B. LA GRÈCE : UNE ADHÉSION À RISQUES

La Grèce plus que l'Autriche encore, doit surmonter les handicaps d'une géographie délicate pour satisfaire aux exigences de son adhésion à Schengen. Dispose-t-elle des moyens nécessaires au contrôle des frontières extérieures ? Il n'est pas encore assuré que l'effort entrepris soit à la mesure des difficultés à vaincre.

1. Des moyens encore limités pour un contrôle aux frontières difficile

a) Une position géographique particulière

La Grèce présente une double particularité :

- le fait insulaire : outre une côte de plus de 1600 km, les autorités doivent assurer la surveillance de plus de 3000 îles ;

- l'absence de frontière intérieure terrestre ou maritime avec un autre Etat Schengen (à l'exception, bien sûr des frontières aériennes au titre de la convention de Schengen).

En outre, la Grèce a des frontières communes avec la Turquie et l'Albanie, deux pays sensibles pour le trafic illégal de stupéfiants mais aussi pour les mouvements migratoires clandestins. A cet égard, la situation albanaise n'est naturellement pas sans risque pour la Grèce. Ce pays, terre d'émigration jusqu'au début des années 80, est devenu un pôle d'attraction pour ses voisins immédiats.

La Grèce a du rapidement tirer les conséquences de cette évolution et renforce son dispositif affecté au contrôle des frontières.

b) Une forte présence policière

Les autorités chargées des missions de protection et de contrôle des frontières recouvrent trois forces distinctes : la police hellénique, la police portuaire et les services des douanes.

La police hellénique, placée sous l'autorité du ministère de l'ordre public, comprend quelque 39.000 fonctionnaires. La Grèce se range ainsi parmi les Etats les plus "policés" d'Europe avec un ratio d'un policier pour 265 habitants. La surveillance des frontières terrestres et la lutte contre l'immigration clandestine mobilisent 12.000 personnes. Les effectifs des services de contrôle des passeports sont renforcés de 30 à 40 % chaque année au cours de la période estivale.

La protection et le contrôle des "frontières bleues" (maritimes) relèvent de la police portuaire forte de 470 hommes employés à bord, de 127 vedettes de police dont la taille comme la capacité opérationnelle apparaissent très disparates. La police portuaire dispose en outre de quatre avions et bénéficie du renfort de 600 membres de la police hellénique. Ces moyens demeurent insuffisants au regard de la longueur des côtes, de la dispersion des territoires à contrôler (en particulier en mer Egée) et en l'absence de coopération avec la Turquie.

Les effectifs des douaniers chargés notamment de missions dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants ou d'armes, restent notablement insuffisants.

La Grèce a certes pris la mesure des adaptations à entreprendre mais ses efforts semblent encore insuffisants.

2. Une mobilisation réelle dont les résultats mériteront un examen vigilant

La Grèce a d'abord aménagé son dispositif juridique et renforcé les moyens humains et matériels indispensables au contrôle des frontières extérieures.

a) Un renforcement des moyens de contrôle

Au chapitre des aménagements juridiques, il convient sans doute de mentionner en premier lieu l'effort consenti par la Grèce dans le cadre de son adhésion à Schengen pour revenir sur plusieurs des réserves apportées aux conventions internationales qu'elle avait signées. Ainsi la Grèce a renoncé aux réserves qu'elle avait formulées au moment de son adhésion à la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 (capacité de s'opposer à l'extradition quand l'infraction a été commise en tout ou partie sur le territoire grec notamment) et à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 (impossibilité d'une part pour la partie requérante d'assister à l'exécution des diligences sollicitées dans sa demande d'entraide et d'autre part d'obtenir le transfèrement d'une personne détenue sur le territoire de la partie requérante aux fins d'audition comme témoin ou de confrontation).

La seule réelle spécificité obtenue par la Grèce dans l'application de l'accord de Schengen n'est guère contestable : elle permet de tenir compte du statut spécial du Mont Athos (Déclaration commune relative au Mont Athos annexée à l'Acte final). Le Mont Athos dispose en effet d'un statut particulier -reconnu du reste dans l'acte d'adhésion de la Grèce à la Communauté européenne - : régime d'auto-administration par la Sainte Communauté, organe collégial où sont représentés les 20 monastères de la presqu'île, dont le fonctionnement est directement inspiré des règles fixées en 1060 par Constantin Monomaque.

La mise en oeuvre de Schengen devra dès lors tenir compte de la délivrance par les autorités religieuses du Mont Athos d'un visa particulier.

Si les moines du Mont Athos se sont émus de l'adhésion de la Grèce à Schengen, ce n'est donc pas parce que leur statut aurait été méconnu mais plutôt en raison des risques présentés, d'après eux, par la mise en place du SIS sur la liberté individuelle. La hiérarchie orthodoxe faisait connaître, de son côté, en mai dernier son opposition à l'utilisation du chiffre "666" symbole de l'Antéchrist selon l'Apocalypse de Saint-Jean, dans les codages informatiques liés à l'entrée de la Grèce dans l'espace Schengen.

Par ailleurs, la Grèce a adapté son dispositif législatif pour satisfaire aux exigences posées par Schengen. Ainsi la même année où elle signait l'accord de Schengen, la Grèce renforçait la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers sur son territoire (1991).

Afin d'assurer un contrôle efficace aux frontières et donner ainsi toute sa portée à une législation plus rigoureuse, les autorités helléniques ont mis également en place quarante six équipes de police mobiles spéciales disponibles, en principe, 24 h sur 24 pour la surveillance d'une bande de territoire de 20 km à partir de la frontière, et capables d'effectuer, le cas échéant, des interventions ciblées.

Ces équipes sont doublées d'une "seconde ligne" constituée de 500 agents répartis en équipes de 20 qui interviennent sur une zone de 50 kilomètres à partir de la frontière. Enfin des contrôles ponctuels sont effectués sur l'ensemble du territoire.

En outre, afin d'atteindre le niveau de contrôle et de surveillance conforme aux dispositions, les autorités ont décidé de renforcer les effectifs chargés du contrôle des points de passage frontalier (400 personnes), des "frontières vertes" (800) et des "frontières bleues" (800).

Enfin, le Parlement hellénique a adopté les mesures nécessaires à l'harmonisation des dispositions relatives au droit d'asile (loi du 31 décembre 1996) -demandes d'asiles manifestement infondées, garanties des procédures minimales en matière d'asile...-.

Longtemps la Grèce est restée peu concernée par la question du droit d'asile (près d'un millier de demandes par an en moyenne). Toutefois le nombre de demandeurs s'est considérablement accru au cours des années 80 même si le nombre de ceux qui ont obtenu ce statut n'a pas, en fait, dépassé 5000.

Dans le domaine de la lutte contre le trafic des drogues , la Grèce est signataire de l'ensemble des conventions internationales des Nations unies consacrée au sujet. La législation intérieure présente la rigueur nécessaire : l'usage de drogue est interdit et passible d'un emprisonnement de 10 à 15 jours -la possession de petites quantités pour la consommation personnelle est assimilable à l'usage.

La possession de quantités plus importantes pour un consommateur habituel peut entraîner des peines d'emprisonnement de 3 à 10 ans et de 10 à 20 ans si le possesseur n'est pas un usager. Le trafic de stupéfiants reste passible quant à lui de peines pouvant aller jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité.

Des sections spéciales de lutte contre les stupéfiants ont été ou seront mises en place dans plusieurs régimes frontaliers ainsi que les ports ou aéroports (actuellement Patras, Héraklion, Rhodes) qui accueillent un grand nombre de voyageurs.

Les autres volets visés par la convention de Schengen ont fait également l'objet d'un effort d'adaptation de la Grèce :

- harmonisation nécessaire à la délivrance du visa uniforme ;

- réalisation en cours du SIS : sous réserve du chargement effectif des données, le N. SIS grec pourra être déclaré opérationnel ;

- adoption, le 10 avril 1997, d'une loi relative à la protection des données ;

- l'aménagement des structures aéroportuaires : accomplie pour les deux aéroports d'Athènes et celui de Thessalonique, la mise en place du dispositif des flux Schengen et non Schengen devrait en principe être achevée pour les trois autres aéroports internationaux que compte la Grèce (Rhodes, Corfou, Héraklion) avant le 26 octobre 1997.

b) Les problèmes en suspens

Quelle que soit la bonne volonté des pouvoirs publics, la situation géographique de la Grèce pose des problèmes redoutables pour la surveillance des frontières. Les moyens humains et matériels malgré les efforts indéniables consentis ne paraissent pas à la mesure des difficultés rencontrées.

En outre, il existe souvent une distance importante entre les ambitions affichées et la réalité. En 1993, la "commission d'évaluation des contrôles Schengen" dressait ainsi quelques constats préoccupants. A titre d'exemple, seules sept équipes de police mobiles sur les quarante six prévues avaient été mises en place et pouvaient effectivement fonctionner. S'agissant des contrôles des documents, la Grèce ne dispose que de quatre appareils de contrôle d'authenticité de type simple aux points de passage frontaliers les plus fréquentés, alors que le double au moins, de l'aveu même des autorités hellènes, serait nécessaire. En 1995, une nouvelle commission de visite, constatait cependant des progrès importants.

Il n'en reste pas moins que le comité exécutif de Schengen devra se livrer à un contrôle extrêmement attentif de la situation grecque avant de se prononcer sur la mise en vigueur de la convention.

Par ailleurs, au regard du contrôle des frontières extérieures, la Grèce supporte un handicap lié à l'état de ses relations avec la Turquie. En effet, alors qu'elle est liée à l'Albanie par un accord de coopération policière qui comprend une clause de réadmission, elle n'a signé aucun accord de cette nature avec Ankara. En conséquence, la Turquie ne réadmet pas des étrangers ressortissants d'Etats tiers dont il est prouvé qu'ils proviennent de son territoire.

Sans doute les partenaires de la Grèce au sein de Schengen doivent-ils s'efforcer de rapprocher les positions d'Athènes et d'Ankara. L'entreprise est difficile et la vanité des efforts entrepris sur ce chapitre au nom de l'Union européenne invite au scepticisme.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page