III. L'APPAREIL DE FORMATION : LES RIGIDITÉS D'UN MARCHÉ SEMI-ADMINISTRÉ

La mondialisation de l'éducation et de la formation accroît, comme le soulignent notamment les travaux du Comité mondial pour l'éducation et la formation tout au long de la vie présidé par M. Yves Attou, l'importance des lieux de savoir comme la télévision, la radio et internet. Les systèmes d'éducation traditionnels sont donc concurrencés par l'accès à des bases de données ou à des médias extrêmement riches et attractifs. En gardant à l'esprit l'importance de ce contexte - largement pris en compte par certains organismes où comme l'a indiqué le représentant de la Fédération de la formation professionnelle, les formateurs sont devenus plus « assembleurs » que « professeurs » - la mission a examiné l'appareil de formation professionnelle implanté sur notre territoire. La coexistence d'un service public de l'enseignement professionnel initial et d'un marché de la formation continue.

La vision la plus synthétique de l'ensemble de l'offre de formation professionnelle consiste à distinguer, d'une part, l'enseignement professionnel initial organisé en service public , d'autre part, le marché de la formation continue, cette dernière étant qualifiée par le code du travail d'« obligation nationale ». Comme l'a rappelé M. Jacques Delors lors de la table ronde organisée le 29 mai par la mission d'information, les promoteurs de la loi de 1971 avaient pour préoccupation d'ouvrir « la citadelle » de l'éducation nationale au monde professionnel. Dans cet esprit, et afin de stimuler l'adaptation des formations à la demande des utilisateurs, la formation continue n'a pas été conçue, en 1971, comme un service public mais comme un marché ouvert .

Le besoin de cohérence dans la démarche de formation

Au-delà des schémas simplifiés, l'offre de formation professionnelle initiale et continue présente une complexité qui défie à la fois la compréhension et, plus concrètement, l'orientation des élèves, des étudiants et des stagiaires, comme on l'a vu dans la première partie du rapport.

Les corporatismes et les cloisonnements qui accompagnent cette complexité ont, en outre, tendance à endiguer la mise en oeuvre de la plupart des réformes , y compris celles qui sont dictées par l'urgence des priorités.

L'approche de la mission d'information a consisté à centrer ses observations sur l'offre de formation continue tout en élargissant systématiquement son analyse à l'ensemble du système de formation professionnelle qui, au-delà des segmentations institutionnelles, doit former un tout cohérent. La mission souligne à nouveau que l'ouverture des frontières des différentes filières de formation constitue un objectif majeur qui nécessite le dépassement de distinctions traditionnelles - complexes dans leur détail et, au final, sans réelle justification logique - mais parfois présentées à la mission d'information comme des obstacles à l'évolution. Ainsi, par exemple :

- la formation en alternance des jeunes, c'est-à-dire la « pédagogie active » dont l'efficacité est démontrée, est tantôt classée en formation initiale sous statut scolaire pour les lycéens professionnels, en formation continue pour les jeunes sous contrat de professionnalisation et dans une zone intermédiaire pour les apprentis ;

- l'acquisition du socle minimal de connaissance apparaît à certains, comme l'a souligné la CGPME, comme une « mission régalienne » de l'éducation nationale ; elle figure également au rang des priorités de la formation continue, conformément à l'article L. 900-6  du code du travail, si bien que, sur le terrain, la mission a pu constater que l'AGEFOS-PME de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, de façon pragmatique et astucieuse, utilisait le DIF comme instrument de lutte contre l'illettrisme ;

- enfin, la Cour des comptes a récemment estimé insuffisante la capacité des universités de mobiliser les financements de la formation continue pour former des salariés ; en même temps, aucune limite d'âge ne permet d'interdire à un salarié de s'inscrire dans une formation universitaire en tant qu'étudiant.

Tout cela a été évoqué dans les développements de la première partie du rapport.

Au total, une même réalité pédagogique simple peut relever de mécanismes institutionnels totalement différents. Un tel système complique singulièrement la tâche du réformateur car la modification d'une pièce du « puzzle » de la formation professionnelle suscite immanquablement bon nombre de « casse-tête » juridiques ou financiers.

Dans ce contexte, la mission, sans pouvoir prétendre être parvenue à dresser un panorama exhaustif de la formation professionnelle, s'est efforcée de donner un aperçu de sa diversité et de la logique de sa structuration. Elle s'est ensuite demandé si, à travers ce foisonnement et cette segmentation, le principe régulateur de la concurrence était en mesure de garantir une émulation suffisante et de limiter les déperditions financières de la formation professionnelle.

A. LE POTENTIEL D'ÉMULATION ENTRE LES GRANDS RÉSEAUX DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

La mission d'information a pu constater, à travers de nombreuses auditions, que l'offre de formation professionnelle se caractérise, aujourd'hui en France, par une extrême diversité.

S'agissant plus particulièrement de l'offre de formation continue, les repères traditionnels, juridiques ou économiques, se révèlent insuffisants pour en percevoir la logique globale.

En premier lieu, le statut juridique n'apporte qu'une information partielle et souvent trompeuse : ainsi, environ la moitié des organismes de formation sont constitués sous forme associative, ce qui concerne aussi bien des opérateurs sous la tutelle de l'État, comme l'AFPA, des organismes sous la responsabilité des chambres consulaires ou des organisations patronales, ou encore des organismes issus de l'éducation populaire ou de l'action sociale. Une même catégorie juridique rassemble donc des dispensateurs dont les formations et les ressources diffèrent considérablement.

Ensuite, du point de vue économique, il a été plusieurs fois observé devant la mission que l'activité économique des organismes déclarés auprès de la puissance publique ne se rapporte que pour la moitié d'entre eux à la formation des adultes ou à la formation continue, sans fournir aucune information sur la nature exacte des services offerts.

Enfin, selon le CEREQ, la profession se compose essentiellement de PME mais la mesure des effectifs employés se heurte à des difficultés considérables en raison de l'existence de nombreux personnels extérieurs aux organismes, occupés occasionnellement et à temps partiel voire parfois en tant que bénévoles.

La méthode la plus proche des réalités de terrain a été suivie par la mission sénatoriale : elle a consisté à appréhender cet ensemble complexe et hétérogène à travers les grands réseaux de formation, répartis selon un critère de dépendance institutionnelle ; celui-ci détermine assez largement la nature des activités de formation, les modes de gestion des organismes et, comme a pu le constater la mission, leur « état d'esprit ». Le principal enjeu de cet examen consiste à se demander si ces réseaux se partagent le marché de la formation continue ou s'y affrontent avec une intensité suffisante pour provoquer une certaine émulation. Le facteur fondamental de l'évolution du système de formation continue est, à ce titre, l'intensification de la concurrence : comme l'estime le CEREQ, ce phénomène trouve notamment sa limite dans l'implantation territoriale des organismes et leurs dépendances institutionnelles.

1. Vue générale de l'appareil de formation professionnelle initiale et continue

a) Panorama de l'enseignement professionnel initial

La formation professionnelle initiale renvoie à des réalités variées
selon les niveaux (secondaire ou supérieur) et les modalités de formation
(sous statut scolaire ou par apprentissage).

A l'issue de la scolarité obligatoire, c'est à dire en fin de troisième, près de 40 % des élèves - selon une part stable depuis dix ans - s'engagent dans la voie professionnelle , soit sous statut scolaire, soit en apprentissage, dans des établissements publics ou privés relevant notamment du ministère de l'éducation nationale, du ministère de l'agriculture, ou encore des chambres consulaires, pour ce qui concerne les centres de formation d'apprentis (CFA).

Les structures et les effectifs de la formation professionnelle initiale

? Le second cycle professionnel

Le second cycle professionnel scolarise, en 2005, 724 000 élèves, du CAP au baccalauréat professionnel, dans près de 1 700 lycées professionnels publics et privés sous contrat. Cela représente le tiers de l'ensemble des lycéens (1,5 million d'élèves dans le second cycle général et technologique).

Le coût d'un lycéen professionnel atteint 10 490 euros par an en 2004 (10 170 euros pour un lycéen général ou technologique) et a augmenté de 35 % depuis 1990 (+ 36 % pour l'ensemble du second degré). La dépense consentie par lycéen en France est de 30 % supérieure à la moyenne des pays de l'OCDE 28 ( * ) .

? L'apprentissage

Le nombre total d'apprentis s'établit, en 2005-2006, à 369 000 (contre 293 500 en 1995), dont 30 % de filles. Les deux tiers préparent un diplôme de niveau V (dont 47 % un CAP), 10 % un baccalauréat professionnel, 31 500 un BTS et 31 700 un diplôme de l'enseignement supérieur.

Les centres de formation d'apprentis (CFA) sont gérés, notamment, par des organismes privés (plus de 50 %), des chambres consulaires (32 %) ou des établissements d'enseignement (13 %). Leur tutelle pédagogique est exercée soit par le ministère de l'éducation nationale, soit par celui de l'agriculture.

? L'enseignement agricole

Le système de formation initiale relevant du ministère de l'agriculture scolarise, en 2005, 175 830 élèves (de la classe de 4 e jusqu'au BTS), et 30 200 apprentis, dans 850 établissements et 159 CFA, publics et privés. 65 % des élèves sont dans des formations professionnelles, du CAPA au BTSA, soit à « temps plein », soit dans des formations en alternance (au sein des maisons familiales rurales).

? L'enseignement supérieur professionnel

Sur un total de 2,27 millions d'étudiants en 2005 (contre 1,71 million en 1990), 15 % sont dans des filières professionnelles supérieures courtes, dont 230 000 en section de technicien supérieur (199 000 en 1990) et 112 600 en institut universitaire de technologie (74 300 en 1990).

D'autres suivent des formations plus longues au sein d'écoles d'ingénieurs (108 000 en 2005), de commerce (87 000) ou d'écoles paramédicales (124 000)...

A titre de comparaison, l'université (hors IUT et formations d'ingénieurs), accueille plus de la moitié de l'ensemble des étudiants, soit 1,28 million en 2005 (1,07 million en 1990).

L'osmose entre l'éducation nationale et le monde du travail est entrée dans les textes mais pas suffisamment dans les esprits et dans les faits.

Trente-six années après l'adoption de la loi de 1971, la volonté d'ouvrir les frontières de la formation professionnelle initiale est aujourd'hui très largement affichée dans les discours, les rapports et dans les textes. En témoigne par exemple la réglementation relative au label « lycée des métiers » instituée par l'article L. 335-1 du code de l'éducation : elle a été conçue pour encourager les lycées professionnels - qui accueillent le tiers de nos lycéens - à multiplier les partenariats. En dépit de ce consensus apparent, certains représentants de l'éducation nationale, dressant un constat particulièrement lucide de la situation actuelle, ont signalé à la mission la persistance, ici ou là sur le terrain, d'un esprit de cloisonnement et d'antagonisme entre l'enseignement et le monde de l'entreprise qui freine leur osmose, comme on l'a vu dans le chapitre I ci-desssus.

A cet égard, la mission exhorte tous les acteurs de la formation et du monde de l'entreprise à transcender les démarcations traditionnelles en considération, notamment, de la priorité qui doit être donnée à l'insertion professionnelle des jeunes en difficulté : « La France se moque de ses jeunes » : tel est le cri d'alarme lancé devant la mission par le représentant des missions d'insertion locales afin de témoigner de l'intensité de la détresse d'un certain nombre d'entre eux.

* 28 Source : Rapport sur la carte de l'enseignement professionnel, Mission d'audit de modernisation, Inspections générales des finances (IGF), de l'éducation nationale (IGEN), de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR), décembre 2006.

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