EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 juin 2004 , sous la présidence de M. Jean Arthuis , la commission a entendu une communication de M. François Marc, rapporteur spécial, sur la Documentation française.

M. François Marc, rapporteur spécial , a rappelé qu'il avait décidé, en 2002, de conduire une mission de contrôle budgétaire sur pièces et sur place de la Documentation française, en application de l'article 57 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Il a observé que son choix s'était porté sur une direction d'administration centrale aux missions originales - être le diffuseur et l'éditeur de l'administration française - mais dont les difficultés récurrentes avaient déjà fait l'objet d'observations de la Cour des comptes.

Il a indiqué que la Cour des comptes avait procédé, en 2002, à un contrôle exhaustif de la Documentation française, portant sur les années 1995-2000. Par souci d'efficacité, et afin de favoriser le développement des synergies dans l'exercice des prérogatives de contrôle budgétaire, il avait souhaité disposer du référé de la Cour des comptes, qui n'était parvenu à la commission des finances que début février 2004.

M. François Marc, rapporteur spécial , a d'abord décrit les missions de la Documentation française, la qualifiant de « remarquable instrument » d'information mis à la disposition de l'Etat et des citoyens. Il a rappelé que l'ancêtre de la Documentation française, la direction de la documentation et de la diffusion, était née, à la Libération, de la fusion de deux services issus de la Résistance, situés à Londres et à Alger, et du service d'analyse de la presse étrangère. Il a montré qu'il importait alors de faire face à la propagande de Vichy, puis de répondre aux besoins de la reconstruction à la Libération. Il a rappelé que la Documentation française manifestait la volonté de l'Etat de relever un triple défi : rassembler une documentation générale, à destination des administrations et du public ; élaborer, éditer et diffuser des documents d'information générale ; agir comme éditeur pour le compte d'administrations et d'organismes publics.

Il a estimé que les résultats étaient inégaux. D'une part, il s'est félicité que la Documentation française ait mis en place sur Internet quelques-uns des meilleurs sites français : outre son site propre, la Documentation française gérait les sites vie publique.fr et surtout service-public.fr, qui avait reçu plus de 20 millions de visites en 2003. Il a ajouté que la Documentation française avait constitué une bibliothèque électronique des rapports publics, tout en devenant un éditeur de référence des documents administratifs, et qu'elle gérait aussi certaines revues spécialisées combinant des approches d'ordre généraliste et d'ordre technique.

M. François Marc, rapporteur spécial , a toutefois regretté que la Documentation française n'occupât que la 37e place parmi les éditeurs français, et eût reculé de 5 places entre 2000 et 2002 : ses 450 titres annuels représentaient à peine plus de 1 % des titres édités en France, et seulement 0,36 % du chiffre d'affaires de l'édition 2002 (soit 8,7 millions d'euros, alors que le chiffre d'affaires du secteur avait atteint 2,41 milliards d'euros).

Il a déploré que la Documentation française n'ait pas su s'affirmer comme l'éditeur privilégié des administrations, dans la mesure où la plupart d'entre elles choisissaient de procéder à des opérations en interne ou de recourir à des éditeurs privés. Il a proposé de généraliser les comparaisons de prix avec les prestations que pouvait offrir la Documentation française. Il a relevé que cette démarche participerait d'un recentrage des administrations sur leurs missions essentielles, dans le cadre de la mise en place d'une comptabilité analytique prévue par la LOLF.

Il a mis en exergue la permanence des besoins de financement des activités concurrentielles de la Documentation française, alors que celles-ci devraient, en principe, s'autofinancer. Il a rappelé que la Documentation française bénéficiait d'un financement dual. D'une part, les crédits inscrits au budget des services généraux du Premier ministre pour financer les activités non concurrentielles s'élevaient à 13,5 millions d'euros, et la recherche de l'équilibre financier ne constituait pas l'objectif prioritaire. D'autre part, les opérations à caractère industriel et commercial, retracées au compte de commerce n° 904-19, étaient financées par des ressources propres estimées à 16,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2004.

M. François Marc, rapporteur spécial , a souligné que la situation au 1er janvier 2003 avait atteint un point particulièrement critique, faute d'un réel contrôle interne de gestion et en l'absence de véritable culture de performance chez les agents de la Documentation française. Il a précisé que la Documentation française était alors incapable d'honorer les commandes de ses fournisseurs dans des délais inférieurs à 45 jours, et que sa situation débitrice nette avait atteint 5,6 millions d'euros, soit le tiers de ses ressources commerciales annuelles. Il a précisé que ce solde correspondait aux créances et aux dettes accumulées à hauteur de 2,6 millions d'euros et à une autorisation de découvert, par le Trésor public, de 3 millions d'euros.

Il a ajouté que ce constat avait été corroboré par le contrôle de la Cour des comptes et un audit interne confié par la Documentation française au cabinet privé BearingPoint. Sans atteindre les conclusions de la Cour des comptes, il a indiqué que la Documentation française avait engagé un plan de consolidation couvrant les années 2003 à 2007, approuvé par le secrétariat général du gouvernement, autorité de tutelle, et la direction du budget. Il a observé que le plan de consolidation prévoyait un retour à l'équilibre financier du compte de commerce en 2007, à partir d'un point de départ particulièrement bas : sans un versement exceptionnel, en 2003, du budget général de l'Etat, à hauteur de 3,12 millions d'euros, obtenu en contrepartie du plan de consolidation, le déficit annuel du compte de commerce aurait approché 4 millions d'euros, soit plus de 20 % des recettes commerciales annuelles.

Il a exposé les mesures d'assainissement que comportait le plan de consolidation, précisant que le compte de commerce ne devrait plus financer de publications non rentables, ce critère étant mesuré grâce à des « fiches produits » établissant les coûts complets associés à chaque publication. Il a fait état de la réduction des effectifs de 405 à 350/355 emplois sur la période 2003-2007, envisagée grâce au non-remplacement de trois départs à la retraite sur quatre. Il a ajouté que le recentrage des activités impliquait le transfert de la photothèque à d'autres administrations. Il a insisté sur la mise en place d'instruments fiables de comptabilité analytique, dans le cadre de la définition des objectifs et des indicateurs de performance prévus par la LOLF, qui devait constituer une priorité pour la Documentation française.

Il a évoqué le rapprochement de la Documentation française avec les Journaux officiels proposé par la Cour des comptes, voire leur fusion, qu'étudiait une mission confiée, par le Premier ministre, à M. Frédéric Tiberghien, le 23 février 2004. Tout en observant que M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial du budget annexe des Journaux officiels, devait également se prononcer sur ce point, il a souligné les complémentarités existantes entre la Documentation française et les Journaux officiels. Il a souhaité que puisse être envisagée une rationalisation des structures existantes et des économies d'échelle, tout en se félicitant du transfert, aux Journaux officiels, des capacités d'impression, obsolescentes de la Documentation française à Aubervilliers.

Il a relevé que le nouveau directeur de la Documentation française depuis mars 2004, M. Olivier Cazenave, avait fait état d'un début de redressement financier lors de son audition par le rapporteur spécial le 8 juin 2004 : la moitié des diminutions d'emplois, soit 28 postes, était déjà acquise, tandis que les réalisations de recettes commerciales du compte de commerce avaient atteint les prévisions à l'issue du premier trimestre 2004, pour la première fois depuis deux ans. Il a ajouté que le déficit prévisionnel du compte de commerce en fin d'année 2004 s'établissait à 184.000 euros.

M. François Marc, rapporteur spécial , s'est félicité de cette évolution, tout en soulignant qu'un redressement durable requérait de poursuivre les réformes structurelles. Il a appelé à renforcer la mission de contrôle interne de gestion, nécessaire au pilotage de l'activité, et à définir clairement le périmètre des activités commerciales et non commerciales.

Il a précisé avoir étudié l'hypothèse d'une transformation de la Documentation française en établissement public industriel et commercial (EPIC), compte tenu du poids des recettes commerciales dans les ressources de la Documentation française. Il avait écarté cette option en raison de surcoûts évalués par la Documentation française entre 5 et 6 millions d'euros. En effet, celle-ci devrait alors prendre en charge des fonctions supports, aujourd'hui assumées à un moindre coût, du fait d'économies d'échelle, par la direction des services administratifs et financiers des services du Premier ministre. Il a ajouté qu'en cas de transformation en EPIC, la Documentation française devrait également fournir ses prestations de services aux autres administrations, dans le cadre de procédures formelles de marchés publics.

Il a relevé la persistance de pratiques pour le moins discutables au regard de la LOLF, dont l'article 22 disposait que les comptes de commerce retraçaient des opérations de caractère industriel et commercial effectuées à titre accessoire par les services de l'Etat, soulignant que cette condition n'était pas respectée, dans la mesure où les recettes du compte de commerce représentaient près de la moitié des ressources de la Documentation française.

En conclusion, il a estimé que la Documentation française avait pris conscience de la nécessité de moderniser ses méthodes de gestion, afin que l'approfondissement des réformes permette la poursuite d'une mission de service public effectuée depuis près de 60 ans.

Un débat s'est alors instauré.

M. Jean Arthuis, président , a observé que le contrôle budgétaire de la Documentation française avait mis en évidence les lacunes de gestion d'un service dont le fonctionnement restait méconnu.

M. Maurice Blin a demandé quelles étaient les spécificités du service de la Documentation française par rapport aux éditeurs privés. Il s'est ensuite interrogé sur l'origine et l'ancienneté des difficultés financières auxquelles étaient confrontées la Documentation française, en posant la question du poids de la concurrence du secteur privé. Par analogie avec les établissements militaires, il a souhaité savoir le coût que représentait la Documentation française à la charge de l'Etat.

M. François Marc, rapporteur spécial , a rappelé que la mission spécifique de la Documentation française consistant à mettre à disposition l'ensemble des rapports publics, tout en respectant une certaine objectivité. Il a observé que ce rôle découlait de l'histoire même de la Documentation française. S'agissant des concurrents de la Documentation française, il a relevé qu'outre les éditeurs privés, certaines administrations avaient la capacité juridique de diffuser leurs propres documents. Il a estimé que cette situation soulevait la question de l'éclatement de l'activité éditoriale de l'administration entre plusieurs organismes.

En réponse à une question de M. Maurice Blin sur le cadre des activités éditoriales de la Documentation française pour le compte d'autres administrations, M. François Marc, rapporteur spécial , a répondu que des conventions stipulaient les conditions de ses prestations par la Documentation française, tout en déplorant que les tarifs et les délais pratiqués ne soient pas toujours optimaux au regard des propositions des éditeurs privés.

M. Jean Arthuis, président , s'est demandé si la mise en ligne des rapports publics ne pouvait pas limiter les coûts d'impression des rapports.

M. François Marc, rapporteur spécial , a noté que le processus d'externalisation des activités en cours à la Documentation française était renforcé par le transfert de l'imprimerie d'Aubervilliers aux Journaux officiels.

Concernant le coût des activités de la Documentation française pour l'Etat, il a établi une distinction entre les activités non concurrentielles, ayant vocation à être financées par les dotations du budget général de l'Etat, soit 13,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2004, et les activités commerciales retracées au compte de commerce, compte qui avait bénéficié, en 2003, d'un versement exceptionnel du budget de l'Etat de 3,12 millions d'euros, tout en restant structurellement déficitaire.

M. Auguste Cazalet a également insisté sur les causes des difficultés financières chroniques de la Documentation française.

M. Jean Arthuis, président , a demandé quels motifs plaidaient pour le maintien de la Documentation française, alors que ses activités commerciales pouvaient être prises en charge par le secteur privé.

M. François Marc, rapporteur spécial , a observé que, dans certaines circonstances, la préservation des intérêts vitaux justifiait l'existence d'une source d'information publique. S'agissant des activités concurrentielles, il a souligné que la Documentation française ne pouvait pas pratiquer des prix trop bas, qui remettraient en cause les conditions de la libre concurrence. Il a estimé que la Documentation française devait être préservée dans le cadre d'une profonde réorganisation.

M. Jean Arthuis, président , a conclu que ces réformes de fond étaient indispensables et urgentes pour l'avenir de la Documentation française.

La commission a alors, à l'unanimité, donné acte de sa communication à M. François Marc, rapporteur spécial, et décidé que les conclusions de sa mission feraient l'objet d'une publication sous la forme d'un rapport d'information .

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