3. A l'hôpital

La commission Stasi, au cours des nombreuses auditions auxquelles elle a procédé, avait déjà eu connaissance de faits tendant à contester la façon dont les soins dispensés aux femmes à l'hôpital sont organisés.

D'une manière générale, est remise en cause la prise en charge médicale des femmes par le personnel masculin. C'est donc la mixité de l'établissement de soins qui est directement visée.

Votre délégation a pu constater le même phénomène, au cours de l'audition particulièrement poignante de M. Maurice Toullalan, directeur du centre hospitalier d'Argenteuil, et de Mme Amale Hazael-Massieux, surveillante-chef de la maternité de cet établissement.

Il paraît évident à votre délégation que ces comportements, bien que minoritaires, dissimulent une volonté de « tester » les réactions du centre hospitalier à des demandes de soins selon des modalités particulières fondées sur des convictions plus politiques que véritablement religieuses . Rappelons d'ailleurs que certaines patientes sont accompagnées de spécialistes du droit, ce qui en dit long sur le caractère spontané de leurs comportements...

La remise en cause de la mixité dans ce centre hospitalier provient de certains de ses agents et aussi, plus fréquemment, des patients.

M. Maurice Toullalan a ainsi estimé qu'en l'absence d'interdiction, le centre hospitalier d'Argenteuil se trouverait sans doute confronté à une multiplication rapide du nombre d'agents portant des signes religieux de façon ostensible.

Quant à la tenue des patients, sauf si elle est contraire aux bonnes moeurs, elle ne relève pas de l'appréciation du centre hospitalier, bien que puisse se poser le problème du déshabillage nécessaire à un exercice normal de la médecine.

Par ailleurs, le centre hospitalier est confronté aux demandes de femmes, ou de leur proche entourage, tendant à ce que celles-ci soient examinées par du personnel médical et para-médical exclusivement féminin, cette volonté pouvant se doubler d'une attitude allant même jusqu'à refuser de montrer son visage, certaines femmes portant une « burka ».

Il existe également des cas de refus d'être examiné par un médecin de sexe masculin, alors qu'en maternité notamment, la difficulté est double car elle concerne l'obstétricien et l'anesthésiste.

En principe, la présence du mari ou de l'accompagnant n'est pas acceptée pendant la consultation, sauf en cas d'urgence, mais un certain nombre de situations donnent lieu à des négociations longues et difficiles.

Le centre hospitalier peut également être confronté à des cas où le mari, ou la personne de sexe masculin qui accompagne la patiente, répond aux questions à la place de la femme. Certes, celle-ci peut ne pas parler le français, mais bien souvent elle n'ose pas contredire son mari. Il arrive même parfois que la femme demande elle-même que l'échange verbal se fasse par l'intermédiaire de son mari ou de l'homme qui l'accompagne.

Le témoignage de Mme Amale Hazael-Massieux, surveillante-chef de la maternité, qui a dépeint les difficultés concrètes que rencontre la maternité du centre hospitalier d'Argenteuil, a été particulièrement fort. C'est pourquoi votre rapporteur a souhaité qu'il soit reproduit dans son intégralité.

Le témoignage de la surveillante-chef de la maternité du centre hospitalier d'Argenteuil

Les maternités, ce sont des lieux où les différences se vivent. Ce sont des lieux où se concentrent les situations les plus représentatives des inégalités entre les hommes et les femmes qui existent encore aujourd'hui, laissant penser qu'il y a un monde dans le monde, une société dans la société actuelle, et ces différences sont liées à ce qui est à l'origine de la différence entre l'homme et la femme, c'est-à-dire la capacité des femmes à enfanter.

Mineures, les jeunes filles qui ont « fauté » viennent se faire avorter dans le secret. On en voit beaucoup. Certaines sont obligées de « réparer » leur virginité pour éviter de déshonorer leur famille ou d'être rejetées. Elles sont soignées pendant les heures où elles sont censées être à l'école.

Mineures ou majeures, mais enceintes hors mariage, elles viennent sous la pression familiale ou communautaire déposer leur bébé sous X, et démarrent une vie de désespoir, de dépression, de stérilité secondaire puis elles y reviennent dix, vingt, trente ans plus tard à la recherche de l'enfant perdu. Si elles veulent garder l'enfant, elles se retrouvent abandonnées de leurs familles, sans ressources, à la charge des services sociaux. Victimes de la maltraitance, elles s'y réfugient pour fuir ou se soigner des coups d'un mari saoul ou jaloux ou autre. Encore hier, Mme la Présidente, j'étais au chevet d'une femme qui a été mordue au nez par son conjoint, et à qui on a été obligé de mettre des points de suture.

Voilées, elles demandent à être suivies par une femme. Certaines acceptent l'intervention d'un médecin homme en cas d'urgence, d'autres refusent, et se cachent le visage pendant la visite médicale, rendant cette visite obsolète. C'est ainsi que certaines quittent le service prématurément pour ne pas être confrontées au passage des médecins hommes et, là aussi, elles s'exposent à des risques, et elles perdent une chance d'être bien soignées.

Voilées et escortées par un ou plusieurs hommes qui s'expriment à leur place et refusent qu'elles bénéficient d'une péridurale si l'anesthésiste est un homme, ainsi elles accouchent dans la douleur. Certains hommes font prendre à leur femme des risques sérieux en les faisant quitter la maternité si le médecin de garde est de sexe masculin. Nous avons eu, récemment, le cas d'une femme qui est arrivée pour hémorragie. Quand le mari a constaté que le médecin était un homme, il a refusé qu'on l'examine et l'a amenée à la recherche d'un autre établissement pour trouver une femme médecin.

Deuxième point que je voulais aborder, c'est la « cité » à l'hôpital. Depuis quelques années, une montée en charge de l'agressivité, des revendications liées au droit, à la liberté d'expression et de la pratique d'une religion, des femmes habillées en noir, le visage et les mains complètement couverts viennent demander à être suivies pour leur grossesse et accouchement par des médecins femmes. Leur présence dans la salle d'attente créé toujours une ambiance tendue et un malaise. Après concertation en équipe, il a été décidé que l'on prenne ces femmes en charge à deux conditions : qu'elles découvrent leur visage dans les locaux de la maternité et qu'elles acceptent l'intervention d'un médecin de sexe masculin en cas d'urgence. Une information orale leur est donnée par la personne chargée des prises des rendez-vous et par le médecin de consultation. Le chef de service et/ou la sage-femme surveillante-chef sont appelés si nécessaire. Nous avons eu plusieurs situations difficiles d'agressivité vis-à-vis du personnel de la consultation qui ont nécessité l'intervention des responsables de la maternité, dont deux cas ont été représentatifs.

Le premier cas : une femme toute de noir vêtue, le visage complètement couvert, se présente avec deux messieurs barbus en tenue traditionnelle. Elle avait rendez-vous avec un médecin femme qui les accueille et leur explique la règle du service au regard de sa tenue. Au bout d'une demi-heure de discussion, ils ne voulaient rien entendre et continuaient à exiger une prise en charge, en termes de droit aux soins, et prétendaient avoir le droit à la tenue au nom de la liberté d'exercer sa foi. En désespoir de cause, le médecin les amène dans mon bureau. J'écoute la demande exprimée par le monsieur et je leur dis que « bien sûr, Madame a droit, comme toutes les femmes, à l'accès aux soins, que nous sommes tout à fait prêts à la prendre en charge, mais comme toutes les femmes, elle a des devoirs vis-à-vis de l'institution : étant dans un hôpital public, elle doit respecter les valeurs de la République et les règles du service ». Donc nous lui demandons, pour des raisons de laïcité, de sécurité et d'identité de découvrir le visage dès son arrivée à la maternité. Ils me demandent si cela est écrit dans notre règlement intérieur et ils continuent à se défendre en disant qu'ils ont des convictions religieuses. Je finis par leur dire : « soit, supposons que moi aussi je m'habille comme votre femme, ainsi que tout le personnel de la maternité, comment sauriez-vous qui est l'homme, qui est la femme, qui est le médecin, qui est non médecin ? ». Ainsi après une heure de discussion, ils ont fini par quitter le service sans consultation.

Le deuxième cas : une femme couverte de la tête aux pieds se présente avec deux hommes pour prendre rendez-vous. Le personnel des consultations leur annonce la règle. Ils deviennent agressifs, haussent le ton, le chef de service intervient et leur demande de quitter la consultation. Ils exigent un entretien avec le directeur et vont, à plusieurs, dans le bureau de l'administrateur de garde, qui se trouve être une femme. Ils font le siège et la séquestrent pendant trois heures, exigeant une consultation avec une femme. L'un des deux hommes connaissait bien le droit français. Il a fallu avertir les vigiles qui ont appelé la police pour libérer le directeur adjoint. Ils ont menacé de porter plainte.

A signaler : la peur du personnel, que les unes et les autres soient repérées et agressées à l'extérieur, et, dans certains cas, quand certaines acceptent la règle et dévoilent leur visage, on est étonné de découvrir, sous le voile, des Européennes, phénomène de plus en plus fréquent.

La réponse donnée par le centre hospitalier aux situations décrites plus haut consiste à refuser de soigner ces personnes, en dehors d'une situation d'urgence, et de leur conseiller de trouver un autre centre acceptant les conditions demandées par la patiente et son entourage. Mais les dirigeants du centre hospitalier sont bien conscients que cette attitude risquerait, le cas échéant, de déboucher sur des actions en responsabilité pénale.

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