III. LA CONVENTION DU 12 JANVIER 1998 : UN INSTRUMENT GLOBAL EN FAVEUR DE LA LUTTE ANTITERRORISTE

La présente convention vise à mettre en place un instrument juridique global destiné à la répression des attentats terroristes à l'explosif, quel qu'en soit le lieu ou le vecteur. Il s'agit donc d'une toute autre démarche que celle qui avait conduit, dans les années 1960 à 1980, à adopter des conventions internationales portant sur un secteur précis de l'activité terroriste internationale (attentats contre la sécurité des transports aériens, des transports maritimes, dans les aéroports ...).

Par ailleurs, la convention du 12 janvier 1988 s'inscrit dans une génération d'instruments juridiques s'appuyant sur une condamnation sans équivoque du terrorisme international , sans admettre aucune justification politique que ce soit . A ce titre, le préambule de la présente convention se réfère à la résolution 49/60 de l'Assemblée générale des Nations unies (17 février 1995) qui affirme que "les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus et calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances, quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, sociale, ethnique, religieux ou autre que l'on peut invoquer pour les justifier".

Les 24 articles de la présente convention déterminent successivement le champ d'application de celle-ci, ainsi que les règles de compétence applicables en vue de la répression des actes terroristes, définissent les modalités de l'entraide judiciaire et de la coopération technique à laquelle sont invitées les parties, et précisent la portée du principe "extrader ou juger" auquel se réfère la convention du 12 janvier 1998.

1. Un champ d'application défini pour s'appliquer à la plupart des actes de terrorisme international

- L'article 1er offre une définition particulièrement large des engins explosifs visés par la présente convention, puisqu'il s'agit non seulement "de toute arme ou de tout engin explosif ou incendiaire", c'est-à-dire des explosifs "classiques", mais aussi des armes ou engins agissant par l'émission, la dissémination ou l'impact de produits chimiques toxiques, d'agents biologiques, de toxines ou de rayonnements ou de matières radioactives. La présente convention s'appliquerait donc également dans l'hypothèse -particulièrement redoutable- d' attentats terroristes nucléaires, chimiques ou bactériologiques . Notons que les attentats mettant en cause des substances explosives "classiques" représentent 60 % des actes de terrorisme international répertoriés par le Département d'Etat américain. La présente convention est donc susceptible de s'appliquer à une forte proportion des actes de terrorisme international commis dans le monde, et à la totalité de ceux dont notre pays est -hélas- traditionnellement victime. Le champ d'application de la convention du 12 janvier 1998 est par conséquent potentiellement considérable.

- La définition des actes terroristes visés par la convention est, elle aussi, suffisamment large pour concerner la plupart des hypothèses envisageables. Il s'agit, en effet, des actes perpétrés en vue de provoquer non seulement la mort ou des dommages corporels graves, mais aussi des destructions matérielles massives, susceptibles d'entraîner des pertes économiques importantes. Dans le même esprit, l'article 2 vise les auteurs, mais aussi les complices et les organisateurs des attentats.

L'objet des attentats est également défini de manière extrêmement large : il s'agit de tout "lieu public" (c'est-à-dire accessible au public, même de façon occasionnelle, et "à usage commercial, culturel, historique, éducatif, religieux, officiel, ludique, récréatif ou autre"), ainsi que des systèmes de transport public (de personnes ou de marchandises), des installations gouvernementales, ou des infrastructures (équipements fournissant des services d'utilité publique, comme l'énergie, l'évacuation des eaux usées, le combustible ou les communications). La présente convention couvre donc les attentats susceptibles d'être commis contre des ambassades, des centrales nucléaires, des trains, des pipelines, des églises, des parcs d'attraction, des aéroports...

- La présente convention ne s'applique qu'aux actes de terrorisme international. Elle exclut de son champ d'application les infractions commises à l'intérieur d'un Etat, par un auteur ressortissant de cet Etat, se trouvant sur le territoire dudit Etat, et à l'encontre des victimes ressortissant à cet Etat.

- Enfin, le champ d'application de la présente convention exclut les activités des forces armées en période de conflit armé et dans l'exercice de leurs fonctions officielles.

2. Règles de compétence définies par la convention du 12 janvier 1998

L'article 6 définit à quelles conditions un Etat peut établir sa compétence pour réprimer un acte de terrorisme international.

Ces critères se réfèrent, de manière classique :

- au territoire sur lequel a été commise l'infraction,

- à la nationalité des coupables ou des victimes,

- à l'Etat du pavillon du navire (ou d'immatriculation de l'aéronef) à bord duquel a été commise l'infraction,

- à l'appartenance des installations publiques visées (y compris de locaux diplomatiques) situées hors du territoire d'un Etat,

- à l'Etat contre lequel l'acte terroriste est supposé constituer une menace.

L'article 6 prévoit deux types de compétences. L'une est obligatoire (territoire sur lequel a été commis l'attentat, nationalité de l'auteur). La seconde est facultative (nationalité de la victime, chantage contre cet Etat, appartenance de l'installation visée).

Chaque Etat-partie doit donc informer le secrétaire général de l'ONU, lors de la ratification de la présente convention, de la compétence qu'il a établie en vertu de sa législation interne.

Selon les informations transmises à votre rapporteur, notre Représentation permanente auprès des Nations unies informera le Secrétaire général que la France, victime du terrorisme, établit sa compétence dans tous les cas prévus par l'article 6. Dans la même logique, les Etats-Unis sont fondés à établir leur compétence pour sanctionner les attentats commis à Nairobi et Dar es Salam en août 1998, puisque ces attentats visaient des ambassades américaines, et que des ressortissants américains figurent parmi les victimes de ces actes terroristes.

3. L'adaptation des législations des Etats

Deux stipulations concernent l'adaptation des législations internes des Etats.

. L'article 4 invite les Parties à prendre les mesures nécessaires pour "réprimer lesdites infractions par des peines prenant dûment en compte leur gravité", et pour qualifier d'infraction pénale les infractions visées par la convention.

. L'article 5 invite les Parties à faire en sorte que les attentats terroristes visés par la présente convention ne puissent être justifiés par des considérations politiques, philosophiques, religieuses où par "d'autres motifs analogues", et que ces infractions soient sanctionnées par des peines proportionnelles à leur gravité.

. La France devra procéder à des ajustements de sa législation pénale pour assurer la conformité de celle-ci à la présente convention.

Ces modifications concernent, selon les informations transmises à votre rapporteur :

- l'article 421-1 du code pénal, qui définit les actes de terrorisme et les qualifie d'infractions pénales. Parmi les infractions visées par cet article figurent la fabrication ou la détention d'engins explosifs ou de substances explosives, d'armes biologiques ou à toxines. L'article 421-1 ne prévoit donc pas expressément d'incrimination pour l'acquisition, la détention ou le transport de matières radioactives, et devra donc être modifié sur ce point (on peut toutefois observer que l'article 421-1 se réfère au décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions, dont il proscrit l'acquisition, la détention, le transport ou le port illégitime. Or ce décret-loi a été modifié par le décret n° 95-589 du 6 mai 1995, qui intègre les engins nucléaires explosifs à la liste des matériels de guerre dont le décret-loi de 1939 fixe le régime) ;

- l'article 689 du code de procédure pénale, qui définit les règles de compétence applicables aux juridictions françaises en application des conventions internationales auxquelles la France est Partie.

L'article 689-2 tire les conséquences, en matière de procédure pénale, de la ratification de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du 10 décembre 1984. L'article 689-3 vise à appliquer la convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977. La convention du 3 mars 1980 sur la protection physique des matières nucléaires fait l'objet de l'article 689-4 ; la convention de La Haye du 16 décembre 1970 sur la répression de la capture illicite d'aéronefs est visée par l'article 689-6, l'article 689-7 étant consacré à l'application du protocole de Montréal du 24 février 1988 pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports. L'article 689-5 tire quant à lui les conséquences de la convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et du protocole pour la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental.

Il convient donc de compléter ces dispositions du code de procédure pénale pour établir la compétence des juridictions françaises dans les cas d'infraction prévus par la présente convention.

4. Obligations souscrites en matière de coopération judiciaire et d'extradition

a) Stipulations relatives à la coopération judiciaire entre les Parties

- L'article 7 oblige les Parties à " enquêter sur les faits portés à (leur) connaissance", dans l'hypothèse où l'auteur présumé d'un attentat à l'explosif se trouverait sur leur territoire, et à poursuivre ou extrader cette personne si "les circonstances le justifient" (voir infra, b).

- L'article 10 invite les Parties à s'accorder "l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute enquête ou procédure pénale ou procédure d'extradition " relative à des attentats à l'explosif.

- L'article 13 autorise le transfert de détenus d'un Etat vers un autre Etat Partie, si la présence de ce détenu dans l'Etat requérant est nécessaire à des fins de témoignage ou d' identification , dans le cadre d'une enquête ou de poursuites conduites en vertu de la présente convention.

b) Stipulations relatives à l'extradition

- L'article 8 pose le principe, classique dans les conventions relatives à la lutte contre le terrorisme, " extrader ou juger " en vertu duquel un pays est tenu, s'il n'extrade pas l'auteur présumé d'un attentat terroriste à l'explosif, de "soumettre l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale".

- L'article 9 vise à accélérer les procédures d'extradition , en permettant que la présente convention se substitue à un traité d'extradition bilatéral, et constitue la base juridique d'une procédure d'extradition, dans les cas où un traité bilatéral d'extradition ne comprendrait pas les attentats terroristes à l'explosif visés par la présente convention.

Notons que la France ne subordonne pas l'extradition à l'existence d'un traité d'extradition avec l'Etat requérant.

- L'article 11 exclut qu'une demande d'extradition puisse être refusée au motif que l'attentat terroriste à l'explosif fondant ladite demande constituerait une infraction politique . Cette stipulation s'inscrit dans la logique ci-dessus commentée par votre rapporteur, tendant à une condamnation sans équivoque du terrorisme, qui n'admet plus aujourd'hui de justification politique , alors que la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 autorisait les Parties à opposer un refus à une demande d'extradition si le délit pour lequel celle-ci était requise était un délit politique. La présente convention confirme donc une tendance des traités onusiens à exclure toute justification pour les actes de terrorisme (tendance qui caractérisait déjà le G7 en 1987, si l'on se réfère à la déclaration publiée à l'issue du sommet de Venise).

c) Engagements souscrits par les Etats en vue du respect des droits de l'Homme

Diverses stipulations visent à protéger les auteurs présumés d'infraction faisant l'objet d'une demande d'extradition ou de poursuite dans un autre Etat.

- L'article 7 se réfère au droit de cette personne de "communiquer sans retard avec le plus proche représentant qualifié de l'Etat dont elle a la nationalité", et de bénéficier des droits de la défense prévus par la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle se trouve.

- L'article 14 garantit à une personne détenue en application de la présente convention un "traitement équitable et tous les droits et garanties" conformes à la législation de l'Etat sur le territoire duquel cette personne se trouve en détention, ainsi que le bénéfice des dispositions du droit international relatives notamment aux droits de l'homme.

- Une demande d'extradition peut être refusée si l'Etat requis "a des raisons sérieuses de croire" que cette demande a été présentée afin de poursuivre ou de punir une personne "pour des considérations de race, de religion, de nationalité, d'origine ethnique ou d'opinions politiques". On peut néanmoins se demander si cette stipulation, au demeurant classique, n'est pas susceptible d' altérer la portée de l'article 11 qui exclut qu'un attentat terroriste à l'explosif puisse être considéré comme une infraction politique .

d) La coopération technique entre les Parties en vue de la prévention du terrorisme international

L'article 15 encourage la coopération entre Etats afin de prévenir les attentats terroristes à l'explosif.

Cette coopération, conçue de manière opérationnelle , concerne :

- la recherche relative à la détection et au marquage d'explosifs (destinés à en identifier l'origine lors d'enquêtes effectuées à la suite d'explosions),

- les échanges de renseignements et d'informations relatives aux mesures de prévention,

- les transferts de technologie et de matériel destinés à la prévention (comme par exemple les équipements aéroportuaires de sécurité),

- l'adoption de mesures, notamment législatives, visant à prévenir ou à contrarier la préparation d'attentats terroristes à l'explosif.

Sur ce dernier point, on note que la France s'est dotée d'une législation antiterroriste complète , et n'aura de ce fait pas à procéder à des adaptations de sa législation pour tirer les conséquences de l'article 15. Rappelons que les infractions en relation avec un attentat terroriste relèvent en France d'un régime spécifique et dérogatoire du droit commun :

- centralisation des poursuites, de l'instruction et du jugement au Tribunal de grande instance de Paris (service central de lutte antiterroriste du Parquet de Paris),

- allongement à quatre jours de la durée maximale de garde à vue,

- possibilité d'effectuer des perquisitions au cours de l'enquête sans l'accord des intéressés,

- dispositif d'exemption ou d'allégement de peine pour les terroristes ayant permis d'éviter que l'infraction entaîne mort d'homme, ou de faire cesser les agissements incriminés, voire d'éviter l'acte terroriste lui-même,

- extension de la définition d'acte terroriste au terrorisme écologique et à toute atteinte à la personne, définition de peines aggravées en cas d'acte terroriste,

- allongement des délais de prescription de la peine et de l'action publique en cas d'acte terroriste,

- extension de la liste des infractions susceptibles d'être qualifiées d'actes de terrorisme à l'association ou au recel de malfaiteurs,

- intervention de l'avocat différée à la 72e heure de garde à vue en matière de terrorisme.

Notons, par ailleurs, que les actions de coopération policière prévues par l'article 15 sont coordonnées et mises en oeuvre en France par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page