C. EFFICACITÉ ET LIMITES D'UNE POLITIQUE DÉFENSIVE

1. Un encadrement plus rigoureux de la pratique religieuse

Au lendemain de leur indépendance, les Etats se sont réappropriés leur héritage religieux. Les chefs d'Etat (sauf au Tadjikistan et au Kirghizistan) ont d'ailleurs prêté serment sur le Coran. En outre, les républiques ont toutes adhéré à l'Organisation de la Conférence islamique. Parallèlement, des législations libérales ont été adoptées. Ce nouveau contexte a favorisé la construction, essentiellement sur fonds privés, de nombreuses mosquées, l'augmentation du nombre d'étudiants dans les écoles religieuses (les medersas) et des fidèles effectuant le pèlerinage à La Mecque.

Face au nouvel élan de la pratique religieuse et au développement de mouvements radicaux, les gouvernements ont cependant progressivement cherché à renforcer leur contrôle sur l'Islam. Ils se sont notamment appuyés sur l'institution d'un « comité des affaires religieuses » placé sous l'autorité du gouvernement et chargé de contrôler le clergé.

Cette évolution a été particulièrement marquée en Ouzbékistan, pays le plus touché par le développement des courants islamistes. Après 1993, le renforcement de la politique des visas a permis de limiter l'entrée de prédicateurs étrangers. Par ailleurs la législation sur la liberté religieuse a été durcie. Les nominations des mollahs des grandes mosquées -celles où est prononcé le prêche- sont placées sous le contrôle des autorités. Cette politique a porté ses fruits : l'Etat bénéficie du soutien de la hiérarchie religieuse ; en 1999, le mufti, la plus haute autorité religieuse du pays, a d'ailleurs condamné le mouvement islamique d'Ouzbékistan.

Par ailleurs, comme l'a souligné devant notre délégation, M. Minovarov, vice-président du Comité d'Etat pour les affaires religieuses, l'Ouzbékistan a dû revenir en 1998 sur la loi libérale adoptée au lendemain de l'indépendance. Un établissement religieux pouvait être créé à l'initiative de cinq personnes seulement, dont la demande devait être déposée au ministère de la justice. M. Minovarov a, du reste, reconnu les mérites de cette politique d'ouverture après une longue époque d'hostilité vis-à-vis de la religion : accès à la formation religieuse, traduction du coran pour la première fois en langue ouzbèke... Cependant, il a estimé aussi que ce cadre législatif avait été mis à profit par des missionnaires étrangers -pakistanais notamment- dont l'enseignement avait fait le lit des mouvements radicaux actuels. Il a insisté en particulier sur le risque d'une « fracture » entre une jeunesse encline à suivre les préceptes venus de l'extérieur et les anciens attachés aux principes traditionnels.

Aussi une nouvelle loi adoptée en 1998 a-t-elle relevé à 100 personnes le seuil nécessaire à la demande de création d'un établissement religieux. En outre, la formation religieuse doit désormais se faire sous la seule responsabilité des parents ou des écoles contrôlées par les mollahs désignés sous l'autorité de l'Etat. Parallèlement, les autorités ont mené une politique sans concession à l'égard des mouvements radicaux.

2. Les facteurs de risque pour l'avenir

Si l'audience des mouvements islamistes apparaît aujourd'hui contenue, il serait toutefois très imprudent d'en conclure à l'absence de risque lié au fait islamique. Plusieurs éléments doivent en effet retenir l'attention :

- le groupe armé du MIO n'a pas été anéanti ; depuis sa base afghane, il peut toujours mener des incursions en territoire ouzbek ;

- un autre parti est récemment apparu en Asie centrale, le parti de la Libération ; il se réclame d'un mouvement fondé en 1953 dont l'une des branches se trouve à Londres ; ce mouvement milite pour la restauration du califat -aboli par Atatürk en 1924- et prône un islam radical. Le vice-président du comité d'Etat pour les affaires religieuses nous a indiqué qu'il représentait aujourd'hui un sujet de préoccupation majeur : en effet, son audience s'accroît auprès des jeunes et son organisation très déconcentrée -des cellules sans lien direct les unes avec les autres, comprenant chacune une dizaine de personnes- la protège contre les opérations de démantèlement policières ;

- par ailleurs, les minorités ouzbèkes dans les zones frontalières des pays voisins de l'Ouzbékistan échappent à l'empire des autorités de Tachkent et pourraient constituer un relais à l'influence du MIO avec le risque d'une déstabilisation régionale ;

- le développement du trafic de drogue , moyen de financement des mouvements islamistes, constitue également une menace indirecte à l'échelle de la région ;

- l'absence de réforme politique d'envergure et la politique de répression peuvent radicaliser la frange de l'opinion publique hostile au pouvoir en place, même si les autorités ont récemment montré certains signes d'ouverture : aucune condamnation à mort n'a été prononcée à l'encontre des accusés présents lors du dernier procès d'islamistes tenu à l'automne dernier ; les délégués du CICR ont pu avoir accès aux prisons ouzbèkes...

- enfin la dégradation des conditions de vie depuis la dissolution de l'URSS, conjuguée à une démographie très dynamique, peut faire le lit des mouvement radicaux. En effet, la jeunesse menacée par le chômage, privée des fruits d'une croissance trop inégalement répartie, constitue le vivier potentiel de l'islamisme.

*

La véritable menace à laquelle les Etats d'Asie centrale se trouvent confrontés, réside sans doute, dans l'immédiat, dans l'extension de la pauvreté . Il apparaît donc indispensable de mieux discerner les perspectives de développement économique de l'Ouzbékistan et du Kazakhstan.

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