C. DES DISPOSITIONS CONTESTABLES

1. Une insuffisante prise en compte de l'intérêt de l'enfant

En premier lieu, l'article 18 du projet de loi supprime la condition de deux ans de vie commune posée par l'article L. 2141-2 du code de la santé publique pour le recours à l'AMP des couples non mariés. Votre délégation déplore cette suppression. En effet, d'une part, dans tous les cas de « stérilité relative », ce délai apparaît nécessaire pour constater l'infertilité d'un couple. D'autre part, il est indispensable pour s'assurer de la réalité et de la stabilité du couple, qui garantissent la prise en compte de l'intérêt de l'enfant. Certes, les médecins peuvent rencontrer des difficultés pour vérifier les preuves de vie commune apportées par les couples, mais il convient de conserver la condition posée par la loi, en raison de son caractère dissuasif.

Si les personnes souffrant d'infertilité doivent pouvoir bénéficier des techniques de reproduction artificielle, celles-ci ne confèrent pas pour autant un « droit à l'enfant ». On peut regretter d'ailleurs que la notion « d'intérêt de l'enfant » n'apparaisse que dans les dispositions concernant l'accueil d'embryon. Les textes relatifs à l'Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine (HFEA) en Angleterre y font quant à eux explicitement référence.

En second lieu, le projet de loi, tout en prévoyant que la dissolution du couple fait obstacle à l'insémination et au transfert d'embryons, autorise, sous certaines conditions de délai, le transfert d'embryons post mortem (article L. 2141-2 du code de la santé publique).

Cette question soulève des interrogations profondes, complexes, qui touchent au vécu le plus intime des femmes, à travers le deuil, et ne saurait appeler de réponse catégorique. En première approche, il apparaît humainement très difficile d'accepter que la femme dont le mari décède soit obligée de consentir soit à la destruction de ses embryons, soit à leur accueil par un autre couple, et de la contraindre ainsi à vivre un double deuil. Il convient de souligner également que la conception des embryons résulte d'une volonté commune de l'homme et de la femme, d'un projet mené conjointement, pour lequel l'homme a donné son plein accord.

Toutefois, l'autorisation du transfert post mortem, telle qu'elle est prévue par l'actuel projet de loi pose aussi des problèmes sérieux. Il est nécessaire, en effet, de prendre en compte l'intérêt de l'enfant à naître, et de rappeler que l'embryon, doit être traité comme une fin. En l'occurrence, non seulement l'enfant naîtra orphelin, mais de plus, il occupera une position tout à fait particulière et peut-être difficile à vivre d' « enfant du deuil ».

En outre, les femmes ne disposent, en raison des délais posés par la loi, que d'une tentative de transfert. Or les risques d'échec de celui-ci sont importants et apparaissent, dans cette circonstance, très difficiles à accepter. Pour cette raison, l'issue du processus peut s'avérer extrêmement douloureuse.

Enfin, une telle autorisation soulève des questions concernant le droit de la filiation et de la succession, que l'actuel projet ne résout que partiellement (article 18 bis).

D'une part, selon le projet de loi, dans le cas des couples non mariés, l'autorisation donnée par l'homme à l'équipe médicale de poursuivre le projet après son décès vaut reconnaissance. Or la reconnaissance est un acte juridique solennel dirigé envers un enfant déterminé, né ou à naître, qui devrait être effectué devant un officier public. Ainsi, comme l'a indiqué Mme Frédérique Dreifuss-Netter, professeur à la Faculté de droit de l'Université Paris V, dans le cas de l'AMP avec tiers donneur, même le consentement général donné devant un juge ou un notaire ne dispense pas le père naturel d'effectuer ensuite la reconnaissance de l'enfant à sa naissance.

En revanche, s'agissant des dispositions relatives à la contestation de la filiation de l'enfant né d'un transfert d'embryons post mortem, le projet prévoit des dispositions visant à « sécuriser » celle-ci, alors même que, s'agissant d'une FIV interne au couple, la filiation juridique correspond au lien biologique, et ne requiert donc pas de dispositif protecteur spécifique. Si une action en contestation de la filiation était introduite, elle serait vouée à l'échec puisque l'enfant est bien celui de l'homme décédé.

D'autre part, le texte ne distingue pas suivant que les embryons ont été conçus selon une technique de FIV interne au couple ou avec tiers donneur. Or si les embryons proviennent d'une FIV avec don de sperme, il faudrait combiner les règles de l'AMP avec tiers donneur avec celles de l'AMP post mortem, ce qui apparaît extrêmement difficile.

Au demeurant, faut-il modifier le code civil, texte qui concerne les structures fondamentales de la société, pour quelques cas particuliers ?

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur n'est pas favorable à l'autorisation du transfert d'embryons post mortem. Toutefois, les enjeux de cette question sont complexes, et les réponses extrêmement subjectives. Pour ces raisons, votre rapporteur n'a pas souhaité évoquer le transfert d'embryons post mortem dans les recommandations de la délégation.

Dans l'hypothèse d'une interdiction du transfert d'embryons, celle-ci devrait être mentionnée explicitement aux couples dès le premier entretien. Ceux-ci doivent être pleinement conscients que le parcours devra être interrompu en cas de décès du père.

Enfin, la possibilité offerte aux femmes de consentir à l'accueil de leur embryon par un autre couple est illusoire. En effet, les dispositions relatives à l'accueil d'embryon prévoient des tests sanitaires obligatoires à effectuer sur le couple donneur. Or si le père est mort, aucun test ne peut être réalisé. Il apparaît donc préférable de considérer d'emblée les embryons non transférés comme surnuméraires, et ne pas contraindre les femmes à consentir à un accueil au demeurant irréalisable.

2. Un dispositif d'évaluation qui prévoit la création d'embryons à des fins de recherche

Afin d'encadrer la mise en place des nouvelles techniques d'AMP, un article L. 2141-1-1 a été ajouté au code de la santé publique par l'Assemblée nationale. Aux termes de celui-ci, toute évaluation d'une nouvelle technique d'AMP fait l'objet d'un protocole autorisé par l'APEGH. A l'issue du processus d'évaluation, les embryons dont la conception résulterait de cette évaluation ne peuvent être ni conservés, ni transférés.

Ce dispositif, en dépit de la pertinence et de la légitimité de l'objectif qui l'inspire, apparaît en fait profondément choquant, dans la mesure où il aboutit à créer des embryons uniquement en vue de la recherche, en dehors d'un projet de naissance. Une telle instrumentalisation de l'embryon paraît difficilement compatible avec les principes rappelés en introduction.

L'interdiction de créer des embryons à des fins de recherche est d'ailleurs posée par le projet de loi lui-même, ainsi que par la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la bioéthique signée à Oviedo en 1996.

Page mise à jour le

Partager cette page