II. LA SITUATION DE CHACUN DES QUATRE TERRITOIRES

A. LA NOUVELLE-CALÉDONIE

1. Les forces politiques en présence

Les consultations électorales intervenues au cours de l'année 1995 ont substantiellement modifié le paysage politique calédonien.

Si les élections municipales du mois de juin se sont caractérisées par une progression des indépendantistes (23 communes sur 33), les élections provinciales du 9 juillet se sont traduites par une perte d'influence des deux partis signataires des accords de Matignon, le RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République) et le FLNKS (Front de libération nationale kanak socialiste). Le RPCR a en effet perdu la majorité absolue au Congrès du territoire (22 sièges sur un total de 54, contre 27 lors des élections de 1989) et le FLNKS a obtenu 12 sièges (contre 19 précédemment).

Si MM. Jacques Lafleur (RPCR) et Léopold Jorédié (FLNKS) ont respectivement été reconduits à la présidence des assemblées de la province sud et de la province nord, M. Richard Kaloï (FLNKS) a dû céder celle de la province des Îles à M. Nidoish Naisseline (LKS), grand chef coutumier de Gwahma (Maré).

Élu en 1995 président du Congrès du territoire et reconduit dans cette fonction en juin 1996, M. Pierre Frogier (RPCR), député de la deuxième circonscription et maire du Mont-Dore (province sud) ne s'est pas représenté lors du renouvellement annuel de la présidence et du bureau, le 16 juillet 1997 . M. Harold Martin (RPCR), membre de l'assemblée de la province sud et maire de Païta lui a succédé. M. Rock Wamytan (FLNKS-UC) conserve la première vice-présidence. Au total, le RPCR obtient trois postes de vice-président de même que le FLNKS, tandis que l'UNCT (Une Nouvelle-Calédonie Pour Tous) conduite par M. Didier Leroux et le FDIL (Front de Développement des Îles Loyauté) en obtiennent chacun un.

Dès son élection, M. Harold Martin a réaffirmé l'attachement du RPCR aux accord de Matignon, sa volonté de passer à la nouvelle étape d'un accord négocié excluant l'indépendance pour 1998, et le soutien de son parti à la réalisation d'une usine métallurgique dans la province nord . Pour sa part, le président du FLNKS, M. Rock Wamytan, a estimé qu'il fallait poursuivre avec le RPCR dans le sens du partenariat, rendu nécessaire par l'ouverture prochaine des négociations politiques sur l'avenir institutionnel du territoire. Il cependant souligné la volonté des indépendantistes d'arriver à la table des négociations avec son projet d'un État en association avec la France .

A l'occasion des élections législatives du printemps 1997 , le FLNKS, considérant que ce scrutin présentait avant tout un intérêt hexagonal et que le découpage des deux circonscriptions était contraire à l'esprit des accords de Matignon a décidé de ne pas y participer et de ne pas donner de consigne de vote. Cette attitude est conforme à la charte du mouvement indépendantiste de 1984, excluant toute participation à des élections nationales. Le FLNKS avait cependant présenté des candidats aux élections sénatoriales de 1992 et aux élections législatives de 1993.

Dans la première circonscription, regroupant Nouméa, l'île des Pins et les trois communes de la province des Îles Loyauté, M. Jacques Lafleur (RPCR), député sortant, a été réélu dès le premier tour avec 63,7 % des suffrages exprimés. Son principal adversaire, M. Didier Leroux (UNCT) a obtenu un peu moins de 20 % des voix. Dans la seconde circonscription, qui recouvre les vingt-huit autres communes du territoire, M. Pierre Frogier (RPCR), député depuis le décès en novembre 1996 de M. Maurice Nenoupwataho, a été élu au deuxième tour de scrutin avec 60,99 % des suffrages exprimés. Au premier tour en effet, bien qu'ayant recueilli 56,70 % des suffrages exprimés, 112 voix lui avaient fait défaut pour atteindre le seuil du quart des électeurs inscrits.

2. Vers une reprise des négociations sur l'avenir institutionnel du territoire

La Nouvelle-Calédonie évolue, depuis 1988, dans le cadre des accords de Matignon-Oudinot signés le 26 juin qui ont permis d'assurer durablement la paix civile sur le territoire. La loi référendaire du 9 novembre 1988 précise dans son article 2 qu' entre le 1er mars et le 31 décembre 1998, les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront appelées à se prononcer par un scrutin d'autodétermination, conformément aux dispositions de l'article 53 de la Constitution, sur le maintien du territoire dans la République ou sur son accession à l'indépendance . Cette échéance est désormais proche et les négociations politiques sur l'avenir institutionnel du territoire, engagées à l'automne 1995, ont été interrompues en avril 1996 par le FLNKS qui a fait du règlement de la question minière un préalable à la reprise des discussions. Or, le projet de création d'une usine métallurgique de transformation du nickel semble aujourd'hui pouvoir trouver une issue favorable.

a) Un préalable : le règlement du conflit minier

Le nickel constitue la première richesse du territoire qui fournit plus de 12 % de la production mondiale et détient plus de 20 % des réserves mondiales. En 1996, le nickel, sous forme de minerais ou de produits métallurgiques, a représenté près de 94 % des exportations calédoniennes. 55 % de la production extraite ont été exportés sous forme de minerai brut, essentiellement vers le Japon, l'Australie et les États-Unis, pour une valeur de 665 millions de francs. L'extraction et le traitement de cette matière première sont pourvoyeurs d'emplois pour le territoire : 3.500 emplois sont en effet directement liés à l'exploitation du nickel, pour une population d'environ 200.000 habitants.

La Nouvelle-Calédonie compte huit sociétés minières dont la SLN (Société Le Nickel), filiale du groupe Eramet dont l'État est actionnaire, par l'intermédiaire d'ERAP, à hauteur de 55,5 %. La SLN est seule à transformer le minerai sur place : elle possède à Nouméa une usine de traitement, emploie 2.130 salariés (1.480 à Nouméa et 650 dans les mines) et assure environ 10 % de la production intérieure brute du territoire.

La SMSP (Société minière du sud Pacifique), qui emploie quant à elle 700 personnes sur cinq sites, est devenue le premier exportateur de minerai du territoire (1.381.000 tonnes en 1996). L'usine de traitement qu'elle envisage de construire avec son partenaire canadien Falconbridge dans la province nord, projet dont le coût est évalué à 5 milliards de francs, devrait contribuer à un rééquilibrage économique du territoire. La viabilité du projet est cependant subordonnée à la réalisation d'un échange de massifs miniers entre Eramet et la SMSP, dossier qui a connu de multiples rebondissements.

Le processus d'élaboration d'un accord fut en effet laborieux malgré un vote unanime du Congrès en novembre 1996 en faveur de la création de l'usine du nord. En dépit des pressions exercées, en particulier par les autorités gouvernementales françaises, les dirigeants d'Eramet, soucieux de préserver les intérêts de ses actionnaires minoritaires, se sont longtemps montrés réticents, souhaitant un accord d'échange sur des bases équitables entre les titres miniers du massif de Koniambo et ceux du massif de Poum appartenant à la SMSP.

Au mois de juillet 1997, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a ainsi été conduit à confier à un médiateur, M. Philippe Essig, la mission de procéder à une évaluation des perspectives économiques et industrielles du projet de construction d'une usine métallurgique de nickel dans la province nord. Après avoir élaboré un rapport d'étape, rendu public le 20 septembre, considérant comme crédible le projet présenté par la SMSP et Falconbridge, M. Philippe Essig a remis le 1er novembre dernier son rapport définitif. Selon le Gouvernement, la solution qu'il préconise a recueilli l'accord des trois sociétés concernées, Eramet, la SMSP et Falconbridge. L'accord prévoit la création d'une structure ad hoc chargée d'acquérir les titres miniers des deux gisements de nickel de Poum et Koniambo, situés au nord du territoire. Celle-ci céderait ensuite ses droits à la SMSP dès lors que la décision de construire l'usine sera prise . Cette usine serait alimentée en minerai par le massif de Koniambo tandis que la production du massif de Poum approvisionnerait l'actuelle usine de Doniambo, exploitée par le groupe Eramet-SLN.

Cet accord a été approuvé le 6 novembre par le PDG du groupe Eramet, M. Yves Rambaud.

Après une reconnaissance du massif de Koniambo et une étude approfondie de la faisabilité technique et financière de l'opération, la SMSP et Falconbridge devront décider, au 1er janvier 2002, si la construction de l'usine doit être engagée. Ces sociétés pourraient cependant disposer d'un délai de réflexion supplémentaire de trois ans pour prendre leur décision.

b) L'avenir institutionnel : vers une solution consensuelle

La conclusion d'un accord minier, exigée comme préalable à la reprise des négociations politiques sur l'avenir institutionnel du territoire par les indépendantistes, à l'exception d'une de ses composantes, le Palika (Parti de Libération Kanak), devrait permettre d'engager de nouvelles discussions avant la fin de l'année.

A l'occasion du 28ème congrès de l'Union calédonienne (UC), principale composante du FLNKS, M. Bernard Lepeu, reconduit à la présidence de ce mouvement, dressant un bilan de neuf années de mise en oeuvre des accords de Matignon, a noté l'amorce d'un rééquilibrage économique du territoire et a rappelé l'objectif du FLNKS d'obtenir l'instauration d'une indépendance-association avec la France dès 1998 tout en se prononçant pour la recherche d'une solution consensuelle négociée avec l'État et les anti-indépendantistes. Lors d'une visite en France, à la fin du mois de juin dernier, M. Rock Wamytan, président du FLNKS, avait expliqué que son parti, plutôt qu'un référendum d'autodétermination prévu par les accords de Matignon, souhaitait parvenir à une solution négociée soumise à un référendum d'approbation . De son point de vue, une souveraineté partagée reviendrait à confier la justice, la monnaie, la défense et la sécurité intérieure à la France, les autres compétences, dont le contrôle de l'immigration, relevant du nouvel État associé qui serait créé.

Lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie au début du mois de septembre, M. Jean-Jack Queyranne, ministre de l'outre-mer, avait déclaré : l'objectif c'est une solution qui s'inspire des accords de Matignon, qui permette aux deux communautés de continuer à vivre ensemble dans la paix, en assurant la promotion des Kanaks. La Nouvelle-Calédonie a une possibilité de se maintenir dans le cadre de la République, en donnant une plus large autonomie . Prenant en considération les observations du grand chef coutumier Evanes Boula relatives au nécessaire élargissement du rôle joué par les conseils coutumiers, il a en outre assuré que sa requête serait intégrée dans les réflexions sur les futures institutions de la Nouvelle-Calédonie.

Quelle que soit la solution politique qui sera négociée, le Gouvernement, en application de la loi référendaire du 9 novembre 1988, a pris les dispositions nécessaires pour faire réviser les listes électorales et établir les tableaux annexes répertoriant les électeurs non admis à participer au scrutin de 1998.

3. La poursuite du rééquilibrage économique entre les provinces

L'article 85 de la loi référendaire du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie dispose que des contrats de développement déterminent les actions à engager pour atteindre un certains nombre d'objectifs dont : Favoriser un rééquilibrage du territoire par rapport à l'agglomération chef-lieu et améliorer les infrastructures pour permettre le désenclavement des populations isolées. L'effort devra porter, d'une part, sur l'aménagement des voies routières transversales et la réalisation des équipements, y compris portuaires, nécessaires au développement d'un centre urbain dans la province nord, d'autre part, sur le renforcement des infrastructures communales et provinciales d'adduction d'eau, d'assainissement, de communication et de distribution électrique .

Pour atteindre ces objectifs et en application de l'article 84 de la loi précitée, des conventions et des contrats de développement ont été conclus entre, d'une part, l'État et le territoire, et d'autre part, l'État et chacune des trois provinces. Après une série de contrats couvrant la période 1990-1992, de nouveaux contrats ont été conclus pour la période 1993-1997 : une convention de développement entre l'État et le territoire en date du 8 juin 1993 et trois contrats entre l'État et les provinces en date du 4 février 1993. Le montant total des aides contractualisées s'élève à 3,9 milliards de francs, dont 1,65 milliards de francs représentant la contribution de l'État, 1,07 milliards de francs étant imputés sur le budget du secrétariat d'État à l'outre-mer.

Les trois contrats de développement État-provinces représentent un montant de 2,603 milliards de francs dont 1,426 milliards, soit 55 %, sont à la charge de l'État et 1.177 milliards, soit 45 %, sont assumés par les provinces. Près de la moitié de la contribution de l'État bénéficie à la province nord. Les principales opérations d'aménagement financées dans le cadre de ces contrats sont les suivantes :

· Pour la province nord :

- l'achèvement de la transversale Koné-Tiwak ainsi que l'aménagement de routes provinciales ;

- l'achèvement des aéroports de Koumac et Canala et différents aménagements portuaires ;

- la mise en place d'équipements sportifs, de centres culturels et de constructions scolaires ;

- des actions dans le domaine de l'environnement (alimentation en eau potable, création de fosses septiques) ;

- l'aménagement de zones d'activités.

· Pour la province sud :

- la réalisation de trois opérations routières : route de Thio à Grand Borendy, voie de dégagement ouest et route de Bourabé ;

- deux aménagements de routes combinés à la création de zones industrielles et artisanales et à la mise en valeur des sites du sud de la Grande Terre ;

- la mise en place d'équipements sanitaires et sociaux, d'équipements sportifs et de salles culturelles ;

- la rénovation d'hôtels ;

- la mise en place de réseaux d'alimentation en eau potable.

· Pour la province des Îles :

- l'aménagement de réseaux d'alimentation en eau potable ;

- l'aménagement de décharges contrôlées ;

- la réfection du pont de Tekiné ;

- la mise en place d'équipements sanitaires et scolaires.

Pour ces trois contrats, le taux d'engagement des dépenses était au 30 juin 1997 de 50,8 %, chiffre qui révèle un retard d'exécution certain, dû pour une part aux difficultés techniques rencontrées dans l'instruction des dossiers. Il est donc prévu que 1998 soit une année de transition permettant d'achever les programmes en cours, l'effort financier étant maintenu avec une dotation de 262,2 millions de francs.

La convention État-territoire , d'un montant de 520 millions de francs, dont 47 % à la charge de l'État, doit quant à elle permettre la construction d'un centre de formation des apprentis à Nouméa, la rénovation du centre hospitalier territorial G. Bourret, et la poursuite du programme d'électrification rurale, de la mise en place d'équipements communaux structurants et du programme téléphone rural.

Pour aider les provinces et le territoire à définir les investissements productifs et à accompagner la réalisation des projets de développement, un poste de commissaire au développement économique de la Nouvelle-Calédonie a été créé par un décret du 23 février 1995. Ce commissaire, nommé pour trois ans renouvelables, est placé auprès du haut-commissaire de la République. Pour accomplir sa tâche, il bénéficie du soutien de l'ADECAL (Agence pour le Développement Économique de la Nouvelle-Calédonie), association regroupant l'ensemble des interlocuteurs politiques, économiques et sociaux concernés. En 1996, des études ont été menées en matière d'aménagement du territoire (zone de développement de Nepoui-Koni-Pouembout) et de développement de différentes filières (pêche industrielle, lait, tourisme).

La commission de rééquilibrage et du développement , créée au mois de décembre 1995, chargée d'identifier les dossiers prioritaires et de coordonner les efforts de l'ensemble des acteurs du territoire, s'est réunie au début de l'année 1996. Elle s'est engagée dans un important travail d'analyse et de réflexion mené au sein de huit sous-groupes réunissant chacun élus, fonctionnaires de l'État et du territoire et représentants des organisations socio-professionnelles.

Chaque sous-groupe a rendu fin février 1996 un rapport sur les thèmes dont il était en charge (éducation, emploi-formation, logement, développement touristique, transports, économie minière, énergie, coopération régionale et développement). Leurs rapports constituent une importante documentation et contiennent les éléments de réflexion permettant de définir des orientations à long terme pour un développement équilibré du territoire. L'arrêt des discussions politiques sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en avril 1996 a cependant interrompu l'activité de la commission: les travaux de synthèse prévus n'ont donc pas vu le jour. Avec la reprise des négociations, la réflexion devra être poursuivie, la difficulté étant d'effectuer des choix et d'établir un ordre de priorités parmi toutes les actions envisagées (base pour pêche industrielle lourde dans la province nord, pour une pêche industrielle plus légère dans la province des Îles ; poursuite du développement touristique ; réorientation de la formation de cadres de l'administration vers les activités du secteur marchand ; poursuite de l'installation d'un réseau de production et de distribution d'électricité en faveur de la province nord ...etc).

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