B. UN CADRE DE CONTRÔLE ÉLABORÉ, UNE PROCÉDURE PERFECTIBLE

Le premier règlement du Conseil européen 5 ( * ) fixant les modalités de financement de la politique agricole commune ne contenait aucune disposition relative aux contrôles. Ces derniers ont été progressivement formalisés, au point que le paiement des dépenses agricoles communautaires s'inscrit désormais dans un cadre procédural extrêmement complet. La mise en oeuvre des refus d'apurement n'est toutefois pas exempte de certains défauts, tenant à la durée des procédures et aux méthodes employées pour le calcul des pénalités.

1. Le cadre de contrôle et la procédure mise en oeuvre

a) Un cadre de contrôle contraignant

Le cadre actuel de contrôle des dépenses agricoles communautaires repose sur trois règlements 6 ( * ) et se caractérise par une implication importante des Etats membres . En effet, la mise en oeuvre d'un système décentralisé de gestion des fonds communautaires où les Etats membres gèrent, contrôlent les aides agricoles et supportent les conséquences financières des refus d'apurement contribue fortement à les responsabiliser.

Ce cadre de contrôle repose sur les obligations suivantes :

1) l' agrément par les Etats membres des organismes payeurs des aides agricoles, sur la base de critères 7 ( * ) établis par la Commission et après consultation de cette dernière ;

2) en cas de pluralité d'organismes payeurs, la désignation d'un organisme unique de coordination comme interlocuteur de la Commission. En France, l' Agence unique de paiement (AUP) a succédé dans ce rôle à l'Agence centrale des organismes d'intervention dans le secteur agricole (ACOFA) à compter du 1 er janvier 2007 ;

3) la signature, par chaque responsable d'organisme payeur, d'une déclaration d'assurance certifiant que ses comptes constituent un état exact, complet et précis de ses dépenses et de ses recettes et que son système de gestion et de contrôle fournit une assurance raisonnable sur la légalité et la régularité des transactions ;

4) la désignation d'un organe de certification indépendant des organismes payeurs, chargé de certifier les comptes des organismes payeurs et d'émettre un avis sur la déclaration d'assurance de leurs responsables. En France, ce mandat est confié à la Commission de certification des comptes des organismes payeurs (C3OP).

L'ensemble de ces dispositions permet en définitive à la Commission de disposer d'une triple garantie , reposant sur la certification par l'organisme certificateur, la déclaration d'assurance du responsable de l'organisme payeur et l'avis de l'organisme certificateur sur cette déclaration.

b) Les étapes de la procédure

Chaque année, la direction générale pour l'agriculture et le développement rural de la Commission entreprend plus de 300 audits, dont la moitié est constituée par des missions auprès des organismes payeurs . Les missions d'apurement ainsi diligentées font l'objet de calendriers semestriels rendus publics par la Commission.

Les principales étapes de la procédure sont les suivantes :

1) l'Etat membre auquel il est signifié l'ouverture d'une mission communique les pièces requises et reçoit l'équipe d'audit, qui communique ses premières conclusions au cours d'une réunion de restitution de travaux . Dans un délai d'un à deux mois, l'Etat membre se voit notifier officiellement les constatations de la Commission auquel il répond sous deux mois ;

2) une réunion bilatérale est organisée entre les représentants de la Commission et ceux de l'Etat membre. Il s'agit, en France, de représentants du ministère de l'agriculture et de la pêche, de l'Agence unique de paiement et de l'organisme payeur concerné, disposant d'un mandat élaboré au cours d'une réunion placée sous l'égide du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). La réunion donne lieu à la production, par les services de la Commission, d'un procès-verbal 8 ( * ) auquel l'Etat membre peut à nouveau répondre sous deux mois ;

3) la Commission notifie à l'Etat membre ses conclusions ainsi que le montant des corrections envisagées ;

4) dans un délai de trente jours ouvrables, l'Etat membre peut saisir un organe de conciliation 9 ( * ) qui dispose de quatre mois pour tenter de rapprocher les positions. Au terme de cette période, l'organe de conciliation rédige un rapport et formule des recommandations ;

5) la Commission informe l'Etat membre de ses conclusions définitives 10 ( * ) , susceptibles de recours devant le Tribunal de première instance .

2. Un mécanisme non exempt de défauts

Si le recours aux refus d'apurement n'est évidemment pas contestable dans son principe, en tant qu'il contribue à la protection des intérêts financiers de la Communauté, certaines de ses modalités de mise en oeuvre apparaissent perfectibles.

a) Des délais importants

Ainsi qu'il a déjà été précisé, les refus d'apurement pour non-conformité interviennent avec plusieurs années de retard par rapport à la date des dépenses contestées. Les décisions de refus d'apurement n'étant enfermées dans aucun délai, six années sont en moyenne nécessaires pour connaître les conclusions définitives de la Commission. A titre d'exemple, 43 % des dépenses déclarées en 2003 pour les comptes de 29 organismes payeurs en 2001 et 2002 n'avaient fait l'objet d'aucune décision d'apurement en 2006 .

La longueur de la procédure présente deux inconvénients principaux :

1) elle contraint les Etats membres à tenir une double comptabilisation des refus d'apurement, par exercice FEOGA (pour les dépenses contestées) et par exercice budgétaire national (pour les remboursements affectés par la décision de refus d'apurement) ;

2) plus gravement, elle atténue la mise en jeu de la responsabilité des auteurs des irrégularités , qui ont souvent quitté leurs fonctions lorsque surviennent les corrections financières qui leur sont imputables.

b) Le recours fréquent à des taux de correction forfaitaire

Par ailleurs, la Commission dispose de trois bases de détermination des corrections financières, dont le montant doit être déterminé à raison de la nature et de la gravité de l'infraction, ainsi que du préjudice financier occasionné à la Communauté 11 ( * ) .

Ces bases sont en principe les pertes réellement occasionnées pour le budget communautaire ou, à défaut, l' extrapolation d'anomalies constatées sur un échantillon représentatif ou l'application de taux forfaitaires .

Alors qu'il devrait se limiter aux cas où la Commission estime qu'un chiffrage exact du risque financier est impossible ou difficile à obtenir 12 ( * ) , le recours à des taux de correction forfaitaire semble devenu la méthode la plus utilisée . Les taux standards de correction sont de 2 %, 5 %, 10 % et 25 % 13 ( * ) des dépenses à risque et obéissent à des lignes directrices selon que les contrôles mis en oeuvre sont considérés comme des « contrôles clés » ou des « contrôles auxiliaires » (cf. encadré).

Les lignes directrices de la Commission pour la détermination des taux de correction forfaitaire

Les contrôles clés sont des contrôles matériels et administratifs, nécessaires pour vérifier des éléments substantiels, et en particulier l'existence de l'objet de la demande, des conditions quantitatives et qualitatives, y compris le respect des délais, les exigences en matière de récolte, etc. Ces contrôles sont effectués sur place et par recoupements de données indépendantes, telles que les registres fermiers.

Les contrôles auxiliaires impliquent des opérations administratives nécessaires pour traiter correctement les demandes et incluent la vérification du respect des délais d'introduction des demandes, l'identification des demandes, une analyse de risques, l'application de sanctions et la surveillance appropriée des procédures.

Sur cette base, les lignes directrices prévoient ce qui suit :

- une correction de 2 % est justifiée lorsqu'un Etat membre a manqué à son obligation de prendre des mesures en vue d'améliorer l'application des contrôles auxiliaires ;

- lorsque tous les contrôles auxiliaires sont mis en oeuvre, mais dans une mesure non satisfaisante en termes de nombre, de fréquence ou d'intensité, une correction de 5 % est justifiée, comme il peut raisonnablement être conclu que les contrôles ne garantissent pas la conformité des demandes dans une mesure suffisante, de sorte que le risque de préjudice pour le budget de l'UE était significatif ;

- lorsqu'un ou plusieurs contrôles clés ne sont pas mis en oeuvre ou sont mis en oeuvre de manière si lacunaire ou peu fréquente qu'ils sont totalement inefficaces pour déterminer l'éligibilité de la demande ou pour empêcher des irrégularités, une correction de 10 % est justifiée, puisqu'on peut raisonnablement en conclure qu'il y avait un risque élevé de préjudice très étendu pour le budget de l'UE ;

- lorsque l'application d'un régime de contrôle par un Etat membre est complètement absente ou gravement déficiente, et qu'il y a manifestement des irrégularités à large échelle et une négligence pour s'opposer aux pratiques irrégulières ou frauduleuses, une correction de 25 % est justifiée, comme il peut alors être raisonnablement présumé que la possibilité de présenter des demandes irrégulières peut entraîner des préjudices exceptionnellement élevés pour le budget de l'UE.

Le taux de correction peut être fixé à un niveau encore plus élevé, excluant toute dépense , lorsque les déficiences sont si graves qu'elles constituent un manquement complet aux règles communautaires.

Source : Commission européenne

Bien que moins fréquemment employée, la méthode des extrapolations sur la base d'échantillons représentatifs présente également des imperfections. Dans ce cas, les calculs de la Commission sont en effet difficiles à contester, dans la mesure où aucune réglementation ne précise la notion d'échantillon représentatif et où il appartient à l' Etat membre de démontrer que les résultats de l'extrapolation ne correspondent pas à la réalité du préjudice subi 14 ( * ) . Cette méthode ne garantit pourtant pas des calculs de corrections systématiquement fiables. Ainsi, un pourcentage d'anomalies de mesurage rencontrées dans un département de la région Poitou-Charentes en 2001 a été extrapolé par la Commission à l'ensemble de la population des demandeurs, alors même que les contrôles qui ont révélé ces anomalies étaient ciblés sur les populations à risque.

c) Une procédure de conciliation perfectible

Une dernière série de critiques peuvent être adressées aux caractéristiques de la procédure de conciliation . Depuis 1995, 27 décisions d'apurement de conformité ont été prises concernant la France, dont 22 ont donné lieu à saisine de l'organe de conciliation. 15 de ces saisines ont abouti à une diminution globale de 24 % des corrections financières initialement prévues (soit 170,64 millions d'euros), ce qui atteste de l'intérêt de ces recours.

Selon M. Dowling, président de l'organe de conciliation, la procédure n'a de « conciliation » que le nom, si l'on retient comme définition de la conciliation le fait de rechercher un accord entre parties et, en cas d'échec, de recourir à un arbitrage indépendant . De fait, l'organe de conciliation procède davantage à une vérification ou à un « contrôle qualité » des audits des services de la Commission, qui semble néanmoins avoir favorisé la transparence des méthodes et des travaux de ces derniers.

Les chances de succès encouragent par ailleurs les Etats membres à recourir très fréquemment, voire systématiquement, à la procédure de conciliation, y compris lorsque l'organe a déjà statué sur des cas similaires. Ces recours fréquents favorisent l'engorgement de l'instance 15 ( * ) et peuvent nuire à la recherche - parfois longue - d'une conciliation .

Enfin, et selon les propos du président de l'organe de conciliation reproduits par l'enquête de la Cour des comptes, ses responsables semblent parfois douter de l'influence réelle de certaines décisions de l'organe de conciliation sur la décision prise en dernier ressort par la Commission : « dans la décision finale de la Commission, il y [a aussi un certain nombre d'avis de l'organe] dans lesquels il a émis de fortes réserves et qui n'ont pas été répercutées dans la décision ».

* 5 Règlement n° 65 du 20 avril 1962.

* 6 Règlement (CE) n° 1287/95 du Conseil, du 22 mai 1995, règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil, du 21 juin 2005 et règlement (CE) n° 885/2006 de la Commission, du 21 juin 2006.

* 7 Critères relatifs à l'environnement interne et aux activités de contrôle de l'organisme ainsi qu'à l'information, à la communication et au suivi.

* 8 Le délai de production de ce document est très variable et peut osciller entre un mois et plus d'un an.

* 9 L'organe de conciliation est composé de cinq membres hautement qualifiés dans les questions relatives au financement de la PAC ou dans la pratique de l'audit financier, et ressortissants d'Etats membres différents. Leur mandat est de trois ans, renouvelable par périodes d'un an. Les demandes de conciliation doivent être motivées et ne sont recevables que si la correction préconisée par la Commission excède 1 million d'euros ou représente plus de 25 % de la dépense annuelle totale de l'Etat membre au titre de ce poste budgétaire, ou encore lorsque la demande concerne un principe relatif à l'application des règles communautaires.

* 10 La correction financière éventuellement arrêtée est adoptée après consultation des Etats membres par l'intermédiaire du Comité des fonds agricoles.

* 11 Aux termes du règlement n° 1258/1999 du Conseil du 17 mai 1999 relatif au financement de la politique agricole commune..

* 12 Un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes étaie ce procédé en disposant que, dans l'hypothèse où il se révèlerait impossible d'établir avec certitude la mesure dans laquelle une décision nationale incompatible avec le droit communautaire a provoqué une augmentation des dépenses figurant sur un poste budgétaire du FEOGA, la Commission n'a d'autre choix que de refuser le financement de la totalité des dépenses en question (Arrêt du 4 juillet 1996, Grèce c/ Commission, C-50/94).

* 13 Toutefois, rien n'interdit à la Commission d'appliquer un taux de 100 %.

* 14 CJCE, arrêt du 8 janvier 1992, Italie c/ Commission, C-197/90.

* 15 Dont l'activité a déjà été sensiblement accrue par l'extension de sa compétence au second pilier « développement rural » de la PAC.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page