EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le texte qui ouvre cette session parlementaire est un texte important. Si sa dimension est essentiellement symbolique, il doit être l'occasion pour la représentation nationale de témoigner et d'achever le lent travail de la mémoire. Témoigner de notre reconnaissance à cette génération d'Afrique du Nord qui a accompli son devoir avec courage et abnégation dans des circonstances souvent tragiques. Clore un douloureux travail de mémoire, étape nécessaire à l'indispensable réconciliation entre la France et l'Algérie, réconciliation entre deux peuples qui exige au préalable que la France accepte la réalité d'un passé douloureux.

Cette double réconciliation -réconciliation de la France avec son passé, réconciliation de deux peuples- ne saurait toutefois être complète que si elle est consensuelle. A ce propos, votre rapporteur se félicite de l'existence de plusieurs propositions de loi ayant le même objet, issues de tous les horizons politiques.

Ainsi, à l'Assemblée nationale, trois propositions de loi avaient été déposées recouvrant un objectif commun :

- la proposition de loi n° 1293 (AN) de M. Jacques Floch, relative à la substitution de l'expression " aux opérations effectuées en Afrique du Nord " par l'expression " guerre d'Algérie et aux opérations effectuées en Afrique du Nord ",

- la proposition de loi n° 1392 (AN) de M. Maxime Gremetz, relative à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc,

- la proposition de loi n° 1558 (AN) de MM. Georges Colombier, Didier Quentin et François Rochebloine tendant à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie.

De même, au Sénat, outre la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale et inscrite à l'ordre du jour prioritaire, deux propositions de loi ont été déposées à une même fin :

- la proposition de loi n° 344 (1998-1999) relative à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc, présentée par M. Guy Fischer et plusieurs de ses collègues ;

- la proposition de loi n° 403 (1998-1999) tendant à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie, présentée par MM. Serge Mathieu, Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann et votre rapporteur.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est également un texte particulier. Si ce n'est sans doute pas au législateur de qualifier juridiquement les événements historiques, il n'en reste pas moins que, dans le cas présent, cette démarche redevient légitime, ce même législateur ayant longtemps choisi d'atténuer, par des circonvolutions sémantiques, la réalité d'un conflit.

Aussi, la présente proposition de loi constitue une réponse législative adaptée à une reconnaissance longtemps attendue.

I. UNE RECONNAISSANCE ATTENDUE

A. UNE " GUERRE SANS NOM "

1. La réalité d'une guerre

Entre 1952 et 1962, 1.343.000 jeunes appelés et rappelés et plus de 400.000 militaires d'active ont traversé la Méditerranée pour accomplir leur devoir sur les différents théâtres d'opérations d'Afrique du Nord. Leur sacrifice a cependant été longtemps occulté dans la mémoire collective des Français. Les conflits de Tunisie et du Maroc et plus encore la guerre d'Algérie ont en effet été vécus comme une " guerre sans nom ".

Or, les conflits d'Afrique du Nord ont été lourds de conséquences humaines : plus de 25.000 militaires tués, plus de 70.000 militaires blessés, quelque 400.000 victimes civiles d'origine africaine ou européenne. Ces conflits furent également un drame pour près d'un million de civils européens, contraints d'abandonner la terre où ils étaient et pour les harkis, livrés à un destin souvent tragique.

Loin d'avoir été une simple opération de police, le conflit algérien a bien été une guerre, tant par les méthodes de combats employés que par les risques encourus par nos soldats.

Effectifs et pertes militaires en Afrique du Nord

 

Terre

Marine

Air

Gendarmerie

Autres organismes

Total général

Algérie

 
 
 
 
 
 

ayant servi

1.192.673

44.535

114.619

59.439

7.859

1.419.125

blessés

54.050

421

3.276

2.441

-

60.188

tués

21.291

371

1.047

487

-

23.196

Maroc

 
 
 
 
 
 

ayant servi

134.616

3.005

14.491

10.882

759

163.753

blessés

1.833

-

5.196

12

-

7.041

tués

949

79

191

28

-

1.247

Tunisie

 
 
 
 
 
 

ayant servi

131.488

7.202

12.699

12.686

974

165.049

blessés

1.079

-

2.311

18

-

3.408

tués

515

665

39

30

-

1.249

Total Afrique du Nord

 
 
 
 
 
 

ayant servi

1.458.777

54.742

141.809

83.007

9.592

1.747.927

blessés

56.962

421

10.783

2.471

-

70.367

tués

22.755

531

1.277

545

-

25.108

Source : Ministère de la Défense.

2. Les " opérations effectuées en Afrique du Nord ", de simples opérations ?

Face à la réalité d'une guerre, le langage officiel a longtemps pudiquement minimisé la vérité historique. Qualifiés initialement d'" événements ", les conflits d'Afrique du Nord deviennent bientôt des " opérations de maintien de l'ordre " ou des " opérations de pacification " avant d'être figés dans la loi sous le terme ambigu d'" opérations effectuées en Afrique du Nord ".

Cette difficulté à définir le conflit algérien comme une guerre relève de ce que Benjamin Stora 1( * ) a appelé " l'amnésie mise en scène ". En effet, la mémoire de la guerre d'Algérie a bien souvent consisté en un oubli à des fins d'apaisement, au détriment de la reconnaissance de la Nation à l'égard de la troisième génération du feu.

B. UNE LENTE RECONNAISSANCE

1. Les étapes d'une reconnaissance

Paradoxalement, si la guerre d'Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc restent jusqu'à présent qualifiés de simples " opérations ", les militaires ayant servi dans ces conflits ont progressivement été considérés comme des anciens combattants à part entière, bénéficiant des mêmes droits que ceux des conflits précédents.

Dès le début de ces conflits, la loi du 6 août 1955 a attribué aux militaires participant aux " opérations de maintien de l'ordre " en Afrique du Nord les mêmes droits qu'aux anciens combattants des précédentes générations, excepté la carte du combattant.

La loi n° 67-1114 du 21 décembre 1967 portant loi de finances pour 1968 , dans son article 77, fit un pas supplémentaire en créant le titre de reconnaissance de la Nation réservé spécifiquement aux anciens d'Afrique du Nord et leur permettant de bénéficier notamment de certains avantages sociaux (secours et prêts de l'Office national des anciens combattants, admission dans les écoles de rééducation professionnelle de l'Office).

La loi n° 71-106 du 29 décembre 1971 portant loi de finances pour 1972 permit à son tour aux anciens combattants d'Afrique du Nord titulaires du titre de reconnaissance de la Nation de se constituer une retraite mutualiste.

Cette reconnaissance progressive ne fut cependant complète qu'avec l'entrée en vigueur de la loi n° 74-1044 du 9 décembre 1974 donnant vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1 er janvier 1952 et le 2 juillet 1962.

Cette loi, en assimilant de facto les " opérations " à une véritable guerre, pose le principe d'une reconnaissance des services rendus, " dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs ". Elle ouvre ainsi le bénéfice de l'ensemble des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (dont l'attribution de la carte du combattant) aux anciens combattants d'Afrique du Nord, tout en considérant les membres des forces supplétives comme des militaires.

2. Une reconnaissance toujours imparfaite

Mais, si les anciens combattants d'Afrique du Nord bénéficient des mêmes droits que les combattants des conflits antérieurs, la reconnaissance est encore loin d'être totale. C'est en réalité par dérogation qu'ils ont obtenu la qualité d'ancien combattant, les " opérations effectuées en Afrique du Nord " étant assimilées à un conflit.

Un quart de siècle s'est donc écoulé sans que les sacrifices consentis par nos soldats dans ces conflits n'aient été pleinement reconnus. Cette situation est vécue à juste titre par les anciens combattants d'Afrique du Nord comme une dévalorisation des actions qu'ils ont accomplies par devoir au service de la Nation.

Si la nature particulière du conflit algérien, qui ne ressemblait pas aux guerres antérieures 2( * ) , a pu expliquer les réticences à le qualifier d'emblée de guerre, l'évolution des esprits, mais aussi les progrès des recherches historiques ont progressivement amené à considérer que les événements d'Afrique du Nord, compte tenu des méthodes de combat utilisées et des risques encourus par nos soldats, n'étaient pas de simples opérations de police, mais une véritable guerre.

Chacun s'accorde à reconnaître aujourd'hui que l'expression du langage courant " guerre d'Algérie " correspond à la réalité historique.

L'évolution du langage officiel est, elle, bien plus lente.

Depuis quelques années pourtant, plusieurs initiatives se sont succédé pour reconnaître ce qualificatif de guerre.

Ainsi, le 10 septembre 1996, à l'issue d'un entretien avec les associations représentatives des anciens combattants d'Afrique du Nord, le Président de la République avait indiqué qu'il convenait de " mettre le langage officiel en conformité avec le langage courant ".

A son tour, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants s'est prononcé, en septembre 1997, en faveur d'une reconnaissance officielle de la " guerre d'Algérie ".

Ce discours a d'ailleurs été suivi de quelques initiatives plus concrètes.

D'une part, s'agissant des titres de pension des anciens combattants d'Afrique du Nord, l'intitulé " guerre d'Algérie et opérations d'Afrique du Nord " est sensé remplacer désormais, pour les nouvelles concessions de pension, les anciens intitulés " opérations de maintien de l'ordre " ou " opérations d'Afrique du Nord " 3( * ) . De même, il était prévu que les titulaires de pensions en cours de validité soient autorisés à demander l'établissement de nouveaux titres portant cette nouvelle indication. Il semble toutefois que cette modification des intitulés ne soit hélas pas encore effective.

D'autre part, deux plaques, qui sont de véritables " lieux de mémoire " pour les anciens combattants d'Afrique du Nord, ont vu leur inscription modifiée. Ainsi, la plaque apposée à Notre-Dame-de-Lorette sur la tombe du soldat inconnu d'Algérie porte la mention : " ici repose le soldat inconnu Mort pour la France lors de la guerre d'Algérie ". De même, la plaque encastrée dans le sol de l'Arc de Triomphe porte désormais la mention : " aux Morts pour la France lors de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (1952-1962) ".

Mais, au-delà de ces initiatives, le changement de la qualification officielle des " opérations en Afrique du Nord " ne sera complet qu'avec une intervention législative.

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