3. Un décalage inadmissible entre les crédits d'équipement prévus par la loi de programmation et les crédits inscrits au projet de budget pour 1998

Votre rapporteur est très préoccupé de l'amputation effectuée dans le titre V de la dotation de l'Armée de terre par le projet de loi de finances pour 1998, par rapport aux crédits prévus par la loi de programmation. Les 1 800 millions de francs ainsi soustraits aux crédits d'équipement des forces terrestres représentent un manque à gagner de 11 % par rapport à ce qu'aurait dû être la deuxième annuité de la programmation 1997-2002.

S'agit-il d'une "encoche" sans lendemain, ou d'une rupture dans l'application de la loi de programmation susceptible de conduire à une révision durable de celle-ci ? Le débat n'est, à ce jour, pas tranché. Quelle qu'en soit l'issue, votre rapporteur constate que le non-respect de la loi de programmation suscite d'ores-et-déjà des interrogations sur la capacité du budget de la défense à assurer, à terme, la modernisation des équipements terrestres. La faille constatée entre ce qu'aurait dû être l'annuité 1998 de la programmation et le projet de budget affectera probablement les conditions de la transition , car elle concerne tous les postes du titre V sans se limiter aux fabrications d'armements stricto sensu.

a) Présentation générale du titre V

Le tableau ci-après retrace l'évolution des différents postes du titre V entre 1997 et 1998.

Évolution des principaux postes du titre V

(en millions de francs)

AP

CP

Part dans le titre V en 1998

LFI 1997

PLF 1998

Variation 1998/1997

LFI 1997

PLF 1998

Variation 1998/1997 (en francs courants)

AP

CP

Espace (chapitre 51-60)

14

21

+ 53,6 %

50

40,7

- 18,6 %

0,10 %

0,23 %

Etudes-développement (chapitre 51-80)


2 124


1 966


- 7,4 %


3 531


3 075


- 12,9 %


9,6 %


17,7 %

Fabrications (chapitre 53-80) dont :


14 334


15 703


+ 9,6 %


13 205


11 909


- 9,8 %


76,5 %


68,6 %

Fabrication de matériels d'armement


10 288


12 038


+ 16,9 %


9 246


8 658


- 6,3 %


58,5 %


49,8 %

HCCA (habitation, couchage, campement, ameublement)


1 431


1 231


- 13,7 %


1 424


1 121


- 21,2 %


6 %


6,4 %

EPM (entretien programmé des matériels) (1) titre V


2 613


2 434


- 6,8 %


2 535


2 129


- 16 %


11,8 %


12,3 %

Infrastructures

2 610

2 822

+ 5,1 %

2 662

2 329

- 12,5 %

13,7 %

13,4 %

TOTAL Titre V

19 082

20 551

+ 7,3 %

19 449

17 355

- 10,8 %

-

-

(1) Compte non tenu des crédits inscrits au titre III (chapitre 34-20)

Ce tableau confirme la part prédominante du chapitre fabrications (53-80), qui représentera 76,5 % des AP et 68,6 % de CP en 1998, malgré la baisse sensible constatée en CP (- 9,8 % en francs courants, et - 10,8 % en francs constants).

L'augmentation des autorisations de programme du titre V (+ 7,3 % en francs courants ; + 6,1 % en francs constants) contraste avec la diminution très préoccupante des crédits de paiement (- 10,8 % en francs courants ; - 11,8 % en francs constants). Ce hiatus appelle une interrogation : les crédits de paiement des années 1999 et suivantes permettront-ils d'honorer des autorisations de programme en croissance ?

Par ailleurs, le titre V de l'Armée de terre représentera, en 1998, 21,4 % de l'ensemble des crédits d'équipement du Ministère de la Défense (en CP), soit une proportion stable par rapport à celle que l'on observait en 1997, comme le montre le tableau ci-après :

Part des crédits d'équipement des armées et services dans les crédits d'équipement du Ministère de la Défense (CP)

Crédits d'équipement 1997 (en millions de francs)

Crédits d'équipement 1998 (en millions de francs)


Évolution 1998/1997

Part dans les crédits d'équipement de la Défense 1997

Part dans les crédits d'équipement de la Défense 1998

Marine

22 319

19 555

- 12,4 %

25,1 %

24,1 %

Air

21 624

19 162

- 11,4 %

24,4 %

23,6%

Terre

19 450

17 356

- 10,8 %

21,9 %

21,4%

Gendarmerie

2 165

2 099

- 3 %

2,4 %

2,6 %

Autres services

23 148

22 829

- 1,4 %

26,0 %

28,2 %

TOTAL

88 705

81 000

- 9 %

-

-

b) Le suivi des programmes terrestres gravement ébranlé par le non-respect de la loi de programmation

Rappelons tout d'abord que la loi de programmation 1997-2002 repose sur l'objectif prioritaire de professionnalisation, pour l'essentiel, et que le renouvellement du matériel de l'Armée de terre du futur a été reporté à une période ultérieure à la transition.

La priorité dont fait l'objet la réalisation de la professionnalisation ne saurait toutefois justifier les difficultés qui résulteront nécessairement, en matière de réalisation des grands programmes, du budget de 1998, qu'il s'agisse de la diminution très significative des moyens destinés à la préparation de l'avenir, ou du moratoire d'un an sur d'importants programmes auxquels est contrainte l'Armée de terre.

(1) Une baisse inquiétante des crédits consacrés à la préparation de l'avenir

Les crédits consacrés à l'espace (chapitre 51-60) et aux études-développement (chapitre 51-80) traduisent la place de la préparation de l'avenir parmi les crédits d'équipement de l'Armée de terre.

La baisse des crédits de paiement liés à l'espace (- 18,6 %) contraste avec la forte hausse (+ 138 %) constatée dans le projet de budget de 1997. De même, la contraction des études développement (- 12,9 % en CP) succède à l'effort très significatif accompli en 1997 (+ 18,7 % en CP). Le projet de budget de la Défense pour 1998 paraît donc traduire une préoccupation modérée pour la préparation de l'avenir des équipements terrestres , ce qui est particulièrement regrettable compte tenu des "grands chantiers" à prévoir dans les domaines suivants :

- mise au point d'un missile à fibre optique, destiné à des missions d'appui-feu, et au traitement d'objectifs ponctuels dans la profondeur (plus de 30 km) ;

- élaboration d'un système Battlefield identification friends and foes (BIFF), susceptible de réduire les risques de tirs fratricides : les besoins existants en matière d'identification sur le champ de bataille ont été mis en évidence par la Guerre du Golfe ;

- introduction d'éléments robotiques sur le champ de bataille, afin d'améliorer l'efficacité opérationnelle des systèmes d'armes par l'automatisation des certaines tâches, notamment le déminage ;

- mise au point d'un "système combattant", destiné à équiper le combattant à pied de moyens prenant en compte les défis du combat moderne (mobilité, protection, notamment balistique et NBC, armement individuel de haute précision, transmissions internes au groupe de combat).

(2) D'importantes altérations dans le processus de réalisation des principaux programmes

Les crédits consacrés à la fabrication des matériels d'armement terrestres connaîtront une évolution contrastée en 1998 : augmentation des autorisations de programme (+ 16,9 %) et baisse des crédits de paiement (- 6,3 %). 12 038 millions de francs seront ainsi, en AP, consacrés à la fabrication de matériels d'armement terrestres en 1998, les CP représentant 8 658 millions de francs (au lieu de 9 246 en 1997).

Le décalage entre ce qu'aurait dû être l'annuité 1998 de la loi de programmation et les crédits effectivement inscrits au projet de loi de finances pour 1998 conduiront à interrompre pour un an certains grands programmes 9( * ) : développement du lance-roquettes multiple de nouvelle génération, industrialisation de l'obus antichar à effet dirigé, valorisation du système Roland, fabrication des missiles antichar à courte portée Eryx, des missiles sol-air Mistral, et des obus flèche de 120 mm. Les livraisons du char Leclerc passeront de 33 à 30 exemplaires en 1998 : cette modification du déroulement de ce programme majeur est présentée comme n'induisant aucune modification de l'état global des livraisons ni de la cible. Elle devrait, néanmoins, aggraver les difficultés de GIAT industries, entreprise publique que l'Etat est par ailleurs conduit à recapitaliser.

Il est, en outre, surprenant que notre pays ne soit pas à même, dans le cadre des programmes en coopération, de commander les matériels produits dans les mêmes délais que nos partenaires. Ainsi, la marine néerlandaise et l'armée de terre allemande pourraient percevoir l'hélicoptère NH 90 en 2003, alors que l'Armée de terre française n'en recevrait le premier exemplaire qu'en 2011. Dans le même ordre d'idée, le système antichar AC3GLP devrait équiper la version allemande du Tigre dès 2001, l'Armée de terre française n'étant supposée être dotée de cet équipement qu'en 2011.

c) Une compression générale des autres dépenses

Les efforts d'économie imputables à la baisse des crédits d'équipement pèsent sur l'ensemble des crédits du titre V, y compris sur des postes liés à la mise en oeuvre de la professionnalisation.

(1) La baisse problématique des crédits d'entretien programmé des matériels

Les crédits d'entretien programmé des matériels sont partagés entre le titre III (chapitre 34-20), qui finance les opérations de maintenance sous-traitées au secteur industriel, et le titre V (chapitre 53-80), qui concentre l'essentiel de la dotation, et sur lequel est imputée l'acquisition de l'ensemble des pièces de rechange nécessaires au soutien des matériels terrestres.

Le tableau ci-après montre que, après avoir progressé dans des proportions relativement importantes en 1997, les crédits d'EPM connaîtront des évolutions négatives en 1998, qu'il s'agisse des moyens inscrits sur le titre III ou sur le titre V.

Crédits d'entretien programmé des matériels en 1997-1998

Titre III

LFI 1997

PLF 1998

Variation 1998/1997

Matériels terrestres (chapitre 34-20,
article 21)

201,8

192,9

- 4,4 %

Matériels de transmissions (chapitre 34-20, article 22)

26,8

25,7

- 4,1 %

Sous-total Titre III

228,6

218,6

- 4,3 %

Titre V

Matériels terrestres (chapitre 53-80,
article 55)

AP

CP

1 893

1 909,3

1 783,5

1 591,9

- 5,8 %

- 16,6 %

Matériels aériens (chapitre 53-80,
article 56)

AP

CP

643,5

547,2

573

494,6

- 11 %

- 9,6 %

Matériels de transmission (chapitre 53-80, article 57)

AP

CP

77

78,9

78,3

43

+ 1,7 %

- 45,5 %

Sous-Total titre V

AP

CP

2 613,5

2 535,4

2 434,8

2 129,5

- 6,84 %

- 16 %

TOTAL

AP

CP

2 842,1

2 764

2 653,4

2 348,1

- 6,6 %

- 15 %

Titre III et titre V confondus, la dotation consacrée à l'entretien programmé des matériels terrestres représentera en 1998 2 348,1 millions de francs en crédits de paiement (2 764 millions de francs en autorisations de programme), soit une baisse de - 15 % (- 6,6 % s'agissant des autorisations de programme).

Selon les informations transmises à votre rapporteur, les crédits d'EPM pour 1998 ont été calculés en fonction de l'anticipation de l'état des parcs à entretenir à l'échéance de l'an 2000. Cette anticipation tient compte des délais de réalisation industrielle, qui imposent un intervalle de deux ans entre les commandes de pièces indispensables au soutien des matériels, et la livraison de ces rechanges. La baisse des crédits d'EPM ne traduirait, dans cette logique, que la réduction du format de l'Armée de terre, et devrait être suffisante pour assurer l'entretien des parcs à venir.

Il est certes clair que la réduction du format de l'Armée de terre peut avoir pour conséquence une baisse des besoins d'EPM, parallèlement à la diminution des parcs en service. Il conviendrait de ne pas éluder cependant les difficultés susceptibles de résulter des besoins croissants liés à la montée en puissance des matériels de nouvelle génération , comme le char Leclerc, et à la rénovation des matériels anciens qui ne seront pas remplacés, parmi lesquels le canon AUF 1. Par ailleurs, il n'est pas exclu que la remise en état de matériels excédentaires, en attente de cession , ou que la destruction de ces matériels pèse sur les chapitres liés à l'entretien programmé des matériels.

Enfin, les crédits d'EPM ne permettront d'atteindre en 1998 qu'un taux de disponibilité opérationnelle des matériels de 80 %, considéré comme le maximum potentiel actuellement envisageable. Les crédits d'entretien programmé des matériels supporteront donc une part très importante de l'effort d'économies, bien qu'il soit contestable de faire de ce poste une variable d'ajustement du titre V.

(2) Habillement, couchage, campement et ameublement : des besoins croissants malgré la réduction du format contrastant avec une évolution négative des moyens

Les crédits consacrés au poste habillement, couchage, campement et ameublement (HCCA), parfois dénommé "entretien programmé des personnels" en vertu d'une symétrie quelque peu impropre avec l'entretien programmé des matériels, sont inscrits au chapitre 53-80 (fabrications), article 58 (habillement) et 59 (campement, couchage et ameublement).

Ces crédits connaîtront une évolution négative en 1998, alors que l'on avait relevé, entre 1996 et 1997, une augmentation assez favorable en crédits de paiement (+ 6,2 %).

Dotation HCCA en 1997-1998

PLF 1997

PLF 1998

Evolution 1998/1997

AP

CP

AP

CP

AP

CP

Art. 58 (habillement)

1 169,7

1 126,9

988,2

893,8

- 15,5 %

- 20,7 %

Art. 59 (couchage, campement et ameublement)

262

297,4

247,8

228,1

- 5,4 %

- 23,3 %

Total HCCA

1 431,7

1 424,3

1 231

1 121,9

- 13,7 %

- 21,2 %

Les crédits d'HCCA sont destinés à financer l'habillement du combattant (paquetages, effets de protection -gilets pare-balles, casques composites...-, effets dits complémentaires -sac de vie en campagne...-), les tentes et les matériels d'hébergement en campagne, les articles de literie, ainsi que le mobilier pour les chambres et les bureaux.

Notons que les opérations de renouvellement , destinées à compenser l'usure des équipements, représentent la plus grosse part de la dotation (80 %) . Parmi les mesures nouvelles , liées aux besoins opérationnels ou conjoncturels, citons les équipements de protection nucléaire, bactériologique et chimique, auxquels quelque 30 millions de francs devraient être consacrés en 1998, ainsi que les équipements de démineur (4,5 millions de francs en 1998 ; 2,4 en 1997).

En 1998, la priorité ira, comme en 1997, aux effets qui améliorent la sécurité individuelle du combattant : tenues de combat "Outre-mer" traitées dans le cadre de la lutte contre le paludisme, tenues de combat bariolées "théâtre européen", et ensembles de protection contre les intempéries et le froid.

Alors que la dotation de 1997 anticipait très sagement des besoins croissants à court terme, puisque les crédits de paiement augmentaient de 6,2 %, la dotation prévue pour 1998 pourrait ne pas permettre de faire face aux nombreux besoins liés tant à la fois à la professionnalisation qu'à la participation de l'Armée de terre aux opérations extérieures.

En effet, la professionnalisation créera, parallèlement à l'augmentation des effectifs de militaires du rang engagés, de nouveaux besoins de matériels de couchage et d'ameublement, du fait de l'attention dont font l'objet, à très juste titre, les conditions de vie des EVAT.

Par ailleurs, les opérations extérieures ont pour conséquence une usure rapide des matériels et induisent des besoins croissants de renouvellement , tandis que la priorité assignée à la projection implique d'être en mesure d'équiper un nombre plus élevé de combattants en matériels de protection.

Il n'est donc pas possible d'envisager d'économies sur les crédits d'HCCA du fait de la réduction des effectifs des forces terrestres. La baisse de ces crédits ne doit, dès lors, pas être poursuivie en 1999.

(3) Les infrastructures, un poste sensible pendant la période de transition

La dotation consacrée aux infrastructures baissera de - 12,5 % en crédits de paiement (+ 5,1 % en autorisations de programme). Les crédits d'infrastructure se répartiront, en 1998, entre l'Allemagne, la métropole, l'Outremer et les services, conformément au tableau ci-après :

Infrastructures en 1998 (en millions de francs)

AP

CP

Métropole

2 069,0

1 770,2

Allemagne

70,4

46,7

Outre-mer

110,2

78,5

Titre VI et divers (dont acquisitions)

84,0

101,2

Infrastructures des services

489,3

333,1

TOTAL

2 822,9

2 329,7

Parmi les principales opérations d'infrastructure financées en 1997, mentionnons la mise en oeuvre du plan VIVIEN, destiné à l' amélioration des conditions de vie des militaires du rang engagés, ainsi que la construction ou la réhabilitation de bâtiments ayant vocation à accueillir des EVAT ou des cadres célibataires.

Le poste infrastructures devra donc financer d' importantes opérations liées à la professionnalisation .

Par ailleurs, la dotation de l'Armée de terre devra assumer un sur coût transitoire lié aux restructurations : les transferts d'établissements et de régiments induisent, en effet, des dépenses d'entretien minimal qui pourraient être comprises entre 18 et 40 millions de francs.

De plus, l'Armée de terre devra faire face aux travaux d'infrastructures dûs à l'accueil des nouveaux matériels.

Une baisse des crédits d'infrastructure n'est donc pas sans conséquences dans le contexte actuel de montée en puissance de la professionnalisation et de restructurations. A titre d'exemple, l'économie de 332 millions de francs imposée à l'Armée de terre sur le chapitre 54-40 pourrait se traduire, en 1998, par le sacrifice de dix bâtiments pour cadres célibataires, et de quinze bâtiments pour EVAT. Or, il est clair qu'une armée professionnelle ne saurait se passer de bâtiments adaptés à la configuration de ses effectifs. On ne peut donc exclure que l'économie réalisée sur le poste infrastructures en 1998 altère les conditions de mise en oeuvre de la professionnalisation.

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