c) L'implication des partenaires sociaux à travers la négociation collective et la gestion paritaire

L'une des spécificités « originelles » du système de formation professionnelle réside dans le rôle accordé aux partenaires sociaux, pour sa conception et sa mise en oeuvre. Cette spécificité est inscrite dans le paysage socio-économique à travers la négociation collective et la gestion paritaire.

La négociation collective

La négociation collective intervient à différents niveaux : au niveau national interprofessionnel, de celui des branches professionnelles et de celui de l'entreprise.

La méthode de la négociation nationale interprofessionnelle, dont on a rappelé précédemment l'importance, s'est progressivement répandue par accords spécifiques aux secteurs agricoles, du commerce et de l'artisanat, de l'économie sociale, du travail temporaire, des hôpitaux. Les vertus de la négociation collective dans le domaine de la formation ont été reconnues par l'État employeur lui-même, donnant lieu à la négociation d'un accord-cadre et à des accords d'application au niveau de chaque ministère.

Quant à la négociation de branche , elle consiste, pour les organisations qui sont liées par une convention de branche (ou, à défaut, par un accord professionnel), à se réunir au moins tous les cinq ans, et depuis l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2003 tous les trois ans, pour négocier sur les priorités, les objectifs et les moyens de la formation professionnelle des salariés (article L. 933-2 du code du travail). Les négociations ont lieu, en pratique, au niveau national et l'accord conclu constitue un avenant (ou une annexe) de la convention ou de l'accord professionnel.

Elles couvrent un vaste champ d'actions. Le contenu concret de la négociation de branche dans le domaine de la formation professionnelle est évoqué dans le chapitre II de la première partie du rapport. On rappellera ici simplement que la liste des sujets de négociations prévue par l'article L. 934-2 du code du travail est particulièrement étendue.


La négociation de branche

Le contenu de cette négociation est extrêmement large puisque aux termes de l'article L. 934-2 du code du travail , il porte « notamment » sur les points suivants :

1 - La nature des actions de formation et leur ordre de priorité ;

2 - La reconnaissance des qualifications acquises du fait d'actions de formation ;

3 - Les moyens reconnus aux délégués syndicaux et aux membres des comités d'entreprise pour l'accomplissement de leur mission dans le domaine de la formation ;

4 - Les conditions d'accueil et d'insertion des jeunes dans les entreprises du point de vue de la formation professionnelle, notamment dans le cadre des contrats d'insertion en alternance ;

5 - Les objectifs en matière d'apprentissage, les priorités à retenir en termes de secteurs, de niveaux et d'effectifs formés ainsi que les conditions de mise en oeuvre des contrats d'apprentissage ;

6 - Les actions de formation à mettre en oeuvre en faveur des salariés ayant les niveaux de qualification les moins élevés, notamment pour faciliter leur évolution professionnelle ;

7 - La définition et les conditions de mise en oeuvre des actions de formation en vue d'assurer l'égalité d'accès des hommes et des femmes à la formation professionnelle ;

8 - Les conditions d'application, dans les entreprises qui consacrent à la formation de leurs salariés un montant au moins égal à l'obligation minimale légale ou celle fixée par convention ou accord collectif de branche relative à la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue, d'éventuelles clauses financières convenues entre l'employeur et le salarié avant l'engagement de certaines actions de formation et applicables en cas de démission, les versements effectués au titre de ces clauses étant affectés par l'entreprise au financement d'actions dans le cadre du plan de formation ;

9 - La recherche de réponses adaptées aux problèmes spécifiques de formation dans les petites et moyennes entreprises et en particulier dans celles ayant moins de dix salariés ;

10 - Les conséquences éventuelles des aménagements apportés au contenu et à l'organisation du travail ainsi qu'au temps de travail sur les besoins de formation ;

11 - Les conséquences de la construction européenne sur les besoins et les actions de formation ;

12 - Les conséquences sur les besoins et les actions de formation du développement des activités économiques et commerciales des entreprises françaises à l'étranger ;

13 - Les modalités d'application par les entreprises des dispositions de l'éventuel accord de branche résultant de ladite négociation.

Les résultats des négociations de branche ont été variables selon les périodes . Par le passé, il a été reproché aux accords de branche de négliger les aspects qualitatifs de la formation tels que les orientations prioritaires des formations, l'égalité d'accès, la qualification et ses modalités de reconnaissance et de faire peu de place aux procédures d'évaluation.

D'un niveau modeste dans les années quatre-vingt, les négociations de branche se sont beaucoup développées ensuite sous l'effet des incitations législatives et interprofessionnelles sus rappelées. Il faut souligner que les négociations de branche portant sur la formation sont souvent élargies aux questions relatives à l'emploi, aux mutations technologiques ou aux conditions de travail et bénéficient de l'impulsion donnée à ces thèmes.

C'est ainsi qu'elles ont connu un net développement depuis vingt ans, et surtout, comme on l'a vu au chapitre II de la première partie du rapport, un essor « sans précédent », après l'ANI de 2003 et la loi de 2004, avec près de 450 accords de branche conclus.

La branche professionnelle est devenue, au terme de ce processus, un niveau essentiel des politiques de formation professionnelle.

En revanche, la négociation d'entreprise sur la formation professionnelle dans notre pays a toujours été considérée comme d'un niveau modeste . Le défaut d'incitation légale ou conventionnelle à négocier au niveau de l'entreprise sur la formation professionnelle explique en partie cette moindre implication, ainsi que les attributions consultatives du comité d'entreprise sur ce même sujet.

La négociation d'entreprise est prévue dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives mais à titre facultatif. A l'échelon de chacune, c'est le comité d'entreprise qui est chargé de suivre la gestion de la formation qui relève de la responsabilité de l'employeur.

Jusqu'à une période récente, les accords d'entreprise représentaient un très faible pourcentage de la totalité des accords conclus et, de surcroît, la question de la formation n'y était abordée que de manière incidente. La question de la réduction du temps de travail a cependant rouvert de nouveaux espaces de négociation, notamment sur l'équilibre entre temps de travail et temps de formation. Puis la réforme de 2004 (avec notamment le droit individuel à la formation, les contrats et périodes de professionnalisation) a apporté de nouvelles perspectives de négociation à ce niveau 66 ( * ) .

La gestion paritaire

Parallèlement, la gestion paritaire a gagné peu à peu du terrain dans le domaine de la formation continue. Ce principe est présent dès la loi de 1971 pour le financement du système .

Comme on l'a vu dans le chapitre IV ci-dessus, une part de la contribution due par les entreprises pour le développement de la formation professionnelle continue est administrée par les partenaires sociaux au sein d'organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) créés par voie d'accords collectifs et agréés par l'État.

On notera ici surtout le fait que les partenaires sociaux ont parallèlement mis en place des organes de régulation, à leur propre initiative, au niveau national interprofessionnel, au niveau des branches et au niveau interprofessionnel régional.

Il existe ainsi un certain nombre de structures, qui ont chacune leur propre légitimité, comme l'a rappelé M. Francis Da Costa, président de la commission formation du MEDEF : « Les huit organisations d'employeurs et de salariés représentatives au plan national et au plan interprofessionnel ont confié au Comité paritaire national pour la formation professionnelle (CPNFP) la « maintenance » des accords interprofessionnels sur la formation, le soin d'en préciser les modalités d'application et celui d'assurer la liaison avec les pouvoirs publics. Les commissions paritaires nationales pour l'emploi (CPNE ) au niveau des branches professionnelles et les commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi (COPIRE) au niveau régional, exercent de leur côté des compétences définies. »

Ces organes font partie du dispositif de gouvernance dès l'origine :

1°) Les secrétaires techniques nationaux du CPNFP, MM. Dominique de Calan, Bernard Falck et René Bagorski, ont ainsi rappelé aux membres de la mission que, depuis plus de vingt ans, les partenaires sociaux concluent des accords nationaux interprofessionnels prévoyant la mise en place de tels comités chargés de leur interprétation, analyse et suivi. De même, pour l'application de l'ANI de 2003, a été constitué un Comité paritaire national pour la formation professionnelle composé de vingt membres - dix pour les organisations syndicales et dix pour la partie patronale - et comprenant des secrétaires techniques élus par leur collège respectif (deux pour chaque collège). Il se réunit en moyenne deux fois par trimestre.

Comme l'a rappelé M. Bernard Falck, la structure de gouvernance et de régulation au niveau des partenaires sociaux est la suivante : « les partenaires sociaux, au niveau interprofessionnel ou au sein de chaque branche, négocient des accords. Sur le plan financier, ceux-ci sont mis en oeuvre par les OPCA ou, dans le cadre du congé individuel de formation, dans les organismes paritaires agréés (OPA). Ces organismes paritaires mettent ainsi en oeuvre, dans le cadre des financements de la formation professionnelle, les dispositions prises, et les ajustements sont réalisés par branche par les Commissions paritaires nationales pour l'emploi (CPNE) ou, au niveau interprofessionnel régional, par les commissions paritaires interprofessionnelles régionales pour l'emploi (COPIRE). La gouvernance paritaire a donc un caractère politique, les OPCA ou les organismes paritaires collecteurs agréés au titre du congé individuel de formation (OPACIF) ayant un rôle de mise en oeuvre et de financement des politiques de formation qui ont ainsi été décidées. Comme cela a été précisé, le CPNFP a un rôle de suivi de l'ensemble des accords. »

Le CPNFP est donc une structure souple de gouvernance et de régulation.

Il s'intéresse à l'évolution des missions des organismes collecteurs agréés, en participant notamment à un groupe de travail avec la Direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP), où il a proposé une révision du plan comptable, des modifications sur la fiscalité des OPCA et les services apportés aux entreprises.

Ce système est piloté en concertation permanente avec les autres acteurs et en particulier l'État , avec qui a été signée, le 31 mars 2006, une convention pour les contrats de professionnalisation pour les adultes (comme pour la gestion du FUP ou la politique de lutte contre l'illettrisme), mais également avec les conseillers régionaux (au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie), et avec les autres organismes, tels que l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) ou l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), par le biais de conventions.

2°) Les commissions paritaires nationales de l'emploi ( CPNE) , ont été instituées, quant à elles, par l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 sur la sécurité de l'emploi avec pour objectif général la promotion de la politique de formation dans leur champ de compétence professionnelle.

Un rôle particulier leur a été reconnu en matière de formations alternées, puisqu'elles définissent les qualifications professionnelles ou les préparations aux diplômes de l'enseignement technologique. Les CPNE sont aussi consultées préalablement à la conclusion des contrats d'objectifs par l'État, la région et les branches professionnelles et font connaître leur avis aux organismes gérant les fonds des congés individuels de formation ainsi que les priorités professionnelles et géographiques qu'elles définissent.

Aujourd'hui, comme l'a souligné M. Francis Da Costa du MEDEF, « les partenaires sociaux travaillent au sein des CPNE sur les métiers et les qualifications, et les branches ont montré une grande réactivité à l'égard des demandes des entreprises en matière de qualifications et de compétences professionnelles, la contrepartie de cette souplesse étant la difficulté des organismes de formation à suivre les évolutions de la politique des CPNE ».

On notera que beaucoup de CPNE ont, à leur tour, mis en place des commissions paritaires territoriales de l'emploi (CPTE) qui ont généralement vocation à travailler sur l'activité et l'emploi au niveau départemental, en cohérence si possible avec la vision nationale. L'échelon CPTE, même sans structures, est un lieu de connaissance mutuelle des enjeux concernant l'évolution économique des technologies de l'emploi et des formations.

3°) Les commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi (COPIRE ), instituées comme les CPNE par l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 sur la sécurité de l'emploi, ont un rôle général d'étude, de proposition et de promotion en matière de politique de formation professionnelle régionale. Elles sont aussi particulièrement chargées de suivre l'activité et les orientations des OPCA interprofessionnels chargés de l'alternance ou du congé individuel de formation (FONGECIF).

L'ANI de 2003 a conforté leur rôle, « sans qu'il puisse être normatif », qui est de :

- participer à l'étude des moyens de formation, de perfectionnement et de réadaptation professionnels, publics et privés, existant pour les différents niveaux de qualification ;

-  rechercher avec les pouvoirs publics et les organismes intéressés les moyens propres à assurer leur pleine utilisation, leur adaptation et leur développement et de formuler à cet effet toutes observations et propositions utiles ;

- promouvoir, dans le cadre des missions définies ci-dessus, la politique de formation dans les régions de leur ressort ;

- examiner, en fonction des travaux des CPNE et avec tous les acteurs et organismes concernés, les problèmes spécifiques que peuvent rencontrer, en matière de formation professionnelle, les entreprises ayant un faible effectif.

Ces différents éléments constituent le panorama actuel, pour le moins complexe, de la gouvernance de la formation professionnelle, complexité notablement renforcée par la pluralité des organisations syndicales , la diversité de leurs cultures et de leurs stratégies.

Par ailleurs, le principe selon lequel le champ d'application professionnel d'un accord collectif résulte de la capacité d'engagement des organisations signataires, détermine ce champ d'application en fonction du périmètre d'influence desdites organisations. Ainsi par exemple, les instances de régulation susmentionnées (CPNFP, CPNE, COPIRE) n'englobent pas les secteurs professionnels considérés comme « hors champ » pourtant très importants que sont l'agriculture, la coopération agricole, le secteur sanitaire et social. Ces derniers ont été conduits, à leur tour, à constituer leurs propres structures.

Enfin, parmi les éléments à prendre en compte dans le cadre d'une réflexion sur le système français, il faut encore noter qu'une partie des fonds de la formation professionnelle participe au financement du paritarisme, et qu'il y a une certaine difficulté pour les partenaires sociaux à être présents sur l'ensemble du territoire, dans un pays où, par ailleurs, le taux de syndicalisation demeure faible.

* 66 « La formation professionnelle, objet et enjeu de la négociation collective » par Jean-Marie Luttringer - Juillet 2004.

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