II. LES INCIDENCES DE LA TROISIÈME DIRECTIVE ANTI-BLANCHIMENT SUR LES PROFESSIONS JURIDIQUES ET JUDICIAIRES

MM. Pierre Fauchon et Jean-René Lecerf ont entendu, les 26 et 27 mars 2008 -en compagnie de MM. Robert Badinter et Nicolas Alfonsi-, les professions juridiques et judiciaires concernées par la mise en oeuvre en droit français de la troisième directive anti-blanchiment 15 ( * ) , qui aurait du être transposée avant le 15 décembre 2007 .

Dans le cadre de ses compétences, la commission des lois se devait d'entendre les vives inquiétudes des professionnels du droit sur cette question.

Certains membres de la profession d'avocat ont en effet adopté une position très radicale sur ce sujet. Tel est le cas, en particulier, de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris qui, par la voix de son Bâtonnier, M. Christian Charrière-Bournazel, considère que la directive érige l'avocat en délateur, auxiliaire de la police financière et agent d'information des pouvoirs étatiques et souhaite que la loi française de transposition de la directive s'écarte du cadre communautaire.

Par ailleurs, le délai de transposition de la troisième directive anti-blanchiment ayant expiré, il a semblé nécessaire de prendre la mesure des changements induits par la directive .

Les auditions conduites ont permis de recueillir les observations de toutes les professions juridiques réglementées soumises au dispositif anti-blanchiment et affectées par les modifications liées à l'entrée en vigueur de la troisième directive : les avocats, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les avoués près les cours d'appel, les administrateurs et mandataires judiciaires, les huissiers de justice, les notaires, les sociétés de ventes volontaires aux enchères publiques et les commissaires priseurs judiciaires.

Il est également apparu souhaitable d'entendre, outre des représentants du ministère de la justice et du ministère de l'économie et des finances, le directeur du service de Traitement du Renseignement et d'Action contre les Circuits Financiers clandestins (TRACFIN), cellule qui joue un rôle essentiel dans le dispositif anti-blanchiment en centralisant les informations et en menant des enquêtes susceptibles d'aboutir à une saisine du parquet.

Ce travail a également été l'occasion de recevoir MM. Yves Charpenel, avocat général à la Cour de cassation, et Jean-Louis Fort, avocat, auxquels le Gouvernement avait confié le soin, le 25 août 2006, de proposer des pistes en vue de l'élaboration de la loi de transposition de cette directive 16 ( * ) .

A. LES RÈGLES ANTÉRIEURES À LA TROISIÈME DIRECTIVE ANTI-BLANCHIMENT

1. La troisième directive anti-blanchiment adoptée le 26 octobre 2005 succède à deux autres textes plus anciens.

Le premier texte remonte à 1991 avec la « première » directive du 10 juin 1991 qui a invité les Etats membres à imposer à l'ensemble du secteur financier un certain nombre d'obligations pour lutter contre le recyclage de l'argent sale.

Ce dispositif a ensuite été complété par la directive du 4 décembre 2001 dite « deuxième directive » qui a étendu le régime anti-blanchiment à d'autres professions sensibles, dont notamment les professions juridiques et judiciaires . Ce texte a été transcrit dans notre droit interne par la loi du 11 février 2004 17 ( * ) , complétée par le décret du 26 juin 2006 18 ( * ) .

S'agissant de la législation française proprement dite, en 1990, avant même l'adoption de la première directive communautaire anti-blanchiment de 1991, la France s'est dotée d'un arsenal législatif imposant aux établissements financiers de déclarer à TRACFIN les sommes ou opérations susceptibles de provenir d'activités délictuelles ou criminelles, par exception au principe du secret bancaire 19 ( * ) .

Ces règles se sont progressivement étoffées.

D'une part, le législateur a étendu les obligations anti-blanchiment à de nombreuses autres professions susceptibles d'être confrontées à cette forme de délinquance : courtiers d'assurance et de réassurance (1996), entreprises d'investissement, changeurs manuels et agents immobiliers (1998), représentants légaux et directeurs responsables de casinos, personnes participant au commerce de pierres précieuses, matériaux précieux (2001), antiquités ou oeuvres d'art et entreprises exerçant des activités de mise à disposition ou de gestion des moyens de paiement (2003).

En 2004, les professions juridiques et judiciaires réglementées (notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires, les avocats à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, les avocats et les avoués près les cours d'appel), les professions du chiffre (experts comptables et commissaires aux comptes), ainsi que les commissaires priseurs judiciaires et les sociétés de ventes volontaires aux enchères publiques ont été soumis à cette réglementation.

D'autre part, le périmètre des infractions susceptibles de donner lieu aux obligations anti-blanchiment n'a cessé de s'étendre . Initialement limité au trafic de stupéfiants , il recouvre désormais la corruption , les activités criminelles organisées , la fraude aux intérêts financiers de l'Union européenne et le financement du terrorisme.

* 15 Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme.

* 16 MM. Charpenel et Fort ont remis leur rapport (« Rapport de la mission préparatoire à la transposition de la directive n° 2005/60/CE sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ») en juin 2007 à Mmes le garde des Sceaux et le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.

* 17 Loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques.

* 18 Décret n° 2006-736 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et modifiant le code monétaire et financier.

* 19 Loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 codifiée depuis la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 dans le code monétaire et financier.

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