N° 414

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SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 juillet 2004

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) à la suite des travaux du groupe de réflexion (2) sur la création culturelle ,

Par M. Jacques VALADE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Jacques Legendre Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Mme Brigitte Luypaert, MM. Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Dominique Mortemousque, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jacques Pelletier, Jack Ralite, Victor Reux, Alain Schmitz, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, André Vallet, Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul Vergès, Marcel Vidal, Henri Weber.

(2) Ce groupe de réflexion est composé de : M. Jacques Valade, Mme Marie Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Alain Dufaut, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Michel Guerry, Philippe Nachbar, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Michel Thiollière, André Vallet, Marcel Vidal et Henri Weber, membres de la commission des Affaires culturelles ; M. Jean-Paul Alduy, membre de la commission des Affaires économiques et du Plan ; Mmes Jacqueline Gourault et Hélène Luc, membres de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; MM. Yann Gaillard, Maurice Blin et Paul Loridant, membres de la commission des Finances ; M. Jean-Pierre Godefroy, membre de la commission des Affaires sociales .

Culture.

CONCLUSIONS DU GROUPE DE RÉFLEXION
SUR LA CRÉATION CULTURELLE

La commission des Affaires culturelles du Sénat a mis en place en septembre 2003 un groupe de réflexion chargé d'examiner les conditions de la création culturelle dans notre pays.

La création culturelle en France est foisonnante et il faut s'en réjouir : les vocations sont nombreuses, ainsi que les créations, les réalisations et les productions. De nombreux pays, notamment parmi nos partenaires européens, envient ce que l'on considère comme notre exception culturelle. La vitalité de l'esprit créatif en France témoigne du plus bel aspect d'une société moderne, qui permet à une part importante de ses membres de tendre vers le « luxe de l'inaccoutumance », comme le disait Saint-John Perse à propos de la poésie. Cependant, la création culturelle n'en est pas moins traversée par de profondes mutations et difficultés, dont la crise des intermittents du spectacle, déclenchée par la nature même de la réforme de leur régime d'indemnisation, est le reflet le plus violent et le plus douloureux. Il faut prendre la mesure des doutes et questionnements qu'exprime cette crise :

- Quelle politique de création artistique nouvelle faut-il conduire, respectant la pluralité des disciplines, des esthétiques et des sensibilités ?

- Quelles modalités de financement pérenne retenir pour ce secteur en développement ?

- Quelle est la nature du nouveau lien entre public et création artistique et comment le renforcer ?

C'est dans cette perspective que, sans nier les apports de la politique culturelle française depuis un demi-siècle, le groupe de réflexion a largement auditionné les acteurs de la création culturelle, ainsi que les signataires et les opposants au protocole du 26 juin 2003. Le groupe de réflexion a centré son travail sur deux thèmes :

- les mutations récentes des relations entre les créateurs et les publics ;

- le rôle que les collectivités publiques, locales et nationales, doivent jouer à l'égard des créateurs.

La culture a un coût qu'il convient de financer : la « crise des intermittents » aura eu le mérite de le faire apparaître clairement . Elle aura aussi rappelé que la politique culturelle constitue, et doit continuer à être, un fondement majeur de notre démocratie et de la nécessaire diversité culturelle dont peut s'enorgueillir notre pays. Elle contribue ainsi fortement au « tissage » du lien social et à la libre expression de la puissance créatrice des artistes, dans le respect des individualités.

A l'issue des auditions du groupe de réflexion, une convergence apparaît sur les raisons de ce qui peut être qualifié de « crise ». Elles peuvent se décliner sous trois aspects :

- budgétaire et financier : difficulté croissante à financer la création, inadaptation et dérive du régime d'indemnisation du chômage ... ;

- social : paradoxe d'une augmentation de l'activité artistique qui génère cependant une précarisation croissante. En effet, le développement de l'emploi artistique est lié à la libéralisation de l'audiovisuel, à l'attractivité du secteur et à l'essor de l'industrie des loisirs et du spectacle. Mais il n'a pas entraîné une hausse corrélative des emplois permanents ni du nombre d'heures travaillées ;

- démocratique : cette évolution n'a pas non plus été accompagnée de la démocratisation souhaitée, les créateurs peinant parfois à trouver un public. Il convient de remettre la population au centre des préoccupations du spectacle vivant.

En définitive, nous sommes sans doute parvenus à une période de fracture, de crise. La question de la place et du rôle de la création culturelle dans notre pays est ainsi posée. Si le même problème existe chez nos partenaires étrangers, il doit être abordé dans des termes spécifiques en France. Les réponses à apporter doivent nécessairement en tenir compte. C'est pourquoi il nous apparaît indispensable de maintenir et de garantir l'exception culturelle française, de prendre les moyens de pérenniser le régime indemnitaire pour ceux qui doivent légitimement en relever et de redonner une ambition à la politique culturelle.

I. MAINTENIR L'EXCEPTION CULTURELLE FRANÇAISE

A. EN RÉAFFIRMER LE PRINCIPE

La politique d'exception culturelle, spécifique du génie d'un pays, parfois d'une région, repose sur l'idée que la culture et l'art ont une importance telle qu'ils appellent une responsabilité publique particulière : la création artistique et sa diffusion doivent être soutenues et promues. C'est dans ce cadre que la puissance publique subventionne le théâtre, régule le marché du livre, soutient le cinéma et l'audiovisuel, etc.

Cette politique a connu des succès importants en termes de vitalité artistique, au point que l'on compte par exemple en matière de spectacle vivant « 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, danse, cirque et théâtre de rue ; 8 000 ensembles et groupes musicaux indépendants ; 5 000 spectacles différents chaque année » 1 ( * ) . Pour ce qui est de la musique, la France connaît une situation exceptionnelle par rapport à ses voisins, de par la vitalité de sa production (50 000 nouveautés chaque année). De même, selon le bilan 2003 du Centre national de la cinématographie (CNC), le cinéma hexagonal est un objet légitime de fierté : la France a produit 212 films en 2003 (c'est la troisième année consécutive où elle produit 200 films ou plus). Le nombre de films a augmenté de 6 % en un an, tandis que les investissements français dans les films agréés par le CNC progressaient de 16 %. Dans la dernière période, l'exploitation cinématographique est également en hausse. On pourrait ainsi multiplier les exemples montrant à quel point la politique en faveur de la création artistique, dans tous les domaines, a été féconde.

Cette politique s'est cependant développée en comptant trop sur le régime d'assurance chômage spécifique pour en assurer la rémunération.

L'apparition de nouveaux intervenants, due en particulier à la libéralisation de l'audiovisuel et au développement de l'industrie des loisirs, a entraîné des dérives, permettant à de nombreux employeurs de faire peser sur l'assurance chômage le poids de la rémunération de leurs employés, même quand les professions concernées ne le justifiaient pas. Ainsi, les annexes VIII et X qui avaient notamment pour objectif de rémunérer le travail invisible de création ont été en partie détournées de leur rôle initial, indissociable de l'exception culturelle, sous le regard passif de l'Etat.

Parallèlement, ce régime a souvent suscité des vocations pour les carrières artistiques, alors qu'il s'agit essentiellement de solidarité.

Dans ces conditions, nous estimons que ce système original doit être maintenu dans son principe, mais réformé dans ses modalités , afin de revenir à l'objectif qui a présidé à sa création : atténuer, au nom de la solidarité interprofessionnelle, la précarité inhérente aux métiers liés à la création artistique, mais sans que les employeurs et les collectivités publiques ne se saisissent de ce prétexte pour ne pas assumer leurs responsabilités. Cela implique une réforme en profondeur du fonctionnement de l'assurance chômage des intermittents, partie intégrante d'une réflexion plus large concernant l'ensemble des conditions offertes à la création culturelle dans notre pays.

* 1 Source : rapport de M. Bernard Latarjet sur l'avenir du spectacle vivant.

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