II. LES ACTIONS STRUCTURELLES : LE POIDS D'ENGAGEMENTS DERAISONNABLES

A. PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Dans le projet de budget 1999, les crédits d'actions structurelles connaissent en effet une véritable explosion avec une croissance de près de 9 % pour les crédits de paiement et de 16,6 % pour les crédits d'engagement.

On en a énoncé plus haut la "raison". On en dira plus bas toute la "déraison".

Avant cela, il convient de rappeler les objectifs et les moyens des actions structurelles.

1. Des objectifs et des instruments nombreux

Les crédits d'actions structurelles inscrits au budget européen sont le fruit de l'émergence d'une politique communautaire à part entière destinée, à partir de l'Acte unique européen, à assurer la cohésion économique et sociale dans l'Union européenne.

Cette politique a été déclinée par strates successives.

Sept objectifs ont été énoncés : un fonds de cohésion a été institué, des programmes d'initiative communautaires ont été lancés.

Sept objectifs ont été énoncés, les uns régionalisés, les autres de dimension nationale.

Les premiers recouvrent :

- l' objectif 1 pour le développement des régions en retard de développement soit celles dont le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire ;

- l' objectif 2 pour l'ajustement des régions les plus affectées par le déclin industriel soit celles où le taux de chômage et le pourcentage d'emplois industriels sont supérieurs à la moyenne communautaire.

- l'objectif 5 b pour l'ajustement structurel dans les régions rurales soit celles où le niveau de développement économique est bas, le taux d'emploi agricole élevé, le niveau des revenus agricoles faible et (ou) qui connaissent le dépeuplement.

- l'objectif 6 pour l'ajustement des régions à faible densité de population .

Les trois objectifs qui ne sont pas spécifiquement régionalisés et s'appliquent à l'ensemble de l'Union sont :

- l'objectif 3 pour les jeunes chômeurs et les chômeurs de longue durée ;

- l'objectif 4 pour l'adaptation des travailleurs aux mutations industrielles ;

- l'objectif 5 a pour l'ajustement dans l'agriculture et la pêche.

S'agissant du fonds de cohésion créé en application du traité sur l'Union européenne, ses interventions sont appelées à bénéficier aux Etats membres dont le PIB par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire et qui ont mis en place un programme pour satisfaire aux conditions de convergence économique. En pratique, quatre Etats membres en bénéficient, la Grèce (en dépit de son échec relatif à réussir la convergence), l'Espagne, le Portugal et l'Irlande.

Les interventions du fonds sont centrées sur des projets intéressants l'environnement et les réseaux transeuropéens de transport.

Enfin, les programmes d'initiative communautaire mettent en oeuvre une série d'initiatives communautaires dont la liste est donnée ci-dessous avec une indication des moyens programmés initiative par initiative.

Initiatives communautaires (1994/1999)

 

Objet

MioEcus

INTEREG

Coopération transfrontalière et réseaux d'énergie

2.900

LEADER

Développement rural

1.400

RGIS

Intégration des régions ultrapériphériques

600

RECHAR

Diversification des zones charbonnières

400

ESIDER

Reconversion des zones sidérurgiques

500

RETEX

Diversification des zones dépendant du textile

500

KONVER

Diversification des zones dépendant du secteur militaire

500

ADAPT

Adaptation de la main-d'oeuvre aux mutations industrielle

1.400

PME

Adaptation des PME

1.000

URBAN

Rénovation des zones urbaines

600

Emploi et ressources humaines

Emploi et ressources humaines

1.400

PESCA

Restructuration de la pêche

250

industrie textile portugaise

Industrie textile portugaise

400

Réserve

Réserve

1.600

TOTAL

 

13.450

Enfin, la Commission est libre de lancer des actions pilotes ou innovatrices.

Les politiques structurelles sont réalisées au moyen de fonds -FEDER, FSE, FEOGA...) et sont programmées par objectifs et par pays. En matière d'initiatives communautaires le financement, qui ne peut dépasser 9 % des crédits d'engagement dont sont dotés les fonds, vient des fonds structurels mais les décisions appartiennent à la Commission. Il en va de même pour les actions pilotes ou innovantes qui ne peuvent, quant à elles, mobiliser plus de 1 % des crédits d'engagements mais dont on doit souligner deux particularités : la possibilité d'apporter au bénéficiaire un taux de subventionnement de 100 % et celle d'agir, dans certaines limites, sans bases légales.

2. Des ressources importantes

Le tableau ci-dessous rend compte de la programmation actuelle des actions structurelles.

Le total des moyens disponibles pour les six années entre 1994 et 1999 a été fixé à 1.083,5 milliards de francs 3( * ) . En vérité, il faut ajouter à cette somme des crédits figurant à d'autres rubriques, en particulier à la rubrique des politiques internes qui participent du fait de leur gestion et alors que tel ne devrait pas être le cas à l'expression de la politique structurelle de l'Union européenne. On peut retenir comme ordre de grandeur que les crédits d'actions structurelles représentant environ 0,45 % du PIB européen.

Répartition des ressources par Etat membre et par objectif de 1994 à 1999

(en millions d'écus 1994)

Pays

Obj. 1

Obj. 2

Obj. 3

Obj. 4

Obj. 5a

Obj. 5b

Obj. 6

PIC

Total FS

Fonds de cohésion

Total

Belgique

730

341

396

69

195

77

 

288

2.096

 

2.096

Danemark

-

119

263

38

267

54

 

102

843

 

843

Allemagne

13.640

1.566

1.681

260

1.145

1.227

 

2.212

21.731

 

21.731

Grèce

13.980

-

-

-

-

 
 

1.154

15.134

2.602

17.736

Espagne

26.300

2.415

1.474

369

446

664

 

2.782

34.450

7.950

42.400

France

2.190

3.769

2.562

641

1.936

2.236

 

1.635

14.939

 

14.939

Irlande

5.620

-

-

-

-

 
 

527

6.147

1.301

7.448

Italie

14.860

1.462

1.316

399

814

901

 

1.898

21.650

 

21.650

Luxembourg

-

15

21

1

40

6

 

19

102

 

102

Pays-Bas

150

650

923

156

165

150

 

422

2.616

 

2.616

Portugal

13.980

-

-

 

2

-

 

1.061

15.043

2.601

17.644

Royaume-Uni

2.360

4.580

3.377

 

275

817

 

1.572

12.981

 

12.981

Autriche

162

99

329

60

379

403

 

146

1.578

 

1.578

Finlande

-

179

254

83

347

190

450

150

1.653

 

1.653

Suède

-

157

342

170

127

135

247

127

1.305

 

1.305

Total

93.972

15.352

12.938

2.246

6.136

6.860

697

14.065

152.266

14.454

166.720

Source : Commission, premier rapport sur la cohésion, novembre 1996.

La dotation française au titre des actions structurelles pour la période de six années des actuelles "perspectives financières" s'élève à près de 100 milliards de francs, soit un peu plus que la contribution au budget européen demandée cette année à notre pays.

Cette remarque est destinée à rappeler que la France est un bénéficiaire théoriquement important des actions structurelles même si elle se trouve, de ce point de vue, loin derrière les pays de la cohésion, mais aussi l'Allemagne.

Il est notable que l'essentiel des moyens des politiques structurelles est dévolu à l'objectif 1 (+ de 56 % du total). L'objectif 2 suit (9,2 %), puis viennent le fonds de cohésion (8,6 %) et les financements mobilisables dans le cadre des initiatives communautaires (8,4 %). Les autres objectifs ne se voient affecter que 17,3 % des ressources. Les actions structurelles qui sont principalement des moyens de politique d'aménagement du territoire européen réunissent donc des moyens importants et sont, particularité notable, du fait des engagements d'Edimbourg, assurées de bénéficier des dotations alors programmées.

3. Des actions placées sous conditions

Les interventions communautaires sont théoriquement soumises à quelques grands principes qu'il faut énoncer.

On évoquera d'abord le principe de concentration qui vise à réserver l'action structurelle communautaire aux régions et populations les plus défavorisées.

Le principe de partenariat consiste à associer la Commission des Etats membres et les acteurs locaux à la définition et à l'exécution des programmes financés sur les crédits d'actions structurelles.

Le principe de programmation consiste à inscrire l'action communautaire dans un cadre temporel de moyen terme et à l'ordonner autour d'objectifs stratégiques.

Enfin, le principe d'additionnalité a été posé afin que les Etats ne se défaussent pas sur le budget européen des moyens consacrés par eux à atteindre les objectifs des actions structurelles. C'est la démonstration même que les actions structurelles se sont développées en marge, voire en contravention avec le principe de subsidiarité. Il en découle, en particulier, une exigence de cofinancement plus ou moins contraignante selon les catégories d'interventions structurelles.

Le tableau ci-dessous rappelle les règles posées en la matière.

Taux d'intervention

 

Limite maximale du coût total
en %

Limite minimale des dépenses publiques
en %

Cas général

50

25

Régions de l'objectif 1

75

50

Pays du fonds de cohésion

80

50

Régions ultrapériphériques

85

85

Etudes, projets pilotes

100

0

B. APPRÉCIATIONS

1. Une augmentation déraisonnable, symptôme d'un système inadapté

La trop forte augmentation des crédits d'actions structurelles dans le projet de budget pour 1999 résulte de deux facteurs.

- Le premier est l'engagement pris à Edimbourg d'inscrire la totalité des crédits programmés, engagement au terme duquel nulle marge sous les plafonds définis pour la rubrique 2 ne peut être dégagée contrairement à la situation qui prévaut pour les autres entreprises.

- Le second, pour les crédits de paiement, vient de la nécessité d'inscrire des moyens suffisants pour absorber les considérables dépenses qui, engagées, restent à liquider.

Ces deux contraintes sont l'expression même d'un système peu satisfaisant qui débouche sur des situations dangereuses.

Le considérable ressaut (+ 16,6 %) des crédits d'engagement pour "solder" la programmation décidée à Edimbourg n'est que la conséquence des difficultés rencontrées dans le passé pour respecter cette programmation. Celle-ci a donc, à l'évidence, été surdimensionnée et une recherche soigneuse des raisons de cette erreur de calibrage s'impose afin de l'éviter dans la programmation en cours de négociation.

Deux observations complémentaires doivent conduire à s'inquiéter des conditions dans lesquelles seront engagés les crédits considérables prévus en 1999 et à mettre en évidence l'importance des besoins de crédits nationaux à dégager pour respecter l'exigence de cofinancement.

Quant à la situation des crédits de paiement, il faut rappeler que, malgré un montant de 30,9 milliards d'euros et une croissance de près de 9 % par rapport aux crédits du budget de 1998, les crédits prévus pour 1999 représentent moins de 70 % des "restes à liquider" tels qu'ils sont estimés pour la fin de 1999 au titre de la rubrique 2.

On doit dans ces conditions d'abord souhaiter vivement que la Commission maîtrise vraiment ses échéanciers de paiement et qu'une fraction même négligeable des "restes à liquider" ne vienne pas s'imputer sur l'exercice 1999. On peut illustrer l'ampleur du péril en indiquant que si 10 % de ces sommes devaient être honorés en 1999 notre contribution serait elle-même majorée de l'ordre de 4,5 milliards de francs.

Mais on doit aussi exprimer les plus grandes inquiétudes pour l'avenir puisque la "facture" d'Edimbourg constituera une source autonome de progression des crédits d'actions structurelles qu'il faut avoir à l'esprit au moment où se dessine la future programmation financière. On doit d'ailleurs indiquer que, moyennant l'hypothèse d'un maintien du niveau de financement français apporté au budget européen, notre pays devra "débourser" environ 50 milliards de francs de ce seul chef de dépense.

Enfin, il faut souligner que ces phénomènes sont la traduction de difficultés d'exécution des engagements de crédit dont la source doit être recherchée mais qui, de plus, devraient trouver un remède partiel dans l'annulation d'engagements non consommés au terme d'un délai raisonnable.

2. Une efficacité douteuse

a) Une redistribution ambiguë

L'objectif principal des actions structurelles est d'assurer la cohésion entre les Etats membres. La philosophie de la Commission est, on doit l'observer, fort ambitieuse ; il ne s'agit pas seulement de rendre les écarts acceptables en permettant à chacun d'assumer ses différences, mais plutôt de réduire la dispersion des performances économiques, et d'égaliser les niveaux de développement.

Ambitieuse, la philosophie de la Commission n'en est pas moins ambiguë.

Si la cohésion doit favoriser le rapprochement entre les Etats membres, l'action de la Commission est fortement régionalisée, avec près de 75 % des moyens réservés aux régions, si bien qu'elle revient à promouvoir une vraie politique européenne d'aménagement du territoire. Or, une telle politique qui, finalement, n'a pas été consacrée par les traités et se substitue aux responsabilités des Etats, en contravention avec le principe de subsidiarité, peut apparaître comme partiellement contradictoire avec l'objectif de cohésion.
Il en va ainsi lorsqu'elle conduit à ménager l'octroi de crédits importants à des régions, certes défavorisées, mais appartenant à des Etats relativement prospères. Or, c'est évidemment ce qui se produit puisque la dispersion des PIB des régions européennes est beaucoup plus importante que celle des PIB des Etats. C'est aussi cette ambiguïté qui limite la dimension peu redistributive des fonds structurels.

A son tour, cette caractéristique ampute inévitablement les marges disponibles pour assurer la cohésion entre Etats membres.

Ce défaut de concentration des moyens sur les Etats relativement pauvres est renforcé par l'extrême dispersion régionale des interventions structurelles au terme de laquelle 51 % de la population communautaire est aujourd'hui concernée par ces interventions.

b) Une efficacité à nuancer

Cette caractéristique s'accompagne en outre d'un saupoudrage des crédits, source de difficultés d'exécution, mais aussi gage de pertes en ligne puisqu'il apparaît évident que l'abondance de projets rime avec une décrue de l'intérêt global de l'ensemble.

On doit sans doute considérer que ces difficultés sont moins sensibles dans les pays en retard significatif de développement où des projets structurants s'imposent et où l'effet de levier de la dépense publique européenne peut être réel du fait d'un manque de capitaux publics ou privés. Certaines analyses macroéconomiques laissent d'ailleurs entendre, pour les seuls pays de la cohésion , que l'intervention structurelle européenne a pu, dans le passé, contribuer positivement à leur croissance pour à peu près 0,5 point de PIB. On remarquera toutefois que cette estimation est très inférieure aux montants transférés dans ces pays, signe que d'autres agents économiques "profitent" des allocations communautaires, et repose sur des conventions qui en conditionnent les résultats.

Aucune étude d'ensemble n'ayant été conduite pour les pays les plus développés, on ne peut que conjecturer sur l'efficacité de l'intervention communautaire dans ceux-ci. Cet exercice peu satisfaisant n'est, en tout cas, pas favorisé par les travaux des comités de suivi censés évaluer les programmes, mais dont les travaux relèvent pour l'essentiel de l'exercice de style.

Il existe cependant quelques indices utilisables pour porter une appréciation globale sur la politique de cohésion de la Communauté.

Le premier d'entre eux est que les écarts entre les PIB par habitant des régions d'Europe ne se sont pas réduits dans la période récente.
Cet indice n'est certes pas entièrement significatif puisqu'on peut aussi bien estimer que la dispersion aurait été encore plus grande sans les interventions européennes. Mais il révèle que l'objectif de cohésion retenu par la Commission n'a pas été atteint.

Un deuxième indice réside dans le parallélisme entre le niveau de consommation des crédits, le niveau de développement et le nombre des programmes. Il conforte l'idée selon laquelle les actions structurelles ont vocation à se développer dans les pays les moins développés autour de projets bien sélectionnés.

Enfin, un dernier indice tiré de la comparaison entre le niveau des fonds communautaires en points de PIB et leur effet sur la croissance du PIB tel qu'estimé par les études disponibles, paraît démontrer des pertes de substance. Celles-ci peuvent être dues à des erreurs d'analyse, mais on doit sans doute aussi y voir la manifestation que les agents économiques des pays bénéficiaires ne sont pas les seuls à profiter du financement européen. Il reste que l'évaporation ainsi constatée, évaluée parfois autour de 35 % des interventions, devrait faire l'objet d'un recensement exhaustif.

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