2. Des relations peu satisfaisantes avec l'Administration

Face à la multiplicité des formalités à accomplir et à la complexité de la législation française, le contribuable est amené à se tourner vers l'administration pour être conseillé et guidé. Or, souvent, il se heurte à l'absence d'un interlocuteur unique pour répondre à ses questions. En outre, aux dires de la plupart des interlocuteurs de la mission, l'administration fiscale ne remplirait guère cette fonction de conseil.

a) La multiplicité des intervenants

De multiples organismes sont concernés par la création d'une entreprise : les services fiscaux, les organismes de sécurité sociale, les organismes de retraite, l'inspection du travail, l'INSEE, le greffe du tribunal de commerce et/ou le répertoire des métiers. La loi a prévu que le centre de formalités des entreprises réceptionne gratuitement l'ensemble des pièces du dossier de création, puis les transmet aux différents organismes concernés.

Toutefois, comme le souligne M. Jean-Marie Bockel député 27 ( * ) ,  « malgré ces avancées, les créateurs ne comprennent pas toujours le sens de certaines formalités qui demeurent encore complexes et peu lisibles : sur le plan fiscal (choix du régime), sur le plan social (statut du gérant : salarié ou non salarié), sur le plan juridique (personnalité morale de l'entreprise).

Ils ressentent un certain isolement et ne savent pas à qui s'adresser pour obtenir une information, une aide au montage de leur dossier. Cela leur occasionne inquiétudes, interrogations et leur fait perdre un temps qui pourrait être mieux utilisé dans l'intérêt de leur projet. ».

b) Une administration fiscale peu ouverte aux attentes des citoyens

Il ressort des entretiens réalisés par la mission que l'administration fiscale a très mauvaise presse auprès de nos concitoyens. Beaucoup ont critiqué sa vision trop unilatérale de ses fonctions : elle se contenterait de sanctionner les contribuables lorsqu'ils ont une interprétation différente de la sienne sur telle ou telle disposition légale, surtout lorsqu'elles sont favorables à ce dernier, mais elle ne jouerait jamais le rôle de conseil. Or, il apparaît légitime que le contribuable, tout en acceptant de payer l'impôt qu'il doit, souhaite profiter de toutes les règles légales pour ajuster au mieux sa contribution financière.

Nombre des intervenants ont souligné la différence de mentalité avec l'administration fiscale anglaise, qui aiderait le contribuable à bénéficier de toutes les solutions légales pour payer un montant le moins élevé possible. De plus, en cas de contrôle fiscal, l'administration anglaise ne donnerait pas l'impression de « s'acharner » sur les contribuables et développerait avec lui des relations beaucoup plus sereines.

Certains de nos interlocuteurs nous ont fait remarquer qu'une des principales raisons du non retour en France d'une partie de nos concitoyens, serait la crainte d'avoir à supporter un contrôle fiscal. En effet, selon eux, même s'ils faisaient toutes les déclarations nécessaires pour être en règle à leur retour de France, ils n'échapperaient pas à un contrôle fiscal.

Ces critiques résultent de témoignages que la mission n'a pas pu vérifier.

A cet égard, le Conseil des impôts 28 ( * ) rappelle qu'en Grande-Bretagne, il existe une charte de qualité, la « Taxpayer's charter », qui traduit les attentes légitimes du contribuables vis-à-vis de l'administration.

La charte du contribuable britannique

Vous êtes en droit d'attendre de l'Inland Revenue (1)

Un traitement équitable

Par un règlement impartial de vos affaires fiscales

Par une détermination de votre impôt strictement respectueuse de la loi

Par l'égalité de traitement

Une aide

Pour régler vos affaires fiscales

Pour comprendre clairement vos droits et obligations

Par la fourniture de formulaires et de documentations simples

Par la fourniture d'informations dans nos services

En étant en permanence courtois et poli

Un service efficace et efficient

En réglant vos affaires fiscales rapidement et exactement

En préservant strictement le secret de vos affaires

En utilisant l'information qui vous concerne dans le strict cadre de la loi

En minimisant les coûts induits pour vous par le respect de la loi

En maîtrisant nos coûts

Une action responsable de notre part

Par la définition de standards de performance et la publication de nos résultats réels

Au regard de ces standards

En cas d'insatisfaction

Nous vous dirons exactement comment vous plaindre

Vous pouvez demander un nouvel examen de votre dossier

Vous pouvez faire appel à un tribunal indépendant

Votre député peut transmettre votre plainte au médiateur (ombudsman)

En retour, nous attendons de vous

D'être honnête

De nous donner une information exacte

De payer vos impôts dans les délais impartis

Source : IGF, Mission d'analyse comparative des administrations fiscales

(1) Inland Revenue : Agence britannique en charge de l'impôt direct

Avec cet exemple nous sommes plongés concrètement au coeur de la question de la réforme de l'État, dont l'épisode de la réforme manquée de la collecte de l'impôt, manifeste l'incapacité de « Notre État » à se réformer par suite d'un certain conservatisme très français.

L'analyse comparative des administrations fiscales confiée en 1997 à l'inspection des finances - sur laquelle se fondait le projet de fusion des directions des impôts et de la comptabilité publique - avait nettement mis en évidence un certain retard français.

Certains pays ont réussi à organiser la collecte de l'impôt de façon plus efficace et pour un coût moindre, en mettant au premier rang de leurs préoccupations le service aux usagers. Ils ont considéré qu'au lieu de se draper dans la dignité de leurs prérogatives régaliennes, il leur fallait se comporter en prestataire de services face à des clients avec pour objectif de simplifier au maximum la vie des contribuables honnêtes pour être en mesure, au contraire, de la compliquer aux fraudeurs.

M. Thierry Bert, chef du service de l'inspection des finances, décrit ainsi dans le livre « Notre État » le changement d'attitude opéré dans certains pays : « Ce principe reprend une vieille et grande idée démocratique, celle du consentement à l'impôt ; il s'agit là, pour l'État, et donc pour ses fonctionnaires, d'accepter comme une réalité incontournable que la règle de droit ne peut être efficacement appliquée que si la majorité de la population s'y conforme d'elle-même, faute de quoi il devient impossible d'en effectuer un contrôle effectif, et d'aller plus loin en considérant que l'une des missions fondamentales de l'Administration est précisément d'aider le citoyen à respecter ses obligations légales. Dans cette optique, le respect spontané des obligations légales devient l'un des indicateurs de l'efficacité du système, et le « service aux usagers » n'est dès lors plus une idée angélique, un peu sotte, faisant l'impasse sur l'impopularité de l'impôt, et présupposant une conception romantique de la bonté originelle de l'homme, mais devient l'un des principaux moyens de faciliter la collecte des ressources publiques et d'en garantir le rendement au sein d'un État démocratique . »

D'autres pays ont su, en partant souvent de plus loin, réformer leur administration fiscale et, plus généralement, leur État. Si la France ne trouve pas en elle-même la volonté de surmonter certains réflexes conservateurs, on peut craindre qu'elle ne s'engage sur la voie du déclin.

* 27 Jean-Marie Bockel : rapport sur la simplification de la création d'entreprise, de la vie des créateurs et de la gestion de leurs entreprises, 2001, page 17

* 28 Conseil des impôts : dix-huitième rapport au président de la République ; 2000 ;l'imposition des revenus, pages 158

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