INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Cet avis demeure consacré aux crédits d'action sociale et de solidarité du ministère de l'emploi et de la solidarité, mais porte en réalité sur un fascicule budgétaire dont l'apparence et les frontières sont légèrement transformés :

- changement d' apparence, tout d'abord, puisque si l'année dernière M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, avait souhaité consacrer un " bleu " budgétaire, d'un montant de 61,5 milliards de francs, entièrement à l'action sociale et à la solidarité, le budget relevant de la compétence de Mme la Ministre de l'emploi et de la solidarité effectue une distinction entre les crédits relatifs à l'emploi, d'une part, qui représentent 112 milliards de francs et relèvent de la compétence de notre excellent collègue Louis Souvet, et les crédits relatifs à la santé, à la solidarité et à la ville, d'autre part, qui représentent au total 73 milliards de francs ;

- changement de frontière ensuite, car il convient de retirer de ce chiffre de 73 milliards de francs, les dépenses budgétaires examinées par M. Paul Blanc au titre de la politique de la ville et par M. Louis Boyer au titre de la politique de santé ainsi que les crédits qui sont purement dévolus aux dépenses de personnel d'administration centrale : il subsiste alors un montant de 63,2 milliards de francs.

Ce montant ne peut encore être comparé à celui analysé l'année précédente car, en 1998, les crédits relatifs aux rapatriés, pour la fraction qui relevait de la compétence de M. Roger Romani, sont déplacés du budget du Premier ministre, dont il dépendait en sa qualité de ministre délégué, à celui du ministère de l'emploi et de la solidarité, soit un transfert de 135 millions de francs.

A frontière inchangée, ce sont donc 63 milliards de francs que nous devons comparer aux 61,4 milliards de francs de l'année dernière.

Ces crédits regroupent un ensemble assez disparate d'actions regroupées autour de deux volets .

Le premier volet d'un montant de 59 milliards de francs est relatif aux actions de solidarité et comprend les sommes que l'Etat consacre au financement de l'allocation du RMI, à la solidarité avec les handicapés, notamment à travers l'allocation aux adultes handicapés, ou encore, toutes les sommes versées en faveur de la lutte contre l'exclusion, notamment aux institutions sociales et médico-sociales dépendant de l'Etat telles que les centres d'hébergement et de réadaptation sociale.

Le second volet d'un montant de 3,7 milliards de francs, porte sur diverses actions sociales que la nomenclature budgétaire regroupe sous l'appellation " développement de la vie sociale " : il s'agit des dépenses relatives aux objecteurs de conscience, à la formation des travailleurs sociaux, aux rapatriés, de diverses dépenses d'aide sociale ainsi que la prise en charge des frais liés à la tutelle et à la curatelle d'Etat.

Sur l'ensemble de ces deux volets, une première constatation s'impose : les crédits passent, à frontière inchangée, de 61,4 à 63 milliards de francs soit une hausse apparente de 2,6 %.

En réalité, cette hausse provient de deux postes où le Gouvernement se borne à une simple constatation en termes d'effectifs et de valeur des prestations, à savoir le RMI, qui entraîne une dépense de 1 milliard de francs supplémentaire et l'AAH, qui augmente, elle, de 1,1 milliard de francs.

Tel est au fond le paradoxe auquel toute politique sociale est aujourd'hui confrontée : les besoins en termes de solidarité et d'action sociale sont aujourd'hui immenses mais la marge de manoeuvre qui est laissée à l'action volontariste des pouvoirs publics se réduit en raison de l'inertie des dispositifs en place.

Les entretiens que votre rapporteur a eus au cours de la préparation de cet avis lui ont confirmé les difficultés de la lutte contre l'exclusion sur le terrain en raison de la montée de la précarité. Face à cette pression irrésistible des besoins, la priorité de l'action publique ne peut être que de restaurer des marges de manoeuvre en faveur de l'insertion et de la solidarité.

L'objectif ne doit donc plus être de dépenser plus , en constatant passivement le coût de l'augmentation des effectifs de titulaires de minima sociaux, mais de dépenser mieux , en permettant à notre appareil social de protéger aussi bien et à meilleur coût sans réduire le champ des bénéficiaires de prestations.

Il est toujours tentant de juger un budget en fonction de l'augmentation arithmétique de ses crédits ; en matière d'action sociale, les besoins sont tels que nous sommes sûrs que nous serons toujours en deçà de ce qui est nécessaire. C'est pourquoi nous devons juger à partir d'une approche qualitative .

Le Gouvernement est-il à la hauteur de cette exigence qualitative, qu'il s'agisse des dépenses de l'Etat ou de celles prises en charge par l'aide sociale des départements ? C'est à cette question que nous devons répondre.

Examinant ce budget et constatant la progression toujours sensible des titulaires du RMI, votre commission s'est interrogée sur les insuffisances actuelles du dispositif d'insertion et a souhaité la mise en place de parcours d'insertion durable pour les publics les plus marginalisés.

Elle a souligné que les résultats des contrôles que le Gouvernement précédent avait sensiblement renforcés, plafonnaient en termes d'efficacité. Elle s'est donc interrogée sur la mise en place d'une réforme de structure qui permettrait d'intéresser directement les caisses d'allocations familiales aux résultats de la lutte contre la fraude au RMI.

S'agissant des centres d'hébergement et de réadaptation sociale, votre commission a regretté le relâchement de l'effort en faveur de la création de places nouvelles par la transformation de places d'asiles de nuit devenues inadaptées.

Elle s'est étonnée de la baisse des crédits déconcentrés de l'Etat destinés à l'action sociale d'urgence et à l'aide aux jeunes difficulté alors que l'exclusion continue à exercer des ravages dans des couches de la société nouvellement précarisées.

Evoquant les crédits d'aide au développement de la vie sociale, votre commission s'est inquiétée de l'absence de maîtrise des conséquences financières des décisions prises par les instances judiciaires en matière de tutelle et curatelle d'Etat.

Elle a souligné que le ministère maintenant en charge des questions relatives aux rapatriés aurait dû tirer avantage de l'arrivée à échéance de la procédure d'indemnisation des rapatriés prévus par la loi du 16 juillet 1987 qui avait entraîné mécaniquement un allégement de 3,5 milliards de francs pour la préparation de la loi de finances de cette année.

S'agissant de la solidarité en faveur des handicapés, la commission a constaté que le Gouvernement avait fait des efforts dans le secteur de l'aide aux handicapés, sans toutefois que la ventilation retenue pour les dépenses supplémentaires ne réponde entièrement aux souhaits des associations et en regrettant que des progrès ne soient pas faits en matière d'insertion des handicapés en milieu de travail ordinaire.

Elle s'est inquiétée du poids persistant de la prise en charge des jeunes adultes handicapés dans les établissements d'éducation spéciale au titre de l'amendement " Creton " et a souhaité la mise en place d'une solution au niveau législatif pour faire face à la récente décision d'annulation de la circulaire du 27 janvier 1995 prise par le Conseil d'Etat.

S'agissant du débat sur le contrôle de l'efficacité de l'utilisation de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), votre commission a estimé que les départements étaient fondés à veiller à ce que cette prestation soit bien utilisée pour aider à financer le recours aux services d'une tierce personne et non pas pour assurer un complément de revenus.

Evoquant les dépenses d'aide sociale des départements, la commission a pris acte de la hausse de près de 4 % de ces dépenses en 1996, tout en soulignant qu'il serait prématuré de voir dans cet infléchissement le signe précurseur d'un renversement de tendance durable.

Constatant l'ampleur des dépenses prises en charge par les établissements sociaux et médico-sociaux et le caractère " déresponsabilisant " de leur procédure actuelle de financement, votre commission a adopté deux amendements tendant à instaurer dès le 1 er janvier 1998 un taux directeur opposable à l'évolution des dépenses du secteur médico-social prises en charge par l'Etat et par les départements. Il s'agit par là de donner à l'Etat les moyens d'assurer une cohérence entre les décisions qui sont prises en matière salariale ou d'édiction de norme et celles prises pour maîtriser les dépenses publiques. Il s'agit également d'inciter les établissements à peser sur les facteurs structurels d'évolution de leurs dépenses.

En définitive, face à ce projet de budget, comment former le jugement de votre Haute Assemblée ? Il n'est pas question, vous l'avez compris, de le juger uniquement à l'aune des augmentations ou des diminutions des crédits. De ce point de vue cependant, force est de constater qu'il n'est pas particulièrement généreux dans le domaine de la lutte contre l'exclusion, qu'il s'agisse des CHRS ou des mesures de secours d'urgence.

Mais c'est au regard de l'ensemble d'une politique d'action sociale que nous devons juger ce budget. Dès lors, votre commission n'a pu que constater qu'il ne recherchait pas particulièrement à assurer au meilleur coût les prestations sociales dont il est chargé.

Sans manifester une opposition systématique, votre commission a regretté que ce budget soit un budget d'attente, qui constatait l'augmentation des dépenses requises par les dispositifs en place, sans pour autant mettre clairement l'accent sur l'aide aux plus démunis ou améliorer réellement l'efficacité de l'aide sociale.

C'est pourquoi votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs aux affaires sociales dans le projet de loi de finances pour 1998.

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