INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La mission commune d'information constituée par le Sénat pour étudier l'ensemble des questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises, a commencé ses travaux à la fin du mois de septembre 2000.

Depuis lors, elle a procédé à l'audition de plus de 80 personnalités qui, par leur expérience, leurs responsabilités ou leur expertise, pouvaient l'éclairer sur l'ampleur et la signification des phénomènes d'expatriation et de mobilité internationale dans toutes leurs dimensions.

Dans ce cadre, elle a notamment entendu des économistes, des dirigeants d'établissements financiers, des conseils juridiques, fiscaux ou patrimoniaux, des chefs d'entreprise, des directeurs de ressources humaines, des syndicalistes, des universitaires, des scientifiques et des directeurs de grandes écoles, des représentants d'anciens élèves de ces grandes écoles, des présidents d'associations de Français de l'étranger, des représentants de nos entreprises à l'étranger, des diplomates, des hauts fonctionnaires, plusieurs anciens ministres et, bien entendu, les principaux membres du gouvernement concernés par les enjeux de l'expatriation. Elle a aussi organisé, avec des joueurs et des représentants de clubs, une table ronde sur l'expatriation des joueurs de football français.

Grâce au concours du ministère des affaires étrangères, et en réponse à un questionnaire qu'elle a diffusé dans plusieurs pays par son intermédiaire, elle a obtenu de nos postes diplomatiques et consulaires de multiples informations sur la présence française à l'étranger et les principales caractéristiques de son évolution.

Elle a également organisé plusieurs déplacements, et en premier lieu dans les deux pays accueillant les plus importantes communautés françaises à l'étranger, les États-Unis et la Grande-Bretagne. A Washington, Boston, New York, Chicago et Londres, elle a ainsi pu rencontrer de nombreux Français impliqués dans les secteurs de la recherche, des nouvelles technologies, et de la finance. En Belgique, elle s'est intéressée au phénomène de délocalisation des patrimoines.

Elle a rencontré à Bruxelles les responsables de la Commission européenne, chargés d'une part de la fiscalité et notamment de son harmonisation, et d'autre part de la recherche et de l'innovation.

Enfin, elle a également souhaité mesurer en France même, à Sophia-Antipolis et Toulouse, l'impact que peut exercer sur nos ingénieurs, chercheurs ou scientifiques, l'attraction américaine et la façon dont la France peut y répondre en faisant valoir ses réels atouts.

Pour mieux cerner la signification de l'expatriation, elle a fait réaliser une enquête auprès des diplômés d'une grande école, en l'occurrence HEC, installés à l'étranger, et elle a organisé sur le site internet du Sénat un forum auquel plus de 400 expatriés ont participé. Ceux-ci ont répondu aux questions que leur posait la mission et ont débattu, durant deux mois, sur le thème de l'expatriation, faisant part de leurs motivations et de leurs perspectives de retour, tout en portant un regard très instructif sur les forces et les faiblesses de la France, vues de l'étranger.

Le rapport d'information établi par la mission est le fruit de cet ensemble extrêmement riche de témoignages et de contributions.

Il vise tout d'abord à rappeler le contexte dans lequel évolue désormais notre pays, caractérisé à la fois par une plus grande liberté de circulation des hommes, des capitaux et des entreprises et par une concurrence accrue des territoires, dont les États doivent désormais assurer la promotion.

Il s'efforce ensuite de mesurer les phénomènes d'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises, à partir de sources statistiques parfois lacunaires. Au vu des éléments quantitatifs et qualitatifs recueillis, et tout en soulignant l'apport positif de l'ouverture croissante à l'international, il constate que, pour une part d'entre eux, ces flux de départs peuvent traduire un manque d'attractivité ou de compétitivité de notre pays.

Dans une troisième partie, le rapport recense ces handicaps qui réduisent la portée de nos réels atouts et tiennent parfois à des facteurs culturels, comme notre propension aux excès de réglementation et d'administration ou l'insuffisante reconnaissance de l'excellence, mais aussi à un cadre fiscal et social peu compétitif.

Enfin, le rapport présente un ensemble de propositions dans le cadre d'une stratégie offensive visant à mieux tirer parti de l'internationalisation, c'est à dire à mieux valoriser tous les bénéfices de l'aptitude croissante des Français et de nos entreprises à la mobilité, tout en sachant rester attractifs vis à vis de ceux, étrangers ou Français, qui pourraient mettre leur talent au service de la collectivité nationale.

I. LE MONDE EST OUVERT, LES ÉTATS SONT EN COMPÉTITION

L'accélération des échanges, le développement des investissements internationaux, la mobilité croissante des hommes, le développement des nouvelles technologies de l'information sont des éléments de contexte essentiels pour toute réflexion sur l'expatriation.

Les effets de la mondialisation sont perceptibles dans la vie quotidienne d'un nombre toujours plus grand d'agents, entreprises de toutes tailles mais aussi, étudiants ou cadres, pour lesquels l'horizon de choix est désormais mondial ; ils affectent aussi les États, qui sont désormais en concurrence souvent frontale à travers leurs entreprises.

A. UN MARCHÉ MONDIAL SANS FRONTIÈRES : LES CAPITAUX, L'INFORMATION ET LES HOMMES CIRCULENT LIBREMENT

La mission n'a pas souhaité rentrer dans un débat opposant les « pro » et les « anti » mondialisation, dans la mesure où elle a estimé qu'il n'y avait pas lieu à débattre : la mondialisation est un fait.

Elle s'est, en revanche, attachée à comprendre les modalités concrètes d'un phénomène qui se traduit, d'abord, par une unification des marchés des biens, des capitaux et, dans une moindre mesure, du travail et par une mobilité croissante des facteurs de production.

1. Le monde espace de compétition

L'internationalisation des échanges de produits et de services et la mobilité des facteurs de production se sont considérablement accélérées ces dernières décennies.

Depuis la fin des années cinquante jusqu'à aujourd'hui, les droits de douanes des pays industrialisés sont passés en moyenne de 40 % à 4%. Dans le même temps, les échanges mondiaux ont été multipliés par dix-sept, la production mondiale par quatre, le revenu mondial par habitant par deux. Le commerce international s'est ainsi progressivement affirmé comme le moteur majeur de la croissance mondiale.

UNE ACCÉLÉRATION DU COMMERCE MONDIAL DE MARCHANDISES

(exportations mondiales en milliards de dollars)

Source : Rapport annuel de l'OMC

Cette accélération du commerce mondial s'est naturellement accompagnée d'une plus grande ouverture des marchés nationaux. Mesuré par le ratio entre le commerce extérieur et le PIB, le degré d'ouverture des pays développés est passé de 16,6 % à 24,1 % entre 1985 et 1997 et de 22,8 à 38 % dans les pays en développement sur la même période.

Le commerce des biens est le premier concerné par la mondialisation des échanges, mais le poids des services s'accroît rapidement. Le commerce des services a augmenté près de deux fois plus vite dans les pays industrialisés que le commerce des marchandises entre 1980 et 1995 ; il représente aujourd'hui le quart du commerce mondial.

Cette intensification des relations commerciales s'explique par de nombreux facteurs connus, dont la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires aux échanges, la réduction drastique des coûts des transports et le développement des outils de communication, comme l'illustre le tableau suivant.

UNE DIMINUTION DRASTIQUE DU COÛT DES TRANSPORTS ET
DES COMMUNICATIONS
(en dollars de 1990)

Année

Transport maritime (coût moyen du fret maritime et des droits de port, par tonne)

Transport aérien (recette moyenne par passager/mile)

Communications téléphoniques (3 minutes entre New York et Londres)

Ordinateurs (indice 100 = 1990)

1920

95

-

-

-

1930

60

0,68

245

-

1940

63

0,46

189

-

1950

34

0,30

53

-

1960

27

0,24

46

12 500

1970

27

0,16

32

1 947

1980

24

0,10

5

362

1990

29

0,11

3

100

Sources : PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1999.

De l'automobile à l'agroalimentaire, de l'aéronautique aux télécommunications, des transports aériens au tourisme, toute grande entreprise se trouve, dans ce nouveau contexte, contrainte de raisonner à partir d'une demande et d'une offre mondiales. La distinction que l'on opérait hier entre secteurs d'activités abrités et secteurs exposés à la contrainte internationale a de moins en moins de sens. Aucune entreprise d'envergure nationale n'est plus, aujourd'hui, à l'abri de la concurrence internationale. Pour la plupart de ces entreprises, le maintien de leur position sur leur marché domestique passe par une internationalisation de leur activité afin de trouver de nouveaux débouchés et d'atteindre la taille critique nécessaire pour affronter une concurrence désormais mondiale.

Cette nécessaire ouverture vers le monde ne s'impose pas seulement aux grandes entreprises. La mise en oeuvre de stratégies commerciales à l'échelle de la planète est, certes, encore l'apanage des grands groupes industriels. Mais, comme l'ont constaté nombre des entrepreneurs auditionnés par la mission, un des phénomènes marquants de la dernière décennie est la nécessité pour les PME de développer d'emblée une stratégie internationale.

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