III.  L'AVENIR : DONNER UN NOUVEAU SOUFFLE À LA POLITIQUE FAMILIALE

Avant d'évoquer l'avenir de la politique familiale de notre pays, on rappellera que la France mène depuis de nombreuses années une politique familiale ambitieuse.

A. LA FRANCE SE CARACTÉRISE PAR SA TRADITION DE POLITIQUE FAMILIALE AMBITIEUSE QUI LUI PERMET DE CONNAÎTRE AUJOURD'HUI UNE SITUATION DÉMOGRAPHIQUE MOINS DÉGRADÉE QUE CELLE DE SES PRINCIPAUX PARTENAIRES EUROPÉENS

1. Une tradition de politique familiale ambitieuse

Pour remédier à un déclin démographique marqué pendant un siècle et demi, la France a, depuis les années 1930, une tradition de politique familiale vigoureuse.

Notre pays, dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle, a en effet adopté un comportement en matière de naissance très malthusien, comparativement aux autres pays européens. Du deuxième pays d'Europe par son nombre d'habitants en 1789, avec 26 millions d'habitants, après la Russie qui en comptait 30 millions, alors que le Royaume-Uni n'en comptait que dix, elle a vu sa position décroître tout au long du XIXe siècle pour se retrouver en 1914 à 40 millions d'habitants face à une Allemagne de 66 millions et un Royaume-Uni peuplé de 46 millions d'habitants.

Cette situation ne s'est pas véritablement redressée pendant les années vingt et surtout trente, puisque, dès 1934, les décès redeviennent, pour une décennie, supérieurs aux naissances.

Cet état de fait, face à la montée des périls, a provoqué une prise de conscience, qui a permis l'élaboration d'une politique familiale vigoureuse sous l'impulsion d'Alfred Sauvy, alors membre du Cabinet de M. Paul Reynaud, ministre des Finances.

En effet, si l'on ne doit pas sous-estimer l'importance de la loi du 11 mars 1932 qui généralise le principe des sursalaires familiaux, les textes véritablement décisifs dans ce domaine sont le décret-loi du 12 novembre 1938 et la loi du 29 juillet 1939 dite " code de la famille ".

Le décret-loi du 12 novembre 1938 pose en fait des principes qui vont perdurer, comme celui d'une allocation progressive selon la taille de la famille, versée quel que soit le revenu de celle-ci et avec un taux uniforme. Deux autres caractéristiques sont à relever : la limitation aux cinq ans de l'enfant de la durée du versement de l'allocation au premier enfant, ainsi que la création de majorations pour les familles dont la femme n'a pas d'activité professionnelle.

Mais, c'est la loi du 29 juillet 1939 dite " code de la famille " qui constitue en fait la première tentative cohérente d'une véritable politique familiale en France avec un objectif nataliste clairement affiché. Elle renforce, dans cette optique, la progressivité du barème pour les allocations à partir du troisième enfant, supprime l'allocation au premier enfant au profit d'une prime à la première naissance et transforme la majoration du décret-loi du 12 novembre 1938 en allocation de mère au foyer. Ce dispositif est complété à la Libération par les ordonnances de 1945 sur la sécurité sociale et les nombreuses lois qui de 1945 à 1949 -dont la loi de finances pour 1946 qui institue le quotient familial- définissent les différentes aides ou prestations. Ainsi, en l'espace de dix ans, le socle législatif de la politique familiale est bâti.

Si, bien entendu, on ne peut imputer totalement à ce dispositif le redressement de la natalité qui commence faiblement avant la deuxième guerre mondiale et se confirme dès 1943, force est de constater le parallélisme entre les deux. En effet, en une vingtaine d'années, la France acquiert un véritable dynamisme démographique qui lui faisait défaut depuis un siècle et demi. Même si c'est le sentiment de votre commission qu'une politique familiale ne peut être fondée que sur des prestations, il faut rappeler qu'une famille modeste de quatre enfants voyait, entre 1940 et 1952, ses ressources majorées de moitié grâce aux allocations familiales.

Les années soixante ont correspondu à une moindre inventivité en matière de politique familiale, les acquis étant maintenus, alors que la natalité faiblissait de nouveau à partir de 1964.

La préoccupation de politique familiale de notre pays n'est donc pas récente. Il est à craindre que les mesures défavorables aux familles que s'apprête à faire voter le Gouvernement n'érodent la confiance des Français dans l'avenir de la politique familiale. Or, pour être efficace, la politique familiale doit s'inscrire dans la durée. La politique menée par le Gouvernement sera nécessairement comprise comme un signal négatif à l'intention des familles ; elle pourrait être interprétée comme un début de désengagement de la collectivité de sa politique traditionnelle d'aide aux familles. Il est alors à craindre que ce sentiment se traduise à terme par une diminution des naissances

2. Une situation démographique moins dégradée que celle de ses principaux partenaires européens

Il est naturellement toujours hasardeux d'établir une corrélation entre la politique familiale et la situation démographique d'un pays. La France connaît aujourd'hui une situation démographique plus favorable que celle de ses principaux partenaires : l'indicateur conjoncturel de fécondité, qui avait atteint, en 1993 et 1994, son minimum historique en période de paix avec 1,65 enfant par femme est remonté à 1,7 en 1995 et devrait être proche de 1,72 en 1996. Ce chiffre est nettement supérieur à la moyenne de l'Union européenne (1,44) et aux taux de fécondité que connaissent par exemple l'Espagne (1,15), l'Italie (1,22), l'Allemagne (1,30), les Pays-Bas (1,52). En matière de taux de fécondité, la France se trouve ainsi dans le peloton de tête des pays européens avec le Luxembourg, la Finlande, le Danemark et l'Irlande. Parmi nos partenaires européens, la tendance générale reste à la baisse des taux de fécondité.

Taux de fécondité en 1996

Taux de fécondité Enfants/femmes*

Union Européenne

1,44

Irlande

1,91

Luxembourg

1,76

Finlande

1,76

Danemark

1,75

France

1,72

Royaume-Uni

1,70

Suède

1,61

Belgique

1,55

Pays-Bas

1,52

Portugal

1,44

Autriche

1,42

Grèce

1,31

Allemagne

1,30

Italie

1,22

Espagne

1,15

(*) Nombre moyen de naissances vivantes par femme si le taux de fécondité actuel perdure.

Votre rapporteur considère que la situation démographique française n'est sans doute pas sans lien avec les efforts importants accomplis en matière de politique familiale par notre pays.

En outre, selon le bilan démographique de l'INSEE pour 1996, l'année 1996 a vu la confirmation de la remontée de la natalité enregistrée en 1995 : 734.000 enfants sont nés en 1996, soit 6.000 de plus qu'en 1995 (+ 1 %). Même si environ 2.000 de ces naissances supplémentaires tiennent au fait que l'année 1996 est une année bissextile, l'augmentation observée en 1995 (2,4 % par rapport à 1994) se confirme. Cette hausse reste modeste mais doit être soulignée car elle se produit après plusieurs années de baisse.

Naissances : l'augmentation de 1995 confirmée en 1996

734.000 enfants sont nés en 1996, soit 6.000 de plus qu'en 1995 (+ 1 %). Même si environ 2.000 de ces naissances supplémentaires tiennent au fait que l'année 1996 est une année bissextile, l'augmentation observée en 1995 (2,4 % par rapport à 1994) se confirme. Cette hausse reste modeste mais doit être soulignée car elle se produit après plusieurs années de baisse. La natalité avait diminué à partir d'octobre 1991 pour atteindre un niveau très bas en septembre 1994 : moins de 710.000 naissances sur douze mois (d'octobre 1993 à septembre 1994). Un premier redressement amorcé fin 1994 s'est poursuivi au cours du second semestre 1995 et au premier semestre 1996, le nombre de nouveau-nés du second semestre 1996 se rapprochant de celui de 1995.

L'augmentation de la natalité va-t-elle se poursuivre au-delà de 1996 ou bien s'agit-il d'un léger rattrapage avant un nouveau palier comme cela a été le cas à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années ? La hausse observée en 1995 était entièrement redevable aux femmes de plus de 27 ans. Toutefois, la fécondité des plus jeunes s'était stabilisée, alors que depuis vingt-cinq ans on observait une baisse régulière de leur fécondité.

Les femmes nées avant 1958 ont, d'ores et déjà, assuré leur remplacement. En effet, bien qu'elles n'aient pas toutes terminé leur vie féconde, elles ont déjà eu, vers 38 ans, près de 2,1 enfants en moyenne. Pour les plus jeunes, il est prématuré de conclure, d'autant que les maternités sont de plus en plus tardives. La prolongation des études et l'augmentation de l'activité professionnelle des femmes se sont accompagnées d'un retard dans la constitution des familles, rendu possible par une meilleure maîtrise de la contraception. De plus, face à la récession économique et l'accroissement du chômage, un nombre croissant de femmes retardent l'arrivée de leurs enfants. L'âge à la maternité a été, en moyenne, de 29 ans en 1995 ; il était de 28 ans en 1988 et de 27 ans en 1981. On se rapproche d'un modèle dans lequel les femmes ont un premier enfant avant 30 ans et un second après 30 ans, avec le risque de diminuer leur chance d'avoir ce second enfant à force d'attendre.

INSEE PREMIERE n° 508. fév. 97

Le bilan démographique de l'INSEE pour 1996 fait également état d'une augmentation du nombre de mariages. En 1996, 279.000 mariages ont été célébrés, soit une progression de 10 % par rapport à 1995 ou 24.000 unions supplémentaires. Il s'agit là de la plus forte hausse depuis le début des années soixante-dix.

Mariages : un sursaut passager ?

En 1996, 279.000 mariages ont été célébrés, soit une progression de 10 % par rapport à 1995 ou 24.000 unions supplémentaires. C'est la plus forte hausse depuis le début des années soixante-dix. De plus de 416.000 en 1972, le nombre de mariages était tombé à moins de 254.000 en 1994, son niveau le plus bas depuis le début du siècle si on excepte les années de guerre. Après une stabilisation à ce niveau en 1995 (255.000 mariages), la tendance s'est inversée à la fin du premier trimestre de l'année 1996.

Le taux de nuptialité s'élève à 4,8 mariages pour 1.000 contre 4,4 de 1993 à 1995. Pour l'ensemble des pays européens, la baisse de la nuptialité s'est poursuivie en 1995. Le mariage ferait-il un retour en force en France ? En fait, il n'est pas impossible qu'il s'agisse d'une pointe passagère. La loi de finances de 1996 n'a pas octroyé d'avantages financiers supplémentaires aux couples mariés, mais elle a annulé certaines dispositions fiscales qui avantageaient les parents non mariés : les couples cohabitants non mariés avec enfants ne peuvent plus bénéficier d'une demi-part supplémentaire lors du calcul de l'impôt sur le revenu. Dorénavant, seuls les parents isolés vivant seuls avec au moins une personne à charge peuvent prétendre à cette demi-part supplémentaire.

Depuis quelques années déjà, bien que la vie en couple marié reste le modèle dominant, l'union de fait concurrence l'union légale. Il ne s'agit plus uniquement de cohabitation juvénile. La vie en couple hors mariage est largement répandue au-delà de 25 ans. En 1995, 24 % des femmes de 35 ans ne s'étaient jamais mariées, soit deux fois plus que dix ans auparavant. Par ailleurs, la venue d'un enfant au sein du couple non marié n'entraîne plus systématiquement le mariage. En conséquence, la part des naissances hors mariage n'a cessé de monter : 10 % en 1979, 20 % en 1985, 30 % en 1990 et 38 % en 1995.

Par ailleurs, les difficultés économiques et d'insertion professionnelle et l'allongement de la durée des études ont, à partir de 1980, entraîné un retard de tous les calendriers, y compris celui du mariage. L'âge au premier mariage continue d'augmenter. Il est retardé d'un peu plus de trois mois chaque année : en 1995, les femmes célibataires se mariaient, en moyenne, à 27 ans contre 25,6 ans en 1990.

INSEE PREMIERE n° 508, fév. 97

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