II. LA RÉFORME PROPOSÉE ET SES INCIDENCES SUR LES DROITS DES FEMMES

A. UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE LES MODES DE SCRUTIN, QUI N'EN PRÉSERVE PAS MOINS LA PROGRESSION VERS LA PARITÉ

La proposition de loi portant réforme de l'élection des sénateurs n'intéresse les préoccupations de votre délégation que dans ses articles 5 et 6 qui rétablissent le scrutin majoritaire dans les départements où sont élus 3 sénateurs. L'objectif de cette modification est, conformément à la vocation constitutionnelle du Sénat « de mieux prendre en compte la spécificité des territoires et de garantir une représentation territoriale équilibrée ».

Ce changement peut, à première vue, susciter l'inquiétude par rapport à l'objectif d'un meilleur accès des femmes aux mandats électifs. Elever le seuil du recours au scrutin proportionnel -assorti depuis la loi du 6 juin 2000 d'une obligation d'alternance homme/femme sur les listes- n'est-ce-pas, a priori , diminuer le nombre de femmes élues ?

Au demeurant, il convient d'intégrer à la réflexion sur cet aspect deux autres données importantes.

En premier lieu, le mode de scrutin actuellement en vigueur -c'est-à-dire la proportionnelle pour les départements comportant 3 sièges de sénateurs ou plus- n'a été utilisé qu'une fois, en 2001, sur la seule série B. Les séries C et A, renouvelées respectivement en 1995 et 1998, l'ont été avec un régime électoral bien différent : le scrutin proportionnel ne s'appliquait qu'à partir de 5 sièges par département et sans obligation de parité sur les listes 2 ( * ) .

Par ailleurs, il faut évidemment prendre en compte le fait que la réforme prévue par les propositions de loi n° 312 et 313 porte non seulement sur le seuil à partir duquel le scrutin proportionnel s'applique, mais également sur le nombre de sièges attribués à chaque département. Un accroissement significatif -25 sièges supplémentaires- de l'effectif des sénateurs est proposé, et cet accroissement ne profite, globalement, qu'aux départements relevant, sous l'empire de la législation actuelle comme sous celui de la réforme proposée, de l'élection au scrutin proportionnel.

Alors que le nombre de départements élisant 1 ou 2 sénateurs diminue, ne représentant plus que 91 sièges au lieu de 97 actuellement, celui des sièges des départements ou circonscriptions élisant 4 sénateurs et plus augmente substantiellement, passant de 135 à 180.

Dans la mesure où le nombre de départements élisant 3 sénateurs -qu'il est proposé d'assujettir au scrutin majoritaire- demeure quasiment stable, passant de 26 à 25, il apparaît que les effets potentiellement négatifs, au regard de la parité, de la nouvelle ligne de partage entre les modes de scrutin, devraient se trouver en partie compensés par l'accroissement de l'effectif du Sénat .

Trois chiffres mettent cet aspect en évidence.

Avant les lois du 6 juin et du 6 juillet 2000 , un avantage très net était donné au scrutin majoritaire, qui pourvoyait 211 sièges sur 321, soit quasiment les deux-tiers des sièges .

Avec le régime actuellement en vigueur, ce rapport numérique a été plus qu'inversé , puisque près de 70 % des sièges (224) sont régis par le scrutin proportionnel.

Comme le montre le tableau ci-après, la réforme proposée réalise, elle, un partage à peu près égal entre les deux modes de scrutin , avec d'ailleurs un léger avantage en faveur de la proportionnelle, appelée à pourvoir 52 % des sièges (180) contre 48 % (166) pourvus au scrutin majoritaire.

Nombre et répartition des sénateurs

selon les propositions de loi n° 312 et 313

Départements

Nombre de sénateurs

Augmentation proposée par rapport

au nombre actuel

1 siège

Alpes-de-Haute-Provence

1

Alpes(Hautes)

1

Ariège

1

Belfort (Territoire de)

1

Corse-du-Sud

1

Corse (Hautes)

1

Lozère

1

Wallis-et-Futuna (TOM)

1

9 départements

Saint-Pierre-et-Miquelon (Collec. Territ.)

1

et 9 sièges

2 sièges

Allier

2

Ardèche

2

Ardennes

2

Aube

2

Aude

2

Aveyron

2

Cantal

2

Charente

2

Cher

2

Corrèze

2

Creuse

2

Dordogne

2

Gers

2

Indre

2

Jura

2

Landes

2

Loire (Haute)

2

Loir-et-Cher

2

Lot

2

Lot-et-Garonne

2

Marne (Haute)

2

Mayenne

2

Meuse

2

Nièvre

2

Orne

2

Pyrénées (Hautes)

2

Pyrénées-Orientales

2

Saône (Haute)

2

Savoie

2

Sèvres (Deux)

2

Tarn

2

Tarn-et-Garonne

2

Vienne

2

Vienne (Haute)

2

Vosges

2

Yonne

2

Guyane (DOM)

2

(+1)

Martinique (DOM)

2

(+1)

Polynésie française (TOM)

2

(+1)

Mayotte (Collectivité territoriale)

2

(+1)

41 départements

Nouvelle-Calédonie (Collect. d'outre-mer)

2

(+1)

et 82 sièges

3 sièges

Ain

3

(+1)

Aisne

3

Calvados

3

Charente-Maritime

3

Côte-d'Or

3

Côtes d'Armor

3

Doubs

3

Drôme

3

(+1)

Eure

3

Eure-et-Loir

3

(+1)

Gard

3

Indre-et-Loire

3

Loiret

3

Manche

3

Marne

3

Morbihan

3

Puy-de-Dôme

3

Pyrénées-Atlantiques

3

Saône-et-Loire

3

Sarthe

3

Savoie (Haute)

3

Somme

3

Vaucluse

3

(+1)

Vendée

3

25 départements

Guadeloupe (DOM)

3

(+1)

et 75 sièges

4 sièges

Finistère

4

Hérault

4

(+1)

Ille-et-Vilaine

4

Loire

4

Maine-et-Loire

4

(+1)

Meurthe-et-Moselle

4

Oise

4

(+1)

Rhin (Haut)

4

(+1)

Var

4

(+1)

10 départements

Réunion (DOM)

4

(+1)

et 40 sièges

5 sièges

Alpes-Maritimes

5

(+1)

Essonne

5

Garonne (Haute)

5

(+1)

Isère

5

(+1)

Loire-Atlantique

5

Moselle

5

Rhin (Bas)

5

(+1)

8 départements

Val-d'Oise

5

(+1)

et 40 sièges

6 sièges

Gironde

6

(+1)

Seine-et-Marne

6

(+2)

Seine-Maritime

6

Seine-Saint-Denis

6

Val-de-Marne

6

6 départements

Yvelines

6

(+1)

et 36 sièges

7 sièges

Hauts-de-Seine

7

Pas-de-Calais

7

3 départements

Rhône

7

et 21 sièges

8 sièges

Bouches-du-Rhône

8

(+1)

1 département

et 8 sièges

11 sièges

Nord

11

1 département

et 11 sièges

12 sièges

Paris

12

Français établis hors de France

12

24 sièges

Soit un total de 346 sièges

On peut déduire de la combinaison de ces données :

que les départements comptant 3 sénateurs de l'actuelle série B -qui avaient élu 6 femmes en 2001 contre 1 seule en 1992- enverront sans doute, proportionnellement, moins de femmes à la Haute Assemblée qu'en 2001 ; encore qu'il faille se garder de toute approche mécaniste des questions électorales, et prendre en considération l' « effet sortant » dont bénéficieront les femmes précédemment élues ;

mais que les départements ou circonscriptions comptant 3 sénateurs des séries C et A devraient élire plus de femmes au Sénat qu'ils ne l'ont fait en 1995 et 1998, même si l'on peut parler de perte potentielle par rapport aux résultats qu'aurait vraisemblablement donnés l'application de la législation instituée en 2000.

L'exemple de la série C , renouvelable en 2004 avec un supplément de 10 sièges par rapport à 1995, permet le constat suivant.

En 1995, cette série, renouvelée avant les lois sur la parité, avait pourvu 59 sièges au scrutin majoritaire (ceux des départements comptant de 1 à 4 sénateurs, à l'exception du Val-d'Oise) et 58 à la représentation proportionnelle (le Val-d'Oise et les départements comptant 5 sénateurs et plus).

En 2004, la série C élira 44 sièges (soit 15 de moins qu'auparavant) au scrutin majoritaire et 83 sièges à la représentation proportionnelle, soit 25 de plus.

La perspective d'un net progrès, quant à la mixité de la Haute Assemblée, paraît donc préservée.

Une remarque analogue peut être faite pour la série A, renouvelable en 2007 .

En 1998, cette série, moins fournie en circonscriptions de 5 sénateurs et plus, avait élu 90 sénateurs au scrutin majoritaire et 12 seulement à la représentation proportionnelle. En 2007, le rapport entre les deux modes de scrutin sera, lui aussi, nettement modifié en faveur de la représentation proportionnelle : 40 sièges, au lieu de 12 en 1998, seront régis par ce mode de scrutin, alors que le nombre de sièges pourvus au scrutin majoritaire passera de 90 à 72.

* 2 On trouvera en annexe le nombre et le pourcentage des femmes élues au Sénat, selon le nombre de sièges par département, lors des 5 derniers renouvellements.

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