B. LE TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LES RECOMMANDATIONS DE VOTRE DÉLÉGATION

1. Les motifs affichés et l'esprit de la réforme : le droit à un divorce responsable

La proposition de loi soumise à notre examen se fonde sur un double objectif :

- la dédramatisation, par l'apaisement de procédures trop axées sur une recherche de la faute qui confine trop souvent à l'absurde au terme d'un processus « d'ascension aux extrêmes » ;

- et la gestion de l'avenir, avec l'amélioration de « l'organisation sereine de l'avenir de chacun des conjoints et surtout des enfants ».

Votre rapporteur note que ces deux objectifs reposent au fond sur le postulat de l'égalité entre les femmes et les hommes. Tout le reste découle de ce principe : les époux, même s'ils ne s'accordent pas, au départ, sur le caractère irrémédiable de leur rupture doivent néanmoins s'efforcer d'en négocier les modalités sur un pied d'égalité et non plus se lancer dans la recherche parfois effrénée d'un coupable ou d'un « péché », pour s'en remettre, ensuite, à l'institution judiciaire afin de statuer sur les conséquences de la rupture.

Au-delà de la dédramatisation, l'esprit du texte, comme l'a d'ailleurs souligné la Garde des Sceaux au cours du débat à l'Assemblée nationale est ainsi d'instituer un véritable droit au divorce pour que chacun des époux ne puisse pas être juridiquement emprisonné dans un mariage auquel il veut se soustraire.

2. L'architecture générale de la réforme

a) La simplification du divorce par consentement mutuel

La réforme proposée maintient le divorce par consentement mutuel en simplifiant tout d'abord son appellation, par l'abandon de la dénomination « sur requête conjointe ».

Le texte prévoit surtout l'allégement de la procédure par la suppression du principe de la double comparution, le motif invoqué étant son inutile lourdeur. En effet, l'obligation actuelle de réitération de la demande de divorce après un délai de réflexion de trois mois, avec une représentation obligatoire par un avocat, n'aboutit presque jamais au but recherché par la loi du 11 juillet 1975 -c'est-à-dire la réconciliation- mais alourdit assurément le coût et le délai de la procédure.

Enfin le texte soumis au Sénat prévoit, en cas de refus d'homologation de la convention par le juge, que celui-ci peut proposer aux époux une médiation afin de négocier, dans les six mois, un nouvel accord qui préserve suffisamment « les intérêts des enfants ou de l'un des époux ».

b) Le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal
(1) La rupture irrémédiable du lien conjugal se substitue à la faute, à la demande acceptée et à la rupture de vie commune

La proposition de loi abroge les dispositions relatives au divorce pour faute, sur demande acceptée et au divorce pour rupture de vie commune.

Le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal se substitue à ces trois formes de divorce.

Sans revenir sur les inconvénients du divorce pour faute, on peut noter que les deux autres formes de divorce qui sont abrogées occupent une place statistiquement modeste dans les procédures -quoiqu'on observe des variations selon la carte judiciaire.

Contrairement à l'intention des promoteurs de la loi du 11 juillet 1975, le divorce sur demande acceptée, qui s'éclaire, selon la doctrine, par la notion de « double aveu » ne représentait en 1999 que 14,1 % des divorces prononcés. L'explication de ce succès mitigé réside dans les possibilités de blocage de la procédure par l'époux qui n'est pas demandeur du divorce.

Le rapport de la commission des Lois de l'Assemblée nationale souligne que le nouveau divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal « offre aux époux les mêmes avantages que le divorce sur demande acceptée en leur évitant de s'imputer des torts mais sans les contraindre à se mettre nécessairement d'accord sur les conséquences du divorce, ou au moins, en leur laissant le temps de la procédure pour y arriver ».

Qualifié de « répudiation » par ses adversaires, le divorce pour rupture de la vie commune est le moins fréquent dans la pratique (moins de 2 %).

Ses conditions de mise en oeuvre sont, en effet, très restrictives : six années de séparation de fait ou d'altération des facultés mentales du conjoint, et des modalités extrêmement sévères pour le demandeur qui supporte toutes les charges du divorce.

Dans la nouvelle configuration du divorce, une séparation de fait de plusieurs années se ramène à un constat de rupture irrémédiable du lien conjugal.

Il convient de noter que l'article 266 du Code civil prévu par l'article 11 de la proposition, prévoit en faveur de l'époux qui n'a pas pris l'initiative du divorce, la possibilité de former une demande de dommages-intérêts « lorsque la dissolution du mariage a pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ».

(2) Les garanties offertes à l'époux défendeur et la médiation

Ce nouveau cas de divorce obéit dans le dispositif proposé à une procédure en deux phases.

(a) La phase préalable à l'assignation

Dans la procédure préalable à l'assignation, inspirée du dispositif applicable au divorce par consentement mutuel, « le juge entend les parties » sur le principe et les conséquences du divorce et « cherche à les concilier sur les mesures à prendre » (texte proposé pour l'article 252-2 du Code civil) ;

Lorsque l'époux défendeur conteste le caractère irrémédiable de la rupture du lien conjugal, il peut demander au juge de ralentir la procédure :

- par renvoi, qui est de droit, à une nouvelle audience qui doit se tenir dans un délai compris entre quatre et huit mois, destiné à permettre aux époux de se concilier ;

- et par un renouvellement de ce premier renvoi pour une durée de quatre mois soumis à l'appréciation souveraine du juge, qui peut également le décider, sur demande motivée.

Au total, l'époux qui n'a pas demandé le divorce peut obtenir l'allongement à douze mois de la procédure préalable à l'assignation. Ce délai peut être mis à profit par le juge pour orienter les parties vers un médiateur :

- soit en le désignant, avec l'accord des époux (article 255-1°) -sauf cas de violences conjugales, lesquels relèvent, comme l'ont indiqué les associations de femmes victimes de violences à votre rapporteur, non pas de la médiation mais de la sanction ;

- soit en enjoignant aux époux de rencontrer un médiateur pour être informés de l'objet et du déroulement de la médiation (article 255-2°). L'article 252-3 sanctionne cette obligation en interdisant à l'époux demandeur qui ne justifie pas s'être présenté à la séance d'information la poursuite de la procédure de divorce.

Le texte proposé pour l'article 253, par rapport au droit en vigueur, valorise les accords des époux réglant les conséquences du divorce à l'amiable en prévoyant qu'il en est tenu compte dans le jugement, sous réserve de leur conformité à l'intérêt des enfants et de chacun des époux.

Au titre des mesures provisoires susceptibles d'être ordonnées par le juge au cours de la procédure préalable, la proposition de loi apporte un certain nombre d'innovations :

- afin de répondre à un des problèmes pratiques majeurs, le juge doit préciser si la jouissance du logement et du mobilier attribué à un des époux, ou partagée entre eux, a un caractère gratuit ou non et, le cas échéant, constater l'accord des époux sur le montant d'une indemnité d'occupation (texte proposé pour l'article 255-4° du Code civil) ;

- et, pour clarifier la situation financière des époux, désigner un notaire ou un professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire, un projet de liquidation, de faire des propositions sur les conséquences pécuniaires de la séparation (article 259-9°).

Votre délégation note que ces dispositions permettront d'améliorer la gestion financière du divorce en facilitant au juge la détermination des pensions alimentaires dues pendant l'instance.

Cette clarification des intérêts pécuniaires des époux est également susceptible de permettre le meilleur « calibrage » d'une éventuelle prestation compensatoire.

(b) Le jugement de divorce

Au terme de la phase préalable, « si le demandeur persiste dans son intention de divorcer, le juge constate le caractère irrémédiable de la rupture du lien conjugal, prononce le divorce et statue sur ses conséquences » (article 259-4 du Code civil prévu par l'article 8 du texte).

Tout en soulignant le caractère relativement flou de la notion de rupture irrémédiable du lien conjugal, le professeur Dekeuwer-Défossez, lors de son audition par la délégation, a rappelé que, contrairement au droit existant, le juge n'a plus la possibilité de rejeter la demande en divorce et n'a donc pas à apprécier cette notion.

Comme l'a indiqué la Garde des Sceaux lors du débat à l'Assemblée nationale, la suppression du contrôle du juge sur le caractère irrémédiable de la rupture, inhérente au mécanisme du divorce-constat est la conséquence directe de l'institution d'un droit au divorce.

Ce droit au divorce s'accompagne d'un certain nombre de garanties tendant à constater et à sanctionner les fautes des époux ; ces garanties sont analysées ci-après.

3. Les points jugés sensibles par la délégation

a) Médiation préalable au dépôt d'une requête en divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal

En leur nom personnel, Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur, et Mme Martine Lignière-Cassou, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, ont déposé un amendement qui s'appuyait sur la réflexion de la délégation et prévoyait de compléter le III de l'article 3 de la proposition par le paragraphe suivant :

« Sauf lorsque les faits imputables à l'autre sont d'une exceptionnelle gravité, le demandeur devra justifier, lors du dépôt de sa requête, qu'il a antérieurement proposé à son conjoint une rencontre de médiation familiale ».

L'objet de l'amendement était d'introduire la médiation le plus possible en amont de la procédure afin de permettre à l'époux qui subit la médiation d'obtenir des explications.

Cet amendement a été retiré après que M. François Colcombet, au nom de la commission des Lois, et la Garde des Sceaux eurent indiqué, à l'appui de leur avis défavorable que la qualité de la médiation reposait sur l'aspect volontaire de la démarche et que le Gouvernement eut, en outre, rappelé que la médiation familiale faisait actuellement l'objet d'une réflexion qui débouchera prochainement sur des propositions concrètes.

Or, votre délégation estime que la réussite de la réforme repose très largement sur la qualité de la médiation. A ce titre, elle suivra avec intérêt les propositions du Conseil national consultatif de la médiation familiale ainsi que leur traduction aussi bien dans les textes que dans les faits.

Rappelons qu'au moment de la discussion du texte à l'Assemblée nationale est paru l'arrêté du 8 octobre 2001 portant création du Conseil national consultatif de la médiation familiale « chargé » de proposer aux ministres toutes mesures utiles pour favoriser l'organisation de la médiation familiale et promouvoir son développement.

L'article 1 er de ce décret fixe la composition du Conseil national : dix-huit membres, dont le directeur du Centre national d'information et de documentation des femmes et des familles (CNIDFF) ou de son représentant.

L'article 2 précise sa mission qui consiste à étudier, notamment :

- le champ d'application de la médiation familiale ;

- les règles de déontologie et l'évaluation des pratiques ;

- les effets de la médiation familiale, en particulier sur le maintien des liens au sein de la famille ;

- la formation des médiateurs familiaux et l'agrément des centres qui en sont chargés ;

- les procédures de qualification des médiateurs familiaux et d'agrément des services de médiation familiale ;

- le financement de la médiation familiale.

Tout en approuvant le principe du recours à la médiation, votre délégation se félicite de la rédaction proposée pour l'article 255 du Code civil, qui prévoit que les violences conjugales rendent « cette mesure inappropriée ». En effet, la violence ne relève en aucun cas de la médiation, mais de la sanction.

b) Possibilité pour les époux de choisir un seul avocat d'un commun accord dans la procédure de divorce par consentement mutuel

L'Assemblée nationale a hésité sur cette difficile question (article 251 du Code civil introduit par l'article 4 de la proposition de loi) en s'efforçant de prendre en considération le phénomène des violences conjugales.

- En première délibération, elle a adopté un amendement prévoyant que la demande de divorce par consentement mutuel est « présentée par les avocats respectifs des parties », supprimant ainsi la possibilité de choisir un avocat d'un commun accord.

M. François Colcombet, rapporteur du texte au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale a indiqué au cours de la séance du 9 octobre 2001 que « le consentement des époux est beaucoup plus éclairé lorsque chacun a son conseil » et s'est dit « à titre personnel, extrêmement tenté » de voter l'amendement malgré l'avis défavorable de la commission.

Mme Martine Lignière-Cassou, présidente de la délégation aux droits des femmes, s'est dite, pour sa part, et à titre personnel, opposée à cet amendement contraire au développement du divorce par consentement mutuel entre des époux pleinement « capables de faire des choix ».

- Lors d'une seconde délibération demandée par le Gouvernement, l'Assemblée nationale est revenue sur ce premier vote.

La Garde des Sceaux a, tout d'abord, rappelé que l'interdiction de choisir un seul avocat constitue dans un grand nombre de cas -et tout particulièrement pour les couples n'ayant ni enfant ni intérêts patrimoniaux- une mesure contraire à l'objectif de simplification de la réforme qui correspond à une attente réelle.

Le Gouvernement a ensuite noté que le juge était garant du consentement « libre et éclairé des deux conjoints » et craint que dans les cas où existe « un rapport de dominant à dominé », « celui-ci ne joue également pour le choix du second avocat ».

Le rapporteur du texte, sur la base d'un réexamen de la pratique du divorce, a souscrit à cette argumentation.

L'Assemblée nationale a ainsi conservé la possibilité de choisir un avocat unique.

Celle-ci est utilisée en pratique, dans 90 % des divorces par consentement mutuel, l'avocat intervenant essentiellement comme conseiller dans la rédaction des conventions des époux.

Il convient de rappeler que lors de la comparution des époux, le juge les entend séparément, puis ensemble, et conformément à l'article 1093 du nouveau Code de procédure civile, « leur adresse les conseils qu'il estime opportun ».

Votre rapporteur estime pour sa part que l'extorsion du consentement, tout particulièrement à certaines femmes victimes de violences et qui souhaitent avant tout fuir le despotisme conjugal, est un problème fondamental dont la solution ne relève pas uniquement du perfectionnement -ou de la complication- des procédures judiciaires.

Votre rapporteur suggère, de ce point de vue, contre la loi du plus fort, de lancer des campagnes de communication efficaces sur l'ampleur et la gravité des violences conjugales. L'objectif consiste à rompre le sentiment d'isolement et le silence des femmes -ou des maris- battus en les incitant à enclencher les démarches utiles auprès des institutions et associations d'ores et déjà prêtes à se mobiliser.

c) Mesures urgentes de protection en faveur des victimes de violences conjugales

A l'article 220-1 du Code civil qui permet au juge de prescrire des mesures urgentes lorsque l'un des époux met en péril les intérêts de la famille :

- le texte initial de la proposition de loi a prévu la possibilité d'organiser, dès avant l'introduction de la procédure de divorce, la résidence séparée des époux en cas de mise en danger de la « sécurité physique du conjoint ou des enfants » ;

- et l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui supprime la limitation aux seules atteintes à la sécurité « physique », élargissant ainsi l'outil juridique de protection dont disposera le magistrat.

Le juge n'est pas tenu de déterminer la durée de cette résidence séparée, mais le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit d'introduire dans le dernier alinéa de l'article 220-1 du Code civil la caducité des mesures prises par le juge « si à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de leur prononcé, aucune requête en divorce n'a été déposée ».

Lors de son audition par la délégation, Mme Grésy a regretté cette limitation à trois mois en insistant sur la nécessité d'accorder aux femmes victimes de violences un délai de réflexion et de protection plus long avant de prendre une décision sur l'opportunité du dépôt d'une requête en divorce.

Souscrivant pleinement à cette observation, votre rapporteur suggère de donner au juge la possibilité de doubler ce délai en le portant à six mois.

d) La sanction et la constatation des fautes

Deux principales garanties sont prévues pour sanctionner les fautes et faire mention dans le jugement de divorce des violences conjugales.

(1) La sanction des fautes

Le texte vise à introduire, tout d'abord, dans le Code civil, un article 259-5 qui constitue un des piliers du dispositif. Cet article prévoit que je juge peut être saisi d'une demande de dommages-intérêts à l'occasion de la procédure de divorce, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Rappelons que cet article, qui constitue le socle de notre droit de la responsabilité, précise que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

Votre rapporteur note que la réforme introduit ainsi, non pas un concept nouveau, puisqu'il ne s'agit que d'un renvoi à l'un des mécanismes les plus traditionnels de notre droit, mais une innovation pratique : c'est en effet le juge du divorce qui pourra connaître des actions en responsabilité, évitant ainsi une dispersion des contentieux.

Exigence de valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil Constitutionnel n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, l'obligation de réparation des fautes est ainsi intégrée dans un mécanisme qui supprime la faute comme cas d'ouverture du divorce mais réaffirme la responsabilité des époux.

(2) La constatation des violences conjugales dans le jugement de divorce

Prenant acte de la nécessité de mentionner les faits d'une particulière gravité, l'article 8bis nouveau du texte prévoit à l'article 259-5 du Code civil la constatation dans le jugement prononçant le divorce « des faits d'une particulière gravité, procédant notamment de violences physiques ou morales commises au cours du mariage ».

Votre délégation approuve cette mesure dont l'importance a été soulignée lors de l'audition des représentantes des femmes : la stigmatisation des violences conjugales est, en effet, une condition nécessaire à la reconstruction psychologique des victimes.

e) Information du juge aux affaires familiales des procédures en cours

Contre l'avis du Gouvernement qui souhaitait que le texte respecte la logique du « divorce-constat », l'Assemblée nationale a adopté un amendement de Mme Martine Lignières-Cassou qui prévoit que le juge du divorce est « informé des procédures, passées ou en cours, civiles ou pénales, éventuellement engagées à l'encontre de l'un des époux pour des faits intervenus dans le mariage » (article 252-2 introduit par l'article 5).

Mme Marie-France Clergeau a indiqué qu'il s'agissait d'établir, notamment, une meilleure articulation entre les procédures pénales pour violences conjugales et la procédure de divorce.

Votre délégation se félicite de cette initiative qui permet au juge du divorce d'avoir une vision globale des procédures en cours et est, par ailleurs, susceptible de jouer un rôle de dissuasion des violences conjugales.

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