IV. JEUDI 11 OCTOBRE 2007 - AUDITION DE MME CHRISTINE LAGARDE, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'EMPLOI, ET DE M. BERTRAND SCHNEITER, INSPECTEUR GÉNÉRAL DES FINANCES, SUR LE RAPPORT D'ENQUÊTE DE L'INSPECTION GÉNÉRALE DES FINANCES RELATIF AUX CONDITIONS D'EXERCICE DES MISSIONS DU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'EMPLOI DANS LE DOSSIER EADS

Présidence de M. Jean Arthuis, président

Audition ouverte à tous les sénateurs, à la presse et au public

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La séance est ouverte à 19 h 10

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Présents : MM. ADNOT, ARTHUIS, Mme BRICQ, MM. DALLIER, FERRAND, GAILLARD, du LUART, MARINI.

Assistait en outre à la séance : Mme KHIARI

COMPTE-RENDU

M. Jean Arthuis, président - Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions. La semaine, qui s'est ouverte depuis le vendredi 5 octobre a été riche en auditions.

Madame la ministre, merci d'avoir bien voulu venir vous exprimer devant la commission des finances, élargie à ceux de nos collègues des autres commissions du Sénat qui ont pu se rendre disponibles et qui ont souhaité vous entendre.

La commission des finances du Sénat a souhaité éclairer la gouvernance publique à propos de l'acquisition par la Caisse des dépôts et consignations, au début du printemps 2006, de titres EADS, propriété du groupe Lagardère. Nous avons, pour répondre à ces préoccupations, organisé une série d'auditions qui nous ont éclairés. Naturellement, la commission des finances se tient hors du champ qui relève de l'Autorité des marchés financiers et des autorités judiciaires. Notre seule préoccupation est la gouvernance publique, celle qui a été conduite au sein du ministère dont vous avez la charge et celle de la Caisse des dépôts et consignations. Vous-mêmes avez pris l'initiative de demander à M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances, un rapport relatif aux conditions d'exercice des missions du ministère de l'économie, des finances et de l'emploi dans le dossier EADS. Nous avons compris que ce rapport vous a été remis ce soir, et nous vous remercions de venir en temps réel nous présenter le contenu des conclusions de ce rapport. Madame la ministre, vous avez la parole. Et, si vous le voulez bien, nous serons peut-être amenés à vous poser quelques questions. Afin de rendre cet échange interactif, chaque question sera suivie de votre réponse.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi - Je vous remercie, Monsieur le président.

Monsieur le rapporteur général, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, le gouvernement partage avec votre commission, avec la commission des finances de l'Assemblée nationale également, le même souci de transparence et la même exigence de gouvernance en ce qui concerne la manière dont les services de l'Etat se sont acquittés de leur mission.

Vous le savez, c'est dans ces conditions qu'en parallèle des démarches que votre assemblée et l'Assemblée nationale ont lancées et auxquelles mon ministère a pleinement coopéré, que j'ai décidé, dès vendredi dernier, de confier à l'inspection générale des finances, corps de contrôle d'excellence de l'Etat, en la personne de M. Schneiter, une mission très courte sur le travail réalisé par les services de mon ministère au cours de la période considérée. M. Schneiter vient de me remettre son rapport, il y a exactement une heure. Je le remercie infiniment d'avoir travaillé aussi vite, de manière aussi dense et en me remettant un rapport aussi complet et précis.

Je veux dire, d'ores et déjà, qu'en ayant pris connaissance de ce rapport il y a juste une heure, j'en tire la conclusion que les services de mon ministère se sont acquittés de l'exercice de leur mission de la façon la plus professionnelle et la plus irréprochable que l'on puisse attendre des services de l'Etat. Je m'en réjouis.

Je m'y étais engagée, ce rapport est rendu public à l'heure où je vous parle, ce soir même. Vous m'avez conviée à venir présenter ce rapport devant votre commission ; et c'est bien volontiers que je le fais, en vous demandant l'indulgence que l'on veut bien accorder à quelqu'un qui a pris connaissance d'un rapport une heure auparavant. Je vous prie, dans ces conditions, de m'autoriser à déléguer une partie de mon temps de parole à monsieur l'inspecteur général Schneiter.

M. Jean Arthuis, président - Je précise que l'ordre du jour appelait en discussion, en séance publique cet après-midi, un texte que vous avez défendu devant le Sénat. Vous étiez donc chez nous cet après-midi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi - Permettez-moi de commenter ce rapport.

Dans cette affaire, qui a fait couler beaucoup d'encre, qui a vu l'intérêt public se déplacer d'un jour à l'autre, il ne faut pas perdre de vue que la question cruciale, celle d'où tout est parti et d'où tout découle, est celle de savoir si l'Etat était, au moment de la vente des actions, au courant ou non des déboires de l'A380, non connus du public. Vous me permettrez une parenthèse en matière de retard de lancement de l'avion, pour signaler que le concurrent direct de l'A380, le Dreamliner, lancé par Boeing, connaît des retards de lancement de l'ordre de 6 mois.

En ce qui concerne cette question cruciale, la conclusion du rapport de l'Inspection est parfaitement claire. Non, au moins jusqu'à fin mai 2006, et donc bien après que toutes les ventes sous examen aient été réalisées, l'Etat n'était pas plus informé que le public et le marché des retards de production dont l'annonce a provoqué la chute du cours d'EADS en juin 2006. A aucun moment, de fin 2005 à avril 2006, ces retards n'ont été mentionnés par la direction de l'entreprise aux services de l'Etat. Cela explique que la note que l'APE a adressée fin janvier 2006 au ministre de l'époque ne faisait aucune référence, ni à la réunion du 20 décembre qui ne nécessitait aucune alerte immédiate, ni à d'éventuels retards du groupe.

Cette question est évidemment cruciale, car dès lors que l'Etat ne détenait pas l'information qui allait faire chuter les cours, il ne pouvait ni avoir commis, ni avoir encouragé, ni avoir laissé commettre, en connaissance de cause, la moindre malversation liée à la chute future des cours.

Pour le reste, ma préoccupation consistait également à faire le point sur l'accomplissement de leur mission par les services de mon ministère. Que nous dit le rapport de l'Inspection Générale sur ce point ?

Premièrement, l'APE était parfaitement dans son rôle en faisant une revue stratégique annuelle avec l'entreprise début décembre 2005, en faisant part au ministre de son sentiment sur l'évolution du marché fin 2005, en examinant les conséquences de l'opération de cession décidée par Lagardère et DaimlerChrisler au regard du pacte d'actionnaires.

Deuxièmement, comme le reste de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, le représentant de la direction du Trésor qui y siégeait, a été informé a posteriori de l'acquisition de titres EADS lors de la réunion du 26 avril, alors que l'opération était intervenue début avril, soit près de trois semaines auparavant. Le directeur du Trésor vous a expliqué qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé : le Club Méditerranée en 2004, l'acquisition de la SAUR avec d'autres investisseurs, etc. La Caisse des dépôts était dirigée et administrée par un directeur général qui avait un grand sens de son indépendance, conformément d'ailleurs à ses statuts, selon l'article 518-11 du code monétaire et financier.

Enfin, troisième constatation, il est rassurant que les analyses de l'Etat actionnaire ne soient pas communiquées aux services en charge de la régulation financière, et encore moins à la Caisse des dépôts en tant qu'investisseur. Il est très rassurant que ces trois fonctions soient séparées par de véritables murailles de Chine. Le contraire serait grave, inquiétant et conduirait à organiser des délits d'initié. C'est ce que l'on pourrait alors reprocher à l'Etat.

Je crois donc que ce rapport confirme que les services de mon ministère se sont parfaitement acquittés de leur mission dans le cadre institutionnel qui était le leur. Pour autant, cela signifie-t-il que la situation est totalement satisfaisante ? Certainement pas. Il n'est, en particulier, certainement pas satisfaisant que l'Etat, actionnaire d'EADS à hauteur de 15 %, ne soit pas membre de ses organes de gouvernance, et ne soit donc pas représenté au sein de l'entreprise EADS. Le cas d'EADS est, à cet égard, le contre-exemple organisé de la gestion actionnariale des participations de l'Etat. Car le pacte d'actionnaires, signé lors de la création du groupe en 2000, organise institutionnellement la mise à distance de l'Etat qui ne possède, par exemple, aucun administrateur au sein du conseil d'administration d'EADS. Le rapport souligne cet aspect, et je pense qu'il a raison de le faire.

De la même manière, il n'est pas satisfaisant qu'aucun organe collégial ne soit informé en temps utile des investissements de la Caisse des dépôts et consignations. Je voudrais, à ce titre, souligner la qualité de gestion patrimoniale à long terme dont a fait preuve la Caisse des dépôts. Dans ce cas d'espèce, la Caisse des dépôts détient toujours les actions qu'elle a acquises dans EADS. Et c'est évidemment sur le long terme qu'il faut juger de la qualité d'un investissement. Tant qu'on n'a pas vendu, on n'a pas perdu et les provisions peuvent parfaitement être reprises en cas d'évolution du titre.

En matière de gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations, je lui ai moi-même demandé, au mois de juillet, d'entamer une réflexion sur sa gouvernance. Je me félicite de ce que le président de la commission de surveillance, le député Michel Bouvard, soit également soucieux d'apporter un certain nombre d'ajustements à sa gouvernance actuelle. Je me réjouis que le directeur actuel ait fait certaines propositions pour soumettre à une réflexion collective des décisions d'acquisition qui engagent des sommes d'une telle importance. Pour ma part, c'est un chantier que je suis décidée à mener à son terme, en liaison avec les organes appropriés au sein du Parlement, les deux chambres. Je crois que, dans ce domaine, la direction du Trésor, Xavier Muscat s'en est exprimé, a plusieurs fois attiré l'attention, joué son rôle d'alerte sur ce défaut de gouvernance. Je crois qu'il est grand temps, à la lumière de ce qui s'est passé avec EADS et d'autres, de remédier à cette situation qui n'est pas satisfaisante.

Voilà, me semble-t-il, les conclusions les plus importantes de ce rapport. Je vous rappelle qu'il a été destiné exclusivement à déterminer le rôle joué par les services qui relèvent de ma responsabilité concernant EADS. Et je me réjouis des conclusions auxquelles est arrivé monsieur l'inspecteur général Schneiter.

M. Jean Arthuis, président - Merci, Madame la ministre, pour cette présentation synthétique du rapport de M. Schneiter. Je vais d'abord demander au rapporteur général d'exprimer ses interrogations.

M. Philippe Marini, rapporteur général - J'ai écouté avec grand intérêt l'exposé de Mme la ministre. Et pendant que je l'écoutais, je parcourais les premières pages du rapport de Bertrand Schneiter. Je n'ai pas eu le temps nécessaire pour prendre connaissance de ses conclusions. Mes questions seront donc un peu moins précises qu'à l'ordinaire.

Je voudrais toutefois rappeler deux éléments.

Tout d'abord, les apparences, dans cette opération, celles qui peuvent être accessibles au grand public, sont tout de même assez gênantes, désagréables, déplaisantes. En effet, des tiers extérieurs, peu avertis, peuvent réellement avoir le sentiment que l'on a privatisé les gains, et nationalisé les pertes. C'est bien entendu excessif. Mais c'est un sentiment incontestable. Ceci ne change rien au constat que vous avez dressé à Bercy, mais on observe que, du côté du vendeur, on s'est complètement prémuni contre les risques du marché et que le gain est un gain définitif, alors que de l'autre côté, celui des acheteurs, dont la Caisse des dépôts et consignations, on subit le risque de valorisation par le marché, et de ce fait, on doit provisionner en espérant que les provisions seront prises et que le dénouement à long terme sera favorable. Mais l'interrogation et l'interpellation qui sont les nôtres s'attaquent davantage aux apparences qu'aux rouages.

Par conséquent, les questions que je voudrais poser tournent autour de la notion de gouvernance. Il y a une quinzaine d'années, alors que M. Jean Arthuis était rapporteur de la commission des finances du Sénat et que j'étais moi-même un membre très récent de cette commission, nous avions ensemble engagé une réflexion qui avait débouché sur un petit rapport, et qui avait pour titre « Les ambiguïtés de l'Etat actionnaire ». Nous pouvons nous y référer : même si certaines choses ont évolué, d'autres ont persisté. Lorsqu'en 2002, nous avons vu apparaître l'Agence des participations de l'Etat, j'ai pu, pour ma part, être heureux, et je pensais que nous allions enfin sortir de nos ambiguïtés. Mais force est de constater que cette Agence des participations est incomplète et qu'elle ne peut pas jouer tout son rôle. Nous l'avons vu, en particulier à travers l'excellente note du 20 janvier qui montre bien le professionnalisme des équipes et leur proximité avec les marchés économiques.

L'Agence des participations de l'Etat n'est qu'un service de la direction du Trésor, et sans doute faudrait-il, Mme la ministre, qu'elle bénéficie un jour d'une autonomie plus grande. Je suis certain qu'elle est techniquement, dans l'esprit de ses responsables, assez autonome ; mais elle ne l'est pas organiquement. Et lorsque je lis une note comme celle du 20 janvier, je me pose des questions. Je me demande si la note ne répond pas à une commande, si l'annotation du directeur adjoint de cabinet - « Pas d'initiative ni de recrutement de conseils en attendant autres instructions » - se réfère ou ne se réfère pas à une instruction ministérielle ou simplement à une prise de position que le directeur adjoint de cabinet est habilité à prendre lui-même.

Tout ceci peut donc susciter des interprétations multiples et diverses.

Ma première question consiste à savoir, notamment à la lumière de ce sujet, s'il ne serait pas temps de transformer l'essai, et de faire évoluer l'Agence des participations de l'Etat. Dans cette affaire EADS - et l'on a raison de rappeler que l'origine se situe en 2000 - l'APE est à la fois présente et absente. Elle est présente, puisque M. Leclerc représente l'APE au sein du Conseil d'Administration de la SOGEADE, qu'il s'exprime au sein de ce conseil d'administration, au nom de l'Etat et de l'APE. Mais, d'un autre côté, on observe, et M. Schneiter le fait ressortir dans son rapport, que les accords de 2000 limitent considérablement ce pouvoir d'appréciation de l'Etat actionnaire. Une situation comme celle-ci ne peut que, le jour où les contestations émergent, susciter un certain malaise.

Enfin, dans la relation Etat - Caisse des dépôts, y a-t-il lieu de faire évoluer les choses ? Vous avez évoqué, et je vous en remercie, les progrès susceptibles d'intervenir au sein de la Caisse des dépôts, dans sa gouvernance interne. Mais n'y a-t-il pas aussi, dans la relation Etat - Caisse des dépôts, quelques progrès à faire ? La Caisse des dépôts a des fonctions incontestables. Elle est, en quelque sorte, le fonds souverain de l'Etat français. Elle est garante d'intérêts à long terme. Elle investit à long terme. Elle aura un rôle de plus en plus important, compte tenu, notamment, de l'amplification des risques financiers engendrés par les retraites. Elle aura à brasser des volumes de capitaux croissants. En ce qui concerne cette relation, comment voyez-vous les choses ? Ne faudrait-il pas qu'une APE, incarnant l'Etat actionnaire, elle-même plus autonome, exerce vraiment son activité sur l'ensemble du bilan consolidé de l'Etat ? Notre démarche est avant tout patrimoniale. Qu'est-ce qui entre ? Qu'est-ce qui sort ? Au terme d'une année, le patrimoine public a-t-il été valorisé ou dévalorisé ? Pourquoi ? Quels enseignements en tirer ? L'APE ne devrait-elle pas voir son rôle conforté et étendu en ce qui concerne les aspects patrimoniaux, les principaux équilibres, la stratégie des investissements à la Caisse des dépôts agissant sur ses fonds propres ? Ce type d'évolution ne représenterait-il pas une sortie par le haut ?

Je pense, à l'instar du président Jean Arthuis, que les procédures, au titre du droit boursier, procédures administratives, et, le cas échéant, judiciaires, par définition, vont permettre de connaître la vérité. Mais certains de nos collègues me semblent parfois se faire des illusions sur ce que l'on peut faire avec les moyens d'une commission parlementaire, que se soit la commission des finances ou éventuellement, une commission d'enquête. Tant que nous ne pouvons pas extraire les mémoires des ordinateurs, contrôler les agendas, utiliser de véritables moyens d'investigation, comment voulez-vous que nous n'emboîtions pas le pas à ce que disent des gens qui, par définition, sont crédités, et nous la percevons de la bonne foi et de l'intégrité les plus totales ? Mais il ne faut pas confondre les genres. En ce qui nous concerne, nous sommes surtout attachés à ces questions de gouvernance sur lesquelles je souhaiterais, Madame la ministre, que vous réagissiez.

M. Jean Arthuis, président - Si vous me le permettez, je crois que cela ne choquerait personne que l'Etat puisse dire à la Caisse qu'il existe un investissement qui pourrait retenir son attention. La Caisse a d'ailleurs suffisamment d'indépendance pour acquiescer à ce souhait ou pour s'y opposer. Naturellement, compte tenu des contraintes du marché financier, tout ceci doit être tenu confidentiel. Mais, lorsque, a posteriori, la nécessité d'un éclairage se fait ressentir, il serait alors plus simple de dire comment les choses se sont effectivement passées.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi - M. le président, M. le rapporteur général, tout d'abord, je laisserai la parole à monsieur l'inspecteur général Schneiter, afin qu'il indique dans quelles conditions il a pu disposer d'un accès total, sans restriction aucune, auprès de tous ceux auxquels il a voulu s'adresser et qu'il a souhaité interroger dans le cadre de son travail d'investigation. J'insisterai sur la gouvernance et, vous avez raison, je crois que nous avons bien clarifié, c'était mon souci personnel, le fait que les services de l'Etat étaient acquis à exercer leur mission de manière irréprochable et professionnelle.

La seconde question que nous devons nous poser est la suivante : quelle est la gouvernance et de quelle manière pouvons-nous l'améliorer ?

Je suis, pour ma part, tout à fait favorable aux questions de modification de la gouvernance, tant en ce qui concerne l'APE que la Caisse des dépôts et consignations. Dès lors, il est nécessaire de savoir comment procéder. Il faut, en premier lieu, observer ce qui a été écrit, notamment il y a dix ans, sur les ambiguïtés de l'Etat actionnaire sous les plumes conjointes du président de la commission des finances et de son actuel rapporteur général. Il faut également s'inspirer d'exemples étrangers ; certains pays, en effet, détiennent des participations et exercent une gestion patrimoniale des intérêts détenus par l'Etat et cotés sur le marché financier. Il faut s'inspirer de ce qui fonctionne bien hors de France. Je crois aussi qu'il est indispensable de le faire dans une perspective internationale. La Caisse des dépôts et consignations, ainsi que l'APE dans une certaine mesure, constituent un fonds souverain, au même titre que Kuweit Investment Corporated , le fonds souverain du Koweit, que China Investment qui sera le fonds souverain de la Chine au même titre que le fonds souverain singapourien ou le fonds souverain norvégien ; ils investissent, prennent des participations à des conditions qui ne sont pas particulièrement réglementées. Je crois que nous avons, au niveau de la communauté internationale, à nous interroger sur cette dimension. C'est un sujet que nous avons évoqué, alors que j'étais à Pékin en compagnie du Président de la commission des finances, avec le vice-gouverneur de la Banque de Chine. Ces investissements doivent-ils être soumis à des règles spécifiques ? Doit-on marquer l'indépendance entre le pouvoir politique et la gestion patrimoniale à long terme des intérêts détenus par l'Etat dans les marchés réglementés ? Ces questions, nous devons les aborder sur un plan international. Pour autant, je suis convaincue, en particulier en ce qui concerne la Caisse des dépôts et consignations, placée sous la haute autorité du Parlement depuis le 19 ème siècle, que nous devons réfléchir ensemble, sur la base de propositions faites par le directeur actuel, de nos réflexions, de nos échanges, sur la façon dont la gouvernance s'exerce au sein de la CDC.

M. Jean Arthuis, président - J'ai deux questions à poser à monsieur l'inspecteur général.

A propos de la page 9 de votre rapport, relative à l'instruction et à la mise en oeuvre par l'APE de l'opération Lagardère, tout d'abord. Vous déclarez que cela n'amène pas d'observation particulière. Vous écrivez page 9 que l'APE formule des remarques. Sur l'opération : impossibilité dans le délai d'émettre une opinion circonstanciée. Indication que Daimler envisage également de sécuriser une cession de montant identique à dénouer en juin 2007 pour des raisons fiscales. Nous savions, et la note du 20 janvier 2006 de l'APE l'indiquait, que le groupe Lagardère souhaitait se dessaisir de ses actions, mais que, pour des raisons fiscales, il recherchait une formule. Nous avons compris que la formule, la réponse consistait en l'obligation remboursable en actions, dont la conception a été confiée à Ixis CIB et Lazard. Vous dites que Daimler avait également des préoccupations d'ordre fiscal pour sécuriser l'opération. S'agit-il bien de Daimler ?

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Il s'agit bien de Daimler en l'occurrence.

M. Jean Arthuis, président - Les deux partenaires, partenaire allemand et partenaire français.

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Pour des raisons certainement différentes de législation que je n'ai pas expertisées, ils avaient tous les deux des visées sur une date de sortie de l'opération.

M. Jean Arthuis, président - C'est-à-dire qu'ils voulaient encaisser la trésorerie en 2006 et dénouer l'opération en 2007 et au-delà.

Deuxième observation à propos de la seconde partie de cette page. Vous dites que, lors de vos investigations, l'APE a fait état devant d'un document daté du 21 février qui lui aurait été remis par le cabinet du ministre avant la réunion du 20 mars, à titre d'information, sans aucune demande d'instruction. Ce document est intitulé « mémo » ; il semble provenir du groupe Lagardère et présente les grandes lignes de l'opération telle qu'elle sera officiellement annoncée le 20 mars.

Deux éléments amènent un commentaire de ma part. Tout d'abord, les modalités envisagées. Puis, vous écrivez dans le deuxième alinéa que le « mémo » porte mention de la Caisse des dépôts et consignations comme faisant partie d'un groupe d'investisseurs ayant manifesté un intérêt pour l'opération ; vous citez in extenso cette partie du « mémo », ne pouvant être séparée de son contexte et dites qu'il s'agirait d'une opération...

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Je dis qu'il s'agirait d'une opération de marché.

M. Jean Arthuis, président - ... qui soit rendue possible par l'intérêt du groupe d'investisseurs pour l'acquisition durable de blocs d'actions EADS - ce pôle d'investisseurs ne pouvant pas acquérir directement de tels blocs sur le marché, compte tenu du volume limité du flottant. Ce groupe d'investisseurs comprendrait différents établissements financiers institutionnels. Nous savions qu'il s'agissait d'institutionnels, puisque la SOGEADE en faisait mention dans son procès-verbal du conseil du 3 avril. Ce groupe d'investisseurs comprendrait différents établissements financiers institutionnels français qui gèrent des portefeuilles d'actifs financiers à long terme, dont la Caisse des dépôts et consignations. Cela signifie que, le 20 mars, on savait.

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Je crois que, si j'ai consacré des développements suffisants à cet épisode, c'est parce que je me suis moi-même posé la question. Je dois, tout d'abord, dire que c'est tout à l'honneur des services du ministère que de conserver même des mémos informels ; cela prouve que c'est une maison qui ne détruit pas de documents.

Par ailleurs, quel est le statut de ce document ? Il s'agit d'un document signalé après coup, un document intermédiaire, n'ayant aucun statut et non soumis à examen technique. Il est daté du 21 février, mais il n'apparaît pas aux services avant la veille le 20 mars ou les jours qui précèdent le 20 mars.

M. Philippe Marini, rapporteur général - Mais il fait mention de la CDC le 21 février.

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Je pense qu'il faut être parfaitement clair sur la mention de la CDC. Cette mention, dans ce contexte, dans ce long papier, est un non événement total pour les techniciens. C'est-à-dire que, lorsque l'on parle en France d'une opération de marché à travers l'instrument mis en place par Ixis, ensuite (...)

M. Philippe Marini, rapporteur général - M. Dominique Marcel a reconnu qu'il s'agissait d'un placement privé, à des conditions de marché.

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Le prix en est référencé par une opération de marché, faite simultanément en Allemagne sous la forme d'un accelerated book building .

Pour revenir au point précis consistant à savoir quelle pouvait être l'importance de cette mention : il ne s'agit pas de la CDC, mais d'un groupe d'investisseurs institutionnels, dont la CDC fait partie, et qui auraient manifesté leur intérêt à une date mentionnée. Pour les services - et je partage totalement leur analyse sur le champ ou « rétrospective » - c'est un non événement. La CDC fait partie suffisamment régulièrement du paysage des investisseurs institutionnels français pour que nul ne se mette à dire tout à coup que c'est un événement.

M. Philippe Marini, rapporteur général - Pourquoi être à ce point sur la défensive ?

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Je le dis, monsieur le rapporteur général, parce que l'on me pose la question.

M. Jean Arthuis, président - Monsieur l'inspecteur général, cela ne nous choque pas du tout. Ce qui nous a étonnés, c'est ce que nous avons entendu jusqu'à présent : que l'on nous dise que nous n'étions pas au courant. En effet, cela paraît naturel que, lorsque l'on parle d'institutionnel, la Caisse des dépôts soit nécessairement impliquée.

M. Philippe Marini, rapporteur général - Mais on nous dit qu'on l'a appris par la presse.

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Pardonnez-moi. Il y deux réponses sur ce point.

Premièrement, le dossier qui sera effectivement examiné et instruit, ne parle plus que de la cible des investisseurs institutionnels, puisque c'est un dossier Ixis.

Deuxièmement, je ne dispose absolument d'aucun moyen pour savoir qui étaient les lecteurs du mémo et qui en a sorti quel type d'information. En tout cas, les services n'ont pas un instant, marqué que les mentions de la Caisse leur posaient question.

Je ne peux donc pas imaginer que cet élément méritait d'être souligné en rouge.

M. Philippe Marini, rapporteur général - Nous comprenons bien tout cela. Cela est tout à fait naturel. Mais il nous semble moins naturel que le ministre en fonction à l'époque nous dise qu'il a appris par la presse l'achat par la Caisse des dépôts. Tout le monde pouvait concevoir qu'à partir du moment où il fallait faire un placement privé de cette ampleur et où les institutionnels devaient être mis à contribution, la Caisse des dépôts se trouve quelque part, surtout lorsque Ixis est l'arrangeur. Cela tombe sous le sens. Alors pourquoi prendre tant de précautions ? C'est ce que nous ne comprenons pas.

M. Jean Arthuis, président - En tout cas, votre investigation a été remarquable, monsieur l'inspecteur général.

Mme Nicole Bricq - Merci monsieur le président.

Merci, Madame la ministre, d'être venue aussi vite pour nous présenter les résultats de l'investigation de l'inspection générale des finances. La lecture rapide du dossier et à l'écoute des commentaires, cette note ne lève pas le trouble. Trouble qui est dû à la proximité à la fois des acteurs publics souvent issus des mêmes corps, parfois d'une même promotion, et à la fois des acteurs privés participant aux mêmes conseils d'administration aux côtés des acteurs publics. Trouble dû aussi à la chronologie des faits dans une période finalement courte, de novembre 2005, date à laquelle le ministre nous a dit que les deux partenaires privés lui avaient fait mention de leur désir de se désengager, jusqu'au 13 juin, date à laquelle la presse a relayé les difficultés de nature industrielle de l'avionneur.

Je souhaite revenir sur trois points.

La note du 20 janvier de l'APE. Je vois, monsieur l'inspecteur général, que vous avez consacré, en pages 7 et 8, quelques paragraphes aux « bruits », attiré sans doute par la mention manuscrite qu'a portée à l'époque M. Samuel-Lajeunesse à l'attention du ministre, faisant état de ces bruits. Vous vous êtes interrogé sur la nature de ces bruits, en déclarant, je cite : « La note du 20 janvier, principalement tournée vers une analyse des conditions de valorisation des titres EADS et de l'opinion du marché, se justifie à cette date par la multiplication des « bruits » relatifs à un projet de cession partielle des titres EADS. » Vous en concluez que « cette note ne comporte aucune indication », cela est écrit en gras et est encadré à la page suivante, « laissant apparaître que l'APE disposait d'informations qui auraient dû être portées à la connaissance du marché ». Mais cela ne peut pas être la cession des titres, puisque le ministre nous a dit, ici même, qu'il était au courant de la volonté de désengagement des partenaires privés, tant allemands que français. Vous ne nous éclairez pas sur la nature de ces bruits. C'est un problème auquel nous ne pourrons pas répondre aujourd'hui, étant entendu qu'il nous a été dit par nos collègues toulousains, notamment, qu'un certain nombre de difficultés étaient déjà connues à une échelle locale. Je pense que vous n'y répondez pas. Peut-être ne l'avez-vous pas pu, compte tenu des informations qui vous ont été données sur la nature de ces bruits.

Ma deuxième question concerne la participation des représentants de l'Etat au conseil d'administration de la SOGEADE, et notamment le fait qu'après l'exposé très détaillé que nous a fait le président Pontet, la lecture du fameux conseil d'administration du 3 avril qui dénoue la participation des partenaires privés, les représentants de l'Etat, en l'occurrence les représentants de la SOGEADE, en la personne de M. Leclercq, n'ont rien dit. Lorsque l'on observe le déroulé de la chronologie de ces conseils d'administration, à aucun moment le représentant de l'Etat ne parle. Cela pose le problème, Mme la ministre, du rôle des représentants de l'Etat dans ces conseils d'administration. En ce qui concerne la SOGEADE, M. Pontet nous a confié hier qu'il s'entretenait avec le représentant de l'Etat avant chaque conseil d'administration, notamment avec le représentant de la SOGEADE...

M. Philippe Marini, rapporteur général - D'ailleurs, ce n'est pas très clair. C'est par téléphone...

Mme Nicole Bricq - ... De la même manière, nous n'en savons pas plus sur le déroulé du conseil de surveillance de la Caisse.

Je voudrais terminer sur un point évoqué par le président : le fameux mécanisme des ORAPA. Il existe toujours un trouble dans la concordance chronologique. Concernant les partenaires privés français, qui relèvent de la loi française, j'ai pris le soin de regarder attentivement ce qui s'était passé : nommons-le par euphémisme « l'optimisation fiscale » dont a pu bénéficier M. Lagardère. J'ai trouvé dans la loi de finances rectificative pour 2004, votée en fin d'exercice, au mois de décembre, la disposition présentée dans le projet de loi par le ministre, concernant ces fameux ORAPA. Cela vient jeter un trouble supplémentaire, alors que cela a été présenté à travers quinze pages techniques, comme une mesure de coordination. Sans doute me direz-vous que le Parlement n'a pas fait preuve de la vigilance nécessaire. Mais cet élément est troublant par rapport à ce qui va suivre. Au bénéfice de qui ? Au bénéfice de M. Lagardère.

M. Jean Arthuis, président - Vous évoquez le barème d'imposition des plus-values sur titres de participation ? C'est ce que nous disons depuis le début. C'était dégressif. Il restait 8 % en 2006...

Mme Nicole Bricq - Certes, mais l'investigation n'a pas porté sur le volet des finances publiques. M. le rapporteur général nous a dit qu'il n'y avait pas d'abus de droit, si j'ai bien écouté ce que vous avez dit l'autre jour. Certes, puisque la loi a été votée, mais je souligne ce fait parce que cela entre dans la chronologie de cette période.

M. Jean Arthuis, président - Attendez. Il ne s'agit pas d'une disposition sur les ORAPA, mais sur l'imposition des plus-values de cessions de titres, disposition dans laquelle il est dit qu'à partir de 2007, il y aura exonération, et qu'en 2006 le taux est maintenu à 8 %.

M. Philippe Marini, rapporteur général - Oui, il s'agit d'une exonération par paliers en trois ans. C'est un régime légal de droit commun. Je suis allé voir la directrice de la législation fiscale pour lui demander s'il y avait eu des contacts préalables avec le groupe Lagardère pour qualifier cette opération. Elle a fait des recherches auprès de ses collaborateurs et au sein de ses services. Il n'y a pas eu de réunion. Il n'avait pas à en y avoir, car on a simplement appliqué le droit commun. Questionnée par mes soins sur le fait de savoir si cet aménagement favorable ne pourrait pas être considéré un jour comme constitutif d'un abus de droit, Mme Lepetit m'a répondu, à juste titre me semble-t-il, que c'était peu probable, l'opération n'étant pas menée dans un but exclusivement fiscal. En effet, cette sortie progressive a eu aussi pour effet et pour objet de maintenir la présence du groupe Lagardère et ses droits de vote dans la gouvernance du groupe EADS. On ne peut évidemment pas laisser, du jour au lendemain, un groupe de ce genre totalement orphelin.

Mme Nicole Bricq - Oui, mais vous avez dit tout à l'heure qu'il s'agissait de privatiser les gains et de nationaliser les pertes.

M. Philippe Marini, rapporteur général - J'ai dit que c'était une apparence et qu'elle était bien gênante.

Mme Nicole Bricq - Cela se confirme à travers ce mécanisme.

M. Jean Arthuis, président - Le coupon était de 7,9 %, c'est-à-dire que Ixis souscrivait un emprunt obligataire de 2 milliards, étant entendu que le remboursement d'obligations se faisait par tiers aux 25 juin 2007, 25 juin 2008 et 25 juin 2009. Il était précisé que le cours de cession ne serait pas inférieur à 32,50 euros, et que, s'il y avait une appréciation du titre, le groupe Lagardère pouvait prétendre à une réévaluation du prix de vente à concurrence de 15 % au-dessus de ce cours.

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances - Si vous me le permettez, je voudrais revenir sur la question des « bruits ». J'ai, à dessein, conservé ce terme, puisque je savais qu'il était devenu public. Il n'y a pas l'ombre d'une hésitation. Les « bruits » sont des bruits de marché concernant des rumeurs qui courent et qui font courir les intermédiaires auprès de l'APE pour lui proposer leurs bons et loyaux services pour l'éventuelle participation de l'Etat à l'opération qui fait l'objet de la rumeur et qui est une opération de dégagement par Lagardère et Daimler. C'est cela et cela seulement que nous appelons des bruits auxquels je fais allusion après le directeur général de l'Agence et qui, d'ailleurs, déterminent le fait que cette note n'a pas été commandée. Elle est d'initiative de l'APE.

Pour répondre sur la SOGEADE, il faut se souvenir qu'il existe un échelon sur lequel l'Etat est entièrement seul, c'est la SOGEPA. Et cet échelon, la Cour des comptes l'a mis en cause en demandant si cela était bien utile. Je sais que le directeur général de l'APE y réfléchit, mais la question qui se pose tourne autour de la possibilité pour les représentants des administrations de prendre connaissance des dossiers et d'échanger sur ceux-ci. Sur la date du 3 avril, la décision de l'Etat de ne pas participer à l'opération, de ne pas user de son droit de se retirer à due proportion, dès l'instant où cette décision a été prise, les représentants de l'Etat n'avaient plus qu'à vérifier que l'ensemble des dispositions du pacte étaient parfaitement régulières. Le seul point exprimé par le président Pontet, certainement approuvé par tout le monde, est qu'il était espéré que cette opération soit présentée de telle manière que le marché la trouve aussi agréable que possible. Cela est une technique classique lorsqu'une opération de blocs est en cours, et qu'elle ne passe pas inaperçue. Il n'y a pas eu de débat appelant une position des services de l'Etat.

M. Jean Arthuis, président - Oui, c'est là la mise en garde du président Pontet qui s'inquiète de la perturbation du marché du fait de cette cession significative.

M. Roland du Luart - Merci, Madame la ministre, d'avoir pu faire en sorte que, ce soir, nous soyons informés, par la communication de ce rapport dans l'urgence. J'ai à formuler trois observations et une question.

Dans une vie antérieure, j'ai eu l'occasion de mieux connaître le président Schneiter, et j'ai su apprécier, dans la gestion de l'affaire du Crédit Lyonnais, sa rigueur d'analyses. Cela me rassure que vous ayez choisi un tel homme pour une telle mission.

Vous soulignez, dans vos investigations, des carences au niveau de la gouvernance, de la part à la fois d'EADS et de la CDC. Au niveau de la CDC, il existe un véritable problème. Des parlementaires y siègent, mais la commission de surveillance n'est informée qu'après coup. Je me demande à quoi servent les parlementaires : ou bien ils ne doivent pas y siéger, ou bien il faut que l'information se fasse autrement. Aujourd'hui, on aurait tendance à dire que les membres de la commission de surveillance n'ont pas fait leur travail. Les limites de ce système sont évidentes.

Je suis, très solennellement, en tant que parlementaire, frappé par un élément. La presse, et c'est son droit, parle de ces événements. Mais il faut parler de ce que l'on connaît, et il faut surtout bien vérifier ses informations. Nous avons, en effet, une entreprise qui a connu des difficultés, EADS puis Airbus, et nous allons lancer la semaine prochaine le premier exemplaire de l'A380 et il ne faut pas parler à propos d'une entreprise comme Airbus qui a besoin de réussir dans le combat extrêmement difficile qu'elle mène contre Boeing. Il ne faut pas oublier que l'euro joue contre nous, et qu'ils savent aussi, de leur côté, tirer parti de toutes les arguties commerciales. Je crois qu'il faut rappeler chacun à son devoir de réserve par rapport aux enjeux industriels et économiques liés à Boeing.

M. Jean Arthuis, président - Cela été dit très clairement lors de la première audition. Nous voulons mettre une muraille de Chine entre le destin de l'entreprise et ces péripéties qui ne représentent qu'un moment donné sur lequel il s'agit de jeter une lumière avec l'espoir que nous pourrons clore ce dossier le plus rapidement possible.

M. Roland du Luart - Pendant que vous étiez sur la muraille de Chine, j'étais pour ma part avec Adidas, et l'inspecteur général Schneiter sait bien de quoi je parle, et je n'ai pu, pour cette raison, assister à votre réunion.

Ma question est la suivante. La SOGEADE est, si j'ai bien compris, une holding qui gère la participation conjointe de l'Etat et du groupe Lagardère. Est-il exact, Mme la ministre, qu'aujourd'hui le gouvernement propose la nomination de M. Lagardère comme patron de la SOGEADE, alors que nous nous posons des questions sur le rôle joué par le groupe Lagardère dans cette affaire ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi - Vous avez raison de me la poser.

M. Jean Arthuis, président - Je crois que Mme Bariza Khiari avait une question très connexe et vous pourrez ainsi répondre simultanément aux deux questions.

Mme Bariza Khiari - Madame la ministre, merci pour votre présence. Monsieur l'inspecteur général, merci pour ce rapport que vous nous avez fourni dans des délais plus que raisonnables.

Vous avez évoqué, Madame la ministre, la question des améliorations dans la gouvernance. Je crois que l'affaire présentée ici vous amènera à prendre des dispositions pour améliorer le système. Pour avoir été, auparavant, parfois représentante de l'Etat pour des structures peut-être moins importantes que celles évoquées aujourd'hui, j'ai pu voir comment les choses se passaient et constater que de nombreux éléments restaient à améliorer. Parfois, dans nos positions, nos silences nous obligent.

Je voudrais poser une question de bon sens. Nous étions à parité. La SOGEADE était présidée par une personnalité qualifiée, avec le soutien et la confiance de l'Etat. Nous montons en puissance dans le capital d'EADS jusqu'aux deux tiers, après un certain terme. Nous n'aurions plus les moyens de désigner un représentant qualifié ayant toute la confiance de l'Etat. Je sais, Mme la ministre que nous ne détenons pas de droit de vote direct, que nous faisons ce fameux pacte d'actionnaires qu'entre parenthèses nous ne connaissons pas. Finalement, si aucune voix ne s'élève, c'est M. Lagardère qui présidera la SOGEADE. Alors, ce qui est techniquement possible peut-être moralement choquant, d'autant que l'on observe dans cette affaire un faisceau d'apparences qui montrent une forme de socialisation des pertes ou des moins-values de la société Lagardère. Allez-vous donc persister dans la confiance que vous accordez à M. Lagardère pour la présidence de la SOGEADE ?

Je profite d'avoir la parole pour évoquer une incidence sur le métier d'analyste. Je ne doute pas un instant que des structures comme Morgan Stanley et Meryll Lynch disposent d'ingénierie financière fabuleuse et possèdent des modèles exceptionnels. Mais j'ai tout de même de bonnes lectures, et ai lu dernièrement un ouvrage primé par le Sénat, signé d'un analyste du nom d'Edouard Tétreau, évoquant « l'attitude moutonnière » des analystes. Je pense que nous pourrions demander aux analystes, dans une affaire comme celle-ci, comment ils sont parvenus à la même conclusion. Cette attitude consiste à ne pas sortir d'un cercle restreint et défini à l'avance.

M. Jean Arthuis, président - Cela signifie que, lorsque quelqu'un décroche, tout le monde décroche en même temps.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi - Je ne ferai pas de commentaire sur le comportement moutonnier ou non des analystes.

Concernant la SOGEADE, son conseil d'administration et ses présidents, je crois qu'il faut connaître plus d'éléments.

D'une part, je veux décrire ce pacte d'actionnaires qui, cela est excellemment décrit dans le rapport, dans sa participation, dans un secteur néanmoins stratégique, est totalement contraint et ne permet l'expression ni des droits de vote directs ni des droits de vote indirects, et ne permet pas non plus la désignation d'un représentant de l'Etat au sein du comité de direction d'EADS. Ce pacte d'actionnaires, négocié à l'époque de la fin de la formation d'EADS, fin 1999, début 2000 - sans ouvrir une polémique, alors que M. Strauss-Kahn était ministre et M. Jospin Premier ministre - a privé l'Etat d'une expression réelle en termes de droit de vote, ainsi que d'une représentation légitime dans les organes de direction.

D'autre part, il est évident que ce mode de fonctionnement, qui prévoyait toute une série de coprésidences, devait être réaménagé pour concentrer la direction stratégique du groupe sur les objectifs opérationnels. Cela consistait à finir l'A380, à lancer l'A350, et à se concentrer sur leur métier, c'est-à-dire à lutter contre la concurrence dans un marché où tous les coups sont permis, où il existe une situation de duopole et où certains constructeurs sont en train de monter en concurrence sur des secteurs légèrement en retrait par rapport à ces gros porteurs. C'est exactement ce qu'a souhaité faire le Président de la République. Il a, à ce titre, pris contact avec des intérêts allemands qui sont en équilibre au sein de ce groupe, pour essayer de réorganiser la direction sur une ligne unifiée. C'est la condition qui permettra à chacun de se concentrer sur son métier : faire tourner le groupe, lancer des avions, poursuivre la recherche et le développement et mener des projets. Là, nous trouvons la structure annoncée par le Président de la République et la Chancelière allemande, le 16 juillet à Toulouse, consistant notamment à modifier les présidences, de sorte qu'il n'y a plus deux coprésidents, et à installer un système doté d'un seul président, et d'un directeur général. Dans ce cadre, la présidence de SOGEADE a été confirmée pour M. Lagardère. C'est ainsi que les choses sont mises en place, pour permettre au groupe d'atteindre un équilibre, dans une gouvernance planifiée et concentrée sur les objectifs opérationnels, dans le cadre du maintien des relations franco-allemandes.

M. Yann Gaillard - Cette analyse est très intéressante. Mais je crois, pour ma part, que tout a été fait pour séparer l'Etat du pouvoir à l'intérieur d'EADS. Pourquoi ? Mme la ministre l'a dit : il s'agit d'un problème d'équilibre franco-allemand. C'est alors du suicide que de reprocher aux services de n'avoir pas pris les mesures ou les précautions nécessaires.

D'autre part, la note de mon éminent camarade M. Schneiter dit très sérieusement que rien, à certaines étapes du processus, ne reposait sur l'idée de « bruits ». Cette dernière notion est gênante. Mais les « bruits » en question, d'après l'analyse du rapport, consistent à étudier le marché ; il ne s'agit pas de bruits faisant allusion à des difficultés techniques ou de commercialisation. Nous sommes dans un processus de soupçons généralisés qui ne sont probablement pas complètement infondés. Mais ces soupçons ne sont pas fondés. Et nous ne sommes pas des juges. Mais si cela devait être porté devant une juridiction, les soupçons s'effondreraient immédiatement. Aucun argument idéologique ne permet réellement de mettre en cause ni l'Etat ni même éventuellement Lagardère.

M. Lagardère n'aurait-il pas procédé à la même opération de délestage, même s'il n'y avait pas eu ces retards à la commercialisation ? Je n'en sais rien. Il l'avait annoncé avant. Il ne faut pas tomber dans un excès de soupçons et d'affirmation sans preuves. Ce sont des questions très graves, et il faut rester très prudent dans ce type d'affaires.

M. Jean Arthuis, président - Mes chers collègues, l'Autorité des marchés financiers est investie de pouvoirs spécifiques. C'est elle qui devra statuer d'une autorité judiciaire. Notre rôle consiste à éclairer aussi clairement que possible ce qu'a été la gouvernance publique, pour précisément faire justice des soupçons et comprendre que, dans ces affaires, des marges de progression existent. Certaines questions, la semaine passée, mettaient en cause la gouvernance publique. C'est ce que nous avons voulu éclairer, au niveau de l'Etat et de la CDC.

M. Philippe Dallier - Pour rester sur ce terrain, on nous explique depuis une semaine, que, au nom de l'indépendance de la CDC, il y aurait une muraille de Chine et que cette muraille explique le fait qu'il n'y ait eu ni de communication ni de feu vert donné par l'Etat à l'administration. Soit. Cela dit, le pacte d'actionnaires, négocié durement d'après ce que l'on nous a expliqué, a imposé à l'Etat français de ne pas monter au-delà de 15 % dans EADS. Nos amis allemands pouvaient être fondés à penser que, la CDC, bras armé de l'Etat, se portant acquéreur de 2,25 % des parts de Lagardère, cela constituait un coup de canif dans le contrat entre Allemands et Français. Comment se fait-il qu'à ce niveau, à la CDC, personne ne se soit posé la question du problème politique que cela pouvait engendrer ? Cela reste pour moi un véritable mystère. Peut-être pourriez-vous nous dire quelques mots sur la façon dont nos amis allemands le vivent.

M. Jean Arthuis, président - Il va être difficile de parler à la place de la Caisse de dépôts. Il existe une muraille de Chine entre le ministre et la Caisse des dépôts.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi - On m'a simplement interrogée sur la communication avec mon homologue allemand. Je l'avais, bien entendu, tenu informé de mon souci de clarté et de transparence sur la façon dont les services de l'Etat se sont acquittés de leur mission. Je lui ai transmis à 18h15 la photocopie du rapport d'enquête. Il me paraît logique, en tant que partenaire, de partager ce type d'information. Mon homologue possède donc la copie en langue française puisque nous ne disposions pas d'une traduction allemande.

M. Jean Arthuis, président - Madame la ministre, monsieur l'inspecteur général, cette commission arrive à son terme. Elle apporte un éclairage complémentaire. Il me semble que, depuis une semaine, nous avons progressé. Nous nous efforcerons, dans les jours qui viennent, de clarifier notre pensée et peut-être formulerons-nous, à la suite de différents débats, quelques recommandations et propositions, notamment sur cette question de la gouvernance

Merci, Madame, d'être venue aussi rapidement, nous communiquer les résultats du rapport d'analyse. Il s'agissait de connaître le rôle de la caisse des dépôts et des services de l'Etat dans cette affaire. Cela nous rassure, car cela ne peut pas se passer autrement. La transparence permet de couper court aux soupçons.

Merci.

(La séance est levée à 20 heures 20).

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