II. AUDITION DE M. LOUIS GALLOIS, PRÉSIDENT DE LA SNCF (30 OCTOBRE 1996)

M. Louis Gallois , Président de la SNCF, après avoir présenté la délégation qui l'accompagnait, a indiqué que parvenu à la tête de la SNCF depuis trois mois , il avait été surpris par cet établissement et par les atouts dont il disposait : exceptionnelle technicité, reconnue au niveau mondial ; réseau cohérent ; clientèle habituée culturellement à prendre le train (à la différence des États-Unis, de la Grande-Bretagne ou, pour les longues distances, de l'Allemagne) ; sens du service public des cheminots.

Plus globalement, le transport ferroviaire apparaissait à M. Louis Gallois comme porteur d'avenir, jouant un rôle irremplaçable qui n'était pas celui de la route. Évoquant le coût de l'énergie et la pression environnementale -qui reste modérée en France à la différence de la Belgique, de la Suisse ou de l'Allemagne- il a jugé inexplicable la situation de la SNCF.

Pour le fret, le président de la SNCF a alors précisé quelques chiffres : en 1990, la SNCF transportait 32 % de tonnes kilomètres. En 1995, elle n'en transportait plus que 28 %.

Pour les voyageurs, la SNCF détenait, en 1990, 8,9 % du trafic. Elle n'en détenait plus que 7,1 % en 1995 pour les voyageurs, soit un repli de 20 % en cinq ans.

Selon son président, les pertes financières de la SNCF étaient importantes mais non pas inéluctables. Le compte infrastructures était structurellement déficitaire : en 1991, le déficit était de 5 milliards de francs, soit - 4,97 %. En 1995, ce déficit atteignait 12 milliards de francs soit -11,9 %.

Le compte du transporteur était encore excédentaire de 400 millions de francs en 1994. En 1996, la perte devrait avoisiner, a-t-il annoncé, 2 milliards de francs.

Le président de la SNCF s'est demandé pourquoi son établissement perdait des parts de marché.

Il a jugé que parce qu'elle n'était pas tournée vers les clients, elle prétendait produire du transport ferroviaire et non pas un service de transport de clients. Cela signifie, selon lui, que les moyens financiers et humains ne sont, d'une certaine façon, pas affectés au service des clients, mais au service des trains.

Pour son président, le mode de fonctionnement de la SNCF est paralysant et la lourdeur hiérarchique entraîne des redondances. Les réductions d'effectifs se faisant, depuis 30 ans, au rythme des départs en retraite, la tête est, selon M. Louis Gallois, hypertrophiée et les opérationnels ont vu sans doute leurs effectifs -notamment dans les gares- réduits de façon excessive.

M. Louis Gallois, Président de la SNCF, a estimé que la dialogue social était abondant, mais ne débouchait que par le conflit devenu, selon lui, un véritable mode de régulation. Le " projet industriel " lancé par le précédent président de la SNCF a engagé une mutation selon plusieurs axes : focalisation vers le client qui est capable de choix, à travers le maintien des effectifs au contact de la clientèle ; allégement des fonctions administratives du siège ; investissements sur la consistance du réseau, de façon à remettre celui-ci à niveau ; politique tarifaire simplifiée et moins onéreuse de façon à reconquérir des trafics.

M. Louis Gallois a conclu que l'intérêt de la SNCF était de ramener les clients dans le train. Il a estimé que le client devait être l'arbitre du fonctionnement de l'entreprise, à partir d'engagements précis pris par elle. Il a jugé que l'entreprise devait donc modifier radicalement son fonctionnement : l'encadrement de proximité devant être responsabilisé et soutenu, le siège allégé, un nouveau dialogue social instauré autour de règles que se fixerait la hiérarchie.

Après avoir regretté l'immense scepticisme suscité par le projet de la SNCF, M. Louis Gallois a souligné que les cheminots avaient pris conscience des conséquences de la grève de 1995 et du rôle du client.

Il a alors évoqué le projet de loi portant création de l'établissement public " Réseau ferré national " (RFN) qui, selon lui, présentait trois avantages :

- la clarification des missions de SNCF en matière de service ferroviaire ;

- l'allégement de 125 milliards de dette et l'assurance que celle-ci ne se reconstituerait pas à l'avenir ;

- la régionalisation en expérimentation, permettant à la SNCF de se recentrer sur des clientèles de proximité fidélisables. M. Louis Gallois s'est félicité de l'établissement d'un contact avec les autorités régionales et, par là, avec la démocratie locale conduisant la SNCF à avoir une comptabilité et à réfléchir sur son propre rôle.

A l'issue de cet exposé, M. Gérard César a salué le langage de vérité de l'orateur et le diagnostic sans complaisance qui venait d'être dressé et s'est félicité de la réorientation des réflexions et des engagements vers le service et la clientèle.

M. François Gerbaud, rapporteur du projet de loi, s'est félicité de la recherche par la SNCF de l'excellence commerciale. Il s'est enquis de la motivation des personnels. Évoquant la reprise de 125 milliards de dette, et jugeant impossible d'aller plus loin en ce domaine, il a souhaité savoir si celle-ci contribuait à une telle motivation. Rappelant la directive européenne n° 91-440, il a déploré l'absence de mise à niveau de certaines lignes et souhaité que celle-ci soit assurée par le RFN avant la remise à la SNCF. Évoquant la redevance d'usage du réseau que la SNCF devrait verser au RFN, il s'est enquis d'une éventuelle péréqauation dans une perspective d'aménagement du territoire. Évoquant la régionalisation expérimentée, il s'est interrogée sur les distorsions qui pourraient en résulter. Il a enfin appelé à une normalisation du dialogue social et a estimé que de nouvelles directives européennes seraient inacceptables.

M. Louis Gallois a souhaité que les personnels de la SNCF (équipement et entretien) qui n'étaient pas au contact du public fussent associés au redressement de l'entreprise. Il a considéré comme centrale la question du financement avec le montant de la dette et les péages qui atteignaient, actuellement, 6 milliards de francs et qui ne devraient pas dépasser ce montant d'ici 1999.

Estimant que l'État avait choisi les lignes nouvelles au détriment de l'entretien depuis quelque vingt ans, il a estimé qu'il fallait améliorer le dialogue syndical, convaincre la hiérarchie et rendre moins forte la pression politique en faveur des lignes nouvelles. S'agissant des lignes d'aménagement du territoire, il a rappelé que trente liaisons faisaient un tiers du trafic, que soixante-dix autres faisaient un autre tiers et que les quatre mille autres faisaient le dernier tiers, et a illustré son propos en précisant les inconvénients de la ligne Limoges-Poitiers.

En réponse à une remarque de Mme Anne Heinis, M. Louis Gallois , président de la SNCF, a jugé que le service public ne s'exprimait pas de la même façon dans toutes les régions.

S'agissant du dialogue social, il a regretté que les directeurs d'établissement soient contraints trop souvent de s'y consacrer aux dépens de leurs autres responsabilités.

Évoquant la directive européenne n° 91-440, il a indiqué que la majorité des pays d'Europe n'avait pas appliqué cette directive et que la France n'avait pas de retard en ce domaine.

M. Hubert Haenel, Rapporteur pour avis du projet de loi au nom de la Commission des Finances , s'est montré satisfait que le projet reprenne les conclusions de la commission d'enquête qu'il avait présidée en 1994. Évoquant la nécessaire prise en compte du service public, de l'aménagement du territoire et de la compétitivité internationale, il a affirmé que, pour que la SNCF " s'en sorte ", la création du RFN, la régionalisation et la comparaison des méthodes à l'échelle européenne constituaient des éléments de réponse.

M. Hubert Haenel s'est enquis de l'inclusion du déficit nouveau accumulé en 1996 et du montant des frais financiers. Il s'est également interrogé sur la possibilité de réduire totalement le déficit de l'établissement.

M. Fernand Tardy a fait observer que les allemands avaient repris totalement le déficit de la société Deutschebahn.

M. Georges Berchet s'est interrogé sur le transfert du compte d'exploitation au compte d'investissement. Il a émis la crainte d'une banalisation des lignes.

M. Louis Gallois a rappelé que le montant exact du péage pour l'usage de l'infrastructure était actuellement de 5,7 milliards de francs. Quant à la gestion des lignes, il a souligné que la SNCF conserverait un monopole d'exploitation et que ce fait pouvait perdurer au prix d'une volonté politique française. Il a indiqué que, sur les " bonnes " lignes, la SNCF saturait actuellement le trafic et qu'il n'y avait pas de souplesse technique permettant d'envisager une ouverture à une concurrence des opérateurs.

M. Jean-Jacques Robert s'est étonné que la sécurité dans les trains et dans les gares ne soit pas mieux assurée, que les guichets soient surchargés et que les automates ne donnent pas satisfaction. Enfin, il a observé que les voyageurs sans billets constituaient un gisement de recettes certain.

M. Aubert Garcia , au nom du groupe socialiste, a salué les accents d'espérance en l'avenir de M. Louis Gallois, au contraire de la " chronique d'une mort annoncée " que représentait, à ses yeux, le récent rapport " Martinand ".

Relevant les propositions énoncées pour remédier à la déshumanisation de l'établissement, il a indiqué qu'il reprenait espoir, en dépit du discours tenu par le Gouvernement.

M. Roland Courteau , revenant sur le calcul des péages, a émis le souhait que la SNCF ne soit pas lésée. Il s'est interrogé sur les conséquences de la régionalisation et sur la cohérence du réseau national. Il a exprimé la crainte que la création du RFN ne permette l'ouverture du réseau à d'autres opérateurs qu'à la SNCF. Évoquant le train pendulaire, il a émis des réserves quant à l'usure des infrastructures.

M. Félix Leyzour a fait part de ses doutes sur l'efficacité de la résorption de la dette, sur le montant de la redevance demandée à la SNCF, sur la consistance du réseau à terme, sur d'éventuelles suppressions de lignes et sur la déréglementation à attendre à terme.

Il a jugé qu'il existait des solutions, qui auraient permis de résoudre la question de l'endettement sans porter atteinte à l'unité de la SNCF.

Il a estimé que le personnel avait été plus constructif que les autorités successives de la SNCF et contesté que celui-ci puisse être considéré comme un frein.

M. Louis Gallois a répondu que la sécurité des circulations était la mission de base de la SNCF et que la sécurité des personnes -problème de société- et des biens n'était pas facilitée par l'automatisation des gares et qu'une riposte consisterait à remettre des agents dans les trains.

A M. Jean-Jacques Robert qui déplorait la désertification des gares, M. Louis Gallois a répondu que la présence d'agents de la sécurité n'était pas une solution exclusive pour certaines lignes.

S'agissant des péages d'infrastructures, le président de la SNCF a estimé que l'on pouvait soit calculer la capacité contributive de la SNCF, soit recalculer, sur des bases assainies, le coût des infrastructures. Il a estimé que le financement de lignes durables avec des emprunts à quinze ans n'était pas raisonnable. Il a émis le souhait que SNCF et RFN fonctionnent en étroite coordination. Il a estimé qu'il revenait à l'État de procéder à une péréquation inter-régionale si celle-ci lui paraissait utile. Il a souligné que l'ouverture à une concurrence sur le réseau posait des problèmes complexes d'utilisation politique au maintien du monopole d'exploitation de la SNCF, sous l'empire de la nouvelle législation. Il a estimé que le transport de fret pouvait, à certains égards, s'apparenter à un service public, impliquant la spécialisation de certains matériels voire de certains sillons.

S'agissant du train pendulaire, il a indiqué, en réponse à M. Roger Rinchet que cette technologie méritait examen et proposé d'en faire présenter des applications concrètes aux membres de la commission.

Il a souhaité que la nouvelle législation implique une maîtrise d'ouvrage déléguée de la SNCF pour le compte du RFN. Il n'a pas caché que la pression pour la création de lignes nouvelles était forte.

M. François Gerbaud a estimé que la fréquence importait autant que la vitesse.

Faisant écho à une question préalablement posée par M. Jean Peyrafitte, M. Henri Revol s'est enquis de savoir si les marchés passés par RFN et la SNCF, étaient conformes au code des marchés publics. En réponse, M. Louis Gallois a, pour finir, répondu que les décrets confirmeraient ce point.

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