C. L'INTERET ET LA DIFFICULTE D'UNE ACQUISITION EFFECTIVE D'ELEMENTS DE PROFESSIONNALISATION DANS LE SECTEUR NON MARCHAND

L'effet de stigmatisation, relevé plus haut, lié au passage dans un contrat aidé dans le secteur non marchand doit être mis en balance avec un apport positif : l'acquisition d'éléments de professionnalisation.

En comparaison avec les CES et les CEC, ce volet avait été présenté comme un axe fort du programme « nouveaux services - emplois jeunes ». La loi n° 97-40 du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes précise que les conventions conclues entre l'Etat et les employeurs doivent prévoir des « dispositions de nature à assurer la professionnalisation des emplois » .

De ce point de vue, l'analyse du devenir professionnel des aides éducateurs d ministère l'éducation nationale par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) est particulièrement éclairante 135 ( * ) . Il ressort de ce travail que les activités exercées ont été très variées et ont répondu à des besoins réels des établissements, ce qui a permis, dans l'ensemble, aux aides éducateurs d'acquérir une expérience professionnelle, éventuellement réutilisable ultérieurement dans leur parcours professionnel. Cependant, la possibilité de réinvestissement de cette expérience dans le secteur non marchand s'est avérée limitée. La Cour a relevé, à cet égard, la faible opérationnalité du dispositif d'aide à la professionnalisation mis en place (plates-formes régionales et cellule nationale d'appui).

Le programme « emplois-jeunes » était suspendu en juillet 2002 et ne donnait lieu à un prolongement que sous une forme très différente avec le programme CIVIS-EUS (emplois d'utilité sociale), lui-même arrêté en 2005 136 ( * ) .

D. LE BESOIN D'UN ACCOMPAGNEMENT RENFORCÉ DANS L'ACCÈS À L'EMPLOI

La persistance d'une population de jeunes plus difficilement insérables justifie la mise en oeuvre d'un accompagnement renforcé vers l'emploi.

Le programme TRACE : un bilan globalement positif en terme d'insertion sociale et d'accès à l'emploi

Le programme TRACE (Trajet d'accès à l'emploi) - créé par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions (article 5) - comportait plusieurs originalités : le partenariat des acteurs locaux et nationaux, l'approche globale et personnalisée et la volonté de créer un droit à l'accueil, à l'orientation et à l'accompagnement.

Tableau n° 41 :  Les grandes lignes du programme TRACE

Objectif

Mettre en oeuvre des actions d'accompagnement personnalisé et renforcé en direction de jeunes en difficulté dans l'accès à l'emploi

Public

Jeunes de moins de 25 ans en situation d'échec et exposés à l'exclusion sociale

Durée

Programme d'une durée initiale de six mois étendue à deux ans

Condition

Convention entre l'Etat et les missions locales et les PAIO

Aide apportée au jeune

Accompagnement renforcé dans la recherche d'emploi piloté par la mission locale ou la PAIO

1998-2001 : Aides du fonds d'aide aux jeunes (FAJ) pendant les périodes interstitielles (hors périodes de travail et de stage rémunéré)

2001-2002 : Bourse d'accès à l'emploi (BAE) pendant les périodes interstitielles (maximum de 300€)

Source : Cour des comptes

La Cour a constaté les résultats dans l'ensemble positifs de TRACE dans son double objectif d'insertion sociale et d'accès à l'emploi d'une population de personnes éloignées du marché du travail.

- Les objectifs en termes de nombre de jeunes accompagnés ont été atteints 137 ( * ) . Au total, le programme TRACE aura bénéficié à 320 000 jeunes de 16 à 25 ans.

- Si les sorties vers l'emploi n'ont pas permis d'atteindre durablement l'objectif fixé de ramener un jeune sur deux vers l'emploi, le taux d'accès à l'emploi a dépassé 40 % (dont environ les deux tiers en emploi non aidé). Ce constat sur les sorties vers l'emploi doit, cependant, être relativisé par le déport progressif des bénéficiaires du programme vers des niveaux de qualification plus élevés 138 ( * ) .

Cette appréciation globalement positive portée sur le programme est, dans l'ensemble, partagée par la DARES 139 ( * ) .

Le programme TRACE : limites de l'« approche globale » et lourdeur de gestion

- L'« approche globale » - qui était l'une des originalités majeures du programme - s'est révélée plus théorique que concrète : seulement un bénéficiaire sur dix a demandé l'aide d'un référent pour un problème de logement et seulement 5 % l'ont sollicité pour un problème de santé.

- La gestion de la bourse d'accès à l'emploi (BAE) s'est révélée lourde. La BAE, créée par la loi de finances pour 2002 140 ( * ) , visait à renforcer la « sécurisation des parcours » des bénéficiaires de TRACE en leur donnant les moyens de vivre pendant les périodes où ils ne travaillaient pas et n'étaient pas en stage rémunéré (période dite « interstitielle »). En plus d'une gestion quotidienne compliquée pour les jeunes, la Cour a relevé l'articulation confuse en pratique entre la BAE et le Fonds d'aide aux jeunes (FAJ).

Le partenariat local et le réseau des missions locales et des PAIO

L'un des intérêts du programme TRACE est la dynamique de partenariat local qui a été impulsée. L'animation d'un tel partenariat au plus proche du terrain repose largement sur le réseau des missions locales et des PAIO. Comme l'a constaté la Cour dans un récent contrôle, ce réseau connaît un mouvement de restructuration par fusion de missions locales et de PAIO. La Cour a également relevé, sur la période récente, une baisse de l'activité d'accueil des jeunes et une forte hausse des dépenses de l'Etat pour le fonctionnement du réseau 141 ( * ) .

Le difficile passage de TRACE à CIVIS

En dépit de son utilité, le devenir du programme TRACE n'a pas été assuré. Le passage au programme CIVIS s'est, en effet, opéré dans des conditions difficiles.

Le programme CIVIS - annoncé en octobre 2002 - comprenait initialement trois volets :

- un volet accompagnement reprenant pour une large part le programme TRACE ;

- un volet aide à la création d'entreprise ;

- un volet contrat proprement dit ayant vocation à prendre la suite des emplois jeunes.

Le troisième volet a été très rapidement détaché des deux autres pour devenir en 2003 le contrat CIVIS-EUS (emplois d'utilité sociale). Le deuxième volet n'a jamais été créé.

La naissance du volet accompagnement s'est avérée difficile dans la mesure où la première version du CIVIS créée fin 2003 était très vite abandonnée 142 ( * ) . La loi du 18 janvier 2005 a abrogé ce premier texte et refondu radicalement le CIVIS 143 ( * ) .

Le nouveau régime comporte un certain nombre d'inflexions notables par rapport à TRACE. Il incite l'Etat à associer, les collectivités territoriales à son action dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de moyens ; il impose un référent unique pour les bénéficiaires du programme de niveaux V et VI. Les jeunes accompagnés sont, en outre, prioritairement orientés vers les métiers en développement ou les secteurs d'activité connaissant des difficultés de recrutement. La finalité de l'accompagnement est l'emploi durable, dont la définition, conformément à celle du BIT, exclut les contrats aidés du secteur non marchand, ce qui correspond à une définition plus stricte que celle qui avait été retenue pour TRACE. Les rencontres du jeune avec son conseiller référent sont réglementées et rendues plus nombreuses 144 ( * ) .

A fin décembre 2005, l'objectif de 100 000 entrées en CIVIS fixé par le gouvernement pour 2005 était dépassé (117 092 entrées pour la France métropolitaine).

La Cour regrette la discontinuité entre le programme TRACE, certes perfectible mais comportant de nombreux points positifs, et le programme CIVIS-accompagnement. Cette rupture a affecté la lisibilité de l'accompagnement renforcé mis en oeuvre dans l'accès à l'emploi des jeunes. Il conviendra d'examiner si la création récente d'un « parcours d'accès à la vie active » par la loi n° 2006-457 du 21 avril 2006 sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise constitue ou non un nouveau facteur de discontinuité dans l'accompagnement des jeunes 145 ( * ) .

* 135 Le programme de l'éducation nationale - le plus important quantitativement - est celui qui a fait l'objet de l'analyse la plus précise, grâce à l'étude de suivi de panel du CEREQ. Cadet Jean-Paul et alii , « Aides éducateurs : à l'issue du dispositif emplois jeunes, que reste-t-il des activités ?  Que sont devenus les jeunes ? », Relief.10 , rapports du CEREQ , juillet 2005.

* 136 Cf annexe 20.

* 137 Cf annexe 19.

* 138 Cf infra E.

* 139 Sur les traces de TRACE : bilan d'un programme d'accompagnement de jeunes en difficulté , DARES, 2005

* 140 Ses règles d'attribution ont été précisées par le décret n° 2002-4 du 3 janvier 2002.

* 141 Cf développements en annexe 20.

* 142 L'article 138 de la loi de finances pour 2004 modifiait le code général des collectivités territoriales pour transférer à la région les compétences en matière d'insertion professionnelle des jeunes : « la région est compétente pour l'organisation d'actions d'accompagnement personnalisé et renforcé ayant pour but l'accès à l'emploi des personnes de 16 à 25 ans révolus en difficulté et confrontés à un risque d'exclusion professionnelle » . Ce texte prévoyait que les régions pouvaient « conclure avec les jeunes ayant des difficultés d'accès à l'emploi un contrat d'insertion dans la vie sociale » . Une allocation liée au CIVIS devait prendre la suite de la bourse d'accès à l'emploi. La place des missions locales et des PAIO n'était pas clairement définie.

* 143 La loi est précisée par le décret n° 2005-241 relatif à l'accompagnement des jeunes vers l'emploi et au contrat d'insertion dans la vie sociale et par une circulaire DGEFP n° 2005-09 du 19 mars 2005.

* 144 Au minimum un entretien hebdomadaire durant les trois premiers mois et un entretien mensuel.

* 145 Certes, le « parcours d'accès à la vie active » ne constitue qu'une formalisation des différentes propositions susceptibles d'être faites au jeune par son référent de mission locale dans le cadre de la mise en oeuvre du CIVIS. Il ne s'agit donc pas au sens strict de la création d'un dispositif nouveau. Cependant, cette modification du CIVIS présentée sous un autre nom peut ne pas être comprise des acteurs de terrain.

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