N° 44

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 octobre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur les prélèvements obligatoires et leur évolution ,

Par M. Alain VASSELLE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Sécurité sociale.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le débat sur les prélèvements obligatoires constitue, pour la commission des Affaires sociales, une opportunité toute particulière de rendre un hommage appuyé à son ancien rapporteur pour les équilibres financiers généraux, Charles Descours, qui fut l'ardent partisan de l'autonomie des comptes de la sécurité sociale en même temps que l'artisan d'un dialogue toujours constructif entre les finances de l'État et les finances sociales.

L'originalité de son initiative - imposer un débat commun aux commissions des Finances et des Affaires sociales - prenait tout son sens dans une période caractérisée par la multiplication des usines à gaz et des dérivations suspectes.

Pourtant, le contexte nouveau, voulu par le présent Gouvernement et réclamé par les élus, d'une clarification des relations financières entre l'État et la sécurité sociale n'a pas renvoyé son excellente initiative au rang d'une intervention ponctuelle.

En effet, cette année, celle-ci prend un relief particulier car le Parlement se trouve, en raison de l'application de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, confronté à une regrettable schizophrénie des discussions budgétaires.

Ainsi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 fixe les règles relatives à la taxe sur le tabac et enregistre son produit dans les prévisions de recettes des organismes qui en bénéficient, mais la répartition correspondante de cette même taxe entre ces mêmes bénéficiaires est opérée par le projet de loi de finances.

Jamais les législateurs organiques de 1996 et 2001, chacun attentif à ce que les prérogatives du Parlement soient renforcées, n'ont souhaité, ni même envisagé, qu'un tel morcellement puisse se produire.

Or, à la vitesse avec laquelle l'application des règles de procédure budgétaire rapatrie, en loi de finances, l'examen des ressources affectées aux organismes sociaux, il faudra bientôt, et cela constituerait un événement, que votre commission des Affaires sociales se saisisse pour avis de la première partie du budget afin d'y examiner les recettes de la sécurité sociale que les prévisions de recettes de la loi de financement ne font plus qu'évoquer.

Au-delà d'une réponse à cette difficulté d'ordre procédural, un débat sur les prélèvements obligatoires, à proximité des discussions budgétaires, offre cette année l'occasion à votre rapporteur de dresser un bilan et quelques perspectives des prélèvements sociaux. Entre deux réformes essentielles, celle des retraites du printemps dernier et celle de l'assurance maladie du printemps prochain, il ne peut en être différemment.

Ainsi, pour un premier exercice, ce rapport s'attache à répondre à la question formulée l'an passé, avec beaucoup d'à propos, par le président de la commission des Affaires sociales, lors du débat sur les prélèvements obligatoires : « Où va l'argent ? » .

En effet, le président Nicolas About rappelait, non sans humour, que l'essentiel de la tâche assignée au Parlement consistait, aux termes de l'article 14 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, à lever l'impôt et à répondre du bon usage qui en est fait.

La connaissance de l'origine et de la destination des ressources destinées à notre santé ou à nos retraites doit, sans aucun doute, être parfaite. La réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale constitue à cet égard un chantier à part entière des réformes futures touchant à la protection sociale et aux finances publiques.

Dans cette perspective, et pour cette année de « vaches maigres », ce rapport porte l'ambition modeste qu'il soit donné une autre réponse à cette importante question que celle d'un philosophe citée par Léon Bloy 1 ( * ) voici plus de cent ans : « Eh bien mes amis, l'argent se cache ! ».

I. LA PROLIFÉRATION DES PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX : UN MAL FRANÇAIS ?

A. UN OBJET COMPTABLE MAL IDENTIFIÉ

1. Un ensemble hétérogène

Ainsi que le rappelle l'annexe I du rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution 2 ( * ) , l'OCDE fut la première organisation à proposer une définition des prélèvements obligatoires afin de faciliter la comparaison de la pression fiscale entre les différents États sur des bases sinon identiques, du moins relativement homogènes.

Cette définition désigne, pour la résumer, les prélèvements obligatoires comme les «  flux financiers effectifs, versés à destination des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale et les institutions communautaires européennes, et qui revêtent un caractère non volontaire ».

Les agrégats de prélèvements obligatoires présentés par le Gouvernement dans le cadre du rapport précité font référence à cette définition. Tirés des « comptes nationaux » élaborés notamment par l'INSEE, ces agrégats constituent les « statistiques officielles » que la France déclare auprès de la Commission européenne dans le cadre du pacte de stabilité applicable aux finances publiques.

Les « comptes de la Nation » séparent les comptes des administrations publiques en quatre catégories :

- l'État,

- les organismes d'administration centrale (ODAC),

- les collectivités locales (APUL),

- les organisations de sécurité sociale (ASSO).

La ligne présentée au titre des organisations de sécurité sociale, dans les comptes nationaux, ne constitue qu'une fraction de l'agrégat comptable dénommé comptes de la protection sociale.

Domaines de la protection sociale et des assurances sociales

A côté de la protection sociale, les comptes de la sécurité sociale présentent les soldes financiers des comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement. Ces comptes sont établis essentiellement par la direction de la sécurité sociale, dans le cadre de la Commission des comptes. Ils permettent d'établir, après diverses opérations de retraitement, les annexes du projet de loi de financement de la sécurité sociale et servent à l'élaboration des agrégats proposés par le Gouvernement au Parlement dans cette loi.

Il faut donc retenir que le compte de la protection sociale est d'un champ plus vaste et que si la ligne présentée au titre de l'État retrace relativement fidèlement le périmètre des recettes approuvées par le Parlement après examen des différentes lois de finances, il n'en est pas de même pour les comptes des administrations sociales (ASSO), qui ne recoupent pas les périmètres des agrégats votés en lois de financement de la sécurité sociale.


Comment passer du solde des recettes de la loi de finances aux prélèvements obligatoires de l'État en comptabilité nationale

Prélèvements obligatoires de l'État

= recettes fiscales nettes du budget général

 

+ corrections droits constatés

 

- autres opérations des comptes

 

+ recettes non fiscales en PO

 

+ fonds de concours en PO

 

- prélèvements sur recettes (UE et collectivités locales en PO)

 

+ budgets annexes en PO

 

+ comptes spéciaux du Trésor en PO

Plusieurs différences importantes existent entre ces deux ensembles :

- les agrégats de la loi de financement de la sécurité sociale présentent les seuls comptes des régimes de base de sécurité sociale, justifiant de plus de 20.000 ressortissants, et des organismes concourant à leur financement (fonds de solidarité vieillesse, fonds de réserve des retraites), à l'exception notable de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) ;

- les agrégats des administrations sociales (ASSO) présentent les comptes de l'ensemble des régimes de sécurité sociale de base, mais également des régimes obligatoires complémentaires de retraite, comme l'AGIRC et l'ARRCO, et le régime d'assurance chômage (Unédic). En revanche, la CADES ou le fonds de réserve des retraites ne sont pas comptabilisés en ASSO mais en organismes d'administration centrale (ODAC).

Votre rapporteur ne s'étendra pas sur les différences de nomenclature comptable entre les comptes de la sécurité sociale, notamment l'agrégat loi de financement, et les comptes des régimes de sécurité.

Tout en rappelant qu'un agrégat comptable est toujours contestable, il constate que le traitement en ODAC des recettes de plusieurs fonds concourant au financement des régimes de sécurité sociale demeure regrettable. La raison de cette éviction est justifiée par le fait que ces fonds ne distribuent pas eux-mêmes de prestations sociales. Pour autant, la non prise en compte des recettes du fonds de réserve des retraites, qui in fine servira au financement des prestations, dégrade comptablement la situation des administrations sociales.

De même il s'interroge sur l'absence de comptabilisation des recettes de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) dans les comptes des ASSO ainsi que dans les agrégats de la loi de financement, dès lors que les frais d'amortissement de la dette budgétaire - aujourd'hui bien lourds - constituent une partie indétachable du budget général et permettent d'en retracer ainsi plus fidèlement l'évolution.

2. Des périmètres fragiles

Entravée par l'existence de deux agrégats qui ne se répondent pas, la compréhension des finances sociales est en outre handicapée par le peu d'étanchéité de son périmètre.

En effet, depuis plusieurs années, les lois de financement et les lois de finances procèdent à des ajustements de recettes et de dépenses modifiant de ce fait la répartition des missions et des moyens entre l'État et la sécurité sociale.

De manière systématique, votre commission a déploré ces reclassements qui n'ont pas d'objectifs techniques ou politiques cohérents mais sont effectués pour des raisons anecdotiques de bouclage financier, dans la plupart des cas d'ailleurs au profit du budget de l'État. Sans lister l'intégralité des opérations étant intervenue ces dernières années, on rappellera ici celles dont l'impact est le plus significatif sur la stabilité et la lisibilité des finances sociales.

La débudgétisation de la compensation des allégements de cotisations sociales, via la création d'un fonds ad hoc , le FOREC, a été l'occasion de distraire la sécurité sociale d'une partie de ses recettes pour en doter ce fonds. En effet, celui-ci fut financé 3 ( * ) par une fraction des droits de consommation sur les alcools et par la taxe de prévoyance précédemment affectés au fonds de solidarité vieillesse, ou encore par la reprise de la fraction des droits de consommation sur les tabacs ou de la taxe auto affectés à la CNAM.

En quelque sorte, les administrations sociales se sont « auto-indemnisées » des allégements de cotisations décidés dans le cadre de la politique des trente-cinq heures. Les projets de loi de financement et de budget pour 2004 proposent de concert la suppression du FOREC et la rétrocession de ses charges et produits au budget général, sans que cette opération envisage la restitution de ses recettes, ou même l'indemnisation des régimes de sécurité sociale au titre du passé.

Mais cette opération, d'une ampleur inégalée jusque-là, ne constituait pas un précédent dans l'histoire récente des relations financières entre l'État et la sécurité sociale.

Ainsi, au cours de la législature précédente, le Gouvernement a décidé la débudgétisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire (MARS) sur la CNAF, de même que le financement des majorations de pension pour enfants, la mise à la charge du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de la dette du budget à l'égard des régimes de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO, non sans retirer à la branche famille le financement de l'allocation de parent isolé (API), pour les mêmes raisons anecdotiques précédemment énoncées. A l'issue de ces mouvements, le FSV assure le service d'une dette de l'État, le budget général paye une prestation familiale historique et la branche famille supporte un avantage vieillesse non contributif !

Nombreuses sont, en réalité, les « plaques tournantes » financières qui permettent d'injecter ou de capter les fonds de la sphère sociale. C'est notamment le cas du budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) ou du mécanisme financier des compensations généralisées et spéciales d'assurance vieillesse qui ont permis à l'État, ce fait n'est plus à démontrer, de se défausser durant de nombreuses années de tout ou partie de sa mission de garant des régimes spéciaux sur le régime général ou le régime des collectivités locales (CNRACL).

Enfin, chaque projet de loi constitue en lui-même une occasion de déporter ici une charge - financement du plan contre le terrorisme bactériologique BIOTOX ou de missions de santé publique sur la CNAM - ou de prélever une recette - budgétisation du produit et des réserves constituées par la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat collectée par et initialement au profit de la caisse de retraite des commerçants des professions industrielles (ORGANIC)  -.

La sécurité sociale ne fut pas la seule victime puisque l'État a su également, lorsqu'il en eut l'occasion, prélever une partie des fonds de l'assurance chômage.

En cherchant le plus souvent à « se repasser le mistigri des déficits », les administrations mettent en avant, de manière regrettable, la porosité des périmètres budgétaires.

3. Une responsabilité partagée

On ne peut que déplorer une telle situation et saluer la tentative, encore timide, menée par le Gouvernement d'en sortir.

En effet, cette situation est éminemment contestable en matière de finances sociales dont la spécificité tient au fait que l'État n'est pas, comme pour le budget général, « seul maître à bord ». Les partenaires sociaux sont, en effet, les gestionnaires des régimes de sécurité sociale et responsables à des degrés divers, pour les régimes de base et complémentaires, de l'évolution des comptes sociaux. Si la Constitution affirme la compétence du Parlement sur les recettes et les dépenses des organismes de base, les finances des régimes complémentaires obligatoires de retraite et du régime d'assurance chômage demeurent du ressort quasi exclusif des organisations patronales et syndicales.

Le fait que la réforme constitutionnelle de 1996 ait introduit le Parlement dans le pilotage des régimes de base n'a pas pour autant dégagé les partenaires sociaux de leurs responsabilités. Notre collègue député, Pierre Morange 4 ( * ) , rappelait dernièrement, dans un entretien accordé à un quotidien, que l'État était « le garant et non le gérant du système » . Cette affirmation prend tout son sens dans une acception large de la notion de garant : l'État fixe des objectifs que les partenaires sociaux mettent en oeuvre, eux dont dépendent les conseils d'administration des caisses.

Lorsque, dans le cadre du pacte de stabilité, le Gouvernement présente auprès de la commission les soldes des comptes sociaux, il en partage ainsi la responsabilité avec les partenaires sociaux.

A ce titre, peut-il obtenir de ses partenaires de gestion l'exercice de leurs responsabilités si ceux-ci conservent la faculté de lui opposer ses propres turpitudes ? En bref, l'État peut-il exiger de ses partenaires une certaine orthodoxie financière dès lors qu'il se révèle incapable lui-même de se soumettre à une telle discipline et est constamment soupçonné, à tort ou à raison, de se livrer, au moyen de « tuyauteries » sans cesse renouvelées, à « des rapts dans l'obscurité » ?

Votre rapporteur ne le pense pas.

B. UNE PONCTION CROISSANTE

1. Un effort significatif

Les comptes de la Nation révèlent qu'en 2002, l'effort en faveur de la protection sociale s'élevait à 328,3 milliards d'euros soit près de 50 % du total des prélèvements obligatoires au sens de la comptabilité nationale, nettement supérieur à l'effort réalisé au profit de l'État (256,6 milliards d'euros) ou des collectivités territoriales (75,6 milliards d'euros).

Prévision d'évolution des prélèvements obligatoires sur 2002-2004

En milliards d'euros

2002

2003 (p)

2004 (p)

État + ODAC

256,6

258,1

274,8

Administrations publiques locales

75,6

77,8

86,2

Administrations de sécurité sociale

328,3

340,7

336,4

Union européenne

7,1

6,8

5,4

Total

667,6

683,4

702,8

PIB en valeur

1520,8

1559,0

1612,3

État + ODAC

16,9

16,6

17,0

Administrations publiques locales

5,0

5,0

5,3

Administrations de sécurité sociale

21,6

21,9

20,9

Union européenne

0,5

0,4

0,3

Taux de prélèvement obligatoire

43,9

43,8

43,6

Source : DP

L'agrégat de recettes des lois de financement de sécurité sociale - les prévisions de recettes - qui relève d'un périmètre différent proposait, pour cette année, le chiffre de 316 milliards d'euros, alors qu'en 2002 les ressources nettes du budget général, notamment hors prélèvements au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, ne s'élevaient qu'à 224 milliards d'euros.

Pour effectuer quelques comparaisons significatives ou pédagogiques, les produits des principaux régimes d'assurance maladie 5 ( * ) sont, en 2002, équivalents à la totalité du produit de l'impôt sur le revenu, sur les sociétés et sur les produits pétroliers.

124,2

 

122

Exploitant agricole
7

 

Taxe intérieure sur les produits pétroliers
24,3

CANAM
6

 

Impôt sur les sociétés
46,2

CNAM
111,2

 

Impôt sur le revenu
59,5

Produits de la branche maladie
(en milliards d'euros)

 

Recettes fiscales de l'État
(en milliards d'euros)

Pour mémoire, la totalité du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (142 milliards d'euros en 2003) ne suffirait pas à couvrir les charges des régimes de retraites de base (160 milliards d'euros).

Ces rapprochements sont utiles. Ils éclairent dans quelles proportions les masses des finances sociales excèdent les finances de l'État. Les prévisions de recettes votées en loi de financement pour 2002 s'élevaient, pour les quatre branches de la sécurité sociale, à 315,2 milliards d'euros, d'ailleurs à plus de 80 % destinés aux branches maladie et vieillesse, et constituaient déjà un volume de 30 % supérieur à l'ensemble des recettes fiscales de l'État.

Cette situation n'était sans doute pas envisagée il y a trente ans. La création de la loi de financement de la sécurité sociale constitue une première prise en compte de cette évolution dans des proportions encore largement imparfaite : notre Haute assemblée consacrera encore cette année une quinzaine entière à l'examen du projet de loi de finances, lorsqu'il n'est réservé que trois jours à l'examen du PLFSS. La première recette fiscale des administrations publiques, la CSG n'est pas votée en loi de finances mais en loi de financement de la sécurité sociale au cours d'un débat malheureusement beaucoup plus bref (une soirée pour tout le volet recettes !) que l'examen de la première partie du budget. Dès lors, le Parlement est-il en mesure de répondre à l'exigence que pose l'article 14 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui affirme que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » ?

Votre rapporteur ne le pense pas.

2. Une pression grandissante

Les ressources des administrations sociales (ASSO) ont en effet crû régulièrement durant les trois dernières décennies. De 13,1 % du PIB en 1970, les prélèvements obligatoires qui leur sont consacrés atteignent 21,6 % du PIB aujourd'hui.

Les causes de l'accroissement des besoins de financements sociaux depuis cette époque sont de nature économique et démographique : maturité progressive des régimes d'assurance vieillesse, allongement de la durée de vie et ses conséquences sur la protection sociale, amélioration de la prise en charge médicale et, dans le même temps, augmentation du chômage qui diminue les bases de recettes et augmente les dépenses d'indemnisation.

En apparence, cette croissance a marqué deux phases. La première s'étend jusqu'en 1990 et se caractérise par un rythme d'augmentation soutenu des prélèvements obligatoires affectés à ces régimes, passant, de 1970 à cette date, de 13 % à 20 % du PIB. L'évolution connue lors de la troisième décennie nourrit, par contraste, l'impression d'une stagnation, les recettes des ASSO ne passant que de 20 % à 21 % et encore, essentiellement sur les années 1998-2002.

A bien des égards, cette impression est trompeuse. Elle traduit, en réalité, la difficulté de ces administrations pour trouver de nouvelles recettes et le recours croissant au financement par l'emprunt, ou par l'externalisation du financement de certaines charges, notamment via des fonds ad hoc . Or, tant la structure d'amortissement de la dette que ces fonds n'apparaissent pas dans les comptes des ASSO, ce qui ne permet pas de retracer clairement l'évolution de leurs comptes.

Ce mouvement de forte évolution, puis de stagnation apparente, ne constitue pas un précédent. Les recettes de l'État sur cette même période ont décrû de 18,4 à 15,9 % du PIB, ce qui ne signifie pas que les dépenses de l'État diminuent dans des proportions équivalentes, car depuis une vingtaine d'années :

- le développement du processus de décentralisation a permis à l'État de progressivement transférer des recettes et des dépenses aux collectivités territoriales ;

- l'État a recouru massivement à l'endettement, le dernier excédent budgétaire datant du gouvernement de Raymond Barre. Mais dans le cas de l'État, l'endettement est clairement identifié dans ses comptes.

Une fois ce tableau brossé, peut-on parler véritablement des prélèvements sociaux comme d'un mal français, dont le poids sur la croissance et l'emploi est de plus en plus difficile à supporter ?

Le fait que la France se caractérise par un niveau élevé de prélèvements sociaux par rapport aux autres administrations (État, collectivités locales) et par rapport aux autres pays industrialisés n'est pas contestable. Une comparaison rapide avec les autres états de l'OCDE permet de mesurer l'ampleur du phénomène.

Dépenses sociales publiques par domaine de politique sociale, 1998

En pourcentage du PIB

Source : OCDE

Il doit toutefois être relativisé car, pour une large part, il traduit un double choix politique :

- celui d'une protection sociale collective et solidaire, à l'opposé d'États ayant choisi d'assurer la prise en charge des risques maladie et vieillesse selon des modalités décentralisées et concurrentielles. L'analyse en exemple du niveau des dépenses de santé rapporté au PIB dans d'autres pays de l'OCDE, dont les Etats-Unis (13,9 % mais seulement 6 % pris en charge par la collectivité) souligne que la part des richesses consacrée à ces dépenses ne diminue pas dans un environnement libéralisé ;

- celui d'une protection sociale professionnelle et paritaire, à l'opposé d'États ayant choisi d'assurer la prise en charge des risques par ses propres services.

3. Des perspectives alarmantes

Cette situation est surtout alarmante en raison de ses perspectives. Dans une précédente étude, votre rapporteur avait placé certaines dépenses de protection sociale dans une optique de long terme. Dans le cas de l'assurance maladie, un rapide calcul laissait apparaître qu'un rythme d'évolution de ces dépenses supérieur, de deux points, à celui du PIB porterait l'effort public de santé de 9 % à 23 % du PIB d'ici 2040.

Part des dépenses d'assurance maladie dans le PIB à l'horizon 2040
(comparaison avec les dépenses de retraite)

Source : commission des Affaires sociales du Sénat

Ces chiffres seront sans doute affinés par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Il n'en demeure pas moins que la sécurité sociale ne dispose pas de ressources susceptibles d'équilibrer spontanément cette charge.

Les conclusions du rapport présenté par Alain Coulomb 6 ( * ) ont avancé que les dépenses de santé que l'on peut qualifier « d'incompressibles » à court et moyen termes augmentent sur un rythme de 3 ou 3,5 points en volume annuel. A titre de comparaison, la CSG a crû, en valeur, de 6,4 % en 2001, mais seulement de 2 % et en prévision de 2,6 % en 2002 et 2003, c'est-à-dire sur un rythme bien supérieur aux dépenses d'assurance maladie.

Un système de protection sociale, quelle que soit son organisation, doit conserver pour contrainte d'équilibrer ses produits et ses charges. L'exemple ci-dessus évoqué montre à bien des égards que les recettes affectées à la protection sociale sont conséquentes et dynamiques en période de croissance, mais toutefois insuffisantes pour assumer le moindre gaspillage.

Aujourd'hui, plusieurs pistes sont avancées pour résoudre le déséquilibre des régimes sans réduire le niveau de protection sociale.

L'augmentation des prélèvements obligatoires, immédiate ou différée, en constitue la première.

La deuxième consiste à procéder en quelque sorte comme l'État à son échelle, c'est-à-dire à transférer hors de son périmètre une partie de son « chiffre d'affaires ». Dans le cas des administrations de sécurité sociale, il pourrait s'agir de placer dans le secteur concurrentiel une fraction plus importante de la gestion de certains risques, ce qui pose à la fois la question de la responsabilité de l'assuré, invité à compléter par lui-même la réduction de la couverture collective, et celle de la qualité de la gestion et du rapport qualité-prix offert par les administrations sociales et par les organismes privés en matière de protection sociale.

Historiquement, les pouvoirs publics ont plutôt eu recours à la première solution. En effet, et à titre d'exemple, le taux de remboursement des soins s'est amélioré en trente ans et les prestations sont prises en charge en moyenne, à plus de 85 % par les régimes de base ou complémentaires obligatoires.

Cette préférence pour le prélèvement obligatoire a été rendue possible, au cours des années 1990, par une modification de la structure du financement de la sécurité sociale, en élargissant l'assiette, et par le recours à l'endettement. Mais cette stratégie trouve aujourd'hui ses limites et ne permet plus d'exclure tout uniment le réexamen du périmètre des dépenses sociales, au regard de l'évolution de leur financement.

Dans le cadre de cette étude consacrée à l'évolution des prélèvements sociaux, votre rapporteur ne pouvait pas éluder cette question. Il ne peut davantage la trancher.

* 1 Léon Bloy, exégèse des lieux communs.

* 2 Etablie par le Gouvernement en application de l'article 52 de la loi organique du 1 er août 2001.

* 3 Cf. infra p. 32.

* 4 Rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour les équilibres financiers, cf. La Tribune, 27 octobre 2003.

* 5 CNAM, CANAM, Exploitant.

* 6 Alain Coulomb, sur la médicalisation de l'ONDAM.

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