II. LES REFUS D'APUREMENT DES DÉPENSES AGRICOLES EN FRANCE

Le cadre procédural de l'apurement des dépenses agricoles étant établi, votre rapporteur spécial s'est intéressé à l'impact concret des refus d'apurement sur nos finances publiques et sur les principaux motifs des corrections financières qui nous sont infligées.

A. LES MONTANTS EN JEU ET LES PRINCIPAUX SECTEURS CONCERNÉS

1. Près de 100 millions d'euros de corrections en moyenne annuelle

a) Une dépense erratique

Les corrections affectant la France avoisinent, de 1996 à 2007, en moyenne 1 % des dépenses agricoles effectuées sur notre territoire. Ce pourcentage à première vue modeste se traduit toutefois par des montants s'élevant, en valeur absolue, à 1.167 millions d'euros . Sur la période 1996-2007, le montant moyen de correction s'élève donc à 97,25 millions d'euros par an . En outre, les réponses aux questionnaires budgétaires pour 2009 faisaient état, en octobre 2008, d'un report de charges prévisible de 181,6 millions d'euros au titre des refus d'apurement.

Le graphique qui précède traduit une grande variabilité des corrections infligées, qui oscillent entre 23,42 millions d'euros en 2007 et 229 millions d'euros en 2000. Cette variabilité est notamment due à la durée et à l'étendue des enquêtes menées par les services de la Commission, ainsi qu'aux dispositifs audités, certains secteurs de la PAC se caractérisant par de fortes récurrences en matière de corrections ( cf. infra ).

Votre rapporteur spécial relève par exemple que, dans la période récente, deux années présentent des montants de corrections sensiblement supérieurs à la moyenne, et résultant de motifs variés :

1) en 2000, les 229 millions d'euros de pénalités ont principalement résulté de défaillances constatées dans les systèmes de contrôle en matière de restitutions à l'exportation, de versement des primes à la vache allaitante ou de cultures arables ;

2) en 2004, 202,38 millions d'euros de pénalités ont été prononcées, à raison de 153,8 millions d'euros pour des contrôles déficients en matière de primes ovines et bovines, de 26,7 millions d'euros pour l'emploi de méthodes inappropriées d'identification des parcelles de cultures arables, de 6,2 millions d'euros pour contrôles insuffisants dans le domaine des stockages publics et de 24,2 millions d'euros dans le secteur de la banane (absence de critères de contrôle et non-respect de la réglementation).

b) Approche comparée

L'évaluation des performances françaises en matière de gestion des aides agricoles communautaires peut être affinée à l'aide de comparaisons avec les autres Etats membres de l'Union.

Selon les statistiques de la Commission européenne établies sur la période 1999-2007 16 ( * ) , la France est le quatrième pays de l'Union le plus affecté par les refus d'apurement pour non-conformité , avec un montant total de corrections financières de 819,82 millions d'euros .

Présentent des montants de corrections plus élevés la Grèce (970,07 millions d'euros), l'Italie (903,81 millions d'euros) et l'Espagne (830,06 millions d'euros).

Les pénalités en valeur absolue peuvent être rapportées au total des aides agricoles pour obtenir les taux de correction pour chaque Etat membre. Ces données n'ayant pas été fournies à votre rapporteur spécial, il s'est efforcé de les reconstituer en rapportant les montants de corrections fournies par la Commission au niveau des aides agricoles perçues par Etat, tel qu'il peut être évalué au moyen du Rapport financier annuel de l'Union européenne . Compte tenu des possibles différences de méthodes de comptabilisation utilisées dans ces deux sources, les résultats figurant au tableau qui suit doivent être considérés comme des ordres de grandeur .

Il en ressort une confirmation du classement relativement médiocre de la France, dont le taux de correction de 0,93 % est singulièrement plus élevé que celui de l'Allemagne (0,25 %). Au cours de l'audition à laquelle elle a procédé, votre commission a tenté d'identifier les raisons d'une telle différence. Bien que les comparaisons internationales soient rendues complexes par l'hétérogénéité des systèmes de production, le caractère fédéral de l'Allemagne, en ce qu'il limiterait l'impact des extrapolations géographiques au seul ressort des Länder , est souvent mis en avant pour expliquer les meilleures performances de ce pays.

Toutefois, selon M. Christian Descheemaeker, président de la 7 ème chambre de la Cour des comptes, « quand on regarde les extrapolations en France, il est fréquent qu'elles se situent au niveau de la région et qu'elles ne se fassent pas à l'échelle nationale. Par conséquent, l'argument du fédéralisme de l'Etat allemand n'est pas forcément décisif. Il y a des arguments qui ont sans doute plus de poids : le nombre d'agriculteurs dans un pays, la diversité des productions agricoles et la taille des exploitations agricoles . Tout ceci rend évidemment plus difficile la situation de la France, où il y a proportionnellement beaucoup d'agriculteurs et beaucoup de petites exploitations, par rapport à la situation de la Grande-Bretagne, où le nombre d'agriculteurs est réduit (...) aucun argument ne paraît toutefois décisif pour dire qu'il est normal que la France fasse quatre fois moins bien que l'Allemagne ».

2. Les principaux secteurs concernés

L'analyse qualitative des refus d'apurement fait apparaître de fortes récurrences sur des secteurs agricoles ou sur des types de mécanismes .

a) L'apurement de conformité

Une des principales causes de refus d'apurement a longtemps tenu à l'insuffisance des contrôles en matière de stockages publics . Au début des années 1990, la Commission européenne a reproché à la France un suivi médiocre des quantités sur site et de la qualité des stocks, ainsi qu'une identification insuffisante des stocks d'intervention et des stocks dédiés au marché libre. Cette cause de refus d'apurement relève toutefois essentiellement du passé , les contrôles ayant été renforcés et le recours aux stocks d'intervention ayant fortement diminué en raison de l'évolution des marchés.

Selon la Cour des comptes, les secteurs ou mécanismes pour lesquels la France est plus particulièrement vulnérable aux refus d'apurement de conformité sont aujourd'hui les fruits et légumes , le développement rural et l'octroi des prêts bonifiés .

Le secteur des fruits et légumes a valu au budget national un total de 269,3 millions d'euros de corrections financières pour non-conformité entre 1997 et 2007 et celui du développement rural a suscité 66,4 millions d'euros de corrections sur la même période. Selon la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), ces secteurs sont ceux pour lesquels la part des contrôles avec suites financières est la plus élevée (plus de 50 % en 2003 et, en 2004, 70 % pour le développement rural et 40 % pour les fruits et légumes). Ce phénomène s'explique en partie, selon le ministère de l'agriculture et de la pêche, par les difficultés que la France a pu éprouver pour s'adapter aux réformes successives de l'organisation commune de marché (OCM) « Fruits et légumes » et aux révisions du Règlement de développement rural 17 ( * ) .

S'agissant plus spécifiquement des prêts bonifiés 18 ( * ) , d'importants problèmes semblent avoir été relevés en matière de fiabilité des factures que les banques adressent au titre des bonifications, de sorte que des audits de certification de ces factures ont dû être lancés. Si ce défaut de fiabilité peut parfois résulter de difficultés techniques, telles que l'absence d'interface entre les systèmes informatiques des banques et de l'administration, le président de la 7 ème chambre de la Cour des comptes estime qu'il « n'y a peut-être pas que cela. Les banques manifestent-elles une bonne volonté totale ? Ça n'est pas garanti. En tout cas, il y a un risque de réfaction sur les factures adressées par les banques. Autrement dit, les banques auraient demandé trop d'argent et ce risque est important, puisqu'il se monterait à 130 millions d'euros - ce qui ne veut pas forcément dire que les refus d'apurement seraient du même montant. Toujours est-il que les prêts bonifiés, à cause des incertitudes sur les montants des prêts et les montants des bonifications, sont considérés d'ores et déjà comme une source de risque important ».

b) L'apurement comptable et les enjeux liés aux créances non recouvrées

L'enquête de la Cour des comptes fait état de quelques « cas topiques » pour cerner les motifs des refus d'apurement comptable. Les carences qui en sont à l'origine peuvent tout d'abord résider dans l'absence de position ministérielle pour dénouer des situations problématiques soulevées par des services déconcentrés ou des opérateurs . En 2006, et en dépit d'un risque de pénalité évalué à 13 millions d'euros, le ministère de l'agriculture et de la pêche a ainsi « évité de répondre » à une demande de l'Office national interprofessionnel des oléagineux, protéagineux et cultures textiles (ONIOL) concernant l'impossibilité, pour un transformateur final, de transformer l'intégralité de ses graines de tournesol dans les délais requis par la réglementation communautaire.

Par ailleurs, il semble qu'une critique fréquemment adressée à l'administration française vise sa tendance à « prendre des libertés » dans l'application de la réglementation communautaire, au point de donner l'impression d'instituer des procédures spécifiquement nationales dont les contours sont dictés par des impératifs locaux . Une analyse réalisée sur un échantillon de 392 dossiers a par exemple révélé que sur 803.611,22 euros de dotations aux jeunes agriculteurs attribuées en 2005, 62.342,03 euros correspondaient à des dossiers ne respectant pas la réglementation ou à des dérogations préfectorales s'apparentant à des cas de force majeure non prévus par les textes. Les irrégularités ont donc concerné près de 9 % des dossiers 19 ( * ) et près de 8 % des crédits de l'échantillon analysé .

Il y a enfin lieu de relever qu'un facteur important d'accroissement des refus d'apurement comptable réside dans la montée en puissance des pénalités pour créances non recouvrées . En effet, conformément à leurs règles et procédures nationales, les Etats membres ont l'obligation de recouvrer auprès des bénéficiaires les montants d'aides attribués de façon irrégulière . Depuis 2006, si l'Etat membre met plus de quatre ans 20 ( * ) à recouvrer ces créances, une pénalité supplémentaire de 50 % de leur montant est mise à sa charge. Deux refus d'apurement comptable représentant un total de plus de 19 millions d'euros ont ainsi été prononcés en 2006 et 2007 au titre des créances non recouvrées par l'Etat français.

Selon l'enquête de la Cour des comptes, les carences en matière de recouvrement de créances semblent particulièrement affecter :

- l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture ( VINIFLHOR ), qui n'a recouvré que 700.000 euros sur les 27,5 millions d'euros de corrections financières prononcées depuis 1997 (soit 2,54 % ) ;

- le Centre national pour l'adaptation des structures des exploitations agricoles ( CNASEA ), dont les montants recouvrés se chiffrent à 30.000 euros pour 11,5 millions d'euros 21 ( * ) de corrections depuis avril 2003 (soit 0,26 % ).

Interrogé sur les raisons de ces faibles taux de recouvrement, M. Michel Cadot, directeur de cabinet de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche, les a imputés à la longueur des procédures à mettre en oeuvre et au caractère « sensible politiquement » de toute décision de récupération, auprès des exploitants, d'une aide définitivement jugée comme indue : « Sur cette question du recouvrement des aides indues (...) le gouvernement a mis en oeuvre récemment une décision dans le domaine de la pêche pour récupérer les aides qui ont fait l'objet d'une décision communautaire définitive. Ce n'est pas facile, il s'agit de récupérer plusieurs dizaines de millions d'euros auprès de pêcheurs qui sont dans des situations économiques dramatiques, pour certains d'entre eux. On a le même problème aujourd'hui dans le domaine de la viticulture, dans certaines régions. Dans le Roussillon et le vignoble charentais par exemple, nous sommes engagés dans ces procédures qui sont extrêmement difficiles, parce qu'il s'agit de faire reverser cinq, six ou dix ans après qu'elles ont été versées, des aides à des agents économiques, qui sont souvent dans des situations économiques très difficiles ». M. Cadot a toutefois indiqué que « le gouvernement actuel a(vait) pris une position claire qui (était) celle d'aller jusqu'aux conséquences des procédures de recouvrement et donc de mettre en oeuvre des procédures de recouvrement d'aides indues, à partir du moment où elles ont été considérées et jugées comme telles ».

* 16 Commission européenne « Fact Sheet - Une gestion avisée du budget agricole », publié par la Direction générale de l'agriculture et du développement rural.

* 17 Règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil du 20 septembre 2005 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

* 18 Il s'agit majoritairement de prêts d'installation pour les jeunes agriculteurs.

* 19 Soit 32 dossiers irréguliers.

* 20 Ou huit ans si une procédure nationale a été engagée contre le bénéficiaire.

* 21 Résultant des divergences d'interprétation entre la France et la Commission sur la réglementation du développement rural.

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