III. UNE DYNAMIQUE ÉTROITEMENT CORRÉLÉE AU TRAVAIL DES FEMMES ET À L'ÉVOLUTION DE LA NUPTIALITÉ

L'évolution future des pensions de réversion s'inscrit dans un contexte marqué par deux grandes caractéristiques :

- le maintien d'un écart sensible de revenus entre les femmes et les hommes à la retraite en dépit de la montée en charge des droits propres acquis par les épouses dans le cadre du développement du travail féminin ;

- l' effondrement du taux de nuptialité et le développement des autres formes de conjugalité (Pacte civil de solidarité [Pacs] et concubinage).

A. LE MAINTIEN D'UN ÉCART SENSIBLE DE REVENUS ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES À LA RETRAITE

La participation des femmes au marché du travail s'est accrue de manière importante au début des années 1970 24 ( * ) . Si, en 1975, le taux d'activité des vingt-cinq ans à quarante-neuf ans s'élevait à 58,6 % chez les femmes et à 97 % chez les hommes, les écarts se sont réduits. En 2004, le taux d'activité des femmes de la tranche d'âge 25-49 ans s'est établi à 81 % , inférieur seulement de 14,3 % à celui des hommes (contre 38,4 points de différence en 1975).

Le nombre d'années passées en activité entre vingt-cinq ans et cinquante-neuf ans devrait monter de dix-sept ans en moyenne (soit 50 % de taux d'activité) pour la génération des femmes nées en 1930 à trente ans en moyenne (soit 85 % de taux d'activité) pour la génération née en 1970.

Cependant, si le taux d'activité des femmes des générations 1935 à 1970 progresse régulièrement, le taux d'emploi en équivalent temps plein (c'est-à-dire le nombre d'heures de travail effectuées au cours de la vie active) stagne à partir des générations 1955-1960 , ce qui signifie que les femmes des générations 1970 auront, en moyenne sur leur cycle de vie, le même taux d'emploi (en équivalent temps plein) que les générations 1955, taux estimé à 57 % ou 58 %. L'extension de l'allocation parentale d'éducation (APE) aux mères de deux enfants (juillet 1994) ne semble avoir joué qu'un rôle modeste dans ce coup d'arrêt. En réalité, l'explication principale paraît devoir tenir au fait que depuis une dizaine de générations, la hausse de l'activité féminine se fait uniquement sous forme de chômage et d'emploi à temps partiel .

Ainsi en 2002, un emploi sur trois occupés par les femmes l'était à temps partiel (contre 5 % des emplois occupés par les hommes). Dans un tiers des cas, ces temps partiels étaient subis, au sens où, lorsqu'on le leur demande, les femmes répondent souhaiter travailler davantage.

Comparée aux autre pays européens, la France occupe une place intermédiaire, avec un taux d'emploi des femmes et une part de celles travaillant à temps partiel très proches des moyennes des pays partenaires de l'Union.

Taux d'emploi des femmes entre vingt-cinq et cinquante-neuf ans
dans les pays de l'Union européenne en 2003

Taux d'activité

Pourcentage de temps partiel parmi les emplois

Suède

82

31

Danemark

79

27

Finlande

77

13

Royaume-Uni

72

42

Autriche

71

39

Portugal

71

13

Pays-Bas

70

74

Allemagne

69

43

France

69

29

Belgique

62

40

Irlande

62

30

Grand-Duché du Luxembourg

61

-

Espagne

51

16

Grèce

51

7

Italie

51

18

Union à 15

65

33

Union à 25

64

29

Source : Eurostat.

In : Cédric Afsa et Sophie Buffeteau - Document de l'Insee précité.

Cette part croissante du temps partiel au fil des générations contrarie la progression de l'activité féminine, au point qu' il est désormais possible d'envisager que le volume d'emploi en équivalent temps plein cesse d'augmenter pour les cohortes de femmes récentes .

La forte prégnance du temps partiel dans l'activité féminine se répercute dans le niveau de revenu et donc, à terme, dans la constitution d'un salaire différé sous forme de droits propres à une pension de retraite. Cette répercussion est directe : travaillant moins, les femmes touchent moins. Mais elle est également indirecte : d'une part, le travail à temps partiel est plus répandu dans certains secteurs d'activité offrant des salaires horaires plus faibles que la moyenne (secteur de la distribution par exemple) ; d'autre part, les femmes peuvent moins que les hommes s'appuyer sur l'expérience accumulée pour obtenir une hausse de leurs revenus, dans la mesure où l'acquis d'expérience est plus faible du fait de la durée réduite des carrières.

Même si les femmes sont plus qualifiées dans les générations récentes, l'effet positif qui peut en découler est plus que compensé par l'augmentation du temps partiel, en début comme en cours de carrière.

Jusqu'en 1974, les salaires féminins étaient inférieurs de 35 % aux salaires masculins dans le secteur privé. Par la suite, les écarts de salaire entre femmes et hommes se sont considérablement réduits, mais ce mouvement semble s'être stoppé depuis 1995, comme le révèlent des indicateurs relativement stables depuis cette date.

L'écart global constaté en additionnant secteur public et secteur privé serait d'environ 10 % 25 ( * ) . Toutefois, cette moyenne, qui n'apparaît pas considérable, reflète en réalité la surreprésentation des femmes actives dans la fonction publique, où les écarts sont très faibles, alors que les différences de niveau de revenus sont quant à eux relativement élevés dans le secteur privé et semi-public :

- dans la fonction publique d'Etat, l'écart est, en effet, de 14 % pour les salaires mensuels en équivalent temps complet 26 ( * ) , mais de 6 % seulement pour les salaires horaires 27 ( * ) ;

- dans le secteur privé et semi-public, l'écart est en revanche de 20 % pour les emplois à temps complet 28 ( * ) .

Une étude de l'Insee datant de 2001 29 ( * ) tendrait à démontrer que pour les débutants, l'écart brut de rémunération mensuelle entre hommes et femmes s'est même accru pour les générations récentes . De 14,7 % en faveur des hommes pour les actifs ayant débuté leur carrière à la fin des années 1970, cet écart est passé à 22,2 % pour les actifs ayant débuté leur carrière au début des années 1990. Les écarts de salaire mensuel ne cessent de se creuser ensuite puisque, après cinq ans d'activité, l'écart moyen entre hommes et femmes est de l'ordre de 26 % pour les générations de la seconde moitié des années 1970 comme pour celles du début des années 1990.

L'étude aboutit là aussi à la conclusion générale selon laquelle l'explication de cette divergence globale de plus en plus accentuée doit être recherchée dans le développement du temps partiel, subi ou choisi, plus marqué pour les femmes que pour les hommes (alors que parallèlement les écarts de salaires, dans le secteur privé, auraient au contraire tendance à diminuer d'une génération à l'autre entre les hommes et les femmes ayant débuté sur des emplois comparables et ayant des parcours similaires).

Si les différences d'accès au marché du travail entre hommes et femmes devaient perdurer, il est donc très probable que les disparités de revenus entre hommes et femmes au moment de la retraite ne disparaîtront pas à un horizon prévisible .

On rappelle que la retraite de droit direct des femmes est aujourd'hui égale à environ 50 % de celle des hommes. Même s'ils vont se réduire du fait de la hausse du taux d'activité féminine, des écarts significatifs de niveau de pension de droit direct devraient subsister entre hommes et femmes, y compris pour les générations qui sont actuellement en début de vie active, comme le montre le tableau ci-après 30 ( * ) :

Ecart entre les pensions de droit direct des hommes et des femmes
pour les générations actuelles et futures de retraités

Générations

Rapport des pensions moyennes
Femmes/Hommes

Générations à la retraite (écart observé) *

Nés avant 1924

0,41

1925-1929

0,44

1930-1934

0,46

1935-1939

0,50

Secteur privé

Secteur public

Générations en activité
(Projections) **

1940-1944

0,51

-

1945-1954

0,55

0,77

1955-1964

0,58

0,82

1965-1974

0,63

0,87

* Dress, EIR 2004

** Insee, simulations à partir du modèle Destinie. Ces simulations n'ont cependant
qu'un caractère exploratoire et doivent être encore approfondies
pour mieux prendre en compte les effets de la réforme de 2003.

On rappelle également que l'existence de pensions de réversion permet de réduire l'écart entre les retraites des hommes et celles des femmes, ramené ainsi de 50 % aujourd'hui à 38 %.

Dans ces conditions, la fonction de solvabilisation permise par les pensions de réversion devrait donc, en première analyse, continuer de conserver tout son intérêt.

Cependant, l'existence d'un plafond de ressources pour le seul régime général et les régimes alignés est porteuse de risques d'inégalité accrus au cours des prochaines années :

- dans les fonctions publiques, les régimes spéciaux et les régimes Arrco et Agirc, la croissance des droits propres des femmes, même atténuée par rapport à celle des droits propres des hommes, les amènera de plus en plus à disposer de pensions propres significatives cumulables le moment venu avec leur pension de réversion. D'où une augmentation de leur niveau de vie, en couple comme après le veuvage ;

- dans le régime général en revanche, la montée des pensions de droit direct - résultant tant de la progression du travail féminin que des avantages familiaux liés à l'éducation des enfants, majoration de deux annuités par enfant ou AVPF - profitera à plein aux femmes mais cet enrichissement se traduira de plus en plus fréquemment par un écrêtement des pensions de réversion . D'où un écart croissant de niveau de vie entre le couple initial qui cumulera ses pensions personnelles et le survivant dont les retraites propres ne seront abondées par une pension de réversion que dans des conditions limitées. L'extension des cas de cumul limité explique ainsi les perspectives de baisse du poids relatif des pensions de réversion dans les retraites des femmes du régime général (qui passeraient, selon l'Insee, de 18,7 % actuellement à 13,2 % à l'horizon 2020 31 ( * ) ).

* 24 Les données qui suivent sont issues de deux documents de travail de l'Insee transmis au conseil d'orientation des retraites pour la préparation de sa séance du 28 février 2007 : « Inactivité et temps partiel des générations 1925 à 1964 : une évaluation sur cycle de vie » par Chloé Tavan ; « L'évolution de l'activité féminine en France : une approche par pseudo-panel » par Cédric Afsa et Sophie Buffeteau.

* 25 Pour les salaires horaires. Source Insee, enquêtes Emploi, et Eurostat, panel européen. In : documents de travail préparatoires à la séance du Cor du 28 février 2007.

* 26 Insee, fichiers de paie des agents de l'Etat. In : documents de travail préparatoires à la séance du Cor du 28 février 2007

* 27 Source Insee, enquêtes Emploi, et Eurostat, panel européen. In : documents de travail préparatoires à la séance du Cor du 28 février 2007.

* 28 Insee, DADS. In : documents de travail préparatoires à la séance du Conseil d'orientation des retraites du 28 février 2007.

* 29 Insee Première - n° 801, août 2001 - « Les écarts de revenu salarial entre hommes et femmes en début de carrière » - Sylvie Le Minez et Sébastien Roux.

* 30 Extrait de C. Bonnet, S. Buffeteau, P. Godefroy, 2006A, « Disparités de retraite entre hommes et femmes : quels effets de la hausse de l'activité féminine et des réformes de retraite ? » - Document de travail Insee, n° G2006/01. In : documents de travail préparatoires à la séance du Cor du 28 février 2007.

* 31 Eléments figurant dans le rapport public de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 précité (septembre 2000). Le calcul de l'Insee a été établi sur des bases antérieures à la réforme de 2003, mais la conclusion qui peut en être tirée reste a priori valable.

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