DEUXIÈME TABLE RONDE :
ATOUTS ET HANDICAPS DE LA
FILIÈRE VITICOLE FRANCAISE

1. M. Michel Doublet, sénateur de la Charente-Maritime, membre du groupe de travail sur l'avenir de la viticulture française

Mon collègue Gérard César, empêché, m'a chargé de vous lire l'intervention qu'il a préparée :

« Mon propos s'appuiera en grande partie sur l'analyse et les conclusions du rapport que j'ai présenté en juillet dernier au nom du groupe de travail sur l'avenir de la viticulture française. Je tiens à y associer mon collègue Serge Mathieu, président du groupe d'études sénatorial de la viticulture de qualité.

Souvent considérée comme le fleuron de l'agriculture française, notre viticulture est aujourd'hui confrontée à des évolutions qui fragilisent ses fondements.

Avec un chiffre d'affaires de 9 milliards d'euros, le vin est la deuxième production agricole française et constitue le premier poste des exportations agroalimentaires de notre pays. La contribution de la viticulture à l'emploi et à l'occupation de l'espace ne doit pas non plus être oubliée. Ses performances placent notre pays au premier rang des producteurs de vin à l'échelle mondiale, suivi de près par l'Italie.

Cependant, depuis deux ans, un certain nombre de « clignotants » sont au rouge. Les exportations diminuent, après six années de croissance ininterrompue, entraînant une érosion des parts de marché du vin français sur les marchés extérieurs. Parallèlement, la consommation domestique accuse une baisse dont le volume cumulé représente près de 6 millions d'hectolitres sur les trois dernières campagnes. Très rapidement, la situation du secteur viticole s'en ressent, la mévente entraînant un gonflement des stocks et une baisse des cours, rendant nécessaire le recours à trois distillations de crises successives.

Les difficultés de la filière s'expliquent notamment par l'accentuation récente de la concurrence internationale sur le marché mondial des vins. Le vignoble mondial a grandi de 164 000 hectares entre 1998 et 2000, soit d'une surface équivalente à un cinquième du vignoble français. Cette croissance entraîne une augmentation des volumes produits. L'expansion est surtout le fait d'un petit groupe de pays nouveaux producteurs : l'Australie, la Californie, le Chili, l'Afrique du Sud, l'Argentine et la Nouvelle-Zélande, communément désignés par le nom de « pays du nouveau monde ». Compte tenu de l'étroitesse ou de l'absence de solvabilité de leurs marchés, ces pays sont contraints d'exporter. Entre 1994 et 2000, leurs exportations ont progressé de 170 %.

Cette concurrence accrue ne s'accompagne malheureusement pas d'une augmentation de la consommation au plan mondial. En effet, la croissance de la consommation dans les pays non producteurs, comme le Royaume-Uni et les pays du Nord de l'Europe, compense tout juste la diminution de consommation dans les pays latins traditionnellement producteurs, comme la France, l'Espagne ou l'Italie, alors que le reste du monde se montre peu dynamique.

Compte tenu de ces évolutions, il est à craindre que l'excédent mondial, qui représentait 56 millions d'hectolitres en 2001, devienne structurel.

La viticulture française est donc confrontée à de nouveaux défis.

Le premier de ces défis est, bien entendu, le succès croissant des vins du nouveau monde, cantonnés pour l'heure aux marchés tiers, traditionnellement clients de la France, mais qui s'étendra peut-être demain à notre marché domestique. Leur succès tient à leur simplicité, à leur accessibilité et à leur qualité régulière, souvent garantie par une marque. Des conditions de production favorables comme un climat propice, de faibles charges de main d'oeuvre et un cadre réglementaire souple garantissent un prix de revient bas, qui permet de dégager des marges importantes, réinvesties massivement dans la communication.

D'autres défis se présentent, comme la nécessité de mieux préserver l'environnement ou l'évolution des modes de distribution et de consommation. La grande distribution assure aujourd'hui les trois quarts des ventes de vin aux ménages, contre seulement 46 % il y a dix ans. Cette évolution peut s'avérer contraignante dans la mesure où les distributeurs maîtrisent le contenu de l'offre qu'ils présentent en linéaire et développent leurs propres marques, dont la notoriété freine l'émergence des marques issues de la filière.

On constate, par ailleurs, une régression de la consommation régulière au profit d'une consommation occasionnelle, le vin passant, quant à lui, d'une fonction alimentaire à un statut plus festif.

L'analyse de la capacité de l'offre française à répondre à ces défis révèle un certain nombre d'inadaptations structurelles.

La première est une attention inégale portée à la qualité, tout d'abord en raison de l'existence, dans le vignoble, d'un reliquat de cépages inadaptés, tels le carignan en Languedoc-Roussillon, mais aussi en raison d'une insuffisante maîtrise des rendements de vignes et d'un agrément qui, pour les vins d'appellation, n'a pas toujours joué son rôle de filtre.

Une autre inadaptation réside dans le caractère peu lisible de l'offre, en raison de la multiplicité des appellations, de la complexité de l'étiquetage des vins et, surtout, de l'absence de cohérence entre la segmentation actuelle de l'offre -qui distingue les vins AOC et les autres-, la réalité des prix et la qualité des vins. Ainsi, un bon vin de pays d'Oc pourra se vendre mieux et plus cher qu'un vin d'appellation mal fait.

Il faut également évoquer l'insuffisance de l'effort consenti en matière de communication et de promotion. Ainsi, sur le marché national, les investissements publicitaires en faveur du vin ne représentent que le quart des dépenses investies pour les eaux minérales.

Enfin, la filière souffre d'un manque global de compétitivité.

Il ne faut cependant pas occulter les atouts dont dispose la viticulture française : la grande diversité de ses terroirs et de ses vins, sa notoriété à travers le monde, ses liens avec un patrimoine gastronomique réputé, ainsi que la culture viticole ancienne des consommateurs français et l'influence de la France dans la formation et dans la recherche en oenologie.

Face à ces constats, le groupe de travail sur l'avenir de la viticulture a formulé des propositions qui s'ordonnent autour de cinq grands axes.

Nous ne développerons pas le cinquième de ces axes, qui plaide en faveur d'une approche équilibrée du thème « Vin et santé », puisque nous en débattrons cet après-midi.

• Le rapport recommande d'investir largement dans la qualité.

Si la viticulture française souhaite rester une référence viticole mondiale, elle doit être capable de fournir des vins d'une qualité irréprochable, de la catégorie standard aux grands crus. Cela implique de poursuivre la restructuration qualitative du vignoble, en remplaçant les quelque 50.000 hectares de cépages non-adaptés à la demande du marché.

Il est nécessaire aussi de mettre en oeuvre rapidement la réforme et l'agrément des vins AOC et, enfin, de pratiquer une maîtrise adaptée des rendements. Il ne s'agit cependant pas d'hypothéquer le développement d'autres productions telles que le jus de raisins ou les vins de faible degré alcoolique. C'est pourquoi il est nécessaire d'affecter des parcelles à des productions déterminées, assorties de rendements différenciés et de mettre en place un suivi de rendement au niveau de chaque parcelle.

Il est nécessaire, enfin, de diffuser l'utilisation de bonnes pratiques culturales telles que l'enherbement ou la vendange en vert, permettant de réduire les rendements et d'améliorer la qualité du raisin produit, de renforcer le contrôle des vins en aval de la production et de généraliser cela à l'ensemble des catégories de vins.

• Le rapport préconise ensuite de rendre l'offre plus cohérente et plus lisible.

Le rapport est favorable à un reclassement des catégories réglementaires applicables aux vins français autour de deux grandes catégories :

D'une part, une catégorie regrouperait tous les vins rattachés à une zone géographique donnée, c'est-à-dire les actuels vins AOC et une partie des vins de pays.

D'autre part, une catégorie rassemblerait les autres vins, c'est-à-dire les vins de table et une partie des vins de pays actuels, dont le régime serait assoupli en vue de permettre l'élaboration de vins de cépages compétitifs, avec des méthodes utilisées par nos concurrents.

Toujours dans le souci de rendre l'offre plus visible, le rapport encourage, par ailleurs, le développement de grandes marques de vins, dans la mesure où elles constituent pour le consommateur des signifiants forts. Il plaide également pour des stratégies de communication massives, complètes et diversifiées. Cette proposition suppose une concentration des moyens existants, notamment au niveau de l'interprofession, la mise en oeuvre simultanée d'une communication générique en faveur des vins de France, d'une communication axée sur les grandes régions de production et le recours à des messages variés, en phase avec les nouveaux modes de consommation.

• Le troisième axe proposé vise à placer le consommateur au centre des préoccupations.

Il s'agit d'introduire une culture de la demande dans le monde viticole français en l'incitant à une meilleure prise en compte des préoccupations des consommateurs et en allant à leur rencontre. À côté des grands vins, dont le titrage est traditionnellement élevé, il faudrait, par exemple, favoriser la production de vins légers, à degré alcoolique plus faible, dont la demande n'est actuellement pas satisfaite.

Nous proposons également de rendre plus accessible l'étiquetage des vins, qui est aujourd'hui complexe et inadapté, de diversifier les conditionnements et de favoriser un développement plus large du tourisme viticole.

• Le rapport propose, enfin, d'accompagner les évolutions en cours par une politique viticole adaptée.

Il s'agit tout d'abord de rétablir l'efficacité des instruments de gestion de marché prévus par l'organisation commune en prévoyant, d'une part, la répartition par l'État du contingent ouvert au titre de la distillation d'alcool de bouche, assorti de l'application de prix différenciés selon les États pour tenir compte des disparités des différents marchés européens. Il faut, d'autre part, reconnaître aux États membres la possibilité de rendre obligatoire la distillation de crise qu'ils ont sollicitée.

Concernant le volet structurel de l'OCM, il convient de compléter la panoplie des instruments destinés à accompagner l'évolution qualitative du vignoble en mettant en place le régime d'arrachage temporaire, offrant au viticulteur une prime de non-production et lui laissant le choix, à l'issue d'une période de cinq ou six ans, de replanter lui-même ou de céder son droit.

Le rapport préconise également une certaine rigueur en matière d'évolution du potentiel de production en proposant de limiter l'attribution de droit de plantations nouvelles, excepté en faveur des jeunes. En revanche, la réserve de droits prévus par l'OCM devrait être rapidement mise en place, en vue de fluidifier la translation du marché.

Pour conclure, je rappellerai qu'un responsable de la filière viticole sud-africaine nous a confié que les professionnels du vin dans son pays étaient inquiets parce qu'ils savaient que la France, chahutée par la concurrence internationale, allait réagir.

Il nous faut maintenant nous convaincre de cette nécessité. La viticulture française en a les moyens, si elle en a l'ambition. La diversité et les complémentarités de ses productions, l'image d'authenticité qui est la sienne comptent parmi les meilleurs atouts pour affronter la bataille mondiale des vins.

2. M. Dutruc-Rosset, directeur général de l'Office international de la vigne et du vin

L'Office international de la vigne et du vin est un organisme intergouvernemental comprenant actuellement quarante-huit pays, dont l'ensemble des pays de la Communauté européenne. C'est un organisme à caractère scientifique et technique, qui a pour ambition de conseiller les grandes organisations « horizontales » afin que les spécificités du vin soient correctement prises en considération.

Dirigeant cet organisme international, je n'oublie pas que je suis français, mais ce que je vais dire ici correspond à des observations faites à l'échelle mondiale.

Je souhaiterais, tout d'abord, rappeler quelques principes.

• Il n'y a pas un marché du vin mais un marché des vins. Le marché est segmenté à juste titre, puisque le vin est un produit très diversifié.

• Ce produit s'inscrit dans une vaste internationalisation, qui n'est pas une mondialisation, puisque les produits ne peuvent se faire n'importe où dans le monde.

• Enfin, le vin est un produit de plus en plus échangé : 30 % de la consommation mondiale de vin fait l'objet d'échanges entre pays.

À la fin des années 1970, la surface du vignoble mondial était de 10 millions d'hectares. Elle a décru régulièrement jusqu'en 1998 pour connaître alors un retournement de tendance. Le vignoble mondial couvre aujourd'hui entre 7,90 et 7,95 millions d'hectares.

Quelles évolutions ce vignoble a-t-il suivi au cours des cinq dernières années ?

Le continent européen est passé de 66 % à 63 % du vignoble mondial, alors que, dans le même temps, tous les autres vignobles ont progressé. Le vignoble du continent américain, qui a le plus progressé, représente actuellement près de 12 % du vignoble mondial. Le vignoble océanien, avec 2 % du vignoble mondial, a lui aussi augmenté. L'Asie, notamment sous l'effet du développement des plantations en Chine, développe son vignoble à grande vitesse.

Le rythme des plantations s'est partout accéléré dans le monde, en tout cas jusque l'année dernière, excepté en Europe. Le vignoble a ainsi progressé de 64.000 hectares en Chine, de 153.000 hectares en Australie, de 46.000 hectares au Chili et de 52.000 hectares aux Etats-Unis. Dans le même temps le vignoble de l'Union européenne a progressé de 70.000 hectares mais, parallèlement, la surface du vignoble de l'ex-URSS a été réduite de 110.000 hectares, et celle d'Europe centrale et orientale de 20.000 hectares.

L'évolution de la production de raisin dans le monde montre qu'actuellement, avec 600 à 620 millions de quintaux, la production est au même niveau qu'il y a dix ans. Les surfaces se sont réduites, mais les rendements ont considérablement progressé, passant en moyenne, en quinze ans, de 59 à 77 quintaux/ha. Les plus forts rendements se trouvent, pour l'essentiel, localisés en dehors de l'Europe. C'est ainsi que le continent américain, avec 12 % de la surface mondiale, produit 20 % du raisin.

Les perspectives de production de vin pour l'année 2002, par rapport à 2001, annoncent une baisse de l'ordre de 7 millions d'hectolitres en Europe, essentiellement pour des raisons climatiques. Tous les autres continents progressent. L'Europe, qui représentait il y a quatre ou cinq ans 75 % de la production mondiale, n'en représente plus que 70 %.

À la fin des années 1970, la consommation mondiale de vin s'établissait à 286 millions d'hectolitres. Elle a ensuite baissé régulièrement. Nous espérions observer un retournement de tendance en 1999, puisqu'une légère progression s'est alors manifestée, mais cette tendance ne s'est pas confirmée. La consommation mondiale s'est stabilisée à 220 millions d'hectolitres.

Au cours des cinq dernières années la consommation sur le continent européen, qui représentait près de 73 % de la consommation mondiale, est passée à 70 %. Dans le même temps, elle progressait sur les autres continents.

La consommation baisse de façon tendancielle et, malheureusement, régulière dans les pays de grande tradition viticole, c'est-à-dire essentiellement les pays d'Europe du Sud. Elle progresse en valeur relative en Europe du Nord et dans des pays comme le Chili ou l'Australie. Mais ces augmentations de consommation compensent à peine les diminutions dans les pays de tradition viticole. Il faut, en effet, se méfier des valeurs relatives : la perte liée à la baisse de consommation d'un Français est bien supérieure, en valeur absolue, au gain qu'entraîne l'augmentation de la consommation d'un Japonais. La situation est donc préoccupante.

Face à l'offre, la demande reste insuffisante. La concurrence s'en trouve donc accrue, notamment sur les marchés non traditionnellement viticoles, puisqu'une partie importante de la nouvelle offre viticole n'est plus seulement destinée aux marchés intérieurs des pays producteurs.

Compte tenu des plantations réalisées, mais non encore en état de produire, le vignoble mondial devrait couvrir entre 8,2 et 8,5 millions d'hectares, ce qui conduirait à une production mondiale comprise entre 280 et 325 millions d'hectolitres. Ceci engendre un écart de l'ordre de 80 millions d'hectolitres avec la consommation envisagée, toutes catégories de produits confondues. On imagine les problèmes que cet écart poserait sur le marché.

Si cette approche reste globale et approximative, le marché étant très segmenté, cet indicateur permet tout de même d'envisager les évolutions du marché mondial.

Sauf à accepter l'idée que des arrachages pourraient se développer ici ou là en fonction des dures réalités du marché, je pense que la priorité doit être de soutenir et d'encourager la consommation mondiale.

En ce qui concerne les arrachages éventuels, les producteurs des pays non-européens sont évidemment persuadés qu'ils auront lieu en Europe et pas chez eux ! Lors d'une assemblée internationale à laquelle je participai récemment, je leur ai démontré qu'ils se trompaient.

Pour en revenir à l'encouragement de la consommation mondiale, je plaide pour que les pays producteurs de vins du monde entier, dans la perspective des difficultés du marché mondial que nous évoquions, unissent leurs moyens et leurs efforts pour communiquer sur le produit-vin en général et sur ses spécificités dans l'univers des alcools.

Dans cette campagne de communication, on pourrait mettre en évidence les composantes culturelles, environnementales et historiques du vin.

Précisons que le goût chinois n'est pas le goût français. Il serait ambitieux de vouloir faire consommer en Chine les vins que boivent les Français.

J'envisage, pour l'avenir, la coexistence de deux catégories de vin :

La première serait constituée de ce que j'appelle les vins « de producteurs », des vins d'artisans d'art issus de terroirs de grande qualité.

La seconde catégorie comprendrait les vins « de consommateurs », qui sont aujourd'hui au coeur de la concurrence internationale. En France, ce type de vin a besoin d'un fort assouplissement de la réglementation, de manière à ce que la concurrence soit la plus loyale possible. Ces vins seraient notamment destinés à des marchés lointains, ce qui implique une définition des règles du jeu internationales.

Mes observations me laissent penser que toute politique régionale restrictive est vouée à l'échec, dans la mesure où elle ne serait pas respectée par les pays ne faisant pas partie du groupe. Il convient donc d'appréhender le problème à l'échelle internationale.

3. M. Etienne Montaigne, professeur à l'Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier (ENSAM)

Je confirme tout d'abord, sans y revenir, les chiffres présentés par M. Dutruc-Rosset.

Ajoutons qu'entre l'Europe et le reste du monde, nous pourrions assister à une délocalisation du dixième du vignoble mondial dans les dix années prochaines, dès lors que l'amplitude de variation peut être considérable.

Au niveau des pays européens, nous constatons une stabilité des surfaces. C'est donc dans les rendements et dans les dynamiques de production que les évolutions vont apparaître.

Le phénomène majeur est l'explosion de la production dans les pays du « nouveau monde ». Cependant, des interrogations se font jour, puisque des pays comme les États-Unis ou le Chili auraient stoppé leurs plantations, et l'on y parle également d'arrachage de superficies importantes non adaptées au marché. Notons à ce sujet que l'une des principales caractéristiques qui oppose ces pays aux producteurs traditionnels européens est leur faculté d'adaptation au marché, c'est-à-dire aux critères de rentabilité des firmes gestionnaires.

À l'Est, les conditions sont beaucoup moins favorables. La Roumaine, par exemple, serait passée en dix ans de 20 % à 50 % d'hybrides producteurs directs. Ce phénomène révèle une régression technologique et de qualité liée à la désorganisation du secteur.

En ce qui concerne la production, les tendances laissent présager de forts déséquilibres, compte tenu de la stabilité de la consommation.

En Europe, les tendances au redémarrage de la croissance de la production sont lentes et incertaines, excepté pour l'Espagne, sans que l'on sache si les causes sont climatiques ou issues de refontes structurelles de la production telles que le développement de la production de vins rouges et d'irrigation).

La croissance de la production est évidemment un phénomène majeur pour les pays du « nouveau monde » : doublement des productions au Chili et en Australie sur les dix dernières années, augmentation de 50 % aux États-Unis.

La prolongation de ces tendances nous conduirait à des situations catastrophiques, mais l'analyse des conditions structurelles de la production ne nous confirme pas ces évolutions.

Parallèlement à cela, il faut noter la dimension exportatrice des nouveaux pays producteurs, le Chili étant, par exemple, devenu en quelques années le troisième opérateur sur le marché américain, avec 18 % de parts de marché.

En Europe, le phénomène majeur est l'accroissement des échanges internes à la Communauté européenne.

Notons cependant que les deux premiers pays importateurs sont deux pays producteurs... européens ! Les échanges internationaux sont aussi des échanges de complémentarité de gammes et de natures de produits. Ainsi, la France a-t-elle abandonné une partie de sa production de vins de table pour la laisser à ses partenaires espagnols et italiens.

Le premier marché des pays non-producteurs est, bien entendu, celui du Royaume-Uni.

Pour illustrer la mondialisation des échanges, nous pouvons procéder à une observation comparée des échanges intra-européens et des échanges hors Europe, sur deux périodes, 1989-1990 et 1998-1999.

En 1989-1990, 27 millions d'hectolitres étaient échangés en Europe contre 34,8 millions en 1998-1999. On observe également une croissance des échanges entre les pays hors-Europe, mais l'élément majeur à constater est le doublement des échanges entre ces derniers et les pays de l'Union européenne.

Je terminerai par un point qui est fréquemment source d'erreurs. On entend parler d'excédent mondial : il s'agit généralement de l'écart entre la production et la consommation, mais on oublie les débouchés hors-vins, qui représentent entre 30 et 40 millions d'hectolitres. C'est l'évolution de cet écart qui explique la tendance à la surproduction mondiale.

Quoi qu'il en soit, les difficultés sur le marché mondial vont être bien réelles !

4. M. René Renou, président du Comité national des vins et eaux de vies de l'INAO

Le positionnement de l'INAO dans ce vaste débat, où chacun apporte des solutions plus définitives les unes que les autres, démontre l'extraordinaire complexité de l'enjeu.

Un viticulteur muni de son sécateur dans une parcelle de vigne se pose toujours une question déchirante : faut-il raccourcir la taille pour produire moins, ou l'allonger pour produire plus ? C'est un peu réducteur, mais la question est bien réelle. Notre assemblée est amenée à donner des orientations à un monde vigneron désemparé.

Deux logiques fondamentales coexistent.

La première consiste à produire beaucoup, afin de couvrir le prix de revient et d'être compétitif. Cela implique un produit standard devant plaire au plus grand nombre. Il faut, en revanche, éviter la rupture de stock, sous peine d'être très rapidement remplacé par un autre. Cette logique n'est pas négative, elle correspond à des segments de marché et à un besoin.

La deuxième logique consiste à produire peu, de façon à bien exprimer son identité et celle du terroir. Il faut alors produire différemment et ne ressembler à personne pour trouver une place sur le marché. Les prix de revient sont supérieurs, d'autant que les possibilités d'extension de la production sont limitées. Si la demande venait à être supérieure à la production, les prix monteraient cette fois de façon irrationnelle. Les bouteilles à 50, 5.000 ou 50.000 francs trouveront toutes preneurs, puisqu'elles correspondront à une attente. Cette logique du produit original ne craint pas la rupture de stock : si l'on est suffisamment identifié, on n'est pas remplaçable sur le marché. La rupture de stock fera, au contraire, augmenter la part de rêve, donc de l'irrationnel en matière de prix. Cette logique a fait ses preuves depuis 1935, date de la création des AOC, qui font rêver le monde entier et nous permettent de conserver toujours cette position de leader sur le plan des vins dans le monde.

Ces deux logiques existent donc pour répondre à un marché de volume et de masse, d'une part, et à un marché du rêve et de l'exception, d'autre part. Elles sont toutes deux cohérentes et font leurs preuves.

Les atouts de la viticulture résident dans la combinaison de ces deux logiques. Nous avons la capacité de produire des vins industriels et des vins offrant une « part de rêve ». Ce double atout est précieux, mais il pourrait devenir un handicap majeur si nous n'étions pas capables de reconnaître les caractéristiques de ces deux logiques. Il ne faut pas vouloir jouer avec les règles de l'un pour produire l'autre. Nous avons rêvé de faire entrer tout le monde dans le système des appellations, mais aujourd'hui certains viticulteurs ne se sentent plus à l'aise dans ce système qui les étouffe à travers une série de contraintes dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus.

Cette démarche a été une erreur fondamentale, car elle a conduit ceux qui considèrent les règles comme trop rigoureuses à vouloir desserrer cette contrainte, au risque de faire s'écrouler le système. Je ne crois pas que l'assouplissement des règles de l'AOC, pour faire plaisir à tout le monde, serait positif. Je crois, au contraire, que l'espace de liberté que tout le monde revendique est une nécessité pour la production viticole française. Celle-ci doit pouvoir s'exprimer et trouver sa place, avec l'aide de nos politiques, de nos lois et de notre réglementation. Plus l'espace des AOC doit être rigoureux, plus cet espace de liberté doit exister.

Il faut que nous ayons le courage d'apprécier, nous viticulteurs et syndicats d'appellation, si nous sommes totalement à l'aise dans le système.

En ce qui concerne l'AOC, je crois profondément à l'agrément, à la traçabilité, à la crédibilité, au contrôle des conditions de production à la parcelle. Lorsque l'on a l'honneur d'écrire soi-même sa règle, on a aussi le devoir moral de s'assurer que celle-ci soit respectée. Les vins d'appellation seraient certes plus contraints en termes de volume de production, mais devraient, en revanche, y gagner sur le plan qualitatif. Nous devons donc nous imposer le courage de regarder les choses en face.

Je terminerai par deux idées qui me paraissent essentielles.

À Bergerac, lors de mon premier comité national, j'avais dit que l'INAO ne devait pas être un outil de protectionnisme en faveur des viticulteurs, mais un outil de protection des appellations d'origine, donc de défense des terroirs, de sorte que personne ne puisse se cacher derrière une étiquette en profitant du travail que la majorité a bien voulu accomplir. C'est ce que le décret paru ce matin permettra de garantir.

Enfin, nous ne pouvons occulter le débat sur la dimension écologique et environnementale. C'est une préoccupation fondamentale : on ne peut revendiquer le terroir à tout propos sans avoir le souci de la préservation de son intégrité. Rappelons que l'AOC n'est une obligation pour personne. Si la règle semble trop stricte et le système trop compliqué et inadapté aux réalités, il faut choisir l'espace de liberté que j'appelle de mes voeux, afin de renforcer cette logique de l'appellation qui permet aujourd'hui de réaliser 40 milliards à l'export, sans coûter au contribuable. Cela ne doit pas être remis en cause, mais il ne faut pas non plus, par souci de protectionnisme, fermer les yeux. Cet espace de liberté est souhaité par toute la profession depuis quarante ans, mais on veut la liberté pour soi, pas pour les autres.

5. M. Jean-Louis Vallet, président-directeur général de Prodis, responsable de la filière vins du groupe Carrefour

Le groupe Stratégie Cap 2010 a réfléchi, à la demande du ministre de l'Agriculture, aux orientations stratégiques qui pourraient être prises par la France en matière viticole. Nous avons remis nos propositions au mois de juillet.

J'interviendrai donc à partir de mon expérience de la grande distribution et des réflexions que nous avons menées ces derniers mois.

L'offre française ne capte pas les nouveaux consommateurs. A l'export, dans les pays où la consommation est en augmentation, nos ventes restent stagnantes et sur le marché intérieur, la consommation continue à se dégrader inexorablement.

L'observation de ce qui se passe sur les linéaires en France et ailleurs conduit à formuler deux remarques.

La situation réglementaire de l'offre française ne correspond pas à la structuration classique d'un marché, qui comprend des basiques, des premiums et des super-premiums, et forme une sorte de pyramide, les produits de la base étant produits en grande quantité et vendus moins cher alors que ceux du sommet sont plus rares et vendus plus chers. Notre système présente une structure très différente de cette pyramide. La lisibilité de notre offre n'est pas cohérente avec ce que comprend le consommateur. Nous avons ainsi dans nos linéaires des rayons « mystère », qui accueillent les AOC, où l'accroche est très difficile, et des rayons « misère », qui réunissent des vins de table. Il faut donc faire évoluer la réglementation de façon à permettre une offre cohérente et lisible.

Par ailleurs, notre politique est axée depuis trente ans sur le terroir. Cela nous a permis d'atteindre une situation de leader , qu'il faut maintenant conserver, puisque nous avons les meilleurs terroirs, les meilleurs cépages, les meilleurs techniciens et la meilleure tradition.

Mais il nous faut prendre acte que ce système a des limites, tant sur le marché français que sur le marché international. Pour favoriser le terroir, la réglementation agit comme repoussoir vis-à-vis de tout ce qui ne fait pas référence à l'AOC. On organise ce rejet. Acheter un vin à moins de 10 € est aujourd'hui presque inavouable... alors que le marché est à plus de 70 % sous les 3 € ! On organise ainsi une sorte de mythologie, une complexité de lecture très dommageable !

Nous pensons que cette réglementation est à revoir et qu'il faut faire émerger une nouvelle catégorie, qui intégrerait les règles oenologiques du marché mondial. Ces règles existent, elles permettent une régularité du produit et pourraient faire émerger cette catégorie porteuse de marques, apportant ainsi une dimension marketing importante. Dans cette perspective, il est également intéressant de constater que, si le marché des vins connaît des difficultés en France, on peut constater que celui des spiritueux augmente de 20 % car il s'agit d'un marché de marques. Malgré la loi Évin, on fait de la communication et on attire des consommateurs. Pour le vin, nous n'avons pas les moyens de cette communication, nous n'avons pas de marques. Nous avons la dimension « terroirs », mais elle est insuffisante pour les non-initiés, que l'on ne peut approcher que par le marketing.

Nous ne condamnons certes pas le système du terroir. Nous devons renforcer cette base importante, mais également ouvrir parallèlement d'autres marchés, dont celui des marques.

Nous préconisons un pilotage décentralisé des vignobles par grands bassins de production. Cela implique le développement de relations entre l'amont et l'aval, avec des politiques contractuelles indispensables.

Enfin, j'insisterai sur la communication. Je serai un peu provocateur.

L'État n'aide pas beaucoup cette communication sur le marché mondial, les budgets sont faibles et ne cessent de se réduire. L'activité commerciale des vins est pourtant extrêmement importante dans la balance commerciale de notre pays.

L'essentiel des budgets de communication se trouve dans les interprofessions, qui sont amenées à communiquer pour l'appellation qu'elles représentent. Tant que cela n'est pas fédéré, cette communication se fait finalement aux dépens des autres appellations, qui deviennent dès lors concurrentes. Or, nos concurrents viennent d'ailleurs, ce sont les vins du « nouveau monde ». Il faut mettre en place un dialogue ou une charte, voire autre chose, pour faire en sorte que la communication sur les vins en France, institutionnelle ou privée, se fasse sous un drapeau « France ». Nous ne devons pas nous tromper d'adversaire.

6. M. Philippe Feneuil, président de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux de vies à appellations d'origine contrôlée (CNAOC)

J'espère que dans trente ou quarante ans nous pourrons encore parler des bienfaits et méfaits du vin car cela sera la preuve que le vin existe toujours.

La campagne 2001-2002 s'achève. Après quelques années d'espoirs en ce qui concerne l'amélioration de la situation, nous devons faire face à la montée en puissance des pays du « nouveau monde » et à la baisse de la consommation, principalement dans les pays producteurs. Les difficultés sur les marchés sont différentes selon les régions, les produits ou les exploitations. La filière des appellations d'origine, jusqu'alors épargnée, connaît elle aussi ses premières difficultés. La réalité lui rappelle que le succès se mérite, qu'il n'est pas gratuit.

Au risque de choquer quelques-uns, j'ai tendance à penser que ces difficultés sont utiles, le bien-être étant souvent soporifique.

Nous bénéficions encore d'excellents atouts : notre image à travers le monde et notre position de leader . La filière des vins et des eaux-de-vie à appellations d'origine représente 52 % de la production française, soit 80.000 exploitations et un chiffre d'affaires de 13,5 milliards d'euros pour les vins et de 1,5 milliard d'euros pour les eaux-de-vie.

Pour les appellations d'origine, a contrario de ce qui a été dit ce matin, les prévisions laissent augurer un potentiel de croissance important, tout particulièrement en ce qui concerne les vins de qualité. La demande de ces vins continuera à augmenter. On constate, en effet, une progression des revenus, accompagnée d'une exigence grandissante des consommateurs. De nouveaux pays consommateurs apprendront à découvrir le vin et une consommation de qualité se développera. Les prévisions estiment que la consommation globale va baisser, mais aussi que la consommation des vins de qualité va constamment augmenter. Ceci prouve que le défi face auquel se trouve le monde des AOC ne porte pas sur la quantité mais sur la qualité des produits.

Une politique défensive n'est pas une stratégie de conquête ou de reconquête des marchés. Notre filière doit prendre conscience de ses atouts et les conforter.

Quant aux pouvoirs publics, nous souhaitons qu'ils nous accompagnent et nous aident à surmonter nos handicaps. Nous ne disposons pas de l'arme du coût de production, ni de la puissance commerciale suffisante pour concurrencer à armes égales les pays nouvellement producteurs. Nous n'avons rien à gagner à nous placer demain sur la même stratégie.

Notre principal atout est notre différence qui repose en partie sur les appellations d'origine et les productions à identité géographique : ne tentons surtout pas d'imiter nos concurrents !

L'appellation d'origine est bien le modèle d'une agriculture multifonctionnelle, qui répond à l'exigence de développement durable en combinant typicité et qualité des produits. Le choix des pouvoirs publics de soutenir la stratégie des appellations en particulier, et de l'indication géographique en général, prouve que les bénéfices sont à la hauteur de l'espérance de ses promoteurs. Dans un contexte d'internationalisation, l'indication géographique devient l'outil du développement harmonieux des territoires.

Nous n'accepterons donc pas une remise en cause des priorités des politiques publiques. Nous comprenons l'intérêt d'une petite partie de la production française à bénéficier d'une réglementation assouplie lui permettant d'être davantage présente sur certains segments de marché, mais pour nous, la création de cet espace de liberté doit rester limitée. Elle ne doit pas aboutir à une remise en cause de la définition traditionnelle du vin et être en aucun cas une source de confusion dans l'esprit du consommateur. La référence géographique doit être strictement interdite pour ces vins industriels ou agroalimentaires.

Nous ne sommes pas opposés au regroupement de tous les vins à indication géographique au sein d'une même catégorie. Lorsqu'on dit « vin de pays », on désigne certains vins qui ont toute leur place parmi les vins de qualité, mais cela ne doit pas donner lieu à une nouvelle segmentation de l'offre, ni à la création d'une troisième catégorie de vins de qualité produits dans une région déterminée (VQPRD). Un repositionnement à travers l'accession de certains vins de pays à la catégorie appellation d'origine / vin délimité de qualité supérieure (ADVDQS) ou à celle d'indication géographique délimitée est bien suffisant.

En revanche, la gestion par un organisme unique de tous les produits se référant à une indication géographique de provenance devrait être une obligation. Nous en ferons une condition incontournable à l'accueil de certains vins de pays dans la famille des VQPRD. Nous considérons que l'INAO a toute légitimité pour être ce gestionnaire.

Il s'agit donc de conforter l'appellation, mais aussi d'approfondir la politique de qualité. La filière AOC, dans des enceintes différentes, a ouvert ces dernières années plusieurs chantiers en ce sens : le suivi des conditions de production, l'agrément ou encore le suivi en aval sont ces chantiers sur lesquels les pouvoirs publics doivent porter toute leur attention. Pour les vins à appellation d'origine, la priorité est de faire respecter les règles fondamentales que se sont collectivement fixées les producteurs, y compris et principalement en ce qui concerne les conditions de production.

L'approfondissement de la politique de qualité repose également sur l'INAO et sur les syndicats d'appellation ; il est nécessaire pour cela d'établir une complémentarité importante entre ces deux identités. Le Parlement va être saisi dans les mois à venir. Il devra donner les moyens aux organismes agréés de jouer un rôle accru dans cette politique de qualité. L'INAO devra se recentrer sur ses missions essentielles d'intérêt national ou international. L'élargissement de ces missions à tous les vins à indication géographique rendra évidemment nécessaire une adaptation de ses moyens.

Comme vous l'avez compris, nous considérons que notre meilleur atout est le système d'appellation d'origine, et plus largement le lien entre le produit et le lieu d'origine. Cependant, notre filière souffre d'un certain nombre de handicaps.

Nous dénonçons depuis plusieurs années le manque de crédits de communication et la charge d'une fiscalité agricole inadaptée. Au-delà de la gestion de l'offre, sur laquelle se concentrent toutes les réflexions sur l'avenir, l'un des principaux enjeux est la promotion de nos produits. Nous devons en ce sens ouvrir plusieurs chantiers.

Tout d'abord, nous devons communiquer sur nos atouts et la spécificité de notre offre. L'information du consommateur doit être l'une de nos principales préoccupations. L'appellation est un dispositif complexe et peut-être difficile à comprendre pour les consommateurs, mais elle bénéficie d'une bonne image. Elle est ressentie comme la garantie d'une qualité supérieure. Nous devons communiquer sur le respect des cahiers des charges, sur la garantie d'une origine et sur le lien du terroir, pour ainsi nous démarquer des autres productions. Cela suppose que les pouvoirs publics et les professionnels s'en donnent les moyens, et que l'on soit imaginatif. La première étape de cette communication pourrait consister en une information systématique, claire et lisible sur les signes officiels de la qualité et de l'origine.

Les pouvoirs publics doivent assumer leurs responsabilités en la matière et se doter des moyens permettant d'assurer la promotion de cette appellation. Les moyens existent. Nous demandons à nouveau qu'une partie des 800 millions de francs des droits de circulation sur le vin, détournée au profit du financement des 35 heures, retrouve sa vocation initiale, c'est-à-dire le financement de la politique de qualité.

Le second chantier porte sur la communication des interprofessions.

Là aussi, les moyens doivent être renforcés, notamment par un transfert de certaines aides publiques. L'État doit continuer à participer au cofinancement des campagnes de promotion.

Il est inadmissible que les crédits des offices, et de l'ONIVINS en particulier, qui sont des crédits d'orientation de la politique agricole, soient diminués dans le budget 2003 du ministère de l'Agriculture. L'État ne doit pas se désengager d'une action jugée comme prioritaire par tous, y compris par lui-même, alors que tous les acteurs de la filière accroissent leurs engagements financiers consacrés à la promotion.

Au-delà de ces deux chantiers, les pouvoirs publics doivent également cofinancer les actions de communication dans l'objet de réhabiliter le vin, de rajeunir son image et promouvoir les moments de consommation. Nous souhaitons que les Français puissent bénéficier d'une information objective sur les bienfaits d'une consommation modérée.

Le second handicap dont nous souffrons est la fiscalité des exploitations et des entreprises. Les aides dont nous parlions pourraient revêtir plusieurs formes.

La compétitivité de notre offre passe nécessairement par une compétitivité des entreprises viticoles. Souvent de petite ou de moyenne taille, celles-ci doivent être en mesure d'affronter leurs concurrents. Il est donc vital que la fiscalité soit adaptée, de manière à renforcer leur solidité financière. Il est urgent, par exemple, que les entreprises individuelles ne soient plus taxées sur le revenu du capital : le revenu du travail doit devenir l'assiette de principe de toute fiscalité.

Enfin, je crois inutile de mener des campagnes de promotion du vin si, par ailleurs, les pouvoirs publics mènent des campagnes de dénigrement du même vin.

7. M. Jean Huillet, président de l'Association nationale interprofessionnelle des vins de table et de pays de France (ANIVIT)

Je reviendrai, tout d'abord, sur le problème de la loi Évin. Elle est un handicap, certes, mais c'est plutôt son interprétation qui me gêne : c'est un vigneron qui vous le dit ! Si nous n'avions pas cette loi, il y aurait sans doute plus de dérives sur la consommation d'alcool et des produits nocifs pour nos enfants.

Nous promenant dans les villes ces derniers mois, nous avons pu remarquer une publicité montrant un renne ou un cochon rouge, et vantant les mérites d'un produit fortement alcoolisé, à déconseiller le samedi soir en boîte de nuit. La loi Évin n'empêche pas de telles publicités. Depuis la Fête de l'Humanité jusqu'à la kermesse de l'école du village, on peut aussi rencontrer, malgré la loi Évin, un petit fanion triangulaire qui vante un apéritif anisé.

Notre filière doit se réapproprier ses systèmes de communication de façon plus pertinente.

À propos de l'exemple de l'équipe de rugby de Narbonne, M. Blanc a omis de préciser qu'il s'agissait d'une compétition Heineken, qui n'est pourtant pas une marque de vêtements ou de petit pois. Mais ce n'est pas la loi Évin qui nous a alors censurés. C'est l'interprétation des chaînes de télévision qui préfèrent que nos enfants regardent « Heineken » sur un panneau publicitaire à l'étranger plutôt que « French Wines ». Il faudrait débattre sur ce sujet.

En ce qui concerne le thème précis de cette table ronde, j'apporterai ma modeste pierre à notre détermination, car c'est bien de détermination dont il s'agit.

L'offre française est en difficulté. Si nous ne prenons pas d'initiative, elle sera détruite en grande partie. Il faut réagir, et la réaction ne peut provenir que de l'ensemble de la filière, depuis la production jusqu'à la distribution.

La qualité de notre production est reconnue, nous sommes leaders . Nous avons tendance à nous satisfaire de cela, sans nous remettre en question. Or, le fondement de notre métier de vigneron consiste en une remise en question permanente. Chaque jour, le vigneron doit se dire qu'il crée un produit culturel, qui a une âme. Ce produit ne peut être conditionné et mis sur le marché comme n'importe quel autre produit. Il faudra donc se poser la question de savoir comment séduire celui à qui l'on a envie d'offrir cette âme.

Cette remise en question doit, bien entendu, être accompagnée par toutes les approches de recherche, d'expérimentation, etc. Ceci concerne l'amont de la filière.

En aval, nous connaissons quelques succès, bien sûr, mais j'ai entendu dire qu'il n'y avait pas de marques... C'est la vérité, nous sommes très faibles dans la compétition mondiale. Pourquoi n'avons-nous pas réussi là où d'autres, en si peu de temps, ont atteint le succès ? La valeur ajoutée est absente, les marges sont insuffisantes, et par conséquent, on ne peut pas investir. Là aussi, l'intervention de l'ensemble de la filière est indispensable. Les problèmes ne seront pas réglés simplement parce qu'en amont on aura décrété qu'il faut arracher !

L'aval de la filière s'est souvent organisé en opposition avec l'amont. Il faudrait également parler du processus de concentration qui nous crée quelques soucis. Des esprits chagrins, emportés, syndicalistes, pourraient dire que, compte tenu de cette concentration, les dés pourraient être pipés dès le départ. Je me garderais bien de confirmer ce genre d'affirmation, mais on constate des choses surprenantes. Lorsque, après leur effondrement, les prix à la consommation remontent, on nous explique que l'on ne peut pas répercuter les hausses à la production. Je n'ai sans doute pas suivi les études qu'il fallait pour comprendre cela ! Un débat serait nécessaire sur ce genre de sujet.

Nous ne réglerons pas les problèmes de la viticulture en nous occupant seulement des conditions de production et de la maîtrise des rendements, ou à travers les seules méthodes de mise en marché. C'est l'ensemble, là aussi, qui doit fonctionner.

Mais un vigneron ne baisse pas les bras !

Dans cette filière, trois acteurs doivent avancer ensemble : les pouvoirs publics, les metteurs en marché et négociants, et les producteurs. Ils doivent relever ensemble le défi que nous lance « l'autre monde ». Je dis bien « l'autre » monde et non pas le « nouveau », parce qu'il se trouve que des marques australiennes de vins, par exemple, ne sont finalement que des délocalisations. Nous avons connu cela avec le textile : peut-être pourrions-nous anticiper.

Nous devons, dans un premier temps, définir la segmentation de la demande, pour procéder ensuite à une segmentation de l'offre. En ce sens, l'internationalisation est une chance, parce qu'elle multiplie les possibilités de différenciation et donc d'expression de chacun.

Nous devons également travailler sur l'engagement parcellaire. Il s'agit de savoir dans quel camp le producteur veut jouer, qu'il le choisisse et qu'il y reste selon des engagements pluriannuels.

Par ailleurs, le travail doit se faire selon la logique de filière, de contractualisation et de partenariats, qui doivent être de véritables contrats d'entreprises. Nous devons mettre en place ce qui a été organisé dans ces pays de l'autre monde parce qu'ils n'avaient pas fait les choix culturels et politiques faits en France. Le monde de la production et celui des pouvoirs publics ont refusé l'intégration verticale en termes d'économie agricole, et notre logique est aujourd'hui un handicap dans la compétition internationale. En effet, nous avons, dans une même filière, différents lieux de profits qui génèrent des comportements pouvant s'avérer antinomiques. Vignerons, metteurs en marché et distributeurs peuvent avoir à certains moments des intérêts divergents.

Nous n'allons pas bouleverser nos habitudes culturelles, et je crois que nous avons bien fait de choisir ce schéma, mais entre le tracteur et l'outil, il faut un cardan. Il nous faut une logique de filière organisée, tout en gardant chacun nos différences et nos façons de travailler, ce qui passe par le partenariat et la contractualisation.

Cela va se construire autour de deux grandes familles : les identifications d'origine, AOC et vins de pays -l'INAO devrait d'ailleurs songer à se dépoussiérer quelque peu...-, et les produits de marques, qui doivent être pensés et élaborés comme tels dès la base, dès la taille.

Pour terminer, je dirai que nous ne voulons plus de pouvoirs publics paternalistes, qui décident, coupent, tranchent et brisent, et vers lesquels on se tourne parce qu'on a le petit doigt qui gratte ! Les pouvoirs publics sont là pour nous accompagner. Ce sont des managers, des coaches qui font partie intégrante de l'équipe pour amener les modifications réglementaires nécessaires, pour ne pas nous chausser de souliers de montagne pendant que les autres avancent en baskets ! Ils doivent organiser la réglementation, les flux financiers et les budgets. Ce n'est vraiment pas le moment de réduire les budgets des offices : nous sommes en pleine réorganisation afin de reconquérir pour gagner ! On ne peut pas se battre à la fronde contre des chars !

Nous devons garder cette place première que nous occupons dans le monde. Le vin est un atout économique, certes, mais aussi un symbole du comportement culturel de la France. Le vin est un plaisir et, comme je le disais, une rencontre d'âmes : c'est ce qui fait la paix dans le monde.

Débat avec la salle

Question :

Producteur de vin à Pouilly-sur-Loire, j'essaie de temps en temps de comprendre la réglementation. Je produis du vin d'appellation contrôlée, je suis dans un cadre bien limité. En dehors de ce cadre, j'ai pensé créer autre chose, et cela s'avère bien difficile. Il existe des listes de cépages autorisés par département, et d'autres qui sont interdites. Des Américains plantent du cabernet Sauvignon, du merlot, mais je n'ai pas le droit de planter du gewurztraminer ou des cépages italiens ! Nous n'avons aucune marge de créativité. C'est pourquoi certains vignerons partent en Nouvelle-Zélande.

Philippe Feneuil :

Vous êtes dans une région d'AOC, avec des cépages correspondants. Si vous voulez créer à côté, dans une zone qui reste à définir, des vins « technologiques »...

Question :

Des vins de cépages, de qualité !

Philippe Feneuil :

Soit. À condition que la réglementation de la zone vous y autorise, vous pouvez, à côté de votre exploitation AOC, choisir une autre catégorie. Dans les zones mixtes, tout le monde a la possibilité de préciser que telle parcelle fera de l'AOC.

Question :

Je crois que vous n'avez pas bien compris. Je suis vigneron, dans un système d'AOC. À côté, je possède des terrains hors AOC, où j'ai le droit de planter des cépages qui n'ont aucun intérêt, et les cépages intéressants ne sont pas autorisés dans mon département. C'est complètement aberrant !

Jean Huillet :

Vous signalez un problème auquel il va effectivement falloir réfléchir : la possibilité de faire cohabiter dans des zones géographiques relativement proches des types de production différents. Cela implique la mise en place de frontières précises, afin d'éviter toute confusion.

Nous sommes tous tentés par certains cépages, mais il faut se poser la question de savoir si quelqu'un achètera les productions qui en seront issues. Si la réponse est « oui », alors on peut commencer à réfléchir à la pratique. Mais il faut se garder des imitations.

Jean-Luc Vallat, oenologue, conseiller en communication, agence Nouveau Sud :

Les modes de consommation changent, cela a été souligné. On consomme le vin en apéritif, lors de réceptions, etc.

Ne serait-il donc pas intéressant, dès lors, de présenter les vins dans les linéaires en fonction de ces circonstances de consommation ?

Jean-Louis Vallet :

Cette question est à l'ordre du jour. La réglementation est un peu complexe à ce sujet. Un travail est en cours, sous la tutelle de l'ONIVINS. Nous menons des enquêtes en vue de tester différentes méthodes d'implantation des rayons, méthodes qui tiennent compte de toutes les habitudes de consommation.

Gilles Dabezies, directeur général de SOPEXA :

Dans le cadre des réflexions autour de la communication, on considère à la fois un atout et un handicap la richesse et la diversité du vin en France. Doit-on communiquer sur le vin de France ou sur les grandes interprofessions ? Vaste débat.

Mais la difficulté ne vient-elle pas aussi de la diversité du monde ? Les marchés sont différents. Peut-on communiquer à l'identique en Chine et en Angleterre ? Ne faudrait-il pas que les interprofessions s'unissent, sachant qu'en communication dix fois dix est inférieur à cent ?

Des actions de fond sur le vin de France ne devraient-elles pas être envisagées sur les marchés lointains qui s'ouvrent ? Construire des communications séparées sur ces marchés n'aurait aucun sens, contrairement aux marchés britanniques et allemands par exemple.

Philippe Feneuil :

Une première communication doit être faite sur la connaissance du vin, avec toutes les valeurs culturelles qu'il porte. Chacun déclinera ensuite son identité par les interprofessions, par les marques ou par autre chose.

Jean-Louis Vallet :

Les sacrifices des producteurs, au niveau de chacune des interprofessions, sont énormes. Il faut donc faire attention de ne pas se faire kidnapper !

Nous sommes des sous-communicants, dans le sens où les budgets sont très faibles, mais sur-communicants dans le sens où de nombreux articles de presse parlent du vin.

Mon propos était donc de dire qu'il faut fédérer ces actions, faire en sorte qu'il y ait synergie des communications et non pas cannibalisation.

Je partage, enfin, tout à fait l'idée que les stratégies doivent être distinctes selon les pays-cibles.

Mireille Daret, gérante du cru Barréjats :

Nous avons parlé de démarche qualitative, du goût des consommateurs pour les vins naturels, de réduction du volume alcoolémique.

Je m'étonne du fait que, bien que ce soit sur dérogation, les vins en France soient systématiquement chaptalisés de deux degrés en moyenne. Si cette chaptalisation n'existait pas, les vins auraient deux degrés d'alcool en moins, ou alors les volumes produits seraient moins importants.

Philippe Feneuil :

Il existe des terroirs, des climats et, selon les vins que l'on produit, certaines obligations. On ne fabrique pas un vin liquoreux comme on fabrique un vin effervescent. L'enrichissement est une chose, la chaptalisation en est une autre, et certaines nécessités sont incontournables.

Jean-Mary Tarlant, président d'ITV :

Responsable de la recherche-développement depuis un an, je constate que nous avons beaucoup de difficultés à organiser cette dernière.

La filière viticole est l'une de celles qui ont le moins de recherche, elle ne représente que 0,3 % du chiffre d'affaires. À cela s'ajoute la recherche publique, mais si la filière viticole représente 16 % de l'agroalimentaire, l'INAO y consacre seulement 3 % de son budget...

Si nous voulons être présents demain sur les marchés, nous devons disposer d'une recherche performante.

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