mais il ne faut pas non plus oublier qu'il y a un autre moyen de lutter contre le travail dissimulé : il consiste à le prévenir. Là encore, le Gouvernement s'y emploie, même si votre commission regrette que cela ne soit pas plus rapide : ces moyens de prévention sont la simplification des formalités administratives -elle est en bonne voie, avec en particulier le chèque emploi-service et ses extensions envisagées, les déclarations uniques-, l'allégement des charges des employeurs- là encore le processus est bien engagé- ainsi que l'allégement du coût de certains services ou de certains contrats : l'abaissement de la TVA serait donc le bienvenu, de même que les déductions fiscales pour certains travaux, qui conforteraient certainement le secteur de l'artisanat... Il faut donc poursuivre dans cette voie.

En conséquence, la commission des Affaires sociales vous invitera, in fine , à adopter le présent projet de loi, sous la réserve des quelques amendements, d'ordre technique, qu'elle vous proposera.

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