2. La déclaration de Doha

a) Des principes affirmés

À l'issue de la Conférence, les parties ont adopté une déclaration distincte relative à la santé publique et aux conséquences de l'accord ADPIC sur l'accès aux médicaments.

Cette déclaration souligne l'impératif de santé publique qui justifie que les gouvernements puissent utiliser les « flexibilités » reconnues par cet accord, notamment le recours aux licences obligatoires , en cas d'urgence. Ce faisant, ce texte est assez proche des droits occidentaux en vigueur : en effet, cette même possibilité de licences obligatoires existe, par exemple, en droit français et américain. Lorsqu'il existe un motif réel de contourner la protection des brevets, un pays peut accorder à un industriel une licence obligatoire permettant la production de médicaments hors droits. Suivant la législation nationale en vigueur en matière de propriété intellectuelle, cette décision peut prendre la forme d'une loi ou d'un règlement. Le détenteur du brevet est associé à la négociation - ou n'en est qu'informé en cas d'urgence - et il perçoit en contrepartie une compensation financière, même partielle.

Déclaration de Doha

sur l'accord ADPIC et la santé publique

1. Nous reconnaissons la gravité des problèmes de santé publique qui touchent de nombreux pays en développement et pays les moins avancés, en particulier ceux qui résultent du VIH/SIDA, de la tuberculose, du paludisme et d'autres épidémies.

2. Nous soulignons qu'il est nécessaire que l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) fasse partie de l'action nationale et internationale plus large visant à remédier à ces problèmes.

3. Nous reconnaissons que la protection de la propriété intellectuelle est importante pour le développement de nouveaux médicaments. Nous reconnaissons aussi les préoccupations concernant ses effets sur les prix.

4. Nous convenons que l'Accord sur les ADPIC n'empêche pas et ne devrait pas empêcher les membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique.

En conséquence, tout en réitérant notre attachement à l'Accord sur les ADPIC, nous affirmons que ledit accord peut et devrait être interprété et mis en oeuvre d'une manière qui appuie le droit des membres de l'OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l'accès de tous aux médicaments.

À ce sujet, nous réaffirmons le droit des membres de l'OMC de recourir pleinement aux dispositions de l'Accord sur les ADPIC, qui ménagent une flexibilité à cet effet.

5. En conséquence et compte tenu du paragraphe 4 ci-dessus, tout en maintenant nos engagements dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC, nous reconnaissons que ces flexibilités incluent ce qui suit :

a) Dans l'application des règles coutumières d'interprétation du droit international public, chaque disposition de l'Accord sur les ADPIC sera lue à la lumière de l'objet et du but de l'Accord tels qu'ils sont exprimés, en particulier, dans ses objectifs et principes.

b) Chaque membre a le droit d'accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées.

c) Chaque membre a le droit de déterminer ce qui constitue une situation d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence, étant entendu que les crises dans le domaine de la santé publique, y compris celles qui sont liées au VIH/SIDA, à la tuberculose, au paludisme et à d'autres épidémies, peuvent représenter une situation d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence.

d) L'effet des dispositions de l'Accord sur les ADPIC qui se rapportent à l'épuisement des droits de propriété intellectuelle est de laisser à chaque membre la liberté d'établir son propre régime en ce qui concerne cet épuisement sans contestation, sous réserve des dispositions en matière de traitement NPF et de traitement national des articles 3 et 4.

6. Nous reconnaissons que les membres de l'OMC ayant des capacités de fabrication insuffisantes ou n'en disposant pas dans le secteur pharmaceutique pourraient avoir des difficultés à recourir de manière effective aux licences obligatoires dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC. Nous donnons pour instruction au Conseil des ADPIC de trouver une solution rapide à ce problème et de faire rapport au Conseil général avant la fin de 2002.

7. Nous réaffirmons l'engagement des pays développés membres d'offrir des incitations à leurs entreprises et institutions pour promouvoir et encourager le transfert de technologie vers les pays membres les moins avancés conformément à l'article 66-2. Nous convenons aussi que les pays membres les moins avancés ne seront pas obligés, en ce qui concerne les produits pharmaceutiques, de mettre en oeuvre ou d'appliquer les sections 5 et 7 de la partie II de l'Accord sur les ADPIC, ni de faire respecter les droits que prévoient ces sections jusqu'au 1er janvier 2016, sans préjudice du droit des pays membres les moins avancés membres de demander d'autres prorogations des périodes de transition, ainsi qu'il est prévu à l'article 66-1 de l'Accord sur les ADPIC. Nous donnons pour instruction au Conseil des ADPIC de prendre les dispositions nécessaires pour donner effet à cela en application de l'article 66-1 de l'Accord sur les ADPIC.

b) Une mise en oeuvre difficile

L'autorisation de fabrication de médicaments génériques

Un accord de principe a été conclu à Doha : il reconnaît le caractère indispensable d'aider les pays en développement à lutter contre les trois pandémies mortelles que sont le sida, le paludisme et la tuberculose. Considérant, pour reprendre les mots du Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, « que les règles protégeant la propriété intellectuelle ne doivent pas constituer un obstacle à la promotion et à la protection de la santé publique », il accorde aux pays émergents le droit de reproduire des médicaments brevetés dans les pays développés . L'autorisation ainsi octroyée bénéficiait aux grands pays émergents, comme l'Inde, la Thaïlande, le Brésil ou l'Afrique du Sud, qui disposent des laboratoires et des capacités scientifiques de production des substances thérapeutiques. En revanche, l'accord laissait de côté les pays les plus pauvres, ne possédant pas les moyens techniques de fabrication nécessaires, alors même qu'ils sont souvent les plus touchés par les maladies prises en compte.

En effet, si elle acceptait la fabrication des médicaments pour un usage local, l'OMC s'opposait à la commercialisation des médicaments génériques, donc à leur exportation en dehors du marché national, en raison notamment de la résistance des grands groupes pharmaceutiques. Ceux-ci craignaient que l'exportation de substances à bas prix vers les pays du tiers-monde n'entraîne des détournements de trafic vers les pays développés et des pertes de ressources venant tarir les moyens financiers qu'ils consacrent à leurs efforts de recherche et développement.

Les difficultés liées à l'exportation de médicaments génériques

Constatant l'impasse, les pays de l'OMC avaient arrêté le principe d'une clause de rendez-vous avant la fin de l'année 2002. Pour trouver une issue juridique à cette difficulté, un mandat avait été confié en ce sens au Conseil des ADPIC.

Cet engagement a été, un temps, en voie d'être respecté, puisqu'un second accord a été conclu le 15 novembre 2002, à Sydney, entre vingt-quatre gouvernements, plus l'Union européenne, qui s'y réunissaient en « mini-ministérielle » dans le cadre de l'OMC.

L'arrangement auquel ils étaient parvenus devait autoriser certains pays à fabriquer et à exporter vers « les pays qui en ont le plus besoin », sur la base du cas par cas, les médicaments génériques concernant « les maladies aux proportions d'épidémies » . Bien que lourd et d'une mise en oeuvre complexe, il devait garantir l'accès des pays les plus pauvres aux produits génériques, à un prix acceptable, tout en évitant le risque de réexportation vers d'autres pays. Ce faisant, la procédure n'était pas achevée puisqu'il restait encore à déterminer quels médicaments étaient concernés par cet accord et quels pays pourraient en bénéficier, puis à obtenir l'accord des membres de l'OMC sur le dispositif d'ensemble.

Réunis le 20 décembre 2002, le Conseil des ADPIC, puis le Conseil général de l'OMC, n'ont cependant pu que constater l'opposition des États-Unis et l'absence de consensus sur le texte proposé quatre jours plus tôt par l'Ambassadeur du Mexique, président du Conseil des ADPIC. Le dossier n'a pas progressé depuis lors, malgré une deuxième tentative de compromis espérée, en vain, lors de la « mini-ministérielle » de Tokyo de la mi-février 2003.

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