B. LA NÉCESSITÉ D'ALLER PLUS LOIN

Ces avancées ne sont cependant pas suffisantes et en appellent d'autres plus ambitieuses.

1. Renforcer les moyens humains d'Eurostat

Il est tout d'abord nécessaire de renforcer les moyens d'Eurostat, en particulier en matière d'effectifs.

A la fin de 2009, l'effectif total d'Eurostat se situait autour de 835 personnes. Les activités statistiques liées à la procédure sur les déficits excessifs relèvent de l'une de ses sept directions 41 ( * ) , la direction « C. - Comptes nationaux et européens ». Selon les indications fournies par la Commission européenne en avril 2010, le nombre de personnes (en équivalents temps plein ) alors affectées à ces travaux statistiques pouvait être estimé à 18.

Dans la « fiche financière législative » annexée à la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n°479/2009 (devenue depuis le règlement (UE) précité n° 679/2010 du Conseil du 26 juillet 2010), la Commission européenne estime à 20 le « nombre de postes » devant être affectées à cette action.

Certes, on a vu que le règlement (UE) n° 679/2010 précité prévoit que « les États membres sont censés fournir, à la demande de la Commission (Eurostat), et à titre facultatif, l'assistance d'experts en comptabilité nationale, notamment pour la préparation et la réalisation des visites méthodologiques ». Il n'en demeure pas moins que l'on voit mal comment Eurostat pourrait remplir ses nouvelles missions sans une augmentation significative de ses effectifs.

Par ailleurs, on peut trouver étonnant que, sur des effectifs de plus de 800 personnes, moins d'une vingtaine se consacrent à la mission la plus sensible et lourde d'enjeux d'Eurostat.

2. Prévoir le contrôle d'Eurostat, en particulier dans le domaine des finances publiques, par un « comité des sages »
a) Une proposition faite par la commission des finances dès 2005

Comme le soulignait votre commission des finances, dans le rapport de 2005 de son rapporteur général sur le pacte de stabilité 42 ( * ) , « la pleine transparence de ces statistiques est importante non seulement pour le bon fonctionnement du pacte de stabilité, mais aussi pour celui des marchés financiers, qui doivent pouvoir convenablement évaluer la solvabilité des différents Etats membres, afin de signaler les erreurs de stratégie ».

La proposition formulée en 2005 par votre commission des finances

« Votre rapporteur général estime en revanche qu'il serait souhaitable de renforcer la légitimité d'Eurostat par la mise en place d'un « comité des sages ».

« Actuellement, la coopération en matière de statistiques, en particulier en ce qui concerne la définition des concepts, est assurée par un comité représentant, notamment, les organismes statistiques nationaux : le « comité des statistiques monétaires, financières et de la balance des paiements », qui réunit, outre Eurostat et la Banque centrale européenne, les banques centrales des Etats membres, les instituts nationaux de statistique et la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne.

« Votre rapporteur général propose de mettre en place un véritable « comité des sages », moins suspect de dépendance vis-à-vis des intérêts nationaux et des habitudes administratives. Cette instance de régulation devrait être constituée de personnes incontestables de par leur expérience professionnelle et leur réputation dans des milieux académiques, désignées par le président du Conseil, celui de la Cour de Justice et celui de la Commission européenne.

« Ce comité pourrait en outre vérifier l'homogénéité des nomenclatures et règles budgétaires.

« Lors de son déplacement à Bruxelles des 24 et 25 janvier 2005, il a pu constater que cette proposition suscitait des réactions plutôt favorables, notamment de la part des services de la présidence de la Commission européenne. »

Source : Philippe Marini, rapport n° 277 (2004-2005), 31 mars 2005

b) Une exigence qui n'est que partiellement satisfaite par la création du CCEGS en 2008

Cette préconisation de la commission des finances est désormais en partie satisfaite, par la mise en place du conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique (CCEGS) (décision n°235/2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008).

Comme cela a été indiqué plus haut, le CCEGS n'est pas une enceinte où sont représentés les instituts statistiques nationaux, mais une structure resserrée, comprenant seulement sept membres, ayant une légitimité politique puisqu'ils sont nommés par le Conseil et le Parlement européen 43 ( * ) .

Ses pouvoirs se limitent cependant à évaluer la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques et de conseiller la Commission à ce sujet.

Ainsi, comme notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, le souligne dans le rapport 44 ( * ) de la commission des finances sur la deuxième loi de finances rectificative pour 2010, le CCEGS est un « comité des sages » « a minima ».

c) Une solution institutionnelle : étendre les compétences du CCEGS aux questions ponctuelles de finances publiques, qui relèvent actuellement de celles du CMFB ?

Dans son rapport 45 ( * ) précité sur la deuxième loi de finances rectificative pour 2010, notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, écrit que « la crise de confiance en la monnaie unique provoquée par les dissimulations de la Grèce et l'incapacité d'Eurostat à les déceler montre qu'il serait nécessaire (...) d'ériger Eurostat en autorité (...) dirigée par un collège désigné conjointement par le Président du Conseil européen, le Président de la Commission et le Président du Parlement européen ».

Une telle proposition demeure bien entendu d'actualité.

Cependant, dans un souci de simplicité, une solution peut-être plus aisée à mettre en oeuvre consisterait à étendre les pouvoirs du CCEGS, et à la substituer, partiellement ou totalement, au CMFB.

Il est paradoxal que le CCEGS ne soit pas compétent pour se prononcer sur les questions ponctuelles de finances publiques , en particulier dans le cadre de la mise en oeuvre du pacte de stabilité. En effet, comme on l'a indiqué plus haut, cette compétence est toujours attribuée au comité des statistiques monétaires, financières et de balance des paiements (CMFB), institué par la décision 91/115/CEE, et où les États membres, la Commission et la BCE disposent chacun d'une voix.

Il n'est pas absurde que le comité consultatif compétent en matière de finances publiques (le CMFB) soit essentiellement constitué de représentants des instituts statistiques nationaux. Cependant, dès lors que l'on a créé un « comité des sages » (le CCEGS), il serait naturel d'étendre ses compétences à un domaine aussi crucial.

Tel est ce que semble suggérer le CCEGS dans son premier rapport annuel au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques, bien qu'il ne soit pas explicite sur ce point 46 ( * ) .

3. Eriger Eurostat en instance indépendante de la Commission

Comme notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, le souligne dans son rapport 47 ( * ) précité, « la crise de confiance en la monnaie unique provoquée par les dissimulations de la Grèce et l'incapacité d'Eurostat à les déceler montre qu'il serait nécessaire d'aller plus loin et, cette fois, d'ériger Eurostat en autorité indépendante des services de la Commission (...) ».

Certes, selon votre rapporteur, le plus important n'est pas qu'Eurostat soit organiquement indépendant, mais que son action soit véritablement contrôlée par un « comité des sages », comme proposé plus haut. Tel est ce qui se passe en France, où en application de l'article 144 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, une autorité administrative indépendante, l'Autorité de la statistique publique, « veille au respect du principe d'indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ainsi que des principes d'objectivité, d'impartialité, de pertinence et de qualité des données produites ».

En poussant à l'extrême cette analyse, on pourrait considérer qu'il ne serait pas nécessaire de rendre Eurostat organiquement indépendant de la Commission européenne. Tel est notamment le point de vue exprimé par Benoît Coeuré, lors de son audition par la commission des finances le 31 mars 2010 48 ( * ) .

Cependant, les décisions d'Eurostat ne doivent pas seulement être techniquement pertinentes. Elles doivent aussi être perçues comme légitimes par les marchés, les agents économiques et l'opinion publique. C'est de ce point de vue qu'ériger Eurostat en entité organiquement indépendante de la Commission paraît nécessaire.


* 41 Les sept directions d'Eurostat sont les suivantes : Direction A - Coopération au sein du Système Statistique Européen ; Ressources ; Direction B - Qualité, méthodologie et systèmes d'information ; Direction C - Comptes nationaux et européens ; Direction D - Coopération extérieure, communication et indicateurs clés ; Direction E - Statistiques régionales et sectorielles ; Direction F - Statistiques sociales et société de l'information ; Direction G - Statistiques des entreprises.

* 42 Philippe Marini, rapport n° 277 (2004-2005), 31 mars 2005.

* 43 Après consultation de la Commission, le Conseil choisit le président du conseil consultatif et le Parlement européen approuve sa désignation. Après consultation de la Commission, le Parlement européen et le Conseil nomment chacun trois membres du conseil consultatif.

* 44 Rapport n° 428 (2009-2010).

* 45 Rapport n° 428 (2009-2010).

* 46 Dans son premier rapport annuel au Parlement européen et au Conseil sur la mise en oeuvre du code de bonnes pratiques, le CCEGS estime que « compte tenu de la nouvelle structure de gouvernance, il conviendrait de revoir le rôle du CMFB ». Il n'est pas explicite sur ce point, se contentant d'écrire : « L'une des tâches du comité est de rendre des avis sur des aspects méthodologiques liés à la procédure concernant les déficits excessifs (PDE). Eurostat prendra une décision après consultation du CMFB sur les cas complexes ou les cas d'intérêt général du point de vue de la Commission ou de l'État membre concerné. Avec la restructuration de la gouvernance globale du SSE au cours des dernières années, l'ESGAB [sigle anglophone du CCEGS] pense que le rôle du CMFB devrait être revu. »

* 47 Rapport n° 428 (2009-2010).

* 48 « M. Jean ARTHUIS, président. - Quelle est l'indépendance d'Eurostat par rapport à la Commission ? M. Benoît COEURÉ. - Je ne pense pas que le problème principal soit celui de l'organisation administrative. L'important est l'indépendance d'Eurostat dans ses décisions et dans sa gouvernance. Ensuite, que les fonctionnaires d'Eurostat soient payés par la Commission ou sur un budget propre ne me paraît à pas être le plus important. Il faut des garanties en matière de gouvernance statistique. (...). Dans le cas français, l'Insee est une direction du ministère des Finances, mais l'autorité de la statistique est une autorité administrative indépendante qui vérifie l'intégrité de ce que fait l'Insee. Cela me paraît être un bon système et on pourrait le transposer au niveau européen. Je ne pense pas que l'on ait nécessairement besoin de faire d'Eurostat une agence. »

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