B. UNE RÉFORME QUI DOIT RÉPONDRE AUX ATTENTES AMBIVALENTES ET AUX ÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

1. Une opinion divisée, des comportements variés

a) L'analyse de l'opinion et des comportements dans les années 1970

Au plan législatif, notait, il y a presque trente ans, le Doyen Carbonnier, la leçon la plus globale qu'on puisse tirer des recherches et enquêtes sociologiques est « une mise en garde contre toute solution absolue et monolithique. Il y a des sensibilités diverses au divorce (...) ». « L'opinion publique, de son côté, est divisée face aux idées de réforme. On discerne un bloc jeune (effet d'âge ou de génération) disposé à aller très loin ; un bloc défiant à l'égard de toute innovation ; et, entre les deux, un centrisme -si l'on ose dire » attaché par principe au caractère exceptionnel du divorce mais indulgent en présence de certaines situations concrètes.

b) Une diversité aujourd'hui accrue

Aucune enquête sociologique d'envergure n'a été conduite depuis. Des travaux individuels récents tentent de discerner, à travers une complexité accrue, des catégories représentatives : les abandonnés , qui subissent leur situation (mères célibataires ou pères divorcés) ; les indépendants , qui choisissent ou assument leur situation (mères célibataires ou divorcées « volontaires ») ; les cas conflictuels , dans lesquels la séparation ou le choix du parent « gardien » a donné lieu à un conflit important ; enfin les conciliateurs , pour lesquels la séparation ou le choix du parent gardien a fait l'objet d'un consensus. C'est dans cette dernière catégorie que l'on trouve les cas de « garde alternée ». Elle correspond aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées en même temps qu'à une organisation atypique de la vie commune : les pères y assumaient des responsabilités domestiques et les mères une activité professionnelle à part entière. Le modèle type du parent abandonné correspond, en revanche, aux situations sociales défavorisées où la répartition traditionnelle des rôles familiaux n'est pas contestée ou ne l'est que par la femme.

A partir de ces travaux, on constate que l'évolution de l'organisation familiale n'a pas remis sérieusement en cause les modes de partage des rôles dans la famille : les mères sont encore regardées comme plus aptes à assumer la garde des enfants.

2. Des attentes aujourd'hui ambivalentes : la simplification et la demande de droit

L'analyse du Doyen Carbonnier semble ainsi conserver une part d'exactitude, mais la France a changé au cours de ces trente dernières années et manifeste une plus grande aspiration à la simplification des procédures. En même temps, les progrès de l'égalité entre les femmes et les hommes offrent un terrain plus solide à la mise en place d'un divorce mieux négocié entre époux.

A l'heure du développement du formulaire en ligne et de la certification électronique, les lourdeurs et les lenteurs institutionnelles sont naturellement remises en question. On peut trouver, par exemple, chez nos voisins britanniques, où le coût de la procédure est plus élevé qu'en France, des sites d'avocats en ligne qui proposent, pour un montant forfaitaire, non pas un « e-divorce », mais un assortiment complet de documents à remplir.

Dans ces conditions, refuser toute évolution risquerait sans doute d'accroître le sentiment de retard des institutions par rapport aux attentes de nos concitoyens. De manière symptomatique, tel centre de renseignements administratifs reçoit, depuis l'annonce par les médias de la présente réforme, de nombreux appels sur la possibilité de divorcer devant le maire -une réforme qui, encore une fois, a été envisagée puis abandonnée en 1997.

En même temps, la demande de justice et de droit reste très forte, tout particulièrement, comme a pu le constater votre délégation, de la part des femmes qui sont les principales victimes de diverses formes de violence et de domination conjugales.

Un sondage IPSOS 2001 diffusé par le ministère de la Justice résume la dualité des aspirations : en effet, indique-t-il, si 86 % des Français sont favorables à la simplification de la procédure de divorce, 67 % d'entre eux estiment simultanément que le juge permet de garantir et de protéger l'intérêt des enfants et des époux.

3. l'incidence des conditions économiques : l'exemple de l'instabilité professionnelle

a) le chômage et l'instabilité conjugale

Un rapport de juillet 1999 du Haut Conseil de la Population et de la Famille analyse, à travers de multiples travaux de chercheurs, les relations entre la famille et le chômage :

- il observe que la privation d'emploi est susceptible de marquer toutes les phases du cycle de vie familiale. En particulier, « l'instabilité professionnelle et le chômage ont un impact fort sur la rupture ». Un tel constat, est-il précisé, rejoint ceux de travaux étrangers : « dans une recherche anglaise, il est établi que le chômage augmente directement le risque de rupture du mariage : un chômeur a 2,3 fois plus de risques de divorcer dans l'année suivant son inscription au chômage qu'une personne n'ayant jamais connu le chômage. Dans une étude américaine, il est avancé que les couples de chômeurs ont 3,5 fois plus de risques de connaître une séparation ou un divorce que les couples sans chômeur » ;

- et préconise une simplification ainsi qu'une globalisation de l'aide sociale et un suivi médical adapté, en faveur, notamment, des familles monoparentales, particulièrement menacées par la précarité.

b) La comparaison femmes/hommes

Les rédacteurs du rapport ont tenté de quantifier ces phénomènes.

Quel que soit le sexe, la stabilité des unions augmente avec celle de l'emploi. Inversement, les chômeurs de plus de deux ans ont un taux de rupture conjugale presque deux fois plus élevé que les titulaires d'un emploi stable.

On constate qu'en moyenne, l'indice d'instabilité conjugale est plus fort chez les femmes que chez les hommes. On observe cependant que l'instabilité conjugale des hommes double lorsque leur statut professionnel se précarise, tandis que les femmes manifestent une aptitude à une plus grande stabilité conjugale à travers les vicissitudes de leurs parcours sur le marché de l'emploi.

Indice d'instabilité conjugale selon la situation par rapport à l'emploi

Hommes

Femmes

Ensemble

Effectif

Emploi stable non menacé

18.9

26.4

22.4

3.361

Emploi stable menacé

18.2

24

20.5

1.860

Emploi instable

32.9

29.6

31.2

375

Chômage moins de deux ans

38.7

30.9

34.7

354

Chômage plus de deux ans

43.5

36.5

38.7

300

Ensemble

21.1

27

23.8

6.250

Indice d'instabilité conjugale = nombre de personnes ayant connu une rupture conjugale (veuvage exclu)/nombre de personnes vivant ou ayant vécu en couple * 100

Source : Enquête INSEE « situations défavorisées 86-87 » - Champ : Ensemble des actifs de 18 à 64 ans

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page