B. LA QUESTION DU STATUT JURIDIQUE DE L'ENTREPRISE N'EST PAS LA PRIORITÉ

1. Le statut : ni tabou...

Chacun sait que la maison mère La Poste relève, depuis la réforme de 1990, d'un statut assimilable à celui d'établissement public industriel et commercial.

En dehors de toute crispation idéologique stérile, et considérant, de façon pragmatique, le seul intérêt de l'entreprise, votre rapporteur n'avait pas hésité à soumettre au débat, au cours de ces dernières années, une question pourtant taboue et que bien peu osaient poser en public : celle de l'éventuelle transformation du statut juridique de La Poste. En 1997, dans le premier rapport : « Sauver La Poste » , l'éventualité d'une transformation en société anonyme à majorité publique était envisagée comme une voie permettant à l'opérateur postal de conquérir une place mondiale.

En 2000, s'appuyant sur le constat que La Poste était la dernière en Europe avec la poste luxembourgeoise à disposer d'un statut administratif, une proposition de loi 98 ( * ) cosignée par votre rapporteur et plusieurs sénateurs membres du groupe d'études « poste et télécommunications » traçait même la voie à suivre en mettant noir sur blanc, sous forme d'une modification de la loi du 2 juillet 1990, des modalités de transformation de La Poste en société anonyme à capital majoritairement public, tout en garantissant le maintien du statut du personnel.

Votre rapporteur ne nie pas les avantages, en termes notamment d'autonomie de gestion et de capacité à mobiliser des capitaux, que pourrait présenter une modernisation du statut juridique de l'établissement postal. Pourtant, aujourd'hui, il lui apparaît que le front de l'urgence n'est pas le changement de statut, mais bien plutôt la restauration de l'efficacité et de la qualité des prestations postales : modernisation des processus de traitement du courrier grâce à un investissement substantiel, élargissement de la gamme des produits financiers, ou encore re-dynamisation du réseau... En bref, dans l'ensemble des changements à conduire, la question du statut n'apparaît pas comme la plus prioritaire pour faire face à l'urgence.

2. ... Ni urgence

L'heure n'est plus à la conquête d'une position d'envergure au plan mondial. Il n'est plus temps de suivre une stratégie à l'allemande encore à portée de main en 1997.

Le tableau ci-dessous atteste de l'évolution divergente qu'ont connue depuis les postes française et allemande :

CHIFFRES CLEFS RÉVÉLANT L'ÉCART DE PERFORMANCE
ENTRE LES POSTES ALLEMANDE ET FRANÇAISE

DPWN 1989

(Allemagne Est+Ouest : 80 millions d'habitants)

La Poste 1989

(France : 60 millions d'habitants)

DPWN 2002

La Poste 2002

Statut

Administration

Administration

SA cotée

Etablissement public

Personnel

400 000

290 000

320 000

330 000

Résultats (en millions d'euros)

-700

30

660

34

Chiffre d'affaires (en milliards d'euros)

12

12

39

17

Bureaux

20 000

17 000

14 000

17 000

Résultat net (en millions d'euros)

1997

1998

1999

2000

2001

2002

DPWN

nd

930

1 100

1 530

1 600

660

La Poste

9

51

284

139

-95

34

Il s'agit aujourd'hui de prendre en priorité des mesures à même d'éviter un « ratatinement » européen de notre opérateur postal.

Mener à bien les évolutions nécessaires n'est pas impossible dans le cadre du statut actuel.

Certes, le statut de société anonyme à capitaux publics simplifierait la gestion, clarifierait le cadre de la gouvernance de l'entreprise, lui donnerait des marges de manoeuvre accrues en matière financière et notamment pour la conclusion d'alliances. Il éviterait aussi que ne se creusent des écarts trop importants entre une maison mère qui serait en voie d'amaigrissement et des filiales ayant de plus en plus d'embonpoint.

Tous ces avantages existent toujours et sont loin d'être négligeables. Mais dans l'ordre des priorités, et compte tenu de l'urgence, la question de la sociétisation n'est plus à l'ordre du jour.

L'évolution du statut n'est d'ailleurs pas considérée par les dirigeants de La Poste comme un préalable aux évolutions nécessaires.

En effet, le statut actuel a démontré qu'il n'était pas incompatible avec la croissance externe du groupe. Pour devenir un groupe de taille européenne, notamment dans le secteur du colis, La Poste a mené ces dernières années une politique de croissance externe dans ce cadre juridique, évidemment limitée par les ressources financières dont elle dispose sous ce statut.

Cette limitation des fonds propres disponibles, compte tenu de sa situation financière et de l'impossibilité de procéder à des échanges de participations croisées au niveau de la maison mère l'a amenée à conduire une politique de prise de participation dans les sociétés françaises ou européennes qui lui permettaient de se positionner sur les marchés stratégiques plutôt que des acquisitions lourdes, comme a pu le faire la poste allemande.

Avec ce qui a pu apparaître à certains, en comparaison de la marche victorieuse de ses concurrents, comme un « petit braquet », elle a toutefois réussi à acquérir une position honorable, même si de moindre envergure, dans le secteur des colis.

De même, elle a engagé, certes sous la seule forme d'accords commerciaux, avec des postes européennes ou des sociétés étrangères comme Federal Express, des partenariats permettant des synergies commerciales ou l'optimisation des coûts en réalisant des économies d'échelle.

Bien sûr, faute de disposer des capitaux suffisants en propre, et ne pouvant avoir accès aux marchés financiers dans les mêmes proportions que ses concurrents, La Poste ne s'est pas engagée dans le secteur, en fort développement et en croissance à deux chiffres, de la logistique, qui représente aujourd'hui plus du quart de l'activité de la poste allemande, par exemple. Pour autant, ce qu'on serait tenté de qualifier de « choix du pauvre », qu'il est trop tard pour remettre en cause, ne semble pas la condamner inexorablement.

Pour l'heure, la capacité de La Poste à relever les défis associés à l'ouverture des marchés postaux réside principalement dans sa capacité à dégager les moyens de son développement grâce à un effort substantiel d'amélioration de sa performance.

Pour l'ensemble de ces raisons, il convient d'abord de résoudre les questions, de nature industrielle, qui se posent aujourd'hui, avec l'ouverture à la concurrence, avant de s'attaquer à celles, de nature politique et juridique, qui se poseront demain. En tout état de cause, pour votre rapporteur, une éventuelle transformation du statut de l'opérateur se situerait dans le cadre d'un projet industriel international restant à construire et d'un projet social fort.

L'urgence aujourd'hui, c'est de mettre les personnels de La Poste, suivant des orientations qui seront définies par la direction de l'entreprise, en situation de combler son retard de performance et de se battre, dans la concurrence, à jeu égal.

* 98 Proposition de loi n° 104 (2000-2001) déposée le 25/11/2000 relative à l'entreprise nationale La Poste , présentée par Gérard Larcher ; Pierre Hérisson ; Paul Girod ; François Trucy ; Louis Althapé et Philippe Adnot.

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