V. LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE : UN BICAMÉRISME FORTEMENT INÉGALITAIRE, UN PARLEMENTARISME PEU RATIONALISÉ ET DES POUVOIRS RECONNUS À LA MINORITÉ

Population : 10,2 millions d'habitants

Superficie : 70.870 km²

Depuis 1993, la République tchèque est une république parlementaire démocratique, unitaire et pluraliste. Le Président est élu pour cinq ans par le Parlement réuni. Il désigne le Premier ministre qui nomme le Gouvernement. La Tchéquie est divisée en 13 régions (kraje, au singulier kraj).

Le Parlement est constitué de deux chambres élues au suffrage universel direct. La Chambre des députés, ou Snìmovná (200 membres élus pour quatre ans) est élue au scrutin proportionnel dans le cadre des régions. Le Sénat (81 membres élus pour six ans et renouvelés par tiers tous les deux ans) est élu au scrutin majoritaire uninominal.

Le bicaméralisme tchèque est très déséquilibré, le Sénat n'ayant aucun pouvoir de contrôle, sauf en matière européenne, et jouant un rôle marginal dans la procédure législative. Le Gouvernement n'est responsable que devant la Chambre des députés.

Depuis les élections législatives des 2-3 juin 2006, la Chambre des députés est partagée à parité entre une coalition marquée à gauche et une coalition marquée à droite. Le principal parti de droite (l'ODS) ayant obtenu le plus grand nombre de sièges 99 ( * ) , M. Mirek Topolanek a été nommé Premier ministre par le Président de la République M. Vaklav Klaus . Après plusieurs mois de discussions (y compris avec les sociaux-démocrates pour explorer la possibilité d'une grande coalition), l'ODS ayant entre temps remporté la majorité absolue des sièges au Sénat à l'occasion de son renouvellement partiel en octobre 2006, un accord de coalition a permis la nomination le 9 janvier 2007 d'un gouvernement de centre-droit. Ce gouvernement a obtenu la confiance de la Chambre des députés le 19 janvier (par 100 voix contre 98). La validation du nouveau gouvernement n'a été possible que par l'abstention de deux élus sociaux-démocrates dissidents.

A. UNE PROCÉDURE LÉGISLATIVE REFLÉTANT LE BICAMÉRISME INÉGALITAIRE MAIS MARQUÉE PAR PLUSIEURS ORIGINALITÉS

1. Un ordre du jour fixé par chaque assemblée

La session des deux chambres est permanente. Toutefois, chacune des deux assemblées ne siège réellement que cinq à dix jours par période de six semaines. Les parlementaires consacrent environ un tiers de leur temps à leur circonscription 100 ( * ) , un autre tiers aux travaux des commissions et des comités et le troisième à la séance publique. Ce rythme connaît toutefois des exceptions. Ainsi, comme l'a indiqué Mme Alena Venhodová, vice-présidente de la commission des affaires européennes du Sénat, celle-ci se réunit presque chaque semaine afin de traiter au plus vite les documents européens qui lui sont transmis.

Il n'existe pas de programmation à long terme de l'ordre du jour. Au Sénat, la commission permanente dite de l'organisation (cf encadré ci-après) s'essaie à planifier sur six mois les périodes de travail en commission et en séance plénière. Toutefois, comme l'a confié à la délégation de la mission d'information M. Jaroslav Kubera, président de la commission des lois du Sénat, ce calendrier n'est jamais respecté, notamment parce que le Sénat ne dispose que de trente jours pour se prononcer sur les projets de loi adoptés par les députés.

La Commission de l'organisation

Dans chaque chambre, une commission de l'organisation est chargée de proposer au président de l'assemblée un projet d'ordre du jour. Il lui revient d'organiser les travaux et de renvoyer à la commission thématique compétente les projets de loi.

Présidée par le président de chaque assemblée, elle se compose des vice-présidents de chaque assemblée ainsi que de représentants des groupes politiques désignés selon une clef proportionnelle.

En raison de son rôle essentiel dans le fonctionnement de chaque assemblée, les règlements du Sénat et de la Chambre des députés définissent expressément sa composition et ses missions.

Le nombre des autres commissions permanentes ainsi que leurs attributions sont en revanche déterminés, par vote public à la majorité, par chaque assemblée lors de son renouvellement.

La Chambre des députés ouvre sa séance journalière à 9 heures au plus tôt, la séance étant close à 21 heures au plus tard. Le vote des projets de loi et des amendements, la ratification des conventions internationales nécessitant l'approbation du Parlement, de même que la modification éventuelle de l'heure du vote doivent commencer à 19 heures au plus tard. La Chambre des députés ne se réunit pas le lundi, le samedi et le dimanche, sauf exception. Le jeudi après-midi est réservé aux questions orales. L'organisation des travaux du Sénat est assez proche de celle de la Chambre.

Au Sénat comme à la Chambre des députés, l'ordre du jour est fixé par l'assemblée plénière sur la proposition du président. Le Gouvernement n'a pas de pouvoir pour fixer tout ou partie de l'ordre du jour . Le président de chaque chambre est conseillé par la commission permanente de l'organisation au sein de laquelle tous les groupes politiques sont représentés.

Les commissions, les groupes politiques ou les députés sont en droit de proposer l'inscription de points complémentaires à l'ordre du jour. A la Chambre des députés, il n'est toutefois pas possible d'examiner l'inscription de points complémentaires, si au moins deux groupes politiques ou cinquante députés s'y opposent.

2. Le droit d'initiative

Un projet de loi peut être présenté indifféremment par un député, un groupe de députés, le Sénat dans son ensemble 101 ( * ) , le Gouvernement ou par un conseil régional. Les règles applicables à l'examen d'un projet de loi ne diffèrent pas en fonction de son auteur.

De fait, si les projets de loi d'origine gouvernementale représentent la majorité des textes adoptés, les textes d'origine parlementaire occupe une part importante de l'ordre du jour . Au cours de la quatrième législature (2002-2006), 740 projets de lois ont été déposés devant la Chambre des députés, dont 457 par le Gouvernement, 230 par les députés, 17 par le Sénat et 36 par les conseils régionaux ; 61 % de l'ensemble des projets de loi déposés ont été adoptés. Pour les projets de loi d'origine gouvernementale, ce taux s'élève à 75%.

Il faut noter également qu'il est fréquent que des projets de loi d'origine parlementaire soient co-signés par des députés appartenant à l'ensemble des groupes politiques.

3. Une procédure législative en trois temps à la Chambre des députés

Tous les projets de loi, y compris sénatoriaux, sont examinés en premier lieu par la Chambre des députés. Les projets de loi y font l'objet d'une discussion générale lors d'une première lecture au cours de laquelle la Chambre des députés peut rejeter le projet de loi, le renvoyer à son auteur pour modification ou le transmettre à la ou aux commissions compétentes.

Après examen par la ou les commissions compétentes au fond, le projet de loi est étudié en détail et peut être amendé sur le fond lors d'une deuxième lecture . Si le projet de loi est adopté à l'issue de cette nouvelle lecture, une troisième lecture est prévue au cours de laquelle seules des corrections techniques, grammaticales ou orthographiques sont possibles.

Au Sénat, une seule lecture est prévue en raison du délai très court - 30 jours - pour examiner les projets de loi adoptés par la Chambre des députés.

a) Une première lecture pour fixer les orientations générales du débat

Dès son dépôt devant la Chambre des députés, le projet de loi est transmis à la commission de l'organisation. L'auteur d'un projet de loi conserve le droit de le retirer sans l'assentiment de la Chambre des députés jusqu'à la clôture de l'examen du projet en deuxième lecture. La deuxième lecture terminée, l'auteur ne peut retirer le projet de loi qu'avec l'accord de la Chambre. S'il ne s'agit pas d'un projet du Gouvernement, ce dernier a trente jours pour donner son avis.

Après réception de l'avis du Gouvernement ou à l'issue des trente jours, la commission de l'organisation peut conseiller au président de la chambre de proposer l'inscription du texte à l'ordre du jour de la séance plénière. En même temps, la commission de l'organisation désigne un rapporteur en son sein pour présenter le projet de loi en première lecture. Elle désigne aussi la ou les commissions qui seront compétentes au fond après la première lecture.

Lors de la première lecture, l'auteur du projet de loi présente son texte. Cet exposé est suivi par celui du rapporteur désigné par la commission de l'organisation.

Après la discussion, dont la durée n'est pas limitée, la Chambre des députés peut rejeter le projet, le renvoyer pour finalisation à son auteur ou le renvoyer à la commission compétente au fond pour un examen ultérieur. Le cas échéant, le projet de loi est renvoyé à plusieurs commissions au fond.

b) Des délais garantis pour l'examen en commission

Si le projet de loi a été renvoyé en commission à l'issue de la première lecture, la commission compétente dispose d'un délai de 60 jours pour examiner le texte avant la deuxième lecture en séance plénière .

Ce délai légal peut toutefois être réduit à 30 jours au maximum si la Chambre des députés le décide. Il est possible de raccourcir le délai légal de plus de 30 jours, à la condition qu'au moins deux groupes politiques ou 50 parlementaires ne s'y opposent pas. Cette faculté est toutefois rarement utilisée.

A l'inverse, le délai légal de 60 jours peut être prolongé de 20 jours avec l'accord de l'auteur du projet de loi.

La commission saisie examine le projet de loi en débat général lequel est suivi par une analyse détaillée et l'examen des amendements. Elle peut proposer le rejet du projet de loi.

Outre les commissaires, peuvent assister aux réunions des commissions toutes les personnes autorisées à assister aux séances publiques. Ainsi, les députés non membres peuvent y assister avec voix consultative 102 ( * ) . Les membres du gouvernement peuvent se faire accompagner d'experts. Aux termes de l'article 64 de la Constitution tchèque, le Président de la République peut également participer aux débats des commissions.

c) L'examen des amendements au cours d'une deuxième lecture

L'examen du projet de loi en deuxième lecture s'ouvre à nouveau par l'exposé de l'auteur du projet de loi. Il est suivi par le ou les rapporteurs des commissions compétentes, voire par le contre-rapporteur désigné par l'opposition (voir C) 2.).

Le droit d'amendement est très peu réglementé au cours de la deuxième lecture . Les amendements peuvent être déposés au cours de la séance. Dans ce cas, la séance est suspendue et la commission se réunit pour les examiner. Les cavaliers législatifs sont désormais écartés à la suite de plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle en février 2007. La Chambre des députés, et plus encore le Sénat, sont vigilants à ne pas laisser passer de tels amendements.

Si le projet de loi n'est pas renvoyé à la commission compétente ou rejeté, il est adopté ainsi modifié avant une troisième lecture.

d) Une troisième lecture technique

La troisième lecture peut commencer au plus tôt 72 heures après la deuxième lecture. La Chambre des députés peut toutefois réduire ce délai à 48 heures.

Au cours de cette ultime lecture, les députés ne peuvent proposer que des corrections techniques, rédactionnelles ou de coordination.

Il est procédé enfin à un vote final sur l'ensemble. Si le projet de loi est adopté, il est renvoyé sans délai au Sénat s'il s'agit d'un texte pour lequel le Sénat est compétent 103 ( * ) .

4. Une navette qui reflète l'inégalité des pouvoirs des deux chambres

Les textes adoptés par la Chambre des députés sont transmis au Sénat, qui dispose de trente jours pour les examiner. Ce dernier peut les adopter, les rejeter ou les amender. S'il ne se prononce pas dans le délai prévu, il est présumé les avoir adoptés sans modification.

Le second examen par la Chambre des députés n'a lieu que si le Sénat a amendé ou rejeté le texte adopté par la Chambre des députés.

Par un vote à la majorité de l'ensemble de ses membres, celle-ci ne peut plus alors que confirmer ou infirmer la position du Sénat, sans pouvoir présenter d'amendements. De ce fait, le texte définitif est soit celui qui résulte du premier examen par la Chambre des députés, soit celui qui résulte des travaux du Sénat . Il s'agit en quelque sorte d'un vote bloqué .

Avant de promulguer une loi, le Président de la République peut, dans les quinze jours, exercer son veto suspensif et demander à la Chambre des députés une nouvelle délibération. Aucun amendement n'est recevable et la Chambre des députés doit se prononcer à la majorité de l'ensemble de ses membres. Si le texte est à nouveau voté, la loi doit être promulguée. Dans le cas contraire, la loi est présumée ne pas avoir été adoptée.

La procédure est très rigoureuse pour le Sénat. Elle le contraint, d'une part, à travailler vite et, d'autre part, à proposer des modifications équilibrées, la Chambre des députés ne pouvant trier parmi les amendements adoptés par le Sénat.

Malgré tout, la part des modifications du Sénat acceptées par les députés est assez élevée. Selon Mme Jiøina Rippelová, présidente du comité permanent du Sénat sur la Constitution tchèque et les procédures parlementaires, environ les deux tiers des projets de loi modifiés par le Sénat 104 ( * ) seraient adoptés par la Chambre des députés.

La sévérité de cette procédure de navette connaît quelques exceptions notables. En effet, à la différence de la procédure ordinaire, l'accord du Sénat est nécessaire à l'adoption des révisions constitutionnelles, des projets de loi de ratification des traités relatifs aux droits de l'homme et des textes le concernant tout particulièrement (loi électorale, loi sur les relations entre les deux assemblées et loi portant approbation de son propre règlement).

Les lois constitutionnelles doivent être adoptées par chacune des deux assemblées à la majorité des trois cinquièmes des présents. Le président de la République ne peut pas exercer son droit de veto.

Les traités concernant les droits de l'homme et les libertés fondamentales doivent également être adoptés par chacune des deux assemblées à la majorité des trois cinquièmes des présents. Les autres traités sont adoptés selon la procédure législative ordinaire.

En cas de dissolution de la Chambre des députés, le Sénat peut, s'il y a urgence, et sur proposition du Gouvernement, adopter des actes législatifs dans les matières requérant normalement le vote d'une loi, sauf en matière constitutionnelle, électorale, budgétaire, de lois de règlement et de traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. Les actes doivent être approuvés par la Chambre des députés lors de sa première séance. A défaut, ils deviennent caducs.

En revanche, les lois de finances ne sont examinées et adoptées que par la Chambre des députés . Le gouvernement seul en a l'initiative. Le Sénat ne jouit donc pas de son autonomie financière. Son budget est imposé par le gouvernement et la Chambre des députés.

5. Une procédure législative simplifiée en cas d'urgence

La procédure normale pour l'examen d'un projet de loi, quel que soit son auteur, consiste en trois lectures à la Chambre des députés.

Toutefois, l'auteur d'un projet de loi peut proposer à la Chambre d'adopter la loi en procédure accélérée (sauf s'il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle, d'un projet de loi de finances ou d'un traité international). Dans ce cas, il n'y a ni deuxième, ni troisième lectures.

A l'issue du débat général en première lecture, la proposition d'examen accélérée est débattue. Elle ne peut être appliquée si deux groupes politiques ou 50 députés s'y oppose. Si la procédure accélérée est adoptée, un débat détaillé s'engage sur le projet de loi au cours duquel seuls des amendements relatifs à la date d'entrée en vigueur de la loi ou corrigeant des erreurs grammaticales ou techniques sont acceptés.

A la fin de ce débat, la Chambre des députés vote sur le projet de loi. S'il n'est pas adopté, la procédure normale reprend ses droits.

Cette procédure accélérée a été beaucoup utilisée lors de l'étape préparatoire à l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne.

D'autres procédures accélérées existent mais leur usage demeure exceptionnel en raison même de leur objet : circonstances extraordinaires où les droits et libertés fondamentaux des personnes ou la sécurité de l'État sont menacés, état de guerre.

* 99 Dix députés au minimum sont nécessaires pour créerr un groupe parlementaire.

* 100 Les parlementaires exercent très souvent des mandats locaux.

* 101 Un projet de loi du Sénat peut être proposé par cinq sénateurs, une commission ou un comité. Adopté par le Sénat, il est immédiatement transmis à la Chambre des députés où débute à proprement parler la navette.

* 102 Par ailleurs, un député peut être membre de trois commissions permanentes. Les députés qui sont membres du Gouvernement ne peuvent toutefois appartenir à une commission. Un sénateur ne peut être membre que de deux commissions.

* 103 La Chambre des députés est seule compétente en matière de lois de finances.

* 104 Selon M. Pøemysl Sobotka, président du Sénat, le Sénat modifie environ la moitié des textes qui lui sont transmis.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page