III. UNE PROHIBITION CONTOURNÉE : LES DIFFICULTÉS NÉES DES VIOLATIONS DÉLIBÉRÉES DE LA LOI FRANÇAISE

Malgré les sanctions civiles et pénales auxquelles ils s'exposent, bien des couples infertiles n'hésitent pas à faire appel à des mères de substitution . Comme les médecins français refusent à bon droit de leur prêter assistance, ils doivent se rendre à l'étranger, dans les pays où cette pratique est légale ou tolérée, sauf à se passer d'une intervention médicale.

Aucune estimation fiable de leur nombre n'a pu être fournie au groupe de travail . Selon Dominique et Sylvie Mennesson, présidents fondateurs de l'association Clara 34 ( * ) , une centaine de couples français se rendraient chaque année à l'étranger depuis 1991. Cette évaluation correspond au nombre annuel, qui oscille entre soixante et cent, des maternités pour autrui pratiquées au Royaume-Uni, pays dont la population est comparable en nombre à celle de la France.

Les couples qui en ont le temps et les moyens financiers se rendent de préférence aux Etats-Unis et au Canada, où des agences les mettent en relation avec des mères de substitution et où ils peuvent obtenir des actes de l'état civil locaux établissant la filiation de l'enfant à leur égard . Plusieurs séjours sur place sont nécessaires pour rencontrer la mère de substitution, subir les interventions médicales, suivre autant que possible le déroulement de la grossesse, assister à l'accouchement, recevoir l'enfant puis faire établir un acte de naissance et un passeport. Dominique et Sylvie Mennesson ont ainsi indiqué qu'ils avaient pour leur part effectué douze aller et retour, pendant deux ans et demi, et dépensé 12 000 dollars. Selon Laure Camborieux, présidente de l'association Maïa, les frais exposés seraient généralement plutôt de l'ordre de 50 000 euros au total.

Ceux qui ne disposent ni du temps ni des moyens pour se rendre à l'étranger recourent aux services d'une mère de substitution sur le territoire français, généralement par Internet : le traitement médical est pratiqué en Belgique puis la mère de substitution accouche anonymement en France . Plusieurs gynécologues et psychanalystes entendus par le groupe de travail ont ainsi déclaré avoir assisté à des accouchements de mères de substitution, les parents intentionnels attendant dans les couloirs de l'hôpital ou de la clinique de pouvoir recevoir l'enfant.

Une fois l'enfant venu au monde, les parents intentionnels essaient de se prévaloir des règles de droit interne ou des règles de droit international privé pour faire établir ou reconnaître sa filiation à leur égard . Dans la mesure où le père intentionnel est également le plus souvent le père génétique, les difficultés qu'ils rencontrent concernent pratiquement exclusivement la filiation maternelle.

A. LES TENTATIVES D'UTILISATION DES RÈGLES DE DROIT INTERNE

Les modes d'établissement non contentieux de la filiation sont le titre -acte de naissance ou reconnaissance- et la possession d'état. L'adoption permet quant elle un transfert de filiation. Les couples ayant eu recours à une mère de substitution ont tenté et tentent parfois encore d'emprunter ces différentes voies, même si elles ont été fermées par la jurisprudence.

1. L'harmonisation et la simplification récentes du droit de la filiation

Comme l'a rappelé Frédérique Granet, professeur de droit privé à l'université Robert Schuman de Strasbourg, directrice du centre de droit privé fondamental, lors de son audition, toutes les législations européennes posent le principe que la maternité résulte de l'accouchement , selon la règle « mater semper certa est ».

Le code civil français fait ainsi obligation à l'enfant qui engage une action en recherche de maternité de « prouver qu'il est celui dont la mère prétendue a accouché 35 ( * ) » et à celui qui conteste une maternité de « rapporter la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant 36 ( * ) ».

Si l'accouchement constitue un événement devant être déclaré aux services de l'état civil 37 ( * ) , à peine de contravention, l' indication du nom de la mère dans l'acte de naissance de l'enfant n'a jamais été considérée comme obligatoire en France. Dans le prolongement de la tradition administrative ancienne d'abandon organisé d'enfants nouveau-nés 38 ( * ) , le droit à l'anonymat de la mère a été consacré par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales, qui a fait de l'accouchement dit « sous X » une fin de non-recevoir à l'action judiciaire en recherche de maternité 39 ( * ) .

* Les modes d'établissement non contentieux de la filiation

Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, l'indication de la femme mariée dans l'acte de naissance suffisait à établir la filiation dite « légitime » de l'enfant à son égard, tandis qu'en cas de naissance hors mariage, la mère dite « naturelle » devait en outre reconnaître l'enfant devant l'officier de l'état civil.

Historiquement, il s'agissait d'éviter d'imposer à une célibataire une filiation qu'elle n'aurait pas voulu assumer.

Depuis lors, cette discrimination jugée contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 40 ( * ) a cessé, et l'indication du nom de la mère dans l'acte de naissance suffit à établir la filiation de l'enfant à son égard, qu'elle soit mariée ou non.

La reconnaissance de maternité reste possible pour l'hypothèse où le nom de la mère ne figurerait pas sur l'acte de naissance de l'enfant, soit par inadvertance, soit par volonté délibérée. Dans ce dernier cas, la femme ayant décidé d'accoucher sous X doit en effet pouvoir se raviser et demander la restitution de son enfant dans le délai légal de deux mois à compter de son recueil par le service de l'aide sociale à l'enfance 41 ( * ) , ce qui lui impose de le reconnaître 42 ( * ) .

Lorsque l'acte de naissance de l'enfant désigne la mère et qu'il s'agit d'une femme mariée, la paternité du mari est présumée , selon le vieil adage : « pater is est quem nuptiae demonstrant ». En cas de naissance hors mariage, l'établissement du lien de filiation paternel nécessite une reconnaissance devant l'officier de l'état civil. Jusqu'à la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation, la reconnaissance était impossible lorsque l'enfant était adultérin. Depuis l'ordonnance du 4 juillet 2005, le seul obstacle à une reconnaissance est l'existence d'une filiation déjà établie.

Depuis 1804 pour la filiation légitime 43 ( * ) et depuis 1972 44 ( * ) pour la filiation naturelle, la filiation d'un enfant peut également être établie de manière autonome par la possession d'état , c'est-à-dire « par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir 45 ( * ) ».

Il s'agit principalement du fait d'avoir traité un enfant comme le sien et d'être considéré par celui-ci comme son parent ( tractatus ), de la réputation ( fama ) et du nom ( nomen ). Pour produire ses effets, la possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque 46 ( * ) .

Depuis l'ordonnance précitée du 4 juillet 2005, elle doit également nécessairement être attestée par un acte de notoriété, délivré par le juge d'instance, à défaut d'avoir été constatée par le tribunal de grande instance dans un cadre contentieux.

* Les possibilités de contestation en justice des filiations ainsi établies

Les filiations ainsi établies peuvent être contestées en justice , selon des règles qui ont été considérablement simplifiées par l'ordonnance du 4 juillet 2005.

En cas de titre et de possession d'état conforme, l'action n'est ouverte qu'à l'enfant, à ses père et mère ou à celui qui se prétend le parent véritable, qui peuvent agir dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état. La filiation ne peut toutefois plus être contestée lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement.

Lorsque le titre n'est pas corroboré par la possession d'état, l'action peut être exercée par tout intéressé dans un délai de dix ans à compter de l'établissement de la filiation.

Enfin, la filiation établie par la seule possession d'état peut être contestée dans un délai de dix ans à compter du jugement l'ayant constatée, par la voie de la tierce opposition de ceux qui n'ont pas été parties à la procédure, ou dans un délai de cinq ans à compter de la délivrance de l'acte de notoriété qui l'a constatée 47 ( * ) . Il appartient au requérant d'établir soit que les éléments constitutifs de la possession d'état ne sont pas réunis, soit qu'elle est viciée, soit que la filiation ainsi établie n'est pas conforme à la réalité biologique.

Le ministère public peut agir dans le délai décennal de droit commun dans deux hypothèses 48 ( * ) :

- lorsque des indices tirés des actes eux-mêmes rendent invraisemblable le lien de filiation légalement établi, par exemple en présence d'une trop faible différence d'âge entre le parent et l'enfant ;

- lorsque la filiation a été établie en fraude à la loi, la rédaction retenue étant plus large que celle de l'ancien article 339 du code civil qui visait exclusivement une reconnaissance destinée à frauder les règles relatives à l'adoption.

* Le transfert de filiation que constitue l'adoption

Prononcée par le tribunal de grande instance, l' adoption permet la création d'un lien de filiation entre l'adopté et une ou plusieurs personnes qui ne sont pas ses parents par le sang. Elle ne constitue donc pas un mode d'établissement mais opère un transfert de la filiation.

Ouverte soit aux couples mariés non séparés de corps depuis plus de deux ans ou âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans 49 ( * ) , soit à une personne seule âgée de plus de vingt-huit ans 50 ( * ) , elle peut revêtir deux formes.

L' adoption plénière , qui ne peut en principe concerner qu'un mineur de quinze ans 51 ( * ) , rompt tous les liens de filiation avec la famille d'origine et donne lieu à établissement d'un nouvel acte de naissance après annulation de l'acte initial. L'adopté prend le nom que lui donnent ses parents adoptifs et peut également changer de prénom. S'il est étranger, il acquiert de plein droit la nationalité française.

L' adoption simple , permise quel que soit l'âge de l'adopté, crée un lien avec le ou les adoptants tout en laissant subsister ceux qui existent entre l'adopté et sa famille d'origine -l'adopté peut ainsi hériter dans les deux familles et ajoute à son nom celui de l'adoptant 52 ( * ) . Elle ne confère pas de plein droit la nationalité française à l'adopté étranger mais lui permet de l'acquérir par simple déclaration devant le juge d'instance durant sa minorité.

2. Les tentatives d'établissement de la filiation d'un enfant né d'une mère de substitution par un titre, par l'adoption ou par la possession d'état

* La supposition d'enfant : une voie abandonnée

Pendant longtemps, les couples mariés ayant eu recours à une mère de substitution n'ont eu d'autre solution, pour faire établir la filiation de l'enfant à leur égard, que de mentir sur l'identité de l'accouchée.

Pendant longtemps également, ils ont pu jouir d'une grande impunité en raison du caractère très restrictif des règles relatives à la recevabilité des actions judiciaires en contestation de la filiation légitime.

En effet, pour préserver la « paix des familles », le code civil de 1804 interdisait toute contestation d'une filiation légitime dès lors que l'enfant avait une possession d'état conforme à son titre de naissance 53 ( * ) .

Marcela Iacub, chercheuse au CNRS, a relevé que les juges ont eu une conception extrêmement restrictive de la recevabilité de l'action en justice jusqu'après la première guerre mondiale, refusant de laisser à toute personne qui contestait une filiation légitime la possibilité d'administrer la preuve de la supposition d'enfant dès lors que les conditions légales étaient réunies pour rendre la filiation inattaquable 54 ( * ) .

L'un des exemples cités à l'appui de cette assertion concerne une « malveillante marâtre » qui, à la mort de son époux en 1857, voulut éliminer de la succession le seul enfant de celui-ci, né d'une précédente union. Elle tenta de faire valoir que le défunt et sa première épouse, stérile et âgée de quarante-cinq ans au moment de la naissance de l'enfant, se seraient installés dans le village de Bagnères-de-Bigorre en 1835 en attendant l'arrivée d'une jeune femme enceinte puis, après l'accouchement de cette dernière, auraient déclaré l'enfant comme né de leur union. Constatant que ce dernier avait bénéficié d'une possession d'état conforme à son titre de naissance pendant ces vingt-deux années, le tribunal civil de Bordeaux déclara la requérante irrecevable en sa demande d'administrer la preuve de la supposition d'enfant 55 ( * ) .

Dans le même but de préservation de la paix des familles, le code civil instituait une question préjudicielle à la mise en oeuvre de l'action publique destinée à sanctionner pénalement le crime de supposition d'enfant 56 ( * ) : l'action ne pouvait être engagée, à peine de nullité de la procédure, qu'après une décision définitive des juges civils sur la question d'état 57 ( * ) . Or le refus de ces derniers de remettre en cause les filiations légitimes interdisait au ministère public d'engager des poursuites pénales.

Sur le plan civil, l'affaire « Godeville-Blanchet 58 ( * ) » a marqué une évolution de la jurisprudence relative à la recevabilité des actions en contestation de la filiation légitime. Comme l'a relevé Marcela Iacub, cette fois, les juges ne se contentèrent plus de présumer l'accouchement de la mère à partir de l'acte de naissance et de la possession d'état mais firent de la vérité de l'accouchement une condition de validité de la possession d'état elle-même.

Cette évolution a ensuite été consacrée par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation, qui a inséré un article 322-1 dans le code civil, aujourd'hui abrogé, admettant la contestation de la filiation légitime établie par un titre de naissance corroboré par la possession d'état en cas de supposition ou de substitution d'enfant.

Sur le plan pénal, la loi du 3 janvier 1972 précitée a permis au parquet d'intenter l'action publique sans attendre la décision définitive des juges civils : en remplaçant la question préjudicielle par une exception préjudicielle, elle a seulement maintenu l'exclusivité de la compétence du tribunal de grande instance en matière de filiation.

Les liens de filiation établis par le mariage étant indivisibles, l'annulation de la filiation maternelle de l'enfant entraîne celle de sa filiation paternelle, quand bien même son père intentionnel serait son père génétique. Dans cette hypothèse, celui-ci dispose toutefois de la possibilité de reconnaître l'enfant devant un officier de l'état civil et, en cas de contestation, la preuve de sa paternité peut être établie par une expertise génétique, en principe de droit 59 ( * ) .

Les suppositions d'enfant réalisées hors mariage , par le biais d'une reconnaissance de maternité mensongère, sont d'abord restées rares en raison de l'opprobre dans laquelle étaient tenues les mères célibataires.

Elles le sont restées par la suite, malgré l'acceptation sociale progressive et le développement croissant du nombre des naissances hors mariage à partir des années 1970, en raison de la facilité avec laquelle des poursuites pouvaient être engagées contre leurs auteurs.

Sur le plan civil, jusqu'à l'ordonnance du 4 juillet 2005 précitée, la reconnaissance de maternité ou de paternité pouvait être contestée par tout intéressé pendant une période de trente ans.

Sur le plan pénal, aucune exception ni question préjudicielle ne pouvait faire obstacle à l'engagement des poursuites par le ministère public.

Dans un arrêt rendu le 4 juillet 2002, la cour d'appel de Rennes a ainsi fait droit à la demande formulée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes tendant à l'annulation de la reconnaissance de maternité effectuée en France par une femme ayant fait appel à une mère de substitution en Californie 60 ( * ) .

La filiation hors mariage étant divisible, l'annulation de la filiation de la reconnaissance de maternité n'entraîne pas ipso facto celle de la reconnaissance de paternité. Celle-ci doit faire l'objet d'une contestation, rare en pratique dans la mesure où le père intentionnel de l'enfant est le plus souvent son père génétique. En cas d'action judiciaire, l'expertise génétique serait de droit et aboutirait à la confirmation de la validité de la reconnaissance.

* La reconnaissance paternelle d'un enfant dont la filiation maternelle n'est pas établie suivie, le cas échéant, d'une demande d'adoption par l'épouse de l'auteur de la reconnaissance : une voie encore pratiquée

Compte tenu des difficultés pratiques, liées au fait que les accouchements n'ont plus lieu à domicile mais à l'hôpital ou dans une clinique, et des risques juridiques de la supposition d'enfant, les couples ayant eu recours à une mère de substitution ont tenté et tentent sans doute encore d' utiliser les règles relatives à l'adoption pour faire établir la filiation maternelle de l'enfant .

Cette voie n'est ouverte qu'aux couples mariés , puisque l'adoption par des concubins demeure interdite : dans sa rédaction actuelle, l'article 345 du code civil autorise expressément l'adoption plénière de l'enfant du conjoint lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint 61 ( * ) .

Elle peut être empruntée depuis que la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation a autorisé la reconnaissance d'un enfant adultérin.

Elle constituait d'ailleurs la solution proposée par les associations Alma Mater, les Cigognes et Sainte Sarah dans les années 1980 : arrivée à terme, la mère de substitution accouchait sans laisser apparaître son nom dans l'acte de naissance ; le père intentionnel, qui était aussi le plus souvent le père génétique, reconnaissait l'enfant ; par la suite, son épouse demandait l'adoption plénière.

Cette voie a cependant été fermée par la jurisprudence de la Cour de cassation : dans son arrêt d'assemblée plénière du 31 mai 1991 précité, celle-ci a considéré que cette adoption plénière « n'était que l'ultime phase d'un processus d'ensemble destiné à permettre à un couple l'accueil à son foyer d'un enfant, conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, ce processus constituait un détournement de l'institution de l'adoption 62 ( * ) . » Cette position a été maintenue jusqu'à présent 63 ( * ) et étendue à l'adoption simple 64 ( * ) .

Lors de son audition, Frédérique Bozzi, conseiller à la cour d'appel de Paris, a relevé que les juridictions du fond n'hésitaient pas à refuser de faire droit à des demandes d'adoption plénière en cas de maternité pour autrui mais que les apparences étaient parfois trompeuses.

Lorsque la procédure d'adoption est mise en oeuvre fort longtemps après la naissance, a-t-elle souligné, il convient de se pencher avec soin sur les circonstances de la cause. Ainsi, dans une affaire jugée par le tribunal de grande instance de Paris, l'épouse avait accepté d'accueillir dans son foyer l'enfant né de l'adultère de son mari mais ne s'était décidée à l'adopter que quatorze ans plus tard, alors qu'elle était atteinte d'un cancer. En l'espèce, le tribunal de grande instance a jugé qu'il ne s'agissait pas d'une affaire de maternité pour autrui.

La tentative de détournement de l'institution de l'adoption paraît plus évidente lorsque la procédure d'adoption est lancée quelques jours après que l'enfant né sous X a été reconnu par son père dans l'acte de naissance 65 ( * ) et accueilli au foyer des époux dès sa sortie de l'hôpital ou de la clinique.

* L'invocation de la possession d'état : une voie récemment fermée

La voie de l'adoption ayant été fermée par la jurisprudence, certains auteurs s'étaient interrogés sur la possibilité d'invoquer la possession d'état , « patiente, plus humble, moins arrogante 66 ( * ) », pour permettre l'établissement de la filiation maternelle de l'enfant né d'une mère de substitution à l'égard de sa mère d'intention.

Très favorable à cette solution, Xavier Labbée, professeur de droit et d'éthique médicale à l'université de Lille 2, a fait valoir lors de son audition qu'elle permettrait aux parents intentionnels de « faire leurs preuves ».

Toutefois, on peut également considérer qu' une possession d'état ainsi établie en fraude à la loi serait viciée .

A cet égard, en exigeant non plus seulement que la possession d'état soit continue mais aussi qu'elle soit paisible, publique et non équivoque, l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation n'a fait que conforter des solutions déjà dégagées par la jurisprudence, comme en atteste l'affaire Godeville-Blanchet.

La circulaire du 30 mai 2006 prise pour son application précise que : « Le caractère équivoque peut notamment résulter d'une fraude ou d'une violation de la loi. Il peut en être ainsi lorsque la possession d'état est invoquée pour contourner les règles régissant l'adoption, l'interdiction d'établir la filiation incestueuse ou la gestation pour le compte d'autrui . »

Le tribunal de grande instance de Lille a décidé, le 22 mars 2007, que la possession d'état invoquée par un couple ayant eu recours à une mère de substitution était viciée, dès lors qu'elle était établie en fraude à la loi, et ne pouvait permettre l'établissement de la filiation de l'enfant à l'égard de sa mère d'intention. L'affaire est actuellement en appel.

Approuvant la décision du tribunal de grande instance de Lille, Pierre Murat, professeur de droit privé à l'université de Grenoble 2, a écrit que : « lorsqu'il s'agit d'établir la filiation en l'absence de titre préalable, la possession d'état est alors avant tout une présomption simple du lien biologique : le comportement laisse simplement présumer l'engendrement (...) il n'est pas dans la nature de la possession d'état de se substituer aux procédures d'adoption qui constituent des vérifications sociales de l'opportunité d'un transfert de filiation (...) L'adoption constitue la seule voie correcte d'organisation des transferts de filiation 67 ( * ) ».

3. Les conséquences résultant de l'échec de ces tentatives

De l'aveu même de Laure Camborieux, présidente de l'association Maïa, association d'aide aux couples infertiles, les couples ayant eu recours à la maternité pour autrui ne rencontrent pas de difficulté particulière dans leur vie quotidienne .

Les enfants dont seule la filiation paternelle est établie sur les registres de l'état civil français peuvent en effet être rattachés au régime de sécurité sociale de leur père et être inscrits en crèche puis à l'école. Ils peuvent également obtenir une carte d'identité ou un passeport.

De surcroît, jamais un couple dont la demande d'établissement de la filiation maternelle a été refusée ne s'est ensuite vu retirer l'enfant.

Des difficultés peuvent se présenter en cas de rupture du couple ou de décès de l'un de ses membres, dans la mesure où la mère intentionnelle est considérée comme un tiers à l'égard de l'enfant, comme le sont d'ailleurs les beaux-parents dans les familles recomposées.

Toutefois, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a étendu les droits des tiers qui partagent ou ont partagé la vie d'un enfant et ont des liens affectifs forts avec lui , et le Gouvernement de M. François Fillon a annoncé son intention de les renforcer davantage.

Tant que les deux membres du couple sont en vie et unis, le père a la possibilité, « lorsque les circonstances l'exigent », de saisir le juge en vue de déléguer l'exercice de son autorité parentale à un tiers 68 ( * ) . La délégation peut être partielle, auquel cas seuls certains droits comme celui de garde et de surveillance sont transférés, ou totale, auquel cas seul le droit de consentir à l'adoption du mineur n'est pas transféré 69 ( * ) .

Surtout, un partage de l'autorité parentale peut être décidé « pour les besoins de l'éducation de l'enfant » 70 ( * ) . Ce partage s'avère plus souple et plus intéressant que la délégation dans la mesure où les conditions dans lesquelles il peut être décidé semblent moins restrictives et n'impliquent pas la perte d'une partie des droits du délégant au profit du délégataire.

Sans doute la crainte de voir la maternité pour autrui découverte par le juge aux affaires familiales dissuade-t-elle les couples concernés d'avoir recours à ces dispositions.

En cas de séparation du couple, le juge aux affaires familiales peut décider de confier l'enfant à sa mère d'intention. Celle-ci accomplira alors tous les actes usuels relatifs à sa surveillance et à son éducation, tandis que l'autorité parentale continuera d'être exercée par son père 71 ( * ) .

En cas de prédécès du père, le juge aux affaires familiales peut confier provisoirement l'enfant à sa mère d'intention, à condition de requérir l'ouverture d'une tutelle 72 ( * ) . Or le code civil reconnaît au dernier mourant des père et mère « le droit individuel de choisir un tuteur, parent ou non », par testament ou dans une déclaration spéciale devant notaire 73 ( * ) . A défaut, la tutelle de l'enfant doit être déférée à celui des ascendants qui est du degré le plus rapproché 74 ( * ) .

Lors du décès de la mère d'intention, il est vrai que l'enfant n'a pas la qualité d'héritier réservataire et ne peut bénéficier des avantages fiscaux qui s'y attachent.

Pour renforcer les droits des tiers à l'égard des enfants qu'ils ont élevés, et hostile à la légalisation de la gestation pour autrui, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits des enfants a préconisé, en janvier 2006 75 ( * ) :

- d'ouvrir aux parents la possibilité de donner à un tiers une « délégation de responsabilité parentale » pour les actes usuels de la vie de l'enfant, soit par acte authentique devant notaire et directement exécutoire, soit par acte sous seing privé homologué par le juge ;

- d'autoriser le tiers qui élève l'enfant à demander au juge de le lui confier en cas de décès du parent, alors qu'il doit actuellement passer par l'intermédiaire du ministère public ;

- à défaut de désignation d'un tuteur par les parents, de prévoir l'attribution de la tutelle aux ascendants, sauf si le conseil de famille estime que l'intérêt de l'enfant justifie de désigner comme tuteur le tiers qui l'élève.

Elle aussi hostile à la légalisation de la gestation pour autrui, Dominique Versini, Défenseure des enfants , a suggéré lors de son audition de permettre aux mères d'intention de bénéficier du statut des tiers qui partagent ou ont partagé la vie d'un enfant et ont des liens affectifs forts avec lui, qu'elle a proposé en novembre 2006 76 ( * ) .

Ce statut s'articulerait essentiellement autour de la création d'un « mandat d'éducation » ponctuel, de l'institution d'une convention de partage de l'exercice de l'autorité parentale et de la consécration du droit de l'enfant à entretenir des relations personnelles avec un tiers qui a partagé sa vie quotidienne et avec lequel il a noué des liens affectifs étroits.

Ce statut du tiers ne peut cependant constituer qu'un pis-aller pour les mères d'intention des enfants nés d'une maternité pour autrui qui, à la différence des beaux-parents par exemple, sont à l'initiative de la conception de l'enfant, prennent soin de lui et l'élèvent depuis sa naissance et lui ont parfois transmis leurs gènes. Il peut sembler contestable car il interdit d'établir un lien de filiation entre une mère et un enfant qui se considèrent comme tels.

* 34 Comité de soutien pour la légalisation de la GPA et la reproduction assistée.

* 35 Article 325 du code civil.

* 36 Article 332 du code civil.

* 37 La déclaration de naissance doit être effectuée dans les trois jours à l'officier de l'état civil du lieu de naissance lorsque celle-ci survient en France. En cas de naissance à l'étranger, la déclaration doit être effectuée auprès de l'agent diplomatique ou consulaire dans un délai de quinze jours en principe. A défaut, un jugement déclaratif de naissance devra être rendu par le tribunal de grande instance (article 55 du code civil).

* 38 Au XVII ème siècle, Saint Vincent de Paul introduisit l'usage du tour, sorte de tourniquet placé dans le mur d'un hospice : la mère y déposait l'enfant puis sonnait une cloche ; à ce signal, de l'autre côté du mur, quelqu'un faisait basculer le tour et recueillait le nourrisson. Un décret-loi du 2 septembre 1941 organisa l'accouchement anonyme et la prise en charge gratuite de la femme enceinte pendant le mois qui précède et le mois qui suit l'accouchement dans un établissement hospitalier public. Ce texte fut abrogé et son contenu repris après la guerre.

* 39 Lors de l'examen en première lecture du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation, le 15 janvier 2008, le Sénat a supprimé cette fin de non-recevoir, pour prévenir tout risque de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, sans pour autant remettre en cause la possibilité pour une femme d'accoucher sous X.

* 40 Cour européenne des droits de l'homme - 13 juin 1979 - Marckx c/ Belgique.

* 41 Article 351 du code civil.

* 42 Première chambre civile de la Cour de cassation, 6 avril 2004.

* 43 Article 320 du code civil : « à défaut de titre, la possession d'état d'enfant légitime suffit ».

* 44 La rédaction retenue par le législateur en 1972 ayant donné lieu à des hésitations jurisprudentielles, cette possibilité a été réaffirmée par la loi n° 82-536 du 25 juin 1982.

* 45 Article 311-1 du code civil.

* 46 Article 311-2 du code civil.

* 47 Lors de l'examen en première lecture du projet de loi précité, le Sénat a aligné le délai de contestation de la filiation établie par la possession d'état constatée par un acte de notoriété, fixé à cinq ans, sur celui de la contestation, par la voie de la tierce opposition, de la filiation établie par la possession d'état constatée par un jugement, qui est de dix ans.

* 48 Lors de l'examen en première lecture du projet de loi précité, le Sénat a rendu inopposable au ministère public la fin de non-recevoir selon laquelle nul ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, afin de lui permettre de lutter contre les fraudes dans le délai de droit commun de dix ans.

* 49 Article 343 du code civil.

* 50 Article 344 du code civil.

* 51 Article 345 du code civil. L'expression signifie que l'adopté doit être âgé de moins de seize ans.

* 52 Le tribunal peut décider, sur demande de l'adoptant, que l'adopté ne portera que le nom de l'adoptant.

* 53 Article 322 du code civil de 1804.

* 54 « L'empire du ventre - pour une autre histoire de la maternité » - Fayard 2004 - pages 82 et suivantes.

* 55 Tribunal civil de Bordeaux. 20 janvier 1857. Sirey, 58.2.2002.

* 56 Articles 326 et 327 du code civil de 1804.

* 57 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 16 février 1854.

* 58 Opérée en 1901, Marguerite Godeville avait perdu tout espoir de maternité. Avec la complicité de son époux, Jean-Baptiste Blanchet, elle supposa un enfant qu'ils firent inscrire sous une fausse filiation en 1907. Entre 1907 et 1908, l'enfant vécut dans une maison où il fut, semble-t-il, allaité par la femme qui l'avait mis au monde.

Comme Marguerite Blanchet était très riche et, de surcroît, promise à recevoir un héritage paternel très important, son frère, Paul Godeville, commanda une enquête à des détectives privés afin d'établir que sa soeur n'avait pas accouché.

Marguerite Blanchet mourut en 1911. Peu après, son père et son frère contestèrent la filiation de l'enfant. Ils affirmèrent non seulement que la prétendue mère n'avait jamais accouché de l'enfant mais que celui-ci, de surcroît, n'avait pas de possession d'état d'enfant légitime.

La bataille judiciaire dura treize ans, période au cours de laquelle la Cour de cassation se prononça deux fois : en 1922, elle jugea qu'il n'était pas indispensable que la possession d'état existât depuis la naissance ; en 1926, elle laissa aux juges du fond toute latitude pour apprécier la possession d'état, sans se prononcer sur le point de savoir si l'article 322 du code civil interdisait ou non d'invoquer des faits relatifs à l'accouchement lui-même. Au terme de cette bataille judiciaire, l'enfant fut déchu de sa filiation légitime.

Source : Marcela Iacub - « L'empire du ventre - pour une autre histoire de la maternité » - Fayard - pages 136 à 141.

* 59 Première chambre civile de la Cour de cassation, 28 mars 2000.

* 60 La demande du ministère public fut jugée recevable sur le fondement de l'article 423 du nouveau code de procédure civile qui lui permet d'agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci.

* 61 Après une adoption plénière, le parent adoptif partage l'exercice de l'autorité parentale avec son conjoint qui était déjà le parent légal. En effet, en application de l'article 356 du code civil, l'adoption plénière laisse dans ce cas subsister la filiation d'origine à l'égard du parent biologique et produit, pour le surplus, les effets d'une adoption par deux époux.

* 62 Assemblée plénière de la Cour de cassation, 31 mai 1991.

* 63 Première chambre civile de la Cour de cassation, 9 décembre 2003.

* 64 Première chambre civile de la Cour de cassation, 1 er juin 1994.

* 65 L'affaire « Benjamin », jugée par la première chambre civile de la Cour de cassation le 7 avril 2006, atteste en effet de la difficulté pour le père d'un enfant né sous X de savoir où et quand la mère a accouché lorsqu'il ne s'agit pas d'une maternité de substitution.

* 66 Droit de la famille, Gérard Cornu, 463.

* 67 Droit de la famille - Revue mensuelle Lexisnexis Jurisclasseur - juin 2007 - pages 29 à 31.

* 68 Article 377 du code civil.

* 69 Articles 377-2 et 377-3 du code civil.

* 70 Article 377-1 du code civil.

* 71 Article 373-4 du code civil.

* 72 Article 373-5 du code civil.

* 73 Articles 397 et 398 du code civil.

* 74 Article 402 du code civil.

* 75 Rapport n° 2832 (Assemblée nationale, douzième législature) de Valérie Pécresse au nom de la mission d'information présidée par Patrick Bloche, pages 182, 263 et 266.

* 76 « L'enfant au coeur des nouvelles parentalités - Pour un statut des tiers qui partagent ou ont partagé la vie d'un enfant et ont des liens affectifs forts avec lui » - Rapport annuel de 2006.

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