III. LA NECESSITE DE SORTIR DU STATU QUO

A. UN "DÉSAVANTAGE ACQUIS"?

Au terme de cette rapide analyse, il apparaît à votre commission des finances que le chocolat est, en quelque sorte, victime d'une logique de "désavantage acquis".

1. La réponse de M. Giscard d'Estaing en 1973

Dès 1973, M. Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre de l'Economie et des finances, saisi de la question du régime de TVA applicable au chocolat et à la confiserie par M. Olivier Stirn, député du Calvados, répondait en ces termes :

"Vous soulignez que les produits de chocolaterie et de confiserie figurent parmi les rares produits alimentaires solides qui restent soumis au taux intermédiaire de la taxe sur la valeur ajoutée.

Comme vous le savez, le plan récemment adopté par le Gouvernement afin de lutter contre l'inflation a prévu, entre autres mesures, l'application du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée à la pâtisserie fraîche, secteur où l'incidence de la dualité des taux était la plus sensible.

L'importance des pertes de recettes provoquées par ce plan n'a pas permis d'étendre le champ d'application de la mesure à la chocolaterie et à la confiserie.

Je puis néanmoins vous assurer que le Gouvernement entend mener à son terme l'action d'unification, déjà largement avancée, en soumettant la totalité des produits alimentaires solides au taux réduit dès que les disponibilités budgétaires le permettront."

2. La réponse de M. Lamassoure en 1996

Tout récemment, la question a été évoquée au Sénat lors de la dernière discussion budgétaire, à l'occasion de laquelle le groupe socialiste avait présenté un amendement tendant à étendre le bénéfice du taux réduit de TVA à l'ensemble des produits alimentaires solides -sauf le caviar. Cet amendement avait donné lieu à l'échange de vues suivant (JO Débats Sénat - séance du 25 novembre 1996 - p 5.948 et 5.949) :

" M. Jean-Pierre Masseret. Vous connaissez notre opposition à la politique économique et sociale du Gouvernement, notamment à sa politique fiscale. Nous lui reprochons d'avoir, l'an dernier, augmenté le taux de TVA, d'avoir augmenté la taxe intérieure sur les produits pétroliers, de mener une politique en matière d'impôt sur le revenu que nous jugeons contestable parce qu'injuste.

Toutes ces mesures, auxquelles s'ajoutent les augmentations dont les cotisations sociales ont fait l'objet, ont largement contribué à déprimer la consommation, ce qui a sur l'emploi les incidences que l'on sait.

Nous avons précédemment défendu un amendement tendant à réduire la TVA, afin précisément de relancer la consommation. Nous allons maintenant aborder des amendements de repli par rapport à la mesure générale que nous avions préconisée.

L'amendement n° I-50 vise à porter au taux réduit l'ensemble des produits alimentaires, sauf le caviar. On comprend aisément la raison de cette exception : le caviar ne fait manifestement pas partie des produits alimentaires de première nécessité. (Sourires.)

Il s'agit, par cet amendement, de relancer la consommation de masse.

M. le président . Quel est l'avis de la commission ?

M. Alain Lambert, rapporteur général . Nous allons effectivement examiner une série d'amendements tendant à élargir le champ du taux réduit de la TVA ou à abaisser le niveau de ce taux.

Les motivations économiques et sociales de ce type d'amendements sont souvent légitimes mais il convient, et M. le ministre vient de nous y inviter, de tenir compte des impératifs budgétaires et de hiérarchiser les priorités.

Je porte, par exemple, beaucoup d'intérêt au chocolat, mais la préoccupation de M. Masseret est assez coûteuse : de l'ordre de 2 milliards de francs.

L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président . Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Alain Lamassoure , ministre délégué . Cet amendement est indiscutablement savoureux ! (Sourires.)

Elu de la ville de Bayonne, ville de tradition chocolatière, et habitué à me "shooter" au chocolat noir,...

M. le président . Chez M. Cazenave !

M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je constate que vous connaissez bien ces lieux, monsieur le président ! (Nouveaux sourires).

...je ne peux que trouver cet amendement sympathique. Malheureusement, pour des raisons budgétaires -et nos évaluations sont encore nettement supérieures à celles de M. le rapporteur général - nous ne pouvons pas l'accepter.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'amendement n° I-50, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)"

Ainsi, de M. Valéry Giscard d'Estaing en 1973 à M. Alain Lamassoure en 1996, chaque ministre rejoint ses prédécesseurs pour reconnaître l'absurdité de la situation , mais diffère toute modification en invoquant des impératifs budgétaires inexorables. Au regard de ces derniers, il peut alors faire valoir implicitement le caractère mineur d'une aberration fiscale à laquelle tant les consommateurs que les producteurs se sont finalement habitués.

Ainsi, de même qu'un bon impôt est un vieil impôt, une bonne iniquité fiscale serait-elle une vieille iniquité ?

Or, bien au contraire, votre commission estime qu'il est devenu aujourd'hui urgent de sortir du statu quo pour trois raisons d'ordre différents, mais toutes également fortes.

B. LES ELEMENTS NOUVEAUX

1. Le relèvement du taux normal en 1995

Le relèvement du taux normal de la TVA de 18,6 % à 20,6 % intervenu en 1995 s'est traduit par une aggravation mécanique de la distorsion de taux dont souffrent le chocolat et la confiserie.

Certes, les producteurs ont réussi à absorber le choc par leurs marges, au point d'obtenir une diminution des prix de vente qui leur a permis d'accroître leur chiffre d'affaires en 1996. Mais il est évident que cette stratégie dynamique rencontre des limites sur le long terme.

2. L'accord international de 1993 sur le cacao

En ratifiant en 1996 l'accord international sur le cacao négocié en 1993 par la Communauté européenne avec les pays ACP, et appliqué à titre provisoire depuis 1994, la France s'est formellement engagée à prendre des mesures internes en faveur du cacao.

En effet, l'article 32 de cet accord dispose que " tous les Etats membres s'efforcent de prendre toutes les mesures nécessaires pour encourager l'accroissement de la consommation de cacao dans leur pays. Chaque membre est responsable des moyens et des méthodes qu'il utilise à cet effet." On ne saurait être plus clair .

Certes, la force contraignante de cette disposition de droit international reste assez faible, ainsi que le souligne M. Gérard Gaud, rapporteur de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord international de 1993 sur le cacao (rapport n° 236 - 1995-1996) : après avoir rappelé que le cadre institutionnel de l'Organisation internationale du cacao créée en 1974 sera conservé par l'accord, il relève que le plan de gestion de la production appelé à se substituer au stock régulateur apparaît comme un " dispositif peu contraignant dans ses principes et son application ".

S'agissant de la disposition précitée, le rapporteur de la commission des affaires étrangères estime que " les obligations qui incombent aux membres importateurs ne sont guère plus lourdes puisqu'elles se limitent à les appeler à "s'efforcer" de prendre des mesures encourageant la consommation de cacao (art. 32). A cet effet, le conseil institue un comité de la consommation auquel tous les membres de l'organisation peuvent appartenir. Le conseil cependant, ne peut adresser que des recommandations à un Etat membre qui ne découragerait pas l'usage de produits de remplacement du cacao."

Il n'en reste pas moins que toute mesure fiscale prise par la France en faveur de sa consommation domestique de cacao serait vivement appréciée par ses partenaires des pays ACP et, partant, d'une portée diplomatique non négligeable.

3. La révision en cours de la directive chocolat de 1973

Des incertitudes pèsent actuellement sur la définition communautaire du chocolat .

En effet, depuis l'an dernier, la Commission européenne propose de modifier la directive chocolat de 1973 afin de généraliser l'autorisation d'utiliser pour la fabrication du chocolat jusqu'à 5 % de graisses végétales autres que le beurre de cacao. Pour l'instant, seuls en bénéficient, à titre dérogatoire, sept Etats membres sur quinze : Danemark, Grande-Bretagne, Irlande, Autriche, Finlande, Suède, et Portugal.

Même si cette autorisation, dont la généralisation se heurte pour l'instant à un désaccord entre Etats membres, n'est finalement mise en oeuvre qu'assortie d'une obligation d'étiquetage, la situation relative des producteurs français de chocolat s'en trouvera dégradée.

En effet, la sensibilité gastronomique de leurs concitoyens imposera aux producteurs français de continuer à utiliser exclusivement du beurre de cacao. Il en résultera un désavantage compétitif par rapport à leurs concurrents étrangers, qui ne peut qu'être aggravé par le régime de TVA actuel.

Par ailleurs, la mise à jour de la directive chocolat de 1973 se traduira par une redéfinition des différentes catégories de produits de chocolat. Cela suppose à brève échéance une modification du décret de 1976 et une adaptation des textes fiscaux fondés sur ses définitions.

Il en résultera très probablement une période de confusion et d'insécurité juridique accrues pour les producteurs dans leurs relations avec l'administration fiscale. Bien évidemment, un alignement de l'ensemble des produits de chocolat sur le taux réduit permettrait de faire l'économie de ce genre de péripéties.

Ainsi, votre commission estime que les raisons conjoncturelles rejoignent aujourd'hui les raisons de fond pour rendre à la fois légitime et opportune la mesure qui fait l'objet de la présente proposition de loi.

C. LA SOLUTION PROPOSEE : UN PASSAGE PROGRESSIF AU TAUX RÉDUIT

1. Un coût considérable à étaler dans le temps

Le coût global d'un passage de l'ensemble des produits de chocolat et de confiserie du taux de 20,6 % à 5,5 % peut être estimé, sur la base de chiffres d'affaires en 1996 de 10,5 milliards de francs pour le chocolat et de 7,3 milliards de francs pour la confiserie, à 2,5 milliards de francs.

Il s'agit donc d'une mesure dont le coût n'est pas négligeable. Certes, elle pourrait éventuellement intervenir en une seule fois, en accompagnant le retour annoncé du taux normal de TVA à un niveau plus raisonnable. Toutefois, cet abaissement du taux normal, bien qu'il soit souhaité par tous, risque d'être encore indéfiniment reporté en raison de la persistance de fortes contraintes budgétaires.

C'est pourquoi votre commission des finances vous propose de commencer à la mettre en oeuvre dès le budget 1998, mais en étalant son coût sur cinq exercices.

Ainsi, l'article premier de la proposition de loi définit, pour chaque exercice budgétaire de 1998 à 2002 , les catégories de produits de chocolat et de confiserie qui accèdent au taux réduit le 1er janvier de l'année considérée. Comme en matière de réforme du barème de l'impôt sur le revenu, cette programmation fiscale produira ses effets juridiques année après année , sans qu'il soit nécessaire de voter de nouvelles dispositions.

2. La définition des cinq tranches annuelles

Les catégories de produits de chocolat et de confiserie ont été définies de manière à correspondre approximativement à des tranches annuelles de 500 millions de francs.

Pertes fiscales annuelles résultant du passage graduel des produits de chocolaterie
et de confiserie du taux normal au taux réduit de TVA


En millions de francs
(valeur 1996)
Chocolaterie Confiserie Ensemble
1998 Chocolat en tablettes 455 455
1999 Bonbons de chocolat en vrac 161 243 404
2000 Produits de chocolat préemballés individuel-lement 535 57 592
2001 Produits de confiserie et autres produits de chocolat préemballés, sauf boîtes. 102 644 746
2002 Tous les autres produits de chocolaterie 269 92 361
Total sur cinq ans 1.522 1.036 2.558

Source : Alliance 7

Ce chiffrage, effectué sur la base des chiffres fournis par les professionnels groupés au sein de l'Alliance 7 [2] , appelle les précisions suivantes :

- les calculs ont été effectués sur la base des statistiques de ventes 1996 ;

- s'agissant de ventes sortie usine, des coefficients multiplicateurs ont été appliqués pour obtenir les ventes sortie magasin, de 1,2 pour les ventes en circuit court (85 % des ventes) et de 2,0 pour les ventes en circuit long (15 % des ventes), soit un coefficient moyen de 1,32 pour l'ensemble des produits ;

- enfin, une hypothèse d'augmentation des ventes de 8 % consécutive à la diminution du taux de TVA a été retenue.

Cette hypothèse d'accroissement en volume de la consommation paraît plausible, compte tenu de ce que l'on connaît de l'élasticité-prix des produits de chocolaterie et de confiserie. Le passage du taux normal au taux réduit correspond, toutes choses égales par ailleurs, à une diminution des prix de vente à la consommation de 12,5 %. Cet effet volume modérerait très légèrement le coût fiscal effectif de la mesure, à hauteur de 80 millions de francs environ.

Par ailleurs, les tranches annuelles ont été définies et ordonnées dans le temps de façon à donner la priorité aux fabrications plutôt artisanales sur les fabrications essentiellement industrielles.

3. Une perte de recettes dûment gagée

Enfin, dans le strict respect des règles de recevabilité financière qui s'imposent à l'initiative parlementaire, l'article second de la présente proposition de loi prévoit que la perte de recettes résultant de la diminution du taux de TVA applicable au chocolat sera compensée à due concurrence par un relèvement des droits de consommation sur le tabac.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page