III. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION AD HOC


• Dans son traité de droit parlementaire (§ n° 1079), Eugène Pierre soulignait que la délibération en matière d'immunité « doit être d'autant plus courte que la question posée est extrêmement simple ; la personnalité du membre à l'égard duquel il s'agit de requérir n'est pas mise en cause ; la Chambre n'examine pas les faits particuliers qui peuvent être relevés contre le député détenu ou poursuivi ; elle ne statue pas sur le fond de l'affaire, mais exclusivement sur le maintien de l'immunité législative dont les Assemblées politiques ne sauraient jamais se montrer trop jalouses » .

L'Assemblée statue en tenant compte de deux objectifs contradictoires que M. Charles de Cuttoli a parfaitement résumés en 1977 : « le premier vise à sauvegarder l'indépendance des parlementaires en évitant qu'ils ne soient victimes de poursuites inconsidérées, arbitraires ou vexatoires, qui nuiraient au bon exercice de leur mandat ; le second vise, en sens inverse, à maintenir l'égalité de tous les citoyens devant la loi, en limitant au strict nécessaire la prérogative que constitue l'inviolabilité » .

Cette analyse, marquée par la tradition parlementaire française, conserve toute son actualité. Dans la plus récente demande de suspension des poursuites dont le Sénat ait eu à connaître (rapport N° 408 du 20 juin 1990), notre très regretté Collègue Marcel Rudloff observait :

« La protection des parlementaires contre l'arrestation et les poursuites accordée par la Constitution se fonde sur la nécessité de ne pas entraver le libre exercice d'un mandat électif. Cette nécessité doit être conciliée avec les exigences de la justice. Dans notre Constitution, c `est aux Assemblées qu'il incombe de rechercher l'équilibre entre ces deux impératifs. Chacune des Assemblées décide souverainement d'autoriser ou de suspendre des poursuites. Les Assemblées se prononcent en pure opportunité » .

La recherche de l'équilibre entre ces deux objectifs n'a pas pour effet d'arrêter le cours de la justice mais simplement de le différer. Pour reprendre l'expression utilisée à juste titre par M. le professeur Gaudemet, « la suspension n'a jamais que des effets limités (...) ; dès que la clôture [de la session] est intervenue, la justice reprend son cours » .


• À titre personnel, votre rapporteur s'est interrogé sur l'éventualité d'instituer un mécanisme susceptible de lever, à l'avenir, toute difficulté. On pourrait songer, mutatis mutandis, à une procédure proche de celle prévue par le code de procédure pénale pour les dépositions des membres du Gouvernement.

Aux termes des articles 652 et suivants dudit code, les membres du Gouvernement ne peuvent comparaître comme témoins qu'après autorisation du conseil des ministres, sur le rapport du Garde des sceaux, ministre de la Justice, cette autorisation étant donnée par décret. Lorsque la comparution n'a pas été autorisée, la déposition est reçue par écrit dans la demeure du témoin par le premier président de la cour d'appel ou, si le témoin réside hors du chef-lieu de la cour, par le président du tribunal de grande instance de sa résidence.

On pourrait ainsi envisager que pendant la session, la déposition du parlementaire soit reçue par écrit.

Mais votre rapporteur est conscient que cette observation personnelle ne relève pas de l'appréciation de la commission ad hoc, laquelle, disposant uniquement d'une compétence d'attribution, n'a à connaître que du droit en vigueur et de la proposition de résolution dont elle est saisie.


• En l'espèce, votre commission ad hoc constate que la poursuite a été engagée à rencontre de M. Charasse à la suite d'une demande de comparution pendant la session.

Or, comme le notait Eugène Pierre dans son traité (§ n° 1088), « un sénateur ou un député, cité comme témoin, au cours d'une session, peut s'abstenir de comparaître en excipant de sa qualité ; il est d'usage que les excuses fondées sur la nécessité de ne pas abandonner les travaux parlementaires soient agréées par la cour ou par le tribunal » .

L'excuse légitime de la session paraissait en l'occurrence d'autant plus recevable que le 19 juin était un jour de séance, et plus précisément celui de la déclaration de politique générale de M. Lionel Jospin.

Or. même si, en l'espèce, le magistrat ne pouvait savoir au moment de la citation, intervenue dix jours avant le premier tour des élections législatives, que la date fixée pour la comparution coïnciderait avec la date d'une déclaration de politique générale, le simple fait qu'un parlementaire puisse se voir imposer de comparaître en session, a fortiori un jour de séance, paraît de nature à entraver le libre exercice de son mandat.

C'est pourquoi il convient de suspendre la poursuite engagée en vue d'infliger une amende à M. Michel Charasse, car cette poursuite n'est elle-même que la conséquence de la décision prise par le magistrat de faire comparaître un parlementaire pendant la session, de surcroît un jour de séance.

Cette suspension n'interromprait pas la poursuite mais aurait pour simple effet de la différer jusqu'au lendemain de la fin de la présente session, c'est-à-dire jusqu'au mercredi 1er juillet 1998, afin d'éviter toute gêne dans l'accomplissement du mandat de l'intéressé.

Pour cette raison, et sous le bénéfice de l'observation émise à titre personnel par son rapporteur, votre commission ad hoc soumet à l'appréciation du Sénat le texte suivant :

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