II. L'ENTRÉE DE L'AUTRICHE ET DE LA GRÈCE AU SEIN DE L'ESPACE SCHENGEN : DEUX ADHÉSIONS AU PROFIL TRÈS DIFFÉRENT

Si le dispositif des accords d'adhésion de la Grèce et de l'Autriche à Schengen apparaissent largement communs, la situation de ces deux pays au regard des "critères" Schengen se présentent de manière contrastée et pourrait décider une application différenciée de l'accord pour l'Autriche et la Grèce.

En effet, l'expérience a montré l'utilité d'organiser l'adhésion à l'accord Schengen en deux phases : l'entrée en vigueur et la mise en vigueur. L'entrée en vigueur dont les conditions sont déterminées par des accords d'adhésion (art. 5 pour l'Autriche, art. 6 pour la Grèce), intervient le premier jour du deuxième mois qui suit le dépôt des instruments de ratification par les Etats signataires de l'accord de Schengen (France, Belgique, Allemagne, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) et la Grèce et l'Autriche.

Les déclarations communes annexées aux accords d'adhésion prévoient une seconde étape : la mise en vigueur surbordonnée à deux éléments : le respect des conditions préalables à l'application de la convention de 1990 dans les différents Etats signataires, un contrôle aux frontières extérieures effectif. Les conditions préalables à l'entrée en vigueur ont été énumérées par une décision du Comité exécutif du 19 juin 1992 :

- contrôle aux frontières extérieures et rédaction d'un manuel commun ;

- modalités de délivrance du visa uniforme et instruction consulaire commune ;

- traitement des demandes d'asile ;

- réalisation du Système d'Information Schengen (SIS) ;

- respect des dispositions de la convention relative au trafic des stupéfiants ;

- respect des dispositions de la convention en matière de protection des données personnelles ;

- régime de la circulation des personnes dans les aéroports.

Il appartiendra au Comité exécutif, par une décision unanime, de constater le respect de ces conditions préalables. L'autorisation du Parlement n'a pas ainsi pour effet, comme c'est l'usage, de permettre l'application des accords une fois les instruments de ratification déposés par tous les Etats signataires. Elle donne au Gouvernement la faculté d'apprécier si les conditions de mise en vigueur des accords d'adhésion sont ou non remplies.

Aux termes des déclarations communes, les Etats signataires s'informent dès avant l'entrée en vigueur de l'Accord d'adhésion des progrès réalisés pour satisfaire les principes nécessaires à la mise en vigueur de cet accord. Cette obligation s'est traduite pour l'Autriche par la présence active de la délégation autrichienne aux réunions du Comité exécutif. Cette instance a constaté le 26 juin dernier que les conditions d'entrée en vigueur n'étaient pas réunies dans la mesure où les procédures de ratification n'étaient pas achevées. Cependant elle a déclaré sa ferme volonté de voir la convention mise en oeuvre avant la fin de 1997. Le Comité exécutif constatera le 7 octobre 1997 si les conditions de mise en vigueur des accords sont ou non réunies, étant entendu que le dépôt des instruments de ratification français reste un préalable indispensable. Les négociations en cours prévoient une possible mise en vigueur de la convention pour l'Autriche à compter du 1er décembre 1997. Pour la Grèce, aucun calendrier n'a pu jusqu'à présent être arrêté. Le Comité se prononcera également de façon définitive sur l'Italie pour laquelle la mise en vigueur de la convention devrait intervenir le 26 octobre 1997. L'adhésion de l'Autriche ne devrait pas rencontrer d'objection de principe. En effet, l'Autriche dont la position au coeur de l'Europe pose pourtant avec acuité le problème des contrôles aux frontières extérieures, a accompli des efforts très notables pour satisfaire aux critères de Schengen.

A. L'AUTRICHE : UNE ADHÉSION DONT LES CONSÉQUENCES DOIVENT ÊTRE PRISES EN COMPTE PAR LA FRANCE

Après avoir présenté les problèmes auxquels l'Autriche peut se trouver confrontée et l'état des forces dont ce pays dispose, votre rapporteur évoquera les efforts accomplis par l'Autriche pour satisfaire les conditions préalables de Schengen.

1. Un pays situé au coeur d'une zone difficile

a) La concomitance de l'application de l'accord en Autriche et en Italie : un risque pour la France

L'Autriche dispose d'une frontière extérieure de près de 1 250 km avec la Slovénie, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et également la Suisse et le Liechtenstein. Quelques 500 camions franchissent chaque jour le poste frontière de Niekelsdorf entre la Hongrie et l'Autriche. L'immigration clandestine peut tirer parti de l'intensité des échanges entre l'Autriche et les anciennes possessions de l'Empire des Habsbourg. Plusieurs organisations de passeurs ont été démantelées. En 1996, près de 10 000 clandestins ont été arrêtés aux frontières de l'est, soit une augmentation de 61 % par rapport à 1995, selon les statistiques du Ministère de l'intérieur autrichien. Entre le 1er janvier et le 13 juillet 1997, 5 893 personnes ont été arrêtées, soit une progression de 45 % par rapport à la même période de l'année précédente. Les failles dans le dispositif de surveillance autrichien ont suscité les inquiétudes de l'Allemagne et en particulier des autorités bavaroises responsables du contrôle aux frontières. Ainsi le ministre bavarois de l'intérieur avait fait état de sa préoccupation notamment après que les douanes bavaroises aient appréhendé une centaine de clandestins kurdes à la frontière germano-autrichienne en février dernier.

Le land de Bavière n'entendait pas remettre en cause les contrôles mis en place à la suite de la modification, en 1995, de la loi sur les missions et les prérogatives de la police d'Etat bavaroise. Le nouveau dispositif permettait en effet des contrôles d'identité sans soupçon, voire des arrestations, dans une bande de 30 kilomètres en retrait de la frontière, ainsi que sur les routes, autoroutes, zones de repos et en général sur tous les axes de circulation en relation avec le franchissement des frontières intérieures.

Toutefois, une solution de compromis, adoptée sous l'égide du chancelier Kohl à Innsbruck le 17 juillet dernier, a permis à l'Allemagne et à l'Autriche de s'entendre sur une suppression progressive du contrôle aux frontières. Cet accord informel associe également l'Italie. L'Allemagne craignait en effet les conséquences de la mise en vigueur effective de l'accord de Schengen en Italie prévue pour le 26 octobre 1997. L'accord prévoit la mise en place d'un groupe d'experts multilatéral permanent dont les travaux ont été engagés dès le 1er septembre afin d'approfondir la coopération. Il défend également le principe d'une suppression par étapes des contrôles aux frontières terrestres échelonnée jusqu'au 1er avril 1998. Dans ce domaine cependant, la décision appartient au Comité exécutif. Enfin, l'Allemagne s'est engagée au sein de cette instance à soutenir lors du Comité exécutif du 7 octobre une décision définitive sur la mise en vigueur pour l'Autriche et l'Italie de la convention d'application de Schengen.

A la suite de cet accord informel, les ministères autrichien et bavarois de l'Intérieur ont convenu des conditions d'une suppression par étapes des contrôles aux frontières terrestres longues de près de 816 kilomètres (suppression des 31 points de passage les moins importants à compter du 1er décembre -date à laquelle l'Autriche serait raccordée au SIS, si du moins l'achèvement de la procédure de ratification le permet, maintien des contrôles ponctuels et sélectifs sur les 25 points de passage de moyenne importance, contrôle maintenu en l'état sur les 5 grands postes frontière jusqu'au 1er avril 1998). En contrepartie, les deux ministres ont défini des mesures de compensation générale : renforcement de la coopération bilatérale notamment par l'affectation d'agents de liaison, surveillance conjointe du trafic ferroviaire et fluvial sur le Danube, dispositif relatif aux droits d'observation et de poursuite.

Les précautions prises par l'Allemagne sur sa frontière avec l'Autriche ne sauraient laisser notre pays indifférent. En effet même si la France n'a pas de frontières communes avec l'Autriche, elle ne peut tenir pour négligeable le risque soulevé par l'immigration clandestine en Autriche. En effet du fait même de la concomitance probable entre l'application de l'accord de Schengen en Autriche et en Italie, ces deux pays peuvent constituer les étapes successives de filières clandestines dont la France serait l'aboutissement. Il est donc indispensable que parallèlement à la mise en vigueur de l'accord de Schengen en Autriche, la France engage une coopération étroite avec l'Italie pour la surveillance des frontières entre nos deux pays. Votre rapporteur a fait part de ces préoccupations au ministre des affaires étrangères qui lui a indiqué que la France signerait avec l'Italie deux accords lors du Sommet franco-italien à Chambéry des 2 et 3 octobre 1997 :

- un accord de coopération policière et douanière (prévoyant notamment l'institution de commissariats communs à Vintimille et Modane) ;

- un accord de réadmision des étrangers entrés illégalement sur le territoire de l'autre partie.

En outre M. Hubert Védrine a précisé, lors d'une audition devant notre commission, que la France participe depuis le 1er septembre au groupe d'experts institué par l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie.

b) Des forces encore modestes

En Autriche, les forces se répartissent principalement entre la gendarmerie fédérale et la police fédérale. Elles disposent l'une et l'autre, aux termes de l'accord d'adhésion de l'Autriche (art. 2 et 3), des droits d'observation et de poursuite.

La première, placée sous les ordres d'un commandement central dépendant du ministère de l'intérieur, comprend quelque 12 000 hommes organisés sous la forme d'une force armée. Elle a compétence sur la majeure partie du pays, et assure notamment le contrôle frontalier entre le Tyrol et l'Italie. La police fédérale, quant à elle, assume principalement le contrôle dans les principaux aéroports du pays (Vienne-Schwechat, Salzbourg, Innsbruck).

En outre, les services des douanes assistent les forces précitées et surveillent la frontière avec la Suisse et le Liechtenstein. L'armée fédérale peut prêter son concours au ministère de l'Intérieur. C'est ainsi que plus de 1 500 soldats participent au contrôle des frontières de la Hongrie et de la Slovaquie.

Le nombre de policiers rapporté à la population apparaît l'un des plus faibles d'Europe (1 policier pour 310 habitants contre 1 pour 247 en France) mais il se compare au niveau allemand. En outre, les effectifs devraient être renforcés à l'avenir.

2. Un effort conséquent

Les autorités autrichiennes ont pris la mesure de l'effort à accomplir pour répondre aux exigences de l'adhésion à Schengen : elles ont accru les moyens nécessaires au contrôle des frontières extérieures et décidé d'adapter leur législation.

a) L'intensification des moyens employés au contrôle des frontières extérieures

La loi du 20 août 1996 sur le contrôle des personnes aux frontières a permis de renforcer l'ensemble du dispositif de surveillance du territoire autrichien.

Ce renforcement revêt plusieurs formes :

- une progression des effectifs affectés au contrôle des frontières extérieures : de 4 566 agents au ler janvier 1997 à 5 551 agents au ler juillet 1997 (dont 1 950 militaires) ;

- l'augmentation et l'adaptation des équipements : à titre d'exemple, des vedettes rapides devraient être acquises prochainement pour assurer essentiellement la surveillance entre Vienne et la Slovaquie ; de même des salles de contrôle équipées d'endoscopes et de rayons X ont été installées aux points de passage frontaliers identifiés comme points d'entrée majeurs de stupéfiants ;

- une adaptation des méthodes : aux points de passage frontaliers les plus sensibles, les effectifs de base de l'administration douanière ont été renforcés par des équipes d'intervention en matière de stupéfiants, ainsi que par des équipes mobiles de surveillance.

Enfin, l'administration des douanes a conclu plusieurs accords bilatéraux d'assistance administrative.

Pendant la " montée en charge " de ce dispositif le gouvernement autrichien a donné le témoignage de sa volonté de vigilance. Ainsi les risques présentés par le développement de l'immigration clandestine ont conduit le ministre de l'intérieur à exiger un contrôle systématique des véhicules de tourisme et des véhicules commerciaux, d'abord pour le franchissement à l'entrée des frontières orientales et ensuite, à la sortie de son territoire aux postes frontières avec la Bavière.

b) Une harmonisation en cours avec les autres Etats Schengen

L'Autriche s'est également beaucoup rapprochée de ses partenaires dans les autres domaines visés par les accords de Schengen.

- La délivrance des visas uniformes . La déclaration commune n° 2 annexée à l'accord d'adhésion de l'Autriche contraint ce pays à adopter le régime de visa appliqué après le 19 juin 1990 et partant, à tenir compte des progrès intervenus pour harmoniser les procédures dans chacun des Etats-membres. Par ailleurs, depuis l'entrée en vigueur, en septembre 1996, du règlement communautaire (CE 1683/95) du 29 mai 1995 relatif au visa uniforme, les représentations diplomatiques et consulaires autrichiennes délivrent la vignette-visa uniforme.

- la politique d'immigration et le traitement des demandes d'asile .

Le dispositif législatif a été modifié dans le souci de favoriser l'intégration des étrangers déjà résidents, tout en limitant toute immigration nouvelle à l'exception des demandes d'asile examinées dans un esprit très restrictif.

Le 11 juin dernier, le Parlement autrichien a adopté trois lois sur l'entrée, le séjour et l'établissement des étrangers, sur l'emploi des étrangers et sur le droit d'asile. Ces textes entreront en vigueur le 1er janvier 1998.

Sur ce chapitre, il convient d'ajouter que l'accord de réadmission avec la Hongrie a été aménagé en avril dernier afin de rendre obligatoire la réadmission d'un citoyen d'un Etat tiers qui aurait franchi la frontière illégalement.

- réalisation du SIS

Le système informatique autrichien après avoir passé avec succès les tests techniques et sous réserve des tests de chargement de données actuellement en cours, sera bientôt opérationnel.

Au 1er décembre 1997, les représentations autrichiennes seront toutes équipées en terminaux d'interrogation du SIS.

En outre, la législation autrichienne répond aux principes posés par Schengen pour la protection des données à caractère personnel 3( * ) .

- la lutte contre le trafic de drogue

Par sa situation géographique, l'Autriche peut devenir une plaque tournante pour le trafic d'héroïne venant de Turquie via les pays d'Europe centrale et orientale.

La législation autrichienne sanctionne sévèrement le trafic de drogue (permis d'emprisonnement s'échelonnant de 5 ans -pour les petits trafics- à 20 ans -direction d'un réseau de trafiquants). La possession de petites quantités pour usage personnel ne donne lieu qu'à une période probatoire de 2 ans. Si elle n'est pas destinée à l'usage personnel, elle reste passible d'un emprisonnement de 6 mois et même de 3 ans en cas de circonstances aggravantes (mineurs, etc) ou pour des quantités plus importantes.

L'Autriche n'introduit aucune distinction entre le cannabis et les autres types de drogues.

Dans la perspective de son adhésion à Schengen, Vienne a procédé à l'aménagement de son dispositif législatif. Le Parlement a adopté deux lois : la première relative à la confiscation des revenus provenant du trafic illicite de stupéfiants -entrée en vigueur le ler mars 1996-, la seconde en faveur d'un recours plus large à la thérapie, à l'assouplissement du régime répressif pour les consommateurs et enfin de sanctions plus lourdes à l'encontre des revendeurs.

En outre, l'Autriche devrait bientôt ratifier l'ensemble des conventions internationales relatives au renforcement de la coopération contre le trafic des stupéfiants (convention relative aux substances psychotropes de 1971, au trafic illicite de stupéfiants et substances psychotropes de 1988, au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits de délits de 1990).

- régime de la circulation des personnes dans les aéroports .

Les aménagements nécessaires pour réparer et canaliser les passages des vols intérieurs et des autres vols devraient s'achever le 26 octobre prochain.

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