2. Une objectivité apparente qui masque une certaine inadéquation aux réalités économiques

• Derrière une objectivité apparente des critères contribuant à la définition légale de la notion de cessation des paiements se dissimule une réalité jurisprudentielle qui en a atténué le caractère mécanique , l'aspect « couperet », pour éviter que dans certaines situations elle n'aboutisse à précipiter la chute de l'entreprise considérée plutôt que de favoriser son redressement. Par ailleurs, l'unicité de la définition est battue en brèche par les divergences d'interprétation entre la chambre commerciale et la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Faisant preuve de pragmatisme et avec le souci d'éviter les incohérences économiques les plus évidentes, la jurisprudence commerciale a introduit quelques assouplissements dans la définition de la cessation des paiements. Elle a tout d'abord intégré le fait que la définition repose sur des notions d'analyse financière devenues désuètes, en particulier celle du ratio de liquidité immédiate : toute gestion financière efficace ayant pour objectif l'élimination d'actifs financiers pas ou peu rémunérés se traduit par une minimisation des actifs immédiatement disponibles ; au ratio de liquidité immédiate doit donc être substitué un ratio de liquidité élargi permettant d'intégrer les ressources disponibles et réalisables de l'entreprise. Dans une décision du 17 juin 1997, la Cour de cassation a par ailleurs consacré la théorie de la « réserve de crédit », dont il convient de tenir compte pour évaluer l'actif disponible. Enfin, l'impossibilité pour le débiteur de faire face à ses engagements n'est pas considérée comme exclusive de l'obtention de délais de paiement ou d'un moratoire de ses créanciers.

L'unicité de définition de la cessation des paiements est également affaiblie par la jurisprudence de la chambre criminelle qui retient généralement une date distincte de celle fixée par le jugement de redressement judiciaire : ainsi, les éléments caractérisant la cessation des paiements diffèrent selon qu'il s'agit de l'ouverture de la procédure ou du prononcé de sanctions personnelles à l'encontre des dirigeants (Cass. Crim., 26 septembre 1996).

• La définition légale, par sa rigidité, risque par ailleurs de compromettre le bon déroulement des procédures préventives , mandat ad hoc ou règlement amiable.

En effet, dès que la présence d'un passif exigible insusceptible d'être couvert par l'actif disponible est constaté, les procédures préventives en cours doivent être interrompues, le mandataire ou le conciliateur devant en pareil cas recommander aux dirigeants de procéder sans délai à la déclaration de cessation des paiements. Il n'est pas rare que ces procédures, d'une durée généralement de trois mois mais souvent prolongées par le président du tribunal pour permettre d'aboutir à la signature d'un protocole ou d'un moratoire, achoppent sur ce constat. Inversement, nombre d'entreprises dont la situation répond à la définition de la cessation des paiements continuent à bénéficier du cadre de la prévention : l'inadéquation entre les perspectives de redressement, renforcées par la confidentialité attachée aux procédures préventives, et l'application stricte des critères légaux conduit ainsi souvent, en dépit des sanctions résultant d'un dépôt de bilan tardif, à ignorer ces derniers. La faculté ouverte au conciliateur par la loi du 1 er mars 1984 de solliciter du président du tribunal la suspension des poursuites à l'encontre des créanciers souligne d'ailleurs l'incohérence de la situation : une telle demande ne correspond-elle pas à une reconnaissance implicite de l'impossibilité pour l'entreprise de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ?

On constate donc que le caractère unitaire et objectif de la définition de la cessation des paiements reste largement fictif, la diversité des situations économiques s'accommodant difficilement d'une approche strictement normalisée et rigide.

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