CHAPITRE V

L'INEXORABLE PROGRESSION DES AIDES PERSONNELLES AU LOGEMENT

Le présent projet de loi de finances contient 33,155 milliards de francs de crédits d'aides personnelles au logement, en progression de 11,5 % sur 1997. Cette forte majoration ne peut manquer de surprendre, en période de retour de la croissance économique, et alors que les effets de la généralisation de ces aides à l'ensemble de la population sous seule condition de ressources, intervenue le 1er janvier 1993, devraient être digérés depuis longtemps. D'autres mécanismes, liés à la conception de ces aides, contribuent à des effets de cliquet entravant leur reflux.

I. L'ANALYSE : UNE AUGMENTATION EXPLOSIVE, MAIS NON HOMOGÈNE

Les aides personnelles au logement sont versées aux ménages, dont les ressources n'excèdent pas certains plafonds, au titre de leur résidence principale, pour les aider à acquitter leur loyer ou le remboursement de leur crédit, s'ils accèdent à la propriété. On en distingue trois :


·
l'aide personnalisée au logement (APL) est versée pour les logements ayant fait l'objet d'un crédit réglementé. Les bénéficiaires sont, pour l'essentiel, des locataires de logements HLM financés en prêt locatif aidé ou conventionnés. L'APL est alors versée directement au bailleur social. Il s'agit aussi, pour une part minoritaire, de logements neufs financés par un prêt d'accession à la propriété (PAP) ou par un prêt d'accession sociale (PAS) ;


·
l'allocation de logement familiale (ALF) est versée aux locataires ou propriétaires ayant des charges de famille, ainsi qu'aux jeunes ménages mariés depuis moins de cinq ans ;


·
l'allocation de logement sociale (ALS) est versée aux locataires ou propriétaires n'ayant pas de charges de famille (personnes âgées à la retraite, jeunes travailleurs salariés, étudiants, personnes handicapées).

Leur financement est à la charge de deux contributeurs : les entreprises , via les caisses d'allocations familiales, et l'Etat . Leur montant global sera de l'ordre de 75 milliards de francs en 1998, contre 49 milliards de francs en 1990.

L'analyse de cette fulgurante progression révèle trois éléments principaux. D'abord, du côté des contributeurs, la part de l'Etat a cru plus vite que celle des entreprises. Ensuite, la progression du volume d'aides a essentiellement été liée à celle du nombre de bénéficiaires. Enfin, parmi les différentes aides, l'ALS-location a été de loin la plus dynamique.

A. L'AJUSTEMENT DES DÉPENSES A PESÉ SUR L'ETAT

La contribution des entreprises aux aides à la personne est assise sur leur masse salariale. Elle est égale à 0,10 % pour tous les employeurs, ratio auquel s'ajoute un supplément de 0,40 % pour les entreprises de plus de neuf salariés. La part des entreprises est donc indifférente au niveau des dépenses. Elle aurait même tendance à évoluer de façon contracyclique : en période de difficultés économiques, de chômage croissant, l'assiette de la contribution stagne alors que les besoins en aides augmentent.

L'Etat fournit une contribution d'équilibre. C'est donc sur lui qu'a pesé la plus grande part de la progression des années 90. On remarque toutefois que la contribution des entreprises, qui pèse sur l'emploi salarié, a sensiblement progressé.

Part de l'Etat dans le financement des différentes aides

(en milliards de francs)

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Total Etat (1)

Total employeurs

18,690

28,819

20,521

31,243

19,450

34,295

19,415

37,864

28,428 (2)

38,438

27,500

41,362

29,942

43,023

32,05

43,789

Part de l'Etat dans le financement total


39,3 %


39,6 %


36,2 %


33,9 %


42,6 %


39,9 %


41,0 %


42,3 %

(1) Montant des dotations budgétaires annuelles (LFI + LFR) ; les crédits pouvant être affectés à des régularisations concernant les années antérieures
(2) dont 2 milliards au titre des aides à la personne versées par les Caisses en 1992, régularisées en 1993.

B. LA PROGRESSION DES DÉPENSES EST DIRECTEMENT LIÉE À CELLE DU NOMBRE DE MÉNAGES BÉNÉFICIAIRES

Le rapprochement des deux graphiques suivants illustre ce phénomène.



Le nombre de ménages bénéficiaires des aides personnelles est ainsi passé de 4,579 millions en 1990 à 6,148 millions en 1996.

Une analyse un peu plus fine montre que l'accroissement du coût des prestations (hors frais de gestion) est toutefois plus que proportionnel à celui du nombre de bénéficiaires. Les dépenses ont augmenté de 46 %, tandis que le nombre de bénéficiaires a cru de 34 %. La différence n'est que très partiellement liée à l'actualisation des barèmes, puisque ceux-ci ont notamment été gelés en 1993, 1995 et 1996. En termes réels d'ailleurs, le pouvoir solvabilisateur des aides s'est dégradé.

L'écart provient de la dynamique même des aides. Elles augmentent avec la taille des familles, le coût des logements, et en fonction inverse des niveaux de ressources. De ce point de vue, on peut observer que l'allocation de logement familiale s'est montrée la plus dynamique. Alors même que le nombre d'allocataires a stagné, le montant des prestations a progressé de 23 %. Cette différence est probablement liée à la précarisation de la situation financière des familles concernées.

C. L'ALS A PROGRESSÉ PLUS RAPIDEMENT QUE LES AUTRES AIDES.

La part prise par chacune des différentes aides à la progression de l'ensemble est très inégale. Comme l'indique le tableau suivant, l'explosion des aides personnelles est essentiellement le fait de l'ALS et de l'APL locatives.

Part prise par les différentes aides (%) à la progression d'ensemble des prestations (22,6 milliards de francs de 1990 à 1996)

APL-accession

- 13,56 %

APL-location

+ 52,78 %

ALF-accession

+ 3,89 %

ALF-location

+ 8,22 %

ALS-accession

+ 1,23 %

ALS-location

+ 47,45 %

On peut tirer deux enseignements de ce tableau.

D'une part, les aides personnelles à l'accession à la propriété se sont marginalisées puisqu'elles ont diminué de près de 2 milliards de francs. La progression est donc exclusivement due aux aides locatives.

D'autre part, si l'on raisonne au niveau de chacune des trois aides, on s'aperçoit que la progression de l'APL-location a été partiellement compensée par la réduction de l'APL-accession. Proportionnellement, c'est l'ALS qui a connu la plus forte poussée , avec une croissance de 117 % des prestations sur la période.

La généralisation de l'ALS sous seules conditions de ressources (le fameux "bouclage") est à l'origine du phénomène. Cette généralisation avait commencé en 1986, mais le bouclage proprement dit à eu lieu de 1991 à 1993.

Aujourd'hui, 56% des ménages bénéficiaires d'aides locatives ont un revenu inférieur au SMIC, 95% un revenu inférieur à 2 SMICs.

Le bouclage de l'ALS

Titulaires de droits

Année


·
Personnes âgées de plus de 65 ans ou inaptes au travail de plus de 60 ans


·
Personnes infirmes


·
Travailleurs salariés de moins de 25 ans

1971


·
Chômeurs de longue durée en fin de droits

1986


· Titulaires du RMI

1989


·
Titulaires de l'allocation d'insertion

1990


· Tout résident en Ile-de-France ou dans un DOM

1991


·
Tout résident d'une agglomération de plus de 100.000 habitants

1992


·
Toute personne installée en France

1993

La progression de l'APL-location n'est pas liée à une généralisation de même nature, mais à une extension du parc HLM conventionné combinée avec une tendance à la diminution des ressources des nouveaux locataires (qu'on appelle parfois "paupérisation du parc").

L'extension du parc conventionné a surtout été liée à la possibilité donnée aux HLM, à partir de 1988, de conventionner leur parc construit avant 1977. Dans ce parc, le nombre de titulaires de l'APL est passé de 499.000 en 1991 à 773.000 en 1996.

Cette progression a été partiellement contrebalancée par la diminution de l'APL-accession. Cette diminution est la conséquence de la marginalisation progressive des PAP au cours des années 80.

La généralisation des aides est donc bien à l'origine de la vive progression des dépenses depuis 1990. Mais elle est totalement achevée depuis 1993. Cette explication ne suffit donc pas à comprendre pourquoi l'effet "boule de neige" perdure actuellement.

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