III. L'ÉCONOMIE : DES PERSPECTIVES ENCOURAGEANTES TEMPÉRÉES PAR LE RISQUE D'AGGRAVATION DES INÉGALITÉS

L'Ouzbékistan et le Kazakhstan devraient pouvoir surmonter les contraintes liées à l'enclavement et à l'héritage de la centralisation soviétique. Ils disposent en effet des bases nécessaires à leur développement économique ; les politiques économiques conduites selon des voies différentes dans les deux pays, ont commencé de porter leurs fruits même si le risque d'une aggravation des inégalités n'a pas été encore conjuré.

A. UN REDRESSEMENT ÉCONOMIQUE INCONTESTABLE

1. Un potentiel limité par l'enclavement des territoires

. Les atouts

Les deux pays présentent, à des titres différents, de réels atouts.

L' Ouzbékistan compte 24,6 millions d'habitants, soit le marché le plus vaste d'Asie centrale. Ce pays dispose aussi de ressources non négligeables :

- il se range au quatrième rang des producteurs de coton et au deuxième rang des exportateurs (l' « or blanc » lui procure encore près de 40 % de recettes en devises) ;

- il possède de riches terres agricoles grâce au loess de la vallée de Ferghana, des régions de Tachkent et de Samarcande et du sud du pays, et possède ainsi les bases nécessaires au développement du secteur agroalimentaire ;

- il compte enfin des ressources minières : l' or -dont il est le 7 e producteur, l'uranium -4 e exportateur- et une large gamme de minerais rares. Il est cependant moins doté en hydrocarbures que ses voisins (production de 8 milliards de tonnes par an), mais ses réserves de gaz (4 046 milliards de m 3 ) le classent au 9 e rang mondial.

Le Kazakhstan , de loin le pays le plus vaste de la région, détient plus de 20 % des terres arables de la CEI. Le sous-sol apparaît d'une grande richesse : 30 % des réserves mondiales d'uranium ; la présence de métaux rares tels que le rhénium utilisé pour les pièces de motorisation dans l'aéronautique... Surtout, il dispose de réserves pétrolières importantes sur les quelles le présent rapport reviendra.

. Les contraintes

Ces pays supportent également plusieurs contraintes. La première est liée à l' enclavement . Aucune des républiques d'Asie centrale n'a accès à une mer libre et leurs débouchés sont donc placés sous le contrôle des pays voisins.

Par ailleurs, si l'Asie centrale a bénéficié des importants travaux d'infrastructure entrepris à l'époque soviétique, elle souffre aussi des maux légués par une économie excessivement administrée et centralisée. Chaque pays s'est trouvé spécialisé dans un type d'activité particulier. Cette division du travail à l'échelle des républiques, s'est accompagnée d'une forte dépendance à l'égard de Moscou . Ainsi, à l'époque soviétique, le Kazakhstan était approvisionné en gaz et en pétrole par la Sibérie russe, tandis que les réserves du Kazakhstan, considérables à l'ouest du pays, fournissaient une partie de la Sibérie occidentale ; ce réseau de dépendances correspondait plus souvent à une logique politique qu'à la rationalité économique. La perpétuation de ce système reposait d'ailleurs sur un système de subventions très généreuses. Ainsi, les kolkhoziens des campagnes ouzbèkes pouvaient prendre l'avion à un prix dérisoire pour vendre les produits de leur exploitation sur le marché de Moscou.

La spécialisation des économies a, par ailleurs, conduit au recours de méthodes de productions intensives , souvent désastreuses pour l'environnement. En Ouzbékistan, la quasi-monoculture du coton a suscité l'emploi abusif d'engrais et une irrigation mal maîtrisée ; l'appauvrissement des sols qui en a résulté, explique aujourd'hui, malgré quelques bonnes récoltes, la baisse à moyen terme des rendements.

Enfin, les pratiques d'une économie administrée, la constitution d'une nomenklatura soucieuse d'assurer son contrôle sur les circuits économiques, sont autant de facteurs qui peuvent encore expliquer certaines des déconvenues présentes.

2. Des politiques économiques différenciées

Confrontés au choc de l'indépendance, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan se sont engagés dans un difficile processus de reconstruction de leur économie, le premier privilégiant l'ouverture sur l'extérieur et les réformes de structure, le second, une adaptation plus graduelle. Par des voies différentes, ils sont pa rvenus à redresser leur économie.

. Le Kazakhstan : un processus heurté de reconstruction économique

Le Kazakhstan, plus encore que son voisin, a subi de plein fouet l'éclatement de l'URSS. Il a dû faire face à l'impératif de reconversion du complexe militaro-industriel , dont il avait été doté. Les combinats manquaient tout à la fois de marchés solvables et de fournitures -qu'ils auraient du reste été incapables de payer à la Russie. Le PNB a ainsi chuté de moitié entre 1994 et 1996 par rapport aux meilleures années de l'époque soviétique.

Ce marasme a conduit les autorités d'Almaty à chercher à promouvoir une politique de réformes , avec l'aide du FMI (accord signé en 1995). Elles ont ainsi obtenu une stabilisation macroéconomique, compromise cependant par les conséquences des crises asiatiques et russes de 1998 (au lieu d'une croissance attendue de 3 % en 1998, le PIB s'est contracté de 2,5 %).

Toutefois, dès la fin de l'année 1999, le Kazakhstan a renoué avec la croissance (1,7 %). Ce redressement est lié à plusieurs facteurs : l'augmentation de la production agricole (plus de 29 % par rapport à 1998) et des revenus pétroliers en raison de la hausse des cours mondiaux ; la dévaluation du tengue (avril 1999) conjuguée à une politique budgétaire rigoureuse ; la réouverture des marchés asiatiques et russes.

La croissance s'est élevée à 9,5 % en 2000, soit le plus fort taux des pays de la CEI et pourrait conserver un rythme satisfaisant en 2001 -entre 3 et 5 %- selon les prévisions du début de cette année. Cette évolution n'a pas entraîné un dérapage du niveau des prix (l'inflation est passée de 18 % en 1999 à 9,8 % en 2000 ; elle ne dépasserait pas 6 % en 2001). Elle s'est accompagnée d'un assainissement des finances publiques : le budget 2000 s'est soldé par un excédent de 0,1 % du PIB selon les autorités kazakhes. Le budget pour 2001 prévoit un déficit de 2,2 % du PIB. Le pétrole et le gaz représentent plus de 25 % des recettes budgétaires . Selon le FMI, l'absence de transparence des revenus pétroliers -compte tenu de la confidentialité des accords de partage de la production signés avec les sociétés pétrolières étrangères- aurait favorisé une sous-estimation du potentiel de taxation des profits exceptionnels enregistrés par ce secteur.

Par ailleurs, les comptes extérieurs se sont redressés (après un déficit de 1 % du PIB en 1999, la balance des paiements a connu en 2000 un excédent représentant 7 % du PIB) : l'excédent commercial est passé de 344 millions de dollars en 1999 à 1,6 milliard de dollars en 2000 ; les flux des investissements étrangers se son élevés à 1,6 milliard de dollars en 1999 et 1,8 milliard de dollars en 2000, soit 40 % de la totalité des flux en direction de la CEI (2 eme rang derrière la Russie). L'attrait des investisseurs pour le Kazakhstan est lié aux perspectives ouvertes par l'offshore caspien. En outre, depuis 1997, le cadre législatif des investissements a été amélioré.

Les réserves en devises (2,3 milliards de dollars en février 2000) représentent trois mois d'importations. Par ailleurs, la monnaie nationale reste stable.

Le Kazakhstan a pu faire face sans difficulté à son endettement, d'ailleurs modéré (11,8 milliards de dollars pour la dette extérieure totale, mais 3,9 milliards de dollars, soit 25 % du PIB, pour la part qui revient à la dette publique ou garantie par le gouvernement).

Les réformes se poursuivent : modernisation du secteur bancaire (mise en place d'un fonds de garantie des dépôts qui devrait être étendu dans un délai de trois ans à l'ensemble des banques), entrée en vigueur de la loi sur le secret bancaire... -ces différentes évolutions ont contribué à redonner confiance dans le secteur bancaire et entraîné une augmentation des dépôts ; poursuite du processus de privatisations (la part du secteur privé représente aujourd'hui plus de la moitié du PIB).

La confiance des opérateurs a naturellement été encore renforcée par la découverte du gisement de Kashagan en 2000, ainsi que l'achèvement de l'oléoduc reliant le gisement de Tenguiz à Novorossisk sur la mer Noire en 2001.

Dans ce contexte très favorable, le Kazakhstan a effectué un retour réussi sur les marchés financiers internationaux. Il a été le premier pays de la CEI à procéder dès avant avril 2000 à une émission d'euro-obligations souveraines pour un montant de 350 millions de dollars. En mai 2000, le Kazakhstan remboursait la totalité de sa dette au FMI, soit 390 millions de dollars. Cette initiative ne lui permettait pas seulement d'économiser 70 millions de dollars, elle marquait aussi sa capacité à s'affranchir d'une dépendance trop étroite vis-à-vis des institutions financières internationales.

. L'Ouzbékistan : le choix de la stabilité

Pays essentiellement agricole et faiblement industrialisé lors de son indépendance, l'Ouzbékistan a connu une reconversion moins difficile que ses voisins et retrouvé à la fin de la décennie un revenu national proche de celui de 1991.

Dès l'indépendance, le Président Karimov a privilégié une stratégie de réforme graduelle afin d'atteindre l'autosuffisance et de valoriser les ressources naturelles (or, coton). Le Premier ministre, M. Soultanov, est d'ailleurs revenu devant notre délégation sur le principe du « gradualisme » dont le but, a-t-il souligné, était d'assurer en premier lieu la stabilité politique et sociale du pays. S'il a d'abord bénéficié du soutien du FMI, l'absence de réformes -dans le secteur financier, le système de production et le commerce extérieur- a conduit en novembre 1996 le FMI à suspendre les déboursements de l'accord stand by.

Le pays n'en a pas moins maintenu le cap qu'il s'était fixé. La croissance a dépassé 4 % sur la période 1998-1999, avant que le contrecoup d'un grave sécheresse sur la récolte de coton, n'entraîne un ralentissement de l'activité en 2000.

La politique conduite par les autorités peut se prévaloir de plusieurs résultats positifs :

- L'indépendance énergétique a été atteinte en 1997, notamment grâce à la mise en service de la raffinerie de Boukhara, construite par le groupe français Technip, et à l'achèvement à la fin 2000 d'un complexe gazier et chimique à Schurtan -sur la base d'un contrat signé en février 2000 par un consortium réunissant le groupe suédo-suisse ABB et trois compagnies japonaises ; l'autosuffisance alimentaire -autre objectif majeur poursuivi par le gouvernement ouzbek- rencontre encore des obstacles liés aux aléas climatiques et à l'épuisement des terres. Les surfaces consacrées à la culture des céréales représentent 44 % des terres arables.

- Le maintien des grands équilibres financiers ; le déficit public reste limité à 3 % du PIB ; la balance commerciale enregistre un excédent en raison d'une régulation stricte des importations ; compte tenu du potentiel touristique de la « route de la soie », les exportations de services pourraient s'accroître à terme ; les réserves de change (1 milliard de dollars) représentent 5 mois d'importations ; la dette extérieure garantie s'élève à 4,6 milliards de dollars, soit 60 % du PIB. Depuis l'indépendance, l'Ouzbékistan a toujours honoré ses engagements vis-à-vis de tous ses créanciers.

- La diversification des partenaires commerciaux ; la CEI ne représente plus que 37 % des exportations ouzbèkes (contre 50 % en 1995) et 28,5 % de ses importations (contre 35 % en 1995). La Corée du sud se place au premier rang des fournisseurs hors CEI (grâce notamment à l'implantation d'une usine de construction automobile Daewoo) et représente 17,6 % des parts du marché ouzbek (14,5 % pour l'Allemagne, 10,3 % pour les Etats-Unis). Toutefois, l'Ouzbékistan détient l'un des stocks d'investissements directs étrangers les plus faibles parmi les pays de la CEI (630 millions de dollars) en raison d'un cadre législatif encore insuffisant et, surtout, des règles limitatives d'accès aux devises.

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