B. LES AUTRES AUDITIONS

1. Audition M. François Lucas, Vice-président de la Coordination rurale de M. Francis Lethrosne, membre du Comité directeur

La commission a procédé à l'audition de M. François Lucas, vice-président de la Coordination rurale, et de M. Francis Lethrosne, membre du comité directeur, sur le projet de loi d'orientation agricole n° 18 (1998-1999).

A titre liminaire, M. François Lucas a estimé que la politique agricole passait plus par le maintien de prix rémunérateurs, déterminés sur la base des coûts de production, que par le vote d'une loi, fût-elle d'orientation. Puis il s'est dit en accord avec les objectifs visés par l'article premier du texte, tout en soulignant la nécessité de préserver l'emploi agricole. Il a émis des réserves quant à la contribution de l'agriculture à la production énergétique, jugeant incohérente une politique qui conduit à importer des oléagineux destinés à l'alimentation du bétail, alors même que la production nationale est, en partie, transformée en bio-carburants.

Evoquant le contrat territorial d'exploitation (CTE), il a souligné le risque d'un alourdissement des procédures administratives et la nécessité de pourvoir au financement de ces contrats, avant d'estimer préférable de ne régler cette question qu'après la réforme de la politique agricole commune.

M. Francis Lethrosne a considéré que l'institution du CTE portait en germe le risque d'une renationalisation de la politique agricole commune (PAC), et fait valoir que ces contrats étaient, dans certains cas, susceptibles d'entraîner des distorsions de concurrence.

M. François Lucas a, pour sa part, estimé que les CTE pouvaient modifier l'équilibre des exploitations et, ce faisant, permettre des baisses de prix artificielles, ce qui constituerait un paradoxe lorsque, grâce à l'euro, tous les prix seraient comparables. Il s'est enfin interrogé sur le degré de liberté des signataires des CTE, dont le " volontariat " était quelque peu contraint puisque le seul terme de l'alternative qui leur était offert était d'accepter la réforme, ou de disparaître.

Evoquant les limites apportées par le texte à la liberté d'exploiter, il a craint que ces dispositions ne conduisent les personnes physiques propriétaires d'exploitations foncières à les céder à de grandes sociétés qui intégreraient les fermiers aussi bien en amont qu'en aval de leurs activités.

S'agissant du statut des conjoints, il a jugé que le texte du projet de loi allait dans le sens des préconisations de la coordination rurale. En revanche, il s'est déclaré fortement opposé aux dispositions qui tendent à soumettre les employeurs agricoles de moins de 50 salariés à une cotisation prélevée au profit d'un comité des activités sociales et culturelles.

Sur ce sujet, M. Francis Lethrosne a souligné que les dispositions du projet de loi assujettissaient les agriculteurs à un régime moins favorable que celui des artisans et des commerçants.

M. François Lucas a regretté que le texte ne réforme pas le régime juridique des cotisations sociales agricoles. Tout en se disant favorable à l'organisation de filières courtes, il a déploré que l'accès aux aides soit réservé aux producteurs appartenant à des organisations. Il s'est également déclaré opposé au dispositif de l'article 30 bis, estimant que la déduction fiscale qu'il instituait au titre de l'acquisition de parts sociales dans la coopération agricole, si elle était justifiée dans son principe, ne devait pas être financée par un accroissement des droits sur le tabac.

Puis il a affirmé n'avoir aucune observation particulière à présenter en ce qui concernait l'organisation interprofessionnelle, la composition du conseil supérieur d'orientation, la qualité, la gestion de l'espace, la formation et la recherche.

Concluant son propos, il a observé avec satisfaction que le " productivisme n'était plus de mise " et qu'en revanche l'accent portait désormais sur les conditions et la qualité de la production, et le renforcement d'une agriculture durable. Parmi les dispositions du projet de loi appelant une opposition de sa part, il a souligné le flou qui entoure le régime du CTE, l'atteinte au droit de propriété qui résulte du renforcement du contrôle des structures et un manque d'ambition en matière d'aide à l'installation des jeunes, tout en notant avec intérêt les mesures relatives à l'installation progressive.

Après avoir rappelé que la réforme de la PAC opérée en 1992 avait été initialement contestée, M. Michel Souplet, rapporteur, a souligné que le versement de primes compensatoires, au titre des mises en jachère, avait facilité son entrée en vigueur, et il a demandé à l'orateur de présenter des propositions en matière de redistribution des aides.

M. François Lucas a constaté que le nombre des agriculteurs, qui s'élevait à 900.000 en 1991, n'était plus que de 600.000 aujourd'hui, ce qui constituait un " bilan catastrophique ", d'autant plus que la France n'avait jamais retrouvé le niveau d'exportation de 1992.

M. Francis Lethrosne a ajouté que le développement des exportations avait été obtenu au prix de la disparition de 25.000 agriculteurs par an.

M. François Lucas a ajouté que la notion de " prime compensatoire " était essentiellement statistique, qu'elle n'avait de sens que dans une réflexion de type macro-économique, et qu'elle favorisait les " chasseurs de primes ".

Répondant à M. Michel Souplet, rapporteur, qui l'interrogeait sur l'attribution des aides, et soulignait l'importance du rôle des organisations de producteurs dans le contrôle du marché, M. François Lucas a indiqué que la coordination rurale était hostile à l'attribution d'aides aux seuls groupements agricoles de grande taille constitués, par exemple, au niveau départemental. Puis il a ajouté que dans le secteur du porc, malgré l'existence de groupements de producteurs, la gestion de la production n'avait pas été efficace.

Il a estimé que le fonctionnement des marchés de produits de première nécessité, tels que celui du porc, était perturbé par une demande très fluctuante, qui n'affectait pas les marchés plus organisés tels que celui du vin.

A une troisième question du rapporteur qui lui demandait son sentiment sur la séparation des filières interprofessionnelles " verticales " d'une part et des filières " biologiques " et " montagne ", de l'autre, le vice-président de la coordination rurale a répondu qu'il était favorable à une séparation claire des filières " biologique " et " montagne ".

M. Francis Lethrosne a souligné le risque que constituait l'intégration complète des producteurs dans des filières nationales, comme l'avaient montré les problèmes rencontrés dans la filière avicole.

Rappelant qu'actuellement la cession des exploitations était un peu la " retraite complémentaire des exploitants ", M. Michel Souplet, rapporteur, a enfin demandé aux orateurs de présenter des propositions tendant à favoriser l'installation des jeunes. En réponse, M. François Lucas a souligné que le parcours adapté à des jeunes issus de professions non agricoles, prévu par le projet de loi, correspondait à l'une des demandes de son organisation, mais il a critiqué les modalités d'installation actuelles, les estimant " très mal adaptées ", car trop contraignantes pour des fils d'agriculteurs et insuffisantes pour intégrer les jeunes issus des milieux non agricoles. Pour ces derniers, il a souhaité le développement du parrainage et de la succession progressive, tout en observant que la précarité et l'absence d'assurance sur l'avenir constituaient les principaux obstacles pour les jeunes agriculteurs désireux de s'installer.

Rappelant que 80 % des terres en vente étaient achetées par des agriculteurs, MM. Marcel Deneux et Hilaire Flandre ont interrogé l'orateur sur les mesures tendant à limiter la diminution de la population agricole, et à favoriser le faire-valoir direct. M. François Lucas leur a répondu que la diminution du nombre des exploitations résultait de la baisse des prix qui se traduisait, à structure constante, par une baisse des revenus. Il a estimé que le manque de rentabilité du foncier conduisait à un accroissement de la superficie des exploitations et à une réduction de leur nombre.

Répondant à M. Marcel Deneux, qui l'interrogeait sur la réforme de l'assiette des cotisations sociales agricoles, M. François Lucas a souhaité l'instauration d'une TVA sociale sur les produits agricoles qui favoriserait les exportations et assurerait la contribution de tous les consommateurs au financement des retraites agricoles.

M. Francis Lethrosne a souligné que l'agriculture était l'un des seuls secteurs dans lesquels le producteur ne pouvait répercuter les charges sociales sur le prix de vente.

A MM. Jean Bizet, Marcel Deneux et Hilaire Flandre, qui se déclaraient surpris par les propos relatifs à l'absence de vocation exportatrice de la France, compte tenu de l'importance des industries agro-alimentaires de notre pays et de l'impact positif des excédents agricoles sur la balance commerciale, M. François Lucas a déclaré que son propos se situait dans une perspective européenne, et a constaté que l'Union enregistrait un déficit de 28 milliards d'écus au titre des échanges agro-alimentaires, avant d'estimer nécessaire de produire moins de céréales et plus de protéines.

A une seconde question des mêmes parlementaires, qui l'interrogeaient sur la contribution des organisations de producteurs à la régulation des marchés, M. François Lucas a répondu que le contrôle des structures n'avait pas fait ses preuves et souligné la nécessité de limiter l'accroissement de la taille des exploitations. Il a ajouté que son organisation était hostile au versement des aides aux seuls producteurs organisés, même si elle était par ailleurs favorable à une organisation et à une maîtrise des productions.

M. Raymond Soucaret lui ayant demandé de préciser ses vues, s'agissant du CTE, M. François Lucas a déclaré qu'il était beaucoup trop tôt pour savoir si la réforme de la PAC compenserait les inconvénients de ce nouveau système.

S'adressant enfin à M. Jean Bizet, qui évoquait. la question des organismes génétiquement modifiés (OGM), il a souhaité l'établissement d'un prix européen et d'une qualité européenne renforcés par rapport au marché mondial.

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