3. Mettre en oeuvre des mesures nouvelles plus efficaces en faveur des conjoints survivants

En fonction de l'ampleur des marges de manoeuvres qui auront été effectivement dégagées, la Mecss est favorable à la mise en oeuvre de tout ou partie de cinq catégories de mesures nouvelles dans l'ordre qu'elle propose ci-dessous. Dans le strict respect du principe d'une réforme à coût nul pour les finances sociales, elle invite les pouvoirs publics, d'une part, à réaliser des simulations financières sur ces différentes options, d'autre part, à limiter le champ des dépenses supplémentaires au montant des économies réalisées au préalable.

Cette démarche responsable conduit d'emblée à exclure l'option - autant radicale qu'excessive - de la suppression pure et simple du plafond de ressources dans le régime général et les régimes alignés dont le coût est évalué par le Conseil d'orientation des retraites, dans son avis de novembre 2004, à 2 milliards d'euros par an . Au-delà de son coût, cette mesure pourrait en outre avoir la conséquence, déjà dénoncée pour les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux, d'autoriser certains conjoints survivants à bénéficier d'un taux de réversion supérieur à celui requis pour le maintien de leur niveau de vie relatif.

Pour autant, la mission reconnaît qu'en s'interdisant d'agir de sa propre initiative sur le plafond de ressources 42 ( * ) , elle limite les possibilités d'améliorer la situation de certaines veuves « Arrco » ayant elles-mêmes travaillé et dont la réversion peut se trouver fortement, voire totalement, écrêtée. Elle demande donc que des simulations soient conduites pour délimiter cette population et envisager, en faveur de cette population cible, un desserrement des conditions de ressources.

a) Porter à 60 % le taux de la réversion du régime général et des régimes alignés

Présentant la mesure de revalorisation à 54 % du taux des pensions de réversion du régime général et des régimes alignés en 1994 43 ( * ) , Simone Veil, alors ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, avait déclaré d'emblée : « Le Gouvernement a décidé de revaloriser le taux des pensions de réversion du régime général, du régime des salariés agricoles et des régimes des artisans, industriels et commerçants, en portant le taux actuel, par étapes, de 52 à 60 %. Le taux des pensions de réversion sera porté à 54 % à compter du 1 er janvier 1995. »

Le mouvement s'était cependant arrêté là et aucune revalorisation n'est intervenue depuis douze ans.

Le taux de 60 % s'inscrit ainsi dans la logique de la loi Veil de 1994 44 ( * ) dont elle met en oeuvre les objectifs et permet de se rapprocher du taux de maintien du niveau de vie pour les veuves dénuées de ressources propres ou disposant de ressources faibles les plaçant sous le plafond d'éligibilité, qui constituent l'une des catégories cibles recensées par la mission.

D'après les informations recueillies par vos rapporteurs, cette mesure permettrait d'améliorer la pension de réversion des nouveaux entrants dans le dispositif, respectivement d'environ 8 % pour les femmes et de 5 % pour les hommes. Le coût correspondant pour la Cnav serait de l'ordre d'à peine 200 millions d'euros par an à l'horizon 2010, ce qui correspond à une augmentation - somme toute limitée - de 2,1 % de l'enveloppe financière consacrée aux pensions de droits dérivés.

La simulation de la Cnav a été effectuée pour la période 2006-2010 mais le fait que la revalorisation du taux de la pension de réversion puisse n'intervenir qu'en 2007 ou 2008 ne modifie pas la portée de ses résultats. Elle conduit simplement à les décaler avec une fin de montée en régime en 2011 ou 2012 pour des montants similaires.

Simulation de l'impact d'un taux de la réversion porté de 54 % à 60 %
dans le régime général pour les nouveaux entrants

2006

2007

2008

2009

2010

Augmentation en pourcentage des masses versées

+ 0,3 %

+ 0,8 %

+ 1,2 %

+ 1,7 %

+ 2,1 %

Soit en millions d'euros

+ 21

+ 51

+ 104

+ 148

+ 195

Rappel : masses versées au titre de la réversion sans modification de législation (millions d'euros constants)

7 409,1

7 747,7

8 072,9

8 419,4

8 798,9

Données et taux de majoration calculés par la Cnav

b) Créer une mesure spécifique en faveur des jeunes conjoints survivants ayant au moins deux enfants à charge

Vos rapporteurs considèrent que les jeunes conjoints survivants, en particulier les femmes ayant plusieurs enfants à charge constituent l'une des catégories les moins bien protégées contre les risques de précarisation liées au veuvage . Celles qui n'exercent pas d'activité professionnelle sont davantage pénalisées encore et, compte tenu de la situation actuelle du marché de l'emploi, n'ont que de faibles chances de retrouver un emploi .

La Mecss se prononce donc en faveur de la création d'une prestation nouvelle, déconnectée des pensions de retraite et donc de tout principe de réversion, destinée à améliorer le sort de cette population, qui représente plusieurs milliers de personnes chaque année. Les estimations publiés par le Conseil d'orientation des retraites en 2004 évaluaient ainsi à 162 000 le nombre total des veuves et des veufs de moins de cinquante ans, dont 80 000 ont moins de quarante-cinq ans et 35 000 moins de quarante ans.

Il serait ainsi souhaitable :

- de créer une allocation de base accordée sous condition de ressources, mais cumulable avec les prestations familiales, s'adressant aux conjoints survivants des ressortissants du régime général et des régimes alignés 45 ( * ) ayant au minimum deux enfants à charge ;

- d'augmenter sensiblement le niveau de cette prestation lorsque cette personne a trois enfants à charge ou davantage .

A défaut de mise en oeuvre d'une prestation spécifique , il serait envisageable de prévoir le versement d'une pension de réversion d'orphelin selon les modalités appliquées dans les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux. Pour mémoire, l'article 40 du code des pensions civiles et militaires prévoit, en effet, qu'en sus du versement de la pension de réversion au taux de 50 % , chaque orphelin a droit, jusqu'à l'âge de vingt et un ans, à une pension égale à 10 % de la pension obtenue par le donnant droit ou qu'il aurait pu obtenir au jour de son décès, et augmentée, le cas échéant, de 10 % de la rente d'invalidité dont il bénéficiait ou aurait pu bénéficier. Pour deux enfants, le taux de la réversion est donc porté à 70 % (mais ne peut dépasser 100 % au-delà de cinq enfants).

Vos rapporteurs sont toutefois plus réticents à l'égard de cette solution dans la mesure où le montant de certaines pensions de réversion peut s'avérer très faible si le donnant droit avait acquis peu de droits à retraite. Même majorée pour chaque orphelin, elle resterait inférieure aux besoins. On retrouve là précisément l'une des principales critiques adressées à la réforme mal ciblée de 2003/2004...

c) Revenir sur la suppression programmée de l'assurance veuvage pour les conjoints survivants du régime général et des régimes alignés ayant au plus un enfant à charge

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a prévu la mise en extinction progressive du dispositif de l'assurance veuvage. La limite d'âge est progressivement abaissée en suivant le calendrier d'extension de la pension de réversion jusqu'à la suppression de toute limite d'âge au 1 er janvier 2011. A titre provisoire, les personnes qui bénéficiaient de l'allocation veuvage au 1 er juillet 2004 continuent toutefois à la percevoir dans les conditions applicables avant cette date.

La Mecss souhaite revenir sur la suppression de ce dispositif qui était destiné à favoriser la réinsertion professionnelle des conjoints survivants , par le biais d'une allocation temporaire. Elle estime en effet qu'il convient de rouvrir l'accès à ce dispositif, mais en le réservant aux jeunes veuves sans enfant ou ayant au plus un enfant à charge et en autorisant le cumul avec les prestations familiales, d'une part, et les minima sociaux, d'autre part.

Cette proposition est une mesure de cohérence avec le maintien d'une condition d'âge à cinquante ans pour l'accès aux dispositifs de réversion et du ciblage d'une éventuelle allocation d'orphelin sur les conjoints survivants ayant au moins deux enfants à charge, pour lesquels les possibilités de trouver ou de conserver une activité professionnelle apparaissent moindres que pour ceux qui n'ont pas ou n'ont qu'un enfant.

Cette allocation veuvage est versée au maximum pendant deux ans, de façon continue ou discontinue, à la condition que les ressources du demandeur ne dépassent pas 2 059,01 euros par trimestre (au 1 er janvier 2007). Son montant est actuellement de 549,07 euros par mois. Si elle devait être maintenue, il conviendrait sans aucun doute d'ailleurs de l'étendre aux ressortissants des régimes alignés qui n'en bénéficient pas aujourd'hui (commerçants, artisans, professions libérales), ce qui devrait être possible au regard du faible coût actuel du dispositif (50 millions d'euros prévus en 2007 par la Cnav pour une population de moins de cinquante-deux ou cinquante et un ans à partir du 1 er juillet).

d) Etendre aux personnes pacsées le bénéfice des pensions de réversion et l'envisager pour les concubins avec enfants à charge

Vos rapporteurs considèrent qu'il convient de tenir compte des nouvelles formes de vie en couple et en particulier de l'augmentation, au rythme de 60 000 par an, du nombre de Pacs enregistrés. Cette position constituerait, il est vrai, une sorte de « révolution culturelle » du droit de la réversion qui demeure encore fondé sur l'institution du mariage. Cependant, une telle reconnaissance semble inévitable à plus ou moins brève échéance, ne serait ce qu'en raison de l'apparition probable de recours contentieux en ce sens.

On doit indiquer que nos deux principaux partenaires d'Europe du Nord, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, assimilent d'ores et déjà les partenariats enregistrés, de type Pacs, au mariage en ce qui concerne l'application des règles de réversion, y compris les partenariats établis entre personnes du même sexe. La jurisprudence des tribunaux espagnols reconnaît également un droit de réversion aux survivants en cas de concubinage prolongé.

Pour autant, la Mecss considère que si le Pacs constitue une réalité juridique tangible, il ne peut être assimilé à celle que représente depuis toujours le mariage. Il convient en outre de se prémunir contre le risque réel de conclusion de Pacs de complaisance . Vos rapporteurs se prononcent donc, comme cela est aujourd'hui le cas en Allemagne, en faveur de l'ouverture de la réversion aux personnes ayant conclu un Pacs depuis au moins cinq années au jour du décès du donnant-droit.

De ce point de vue, vos rapporteurs rejoignent donc la proposition identique faite par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits de l'enfant 46 ( * ) , tendant à ouvrir le droit à pension de réversion aux partenaires pacsés depuis cinq ans.

S'ils écartent, à l'inverse, le bénéfice de la réversion pour les personnes vivant en union libre qui n'ont pas eu d'enfant ensemble, et ce en raison de l'absence de preuve incontestable d'une vie commune, vos rapporteurs demandent néanmoins que la situation des concubins ayant des enfants communs puisse faire l'objet d'une étude spécifique, tout en relevant que sur ce sujet il n'existe pas de consensus, ni au sein de la Mecss, ni au sein de la commission des affaires sociales.

Comme on l'a vu plus haut, la mesure d'extension de la réversion à d'autres formes de conjugalité que le mariage ne présente pas à proprement parler de surcoût dans la mesure où toutes les projections faites, notamment par la Cnav, reposent sur des taux de nuptialité de 90 %, très nettement supérieurs à la réalité vécue des générations les plus jeunes.

e) Favoriser l'activité professionnelle des seniors en rendant possible le cumul intégral d'un emploi et d'une pension de réversion

Le décret n° 2004-1451 du 23 décembre 2004 a eu notamment pour effet positif d'introduire une mesure encourageant l'activité professionnelle des assurés du régime général afin d'atténuer la portée, particulièrement sévère, du nouveau plafond de ressources institué à la suite de la réforme de 2003 : les revenus d'activité du conjoint survivant font désormais l'objet d'un abattement de 30 % à condition toutefois que le bénéficiaire soit âgé de cinquante-cinq ans ou plus.

La Mecss estime que cette mesure est insuffisante au regard de la nécessité de favoriser l'emploi des plus de cinquante ans au cours des prochaines années. La situation des seniors sur le marché de l'emploi demeure en effet très difficile en France. Ainsi, retrouver un travail pour une veuve de cinquante ans qui a cessé de longue date toute activité professionnelle constitue une sorte d'exploit qui suppose d'accomplir un véritable parcours du combattant. Il convient donc d'éliminer tous les obstacles susceptibles d'empêcher les conjoints survivants qui le souhaitent, et surtout qui le peuvent, de reprendre un emploi.

Vos rapporteurs proposent ainsi d'autoriser le cumul intégral (et non plus limité à 30 % du revenu d'activité) entre une pension de réversion et un revenu d'activité.

Cette autorisation de cumul intégral devrait, par cohérence, être étendue à tous les bénéficiaires potentiels de la réversion dans le schéma préconisé par la Mecss, c'est-à-dire dès l'âge de cinquante ans. Comme indiqué en introduction, la mesure proposée n'est toutefois pas prioritaire et n'est susceptible d'être adoptée que si elle entre dans l'enveloppe à coût constant définie pour la réforme.

* 42 Sauf pour favoriser l'emploi des seniors, cf. e) ci-après.

* 43 Assemblée nationale, deuxième séance du 3 juin 1994 - Débats JO du 4 juin 1994 - page 2688.

* 44 Loi n° 94-629 du 26 juillet 1994 relative à la famille.

* 45 Si le donnant droit était polypensionné et que le bénéficiaire peut prétendre parallèlement, pour ses enfants, aux prestations d'orphelin du régime de la fonction publique ou des régimes spéciaux, ces prestations seraient servies en priorité et prises en compte dans le plafond de ressources. L'allocation envisagée ici ne viendrait, le cas échéant, qu'en complément.

* 46 Proposition n° 23 - rapport AN n° 2832 (douzième législature) - 25 janvier 2006 - établi par Valérie Pécresse, au nom de la mission d'information. En revanche, un groupe de travail du ministère de la justice réuni en 2005 estimait, pour sa part, qu'il conviendrait d'ouvrir le droit à réversion aux partenaires pacsés depuis au moins deux ans.

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