D. M. JEAN-CHARLES BOCQUET, DIRECTEUR GÉNÉRAL, UNION DES INDUSTRIES DE LA PROTECTION DES PLANTES (UIPP)

Monsieur le Président, merci. La matinée a été intéressante et riche à la fois en réflexions juridiques et philosophiques, vécues pour certains. Nous allons terminer - du moins j'espère vous en convaincre - par une intervention assez concrète puisque l'objectif était de faire un bilan après quatre ans d'application du principe de précaution. Pour rester dans les temps, de manière assez pratique, un mot sur l'UIPP : qui sommes-nous, qui représentons-nous et quel est le secteur d'activité où nous opérons ? J'illustrerai l'application du principe de précaution sur deux dossiers, celui des produits phytopharmaceutiques en liaison avec l'apiculture, et celui des OGM, sur lequel je serai plus rapide car il a déjà été évoqué à plusieurs reprises ce matin. J'aurai enfin quelques considérations d'ordre prospectif sur l'application et les conséquences de ce principe pour nous, industriels de la protection des plantes.

Cette industrie est composée de sociétés qui font de la recherche et du développement pour mettre au point des produits phytopharmaceutiques ou des variétés, donc des semences utilisées en agriculture. Ces entreprises investissent beaucoup de leur chiffre d'affaires en recherche et développement, 10 % en moyenne. Une caractéristique essentielle de ce secteur, qu'il s'agisse des produits phytopharmaceutiques (pesticides du grand public) ou des OGM, est que, pour toute innovation en développement, il y a de manière systématique identification des dangers et des caractéristiques que représentent ces innovations, prise en compte ensuite de l'exposition potentielle de cette solution vis-à-vis de l'agriculteur, du consommateur et de l'environnement, évaluation des risques enfin par des experts d'agences spécialisées indépendantes nationales ou européennes. Sur la base de ces études, donc de l'évaluation du risque, un avis est transmis aux autorités chargées de la gestion des risques, en France, le ministère de l'Agriculture, qui prend une décision d'autorisation ou pas de l'innovation dans des conditions d'emploi bien précises qui figurent sur les étiquettes (nous parlions de l'étiquetage tout à l'heure) et qui font qu'un produit autorisé utilisé selon les conditions d'emploi ne présente pas de risque pour la santé ou pour l'environnement. On ne s'arrête pas là : au-delà de l'AMM (autorisation de mise sur le marché), le produit est utilisé à large échelle dans la nature, sur le terrain ; il y a donc un suivi, la bio vigilance, qui permet éventuellement, si l'évaluation n'avait pas mis en évidence un problème particulier, de le prendre en compte a posteriori et prendre des mesures de gestion de risque pour revoir les conditions d'emploi du produit, voire le retirer. C'est déjà un secteur encadré, tant pour les produits phytopharmaceutiques que pour les semences : de manière systématique la balance bénéfice/risque, dont nous avons parlé plusieurs fois, est prise en compte.

Pour le dossier des insecticides, on sait que l'apiculture est en crise en France depuis plus de quinze ans ; j'ai commencé à travailler sur les insecticides il y a vingt ans et il existait déjà des problèmes sur les abeilles. Il y a eu accélération avec l'arrivée d'innovations, à l'époque le Régent et le Gaucho, des insecticides utilisés en protection des semences ; à l'époque, le ministre en place, Hervé Gaymard, a décidé fort astucieusement non d'interdire mais de suspendre (c'était là l'application du principe de précaution puisqu'il suspendait dans l'attente de...) ces deux produits compte tenu des informations dont il pouvait disposer, tant au niveau de l'information que, bien entendu, de certaines pressions ou informations sociétales. Nous sommes aujourd'hui en 2009, des études nombreuses, tant en France qu'à l'étranger (les plus récentes au niveau de l'AFSSA) montrent que l'origine du problème de l'apiculture a des causes diverses (on parle donc d'une origine multifactorielle). Il y a les aspects sanitaires du cheptel apicole car l'apiculture est comme une production animale, on élève des ruches pour notre utilité en tant qu'humains consommateurs mais aussi pour l'agriculteur, qui a besoin de la pollinisation pour avoir des graines. On se rend compte que la nourriture disponible pour les abeilles est peut-être aujourd'hui un peu moins fréquente qu'elle ne l'était il y a plusieurs décennies ; on a donc là un problème de biodiversité. On continue aussi de regarder de manière très précise l'effet des très faibles doses des insecticides. Les produits n'ont pas été remis sur le marché mais sont toujours suspendus. Partout dans le monde, dans plus de cent pays, ces deux insecticides sont encore utilisés. L'imidaclopride, matière active du Gaucho, est un des premiers insecticides au niveau mondial, si ce n'est le premier. En France, nous avons toujours des problèmes avec les abeilles. Nous avons donc là une illustration concrète. M. Ewald nous disait que les industriels ont intégré le principe de précaution ; pour l'instant, au moins sur notre secteur et de manière spécifique sur les insecticides liés au traitement de semences par exemple, on le subit encore, même si, dans la recherche, ces démarches précautionneuses sont intégrées dans les screenings . Nous avons de notre côté davantage le sentiment, concrètement, de le subir plus que de l'avoir intégré.

La situation est presque identique sur le dossier des OGM. On sait que c'est un sujet particulièrement médiatique. Je vous rappelle que l'an dernier, en 2008, plus de dix millions d'agriculteurs dans le monde ont utilisé les OGM sur plus de cent cinquante millions d'hectares. Lorsque l'on regarde ce qui s'est passé depuis l'introduction de cette technologie, plus de huit cents millions d'hectares ont été cultivés dans le monde sans problème particulier à ce jour soit au niveau sanitaire (santé humaine), soit au niveau environnemental. L'AFSSA, l'AESA (Agence européenne de sécurité des aliments - EFSA) et de nombreux scientifiques ont validé encore récemment en 2009 le fait que les OGM, en particulier le MON 810 puisqu'il a été cité, ne présentent de risque ni pour la santé ni pour l'environnement (le produit a été évalué). Malgré cela, nous sommes encore dans le moratoire (la communication est importante), donc il s'agit encore du principe de précaution. Mais malgré les faits nouveaux et les confirmations d'innocuité, le produit MON 810 est toujours suspendu et la France essaie de faire en sorte que cette décision s'étende à d'autres pays européens. Concrètement, pour nous, les craintes que nous avions annoncées à l'époque se confirment malheureusement : la France, qui a été pendant très longtemps pionnière en matière de recherche et de développement dans le domaine des biotechnologies, comme l'a rappelé tout à l'heure notre collègue de l'INRA, voit aujourd'hui toutes les capacités et les projets s'effondrer : les chercheurs partent à l'étranger pour continuer de travailler sur cette technologie. Les agriculteurs français sont privés de cette technologie alors que leurs collègues d'Europe ou d'autres régions du monde bénéficient de ces technologies. La « ferme France » perd de manière assez rapide sur certaines productions ses capacités de compétitivité par rapport aux concurrents alors que les besoins d'une alimentation de plus en plus saine et régulière sont croissants dans le monde, comme nous le voyons régulièrement. Nous pourrions donc jouer un rôle certain sur cet aspect-là. Certains bio-agresseurs, comme la chrysomèle du maïs, qui est actuellement un problème majeur maintenant présent en Bourgogne, en Alsace, et un peu partout en France, va potentiellement condamner la culture du maïs si l'on reste sur des attitudes de non prise en compte soit des technologies phytopharmaceutiques pesticides, soit des OGM, alors que ces technologies sont disponibles aux États-Unis par exemple. Il y a quelques années, le maïs avait un rendement moyen de huit tonnes en France, de sept tonnes aux États-Unis ; aujourd'hui, il est de neuf tonnes aux États-Unis et en France ; les projections de nos équipes de recherche donnent quinze tonnes pour les États-Unis et neuf pour la France si les technologies ne sont pas prises en compte. Concrètement, nous sommes en train de perdre notre technologie.

J'ai l'air assez négatif sur le principe de précaution. Comme nous l'avons vu ce matin, je pense qu'il faut l'intégrer puisque la société civile le souhaite. Nous devons continuer à expliquer ce que sont nos produits, comment ils sont évalués, comment ils doivent être utilisés. Pascale Briand a abordé un point extrêmement important tout à l'heure : dans la gouvernance, il faut bien distinguer la technique et l'expertise, qui doivent rester du domaine de l'expert, de l'expression de la société civile, que l'on ne doit pas ignorer, bien entendu. On a parlé d'interface ; je crois qu'il faut trouver les dispositifs qui permettront, à partir de données scientifiques irréfutables, non un consensus mou mais une compréhension mutuelle de la société et des secteurs d'activités industrielles pour avancer ensemble.

M. Claude BIRRAUX

Merci, M. Bocquet. Avant de passer la parole au premier vice-président, le sénateur Jean-Claude Etienne, pour tirer les conclusions de notre matinée, je voudrais juste vous dire qu'en tant qu'animateur de cette audition, j'ai passé un très bon moment avec vous : je veux donc remercier tous les intervenants pour avoir animé cette matinée de discussion.

Je dirai juste en deux mots que ma théorie des interfaces a encore de beaux jours devant elle. Je ne suis pas un grand légiste, loin de là, mais j'ai compris que le droit français était plutôt couperet et que le droit britannique est en perspective ; cela change radicalement notre appréhension : il faut répondre par oui ou par non. En Angleterre, on gradue le « peut-être », « peut-être plus », « peut-être moins », et l'on apprécie à ce moment-là une plus grande marge d'appréciation. Il faut trouver les voies et moyens pour faire converger légistes et scientifiques. La recherche, toujours la recherche pour le progrès des connaissances. Il faut partager les connaissances ; il fut un temps où le pouvoir était celui qui avait les connaissances et gardait l'information pour lui. Aujourd'hui, le pouvoir est celui qui peut partager l'information et les connaissances : ainsi, on arrivera à mieux faire coïncider et à ranger ces interfaces.

Jean-Claude Etienne, pour le mot de conclusion.

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