CHAPITRE II

LA LOI PONS :
UN DANGEREUX PROCES EN SORCELLERIE

Le présent projet de loi de finances comporte, en son article 14, une disposition dont l'objet initial était "d'aménager le régime d'aide fiscale à l'investissement outre-mer". Au cours de la discussion de cet article à l'Assemblée nationale, cet "aménagement" s'est cependant "transformé" en une véritable refonte de l'équilibre du système d'incitation fiscale à l'investissement outre-mer.

Evoquer un simple "aménagement" au sujet d'une telle disposition relève donc, depuis le vote de l'Assemblée nationale, très largement de l'euphémisme.

C'est pourquoi votre rapporteur lancera un appel solennel au Gouvernement pour que celui-ci recommande à l'Assemblée nationale de souscrire au dispositif mesuré et responsable qui résulte des travaux du Sénat et de sa commission des finances.

L'article 14 du présent projet de loi de finances avait en effet, dans sa rédaction initiale , pour seul objectif d'encadrer plus strictement certains aspects du régime d'aide fiscale à l'investissement outre-mer, dit " loi Pons ", tout en conservant, dans leurs principes et leurs modalités, les composantes essentielles de ce dispositif .

Dans un double souci, métropolitain, de maîtrise de la dépense fiscale et de limitation de l'avantage fiscal afférent aux investissements outre-mer, l'Assemblée nationale a cependant décidé, en outre, de supprimer une des composantes de l'avantage fiscal lié à l'investissement outre-mer .

Mesurant l'enjeu d'une telle décision, votre commission des finances a considéré qu'elle avait le devoir de mettre en lumière les conséquences potentielles de la suppression de cet avantage, et de proposer au Sénat une démarche mesurée et responsable dans ce domaine.

Avant d'aborder cette analyse, votre rapporteur souhaite rappeler la synthèse qu'il avait faite l'an passé, des principales conclusions d'une étude sur "l'impact de la défiscalisation outre-mer (1986-1996)" publiée en octobre 1996.

I. RAPPEL DE L'IMPACT ESSENTIEL DU DISPOSITIF D'INCITATION À L'INVESTISSEMENT OUTRE-MER

Une étude rétrospective menée par le cabinet d'audit Arthur Andersen pour le compte de la Fédération des entreprises des départements d'outre-mer sur l'application de ce dispositif dans les quatre départements d'outre-mer apporte un éclairage intéressant.

Cette étude conclut par la remarque selon laquelle la réputation faite à la loi Pons par ses détracteurs se révèle abusive.

Elle relève que les échecs qui ont pu défrayer la chronique résultaient d'erreurs d'appréciation des opérateurs, durement sanctionnées par le marché. Les pratiques véritablement abusives, telles que la délocalisation rapide hors des DOM des équipements acquis, ont été enrayées depuis 1992 par l'amendement portant à 5 ans le délai d'exploitation minimal. Parallèlement, l'extension puis la généralisation en 1996 de l'agrément ont permis à l'administration de combattre des phénomènes, que l'étude estime marginaux, de sous-exploitation volontaire ou de surfacturation des équipements défiscalisés.

L'analyse des données disponibles met en évidence un accroissement général et significatif de l'investissement dans les DOM au cours des dix dernières années.

De 1986 à 1992, la part de l'investissement dans le produit intérieur brut est passée de 22 % à 29% en Guadeloupe, de 18 % à 24 % en Martinique et de 23 % à 28 % à la Réunion alors qu'elle n'évoluait que d'un point (de 19 % à 20 %) en métropole. Globalement, la formation brute de capital fixe des quatre DOM passe de 10,4 milliards de francs à 22,3 milliards de francs pendant la même période, soit plus qu'un doublement (+ 114 %).

L'analyse sectorielle des investissements révèle deux évolutions significatives :

- un accroissement sensible de la part de l'investissement total réalisé par les entreprises des secteurs éligibles à la loi Pons (secteurs exposés à la concurrence extérieure), qui, de 1986 à 1991, gagne 6 points en Guadeloupe (56 % en 1991), 13 points en Martinique (60 %) et 4 points à la Réunion (52 %) ;

- une croissance de l'investissement tirée par l'industrie, dont le volume d'investissement a plus que doublé de 1986 à 1992, et par le Bâtiment-Travaux Publics dans une moindre mesure.

On ajoutera, en marge de ces premières conclusions de l'étude, que certains secteurs économiques métropolitains, notamment celui de la navigation de plaisance, ont pleinement profité du dispositif de défiscalisation et seraient sinistrés si celui-ci venait à disparaître.

Ensuite, la croissance de la population active employée , mesurée par les recensements, se révèle beaucoup plus forte dans les départements d'outre-mer qu'en métropole.

Elle s'établirait en données cumulées de 1982 à 1993 à 40 % en Guadeloupe, 35 % à la Réunion, 27 % en Martinique et 27 % en Guyane, contre 0,5 % pour la métropole. Au total, pendant cette période, 113.000 emplois ont été créés dans les DOM.

Cette évolution positive est confirmée par le nombre d'offres d'emplois enregistrées par l'ANPE qui croît, de 1989 à 1994, de 35 % en Martinique, de 130 % à la Réunion et de 96 % en Guyane.

Les analyses sectorielles effectuées sur le cas de la Réunion illustrent le rôle moteur joué dans cette forte création brute d'emplois par l'industrie et les services (dont l'hôtellerie et le tourisme) et à un moindre degré par le BTP et les transports, soit des secteurs "tirés" par la défiscalisation Pons.

Les auteurs de l'étude relèvent que cette évolution très positive n'a certes pas évité le maintien de taux de chômage record, en raison de la forte croissance démographique de ces départements. Cependant, le taux de chômage s'est stabilisé dans les DOM à partir de 1990 alors qu'il continuait de s'aggraver fortement en métropole.

L'étude du cabinet Arthur Andersen estime enfin que la loi Pons a permis un renforcement structurel du tissu économique qui a gagné en dynamisme et maturité, avec une vitalité accrue de la création d'entreprises depuis dix ans. L'industrie, le BTP et les transports ont enregistré une modernisation sans précédent, tandis que l'hôtellerie et le tourisme auraient atteint une taille critique leur autorisant de réels espoirs de développement.

Procédant également à une étude de l'impact sur les finances publiques du dispositif de défiscalisation, l'étude note que le coût actuel de la défiscalisation pour les seuls DOM, estimé à 1,2 milliard de francs par an selon le chiffrage de l'administration, demeure modéré, comparativement aux dépenses fiscales (9,5 milliards de francs) et budgétaires (27,7 milliards de francs) enregistrées dans ces collectivités en 1995.

L'activité économique soutenue générée dans les départements d'outre-mer par la défiscalisation induit des recettes fiscales , dont le rythme de croissance depuis dix ans est beaucoup plus élevé que celui de la métropole : le produit budgétaire qui en résulte représente près de 2 milliard de francs pour l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu et la TVA et 1,4 milliard de francs pour les seuls impôts directs.

Compte tenu du poids dans l'économie des DOM des secteurs éligibles à la défiscalisation, le coût de la loi Pons apparaît largement compensé par les dépenses induites : le coût net pour l'Etat ne semble pas pouvoir excéder 500 millions de francs par an, en tenant compte des recettes induites par les seuls impôts directs d'Etat.

Qui plus est, la défiscalisation a provoqué une envolée des recettes fiscale des collectivités locales des DOM dont le produit peut être estimé entre 1,5 et 2,8 milliards de francs par an.

Ainsi, votre commission des finances avait déjà exprimé son souhait de voir maintenir l'architecture d'ensemble du dispositif de la loi Pons jusqu'à son terme légal, soit le 31 décembre 2001.

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