COMPTE-RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION (31 MARS 2010)

I. AUDITION DE JEAN-PHILIPPE COTIS, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSEE ET DE PAUL CHAMPSAUR, PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DE LA STATISTIQUE PUBLIQUE

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Bienvenue au Sénat ce 31 mars 2010 pour une série d'auditions sur le thème de la dette publique dans les comptabilités nationales.

Cette initiative vient du constat que nous éprouvons quelques difficultés, au plan européen, à obtenir une image fidèle de la situation des finances des Etats membres, comme si l'Europe était une sorte de maison de tolérance. Le cas grec est naturellement au coeur des débats et j'ai donc pensé qu'il serait intéressant d'entendre les plus éminentes personnalités.

Nous commençons par l'audition de deux personnes qui incarnent l'autorité statistique. Après avoir été directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, M. Champsaur est président de l'Autorité de la statistique publique depuis mars 2009.

Nous accueillons également M. Jean-Philippe Cotis, directeur de la prévision de 1997 à 2002 et ancien chef du département des affaires économiques et économiste en chef de l'OCDE, qui était d'ailleurs venu à ce titre à la commission des finances. Je le remercie d'avoir accepté notre invitation en tant que directeur général de l'Insee.

Peut-être pourriez-vous, Monsieur le directeur général, nous faire part de votre appréciation de la situation des finances publiques, de la dette publique et d'Eurostat ? Quelle opinion avez-vous sur l'autorité d'Eurostat ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Eurostat est la clé de voûte du système européen. Elle est une institution qui réunit tous les statisticiens d'Europe et elle incarne la gouvernance statistique européenne. Elle impulse énormément d'améliorations en faveur d'une régulation du système statistique européen, et son rôle est très important. Eurostat a également une fonction de régulation du système et notamment de contrôle, par exemple, du côté des comptes nationaux, de notifications de déficit public. C'est Eurostat qui juge in fine de la sincérité et de l'exactitude des comptes pour l'ensemble des pays européens. C'est évidemment un rôle extrêmement important. Eurostat est également appelé, en pratique, à intervenir en urgence lorsqu'il y a des crises, le dernier exemple en date étant bien évidemment celui de la crise grecque. Eurostat est très impliqué dans l'audit en cours et les solutions que l'on peut apporter au problème grec puisque c'est tout de même la deuxième fois, en quelques années, que le système est complètement défaillant. Il faudra donc prendre, sans doute, des mesures encore plus drastiques que lors de l'épisode précédent. Il y a visiblement eu une rechute.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Comment cela se passe-t-il ? Peut-on dire que les différents Etats membres ont des pratiques homogènes ou que chacun fait sa soupe dans son coin, à sa convenance, pour essayer de tricher à la marge ? Y a-t-il des directives, un cadre général auquel chacun se soumet ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il y a des directives et un cadre général auquel chacun, en théorie, se soumet. C'est le cas également dans la pratique, sauf à quelques exceptions infiniment regrettables. C'est en fait toujours les mêmes, à savoir deux fois la Grèce.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Comment cela s'est-il passé pour la Grèce en 2004 ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - En 2004, on pensait avoir un peu rétabli les choses et avoir recréé les conditions d'une gouvernance statistique convenable, et ce n'est finalement pas le cas. La difficulté est qu'il y a deux systèmes qui se juxtaposent quand on parle de notification de finances publiques, avec d'abord le système autochtone de comptabilité publique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Qu'entend-on par « statistique publique » ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee. - La statistique publique concerne toute la statistique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Y compris la comptabilité publique ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, c'est justement l'explication que j'étais en train d'esquisser. La statistique publique couvre un champ plus vaste que les finances publiques, comme les recensements, les statistiques de l'emploi, etc. Elle capte l'ensemble des informations économiques et sociales, du moins l'essaye-t-elle.

Pour en revenir au cas particulier des finances publiques, il y a deux systèmes d'information juxtaposés dans un pays. Il y a d'une part la comptabilité publique, qui est un système autochtone pas forcément comparable aux comptabilités publiques des pays voisins. C'est quelque part un système de gestion des finances publiques et il produit, bien sûr, des résultats et des chiffres. D'un autre côté, il y a la comptabilité nationale qui est, elle, un langage universel permettant de comparer les finances publiques de différents pays. C'est en effet un langage économique et universel, alors que les comptabilités publiques. - celles que l'on utilise en gestion dans les différents pays pour gérer au quotidien les finances publiques. - ne sont pas comparables. Il y a beaucoup d'idiosyncrasies, et ce sont donc des instruments de gestion commodes mais qui ne permettent pas de gérer un système comme l'Union européenne où l'on a besoin de comparer les déficits publics de manière générale. L'ONU a ainsi un système, dans lequel l'Europe s'emboîte d'ailleurs, où l'on a ce langage de comptabilité nationale, un langage universel qui permet de faire les bonnes comparaisons internationales le plus largement possible. La crise grecque est d'abord une crise institutionnelle des systèmes de comptabilité publique, qui n'étaient pas sincères et fiables. Ensuite, les comptes nationaux sont élaborés sur la base de données brutes de comptabilité publique ; si la gouvernance n'est pas bonne, le comptable national peut évidemment évoquer ces sujets et demander aux autorités de son pays de faire mieux. Eurostat peut également le faire.

On voit bien qu'il y a deux systèmes, deux langages : celui de la comptabilité publique et celui des comptes nationaux. Ce dernier est un langage universel mais il dépend quand même de la qualité de base des informations. Dans le cas de la Grèce, le système de comptabilité publique était lui-même gravement défaillant, c'est-à-dire que les statistiques budgétaires n'étaient pas fiables.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Le système européen est fondé sur un pacte de confiance et une règle de copropriété de l'euro, avec des principes relativement clairs. Sachant que la comptabilité publique grecque était défaillante, comment avez-vous vécu, en tant qu'autorité statistique, ces circonstances ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - On les a vécues comme une surprise assez désagréable parce que l'on pensait qu'à la suite de la crise précédente, les autorités grecques auraient fait davantage que ce qu'elles ont fait ou qu'elles auraient fait ce qu'elles avaient dit qu'elles feraient. Or elles ne l'ont pas fait. C'est une déception mais, pour le coup, c'est une crise gouvernementale dont on connaît l'ampleur et là, Eurostat joue pleinement son rôle. Eurostat s'est longuement rendu en Grèce, a réalisé un audit, et un plan de redressement va maintenant être mis en oeuvre avec, je crois, une tutelle très étroite sur les autorités grecques pour vérifier que tous les mécanismes sont cette fois-ci bien mis en place.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Le principe d'Eurostat est bien de faire confiance aux statistiques données par chaque pays ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, pas de faire confiance.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Chacun est souverain chez soi ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Eurostat doit s'assurer qu'elles méritent la confiance.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Chacun autocertifie de sa sincérité ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Ce n'est pas une autocertification. Eurostat rend visite systématiquement à tous les Etats membres. Elle a des conversations approfondies avec les autorités statistiques nationales, pose beaucoup de questions, redresse éventuellement les écritures. Eurostat joue donc un rôle actif dans ce domaine. Maintenant, si vous avez des mécanismes un peu systématiquement organisés, au niveau notamment de la comptabilité publique, pour masquer la vérité à un niveau institutionnel plus ou moins profond dans tel ou tel pays, il est évidemment difficile pour le comptable national de se substituer aux autorités budgétaires ou fiscales. Il y a quand même en général l'idée que les mécanismes institutionnels fonctionnent, c'est-à-dire que la crise grecque n'est pas une crise de la comptabilité nationale mais une crise des finances publiques. Il y a du reporting de finances publiques. Après, la comptabilité nationale arrive au-dessus et il est clair que si l'appareil budgétaire et le Parlement ne fonctionnent pas et si l'ensemble des finances publiques au niveau de la comptabilité publique d'un pays est erroné, la communauté internationale peut éventuellement considérer que ce n'est pas fiable et le dire, mais le comptable national est quand même tributaire de la qualité des institutions budgétaires sous-jacentes.

M. Jean-Jacques JEGOU. - Je voudrais avoir quelques précisions. Est-ce à dire que l'on ne peut pas, dans les conditions que vous avez décrites, s'apercevoir du dysfonctionnement ou de la chronique d'un dépôt de bilan annoncé tel qu'on l'a connu deux fois avec la Grèce ? Avant que le clash n'arrive, Eurostat n'est-il pas en mesure de dire qu'il va se passer quelque chose ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Si l'autorité statistique locale n'a pas les pouvoirs qu'elle devrait avoir de fait, cela peut être un peu compliqué de se rendre compte d'un certain nombre de fraudes. Dans l'audit qui est mené, la solution retenue est également la réforme du système de comptabilité publique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous connaissez tous les systèmes des membres du groupe euro. Doit-on comprendre que chacun a sa comptabilité publique propre ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Tout à fait.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est tout de même stupéfiant.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est l'archipel et le produit d'une histoire compliquée pour chaque pays, et notamment des rapports entre l'exécutif et le Parlement parce que celui-ci est la première institution ayant intérêt à la transparence et à une comptabilité publique correcte. Cela reflète donc l'histoire du pays et des relations entre l'exécutif et le Parlement. C'est fondamental. Cette histoire n'était, du reste, pas très glorieuse.

M. Yann GAILLARD . - Elle ne pourrait pas l'être dans d'autres pays ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est un petit peu compliqué. Il faut bien comprendre que la comptabilité, qu'elle soit publique, privée et, au-dessus, nationale, n'est pas une science parfaitement exacte. Il y a des éléments de jugement. On le sait bien et c'est donc une question de degré. Si les choses sont à peu près correctes, vous avez une image dès lors à peu près fidèle de la situation.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Si le Parlement, les autorités comptables budgétaires, l'ensemble de la construction institutionnelle est dysfonctionnel et non sincère, cela peut être compliqué pour le comptable national. Il traduit cela en langage universel et essaie d'exercer un contrôle. Les comptables nationaux grecs n'avaient pas en réalité des conditions de fonctionnement qu'on trouve d'ordinaire dans les pays de l'Union européenne.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Pour être tout à fait honnête, il y a des différences d'un pays à l'autre. On ne sait pas toujours très bien ce qui se passe, nous en France, dans d'autres pays.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Avez-vous une notation à donner aux différents pays ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Je peux vous donner une idée du genre de problèmes qui peuvent exister. D'une façon générale, les comptes de l'Etat central sont relativement bien tenus mais il y a d'autres parties de l'administration publique dans lesquelles les choses sont plus compliquées. En France, ce sont les collectivités territoriales, et vous savez très bien que les comptes d'une commune peuvent être contestés. C'est le cas également en Allemagne avec les comptes des Länder. Le problème du traitement comptable des relations compliquées entre l'Etat et des entreprises se retrouve à plein, par exemple, au niveau des Länder en Allemagne.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Pourquoi ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Les Länder interviennent beaucoup sur le plan économique et ils ont des participations importantes dans les entreprises, qui sont cotées. Les relations entre les comptes des Länder et ces entreprises impliquent des traitements comptables qui ne vont pas de soi.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous voulez dire qu'il y a dans leur patrimoine des éléments qui relèvent de l'économie marchande et de la sphère privée?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, et si le sort d'une entreprise dans tel ou tel Land est jugé comme important, ceux-ci peuvent être amenés à apporter des garanties qui se retournent contre eux, etc. C'est arrivé il n'y a pas très longtemps et vous avez entendu parler des déboires de certains Länder, parmi les plus importants. Cela fait partie du paysage institutionnel et ce n'est pas quelque chose, par exemple à l'Insee, que l'on connaît très bien au niveau d'un pays. Je vais prendre un autre exemple, celui de l'Espagne. Le poids de l'Etat central y est beaucoup plus faible qu'en France et les provinces ont beaucoup plus de poids. C'est d'ailleurs l'un de leurs problèmes en matière de finances publiques. A l'Insee, on ne sait pas grand-chose sur la fiabilité des comptes des finances publiques des provinces.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Ceci dit, la statistique espagnole ne donne pas de signes d'insincérité et les choses s'y passent raisonnablement. La difficulté en Grèce. - et c'est là où la communauté statistique européenne a sans doute des choses à se reprocher. - vient du fait que la statistique était inféodée au Trésor, presque « organiquement », et cette consanguinité a posé problème.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous voulez dire que le Trésor grec peut faire pression sur Eurostat ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non, la statistique grecque obéissait aux ordres du Trésor.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Alors que la statistique est réputée indépendante, et c'est là que le problème s'est noué. Suite à la visite d'Eurostat. - qui est resté assez longtemps à Athènes pour faire un audit complet. -, la séparation entre le Trésor et la statistique et la constitution d'une statistique indépendante ont été la première chose imposée à la Grèce. Elle est d'ailleurs un peu sous tutelle de la communauté internationale, c'est-à-dire qu'on va monter un appareil statistique indépendant avec des experts étrangers qui vont vérifier que la consanguinité initiale ne se reproduit pas. La Grèce est quand même un cas extrêmement atypique en termes institutionnels et on a laissé. - et sans doute de manière fautive, dans un pays quelque peu marginal dans le système. - la crise de reproduire. Mais il y a cette fois-ci une réingénierie institutionnelle. On change toutes les structures pour les aligner sur celles des grands pays européens (enquêtes, statistiques publiques).

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Il y a une histoire et une tradition de transparence comptable dans les relations avec l'exécutif qui nous vient des pays anglo-saxons.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Dans les critères d'admission à la zone euro, un Etat qui ne respecte pas l'indépendance de l'autorité statistique ne devrait pas être admis.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, mais vous voyez que c'est plus profond que cela, c'est-à-dire que cela va au-delà, je pense, des exigences institutionnelles. Cela n'est plus seulement de la statistique.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Il s'agit de gouvernance et de règles ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, il s'agit du fonctionnement d'un Etat.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Ce sont des règles de bonne gouvernance publique ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Absolument.

M. Yann GAILLARD . - Eurostat est amené à faire des parutions statistiques et des comparaisons : a-t-il été amené dans un passé récent à reprendre avec confiance les chiffres que lui auraient donnés les Grecs mais sans les vérifier ? On sait maintenant qu'il y avait un problème mais avant qu'il n'ait été découvert, cela avait-il des conséquences sur vos parutions ?

Deuxièmement, compte tenu de cette crise dramatique. - le sort de l'euro est en train de se jouer à la suite de cette affaire. -, les autorités d'Eurostat vont-elles faire une mise au point, une étude ou une déclaration qui racontera ce qui s'est passé pour en tirer les leçons ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Eurostat a une responsabilité fonctionnelle et je dirai presque « hiérarchique » dans le système, c'est-à-dire qu'Eurostat certifie les comptes de tous les pays membres. Il s'agit donc d'une déconvenue considérable.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Qui est garant de la sincérité des comptes publics des différents Etats ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - La statistique nationale indépendante et...

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est donc l'institut grec de la statistique.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - J'ai quitté l'Insee en 2002 et je ne vous surprendrai pas en vous disant que je n'avais pas de très bonnes relations avec mon collègue grec. Je ne savais pas très bien ce qui se passait et je n'avais pas de très bonnes relations avec lui, alors que je n'avais aucune difficulté pour avoir des conversations assez directes avec des collègues d'autres pays.

M. Yann GAILLARD . - Vous l'avez dit à ce moment-là ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Tout le monde le savait, mais Eurostat n'avait pas les moyens à l'époque.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Eurostat certifie donc les comptes ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il y avait quand même une réserve extrêmement forte, et M. Champsaur vient d'en faire part.

M. Paul CHAMPSAUR . - On n'était pas consulté, à l'époque, et on n'avait pas les moyens. L'ambiance n'était pas bonne et satisfaisante. Il y avait des bruits, vaguement, mais je n'arrivais pas à avoir un contact clair avec mon homologue grec. On était sur des planètes différentes, et j'étais donc absolument incapable de substantifier quoi que ce soit.

M . Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous en avez averti les autorités politiques françaises ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - On ne se souciait pas trop des autorités politiques françaises à l'époque. En fait, on ne se préoccupait pas des Grecs, à l'époque.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Les membres de l'Union n'ont-ils jamais eu à l'esprit qu'il pouvait arriver quelque chose, en Grèce ou dans d'autres pays ? Avant, quand un Etat gérait mal ou mentait sur sa situation, il plongeait tout seul, mais maintenant, dans le cadre de l'euro, il entraîne quand même les autres. On en voit bien aujourd'hui les conséquences et on a été obligés de faire appel au FMI pour essayer de s'en sortir.

M. François REBSAMEN . - Quand l'euro s'est constitué, il n'y a pas eu en amont une vérification méthodologique de la comptabilité publique de chaque pays ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - A ma connaissance, cela n'a pas eu lieu. J'insiste néanmoins sur le fait que ce n'est pas seulement une question méthodologique mais qu'il s'agit aussi du fonctionnement des institutions. Il faut aller regarder les relations avec l'exécutif, dans quelle position le budget est voté, s'il y a une Cour des comptes digne de ce nom, etc.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Vous confirmez qu'on ne le fait pas ? Vous vous satisfaisiez de ce que racontent les gens ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Très honnêtement, les institutions budgétaires et statistiques de l'Union européenne sont en moyenne très satisfaisantes. Il y a une idiosyncrasie grecque, avec une première crise puis une deuxième. Le fond du problème est que les finances publiques et la comptabilité budgétaire n'étaient pas, dans leur ensemble, sincères et elles ne l'étaient pas à l'échelle du gouvernement.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - J'ai souvenir de la soulte France Télécom et je l'ai vécu comme un vrai déchirement. La relation franco-allemande avait connu une grave crise. Le directeur du Trésor était allé voir Eurostat et il y avait eu une discussion, le Trésor étant toujours tenté de faire avaler des choses.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est normal et c'est institutionnel. Le souvenir que j'ai de cette époque était que nous avions avec Eurostat la préoccupation que cela se passe bien dans les grands pays. Il y a donc eu une surveillance appuyée sur des institutions nationales de bonne qualité. Le système a veillé à ce que telle ou telle opération soit traitée correctement en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en France. Chaque pays a eu ses tentations, mais le système a fonctionné. Je me rappelle très bien que les Italiens, dans les couloirs, nous racontaient ce qui se mijotait, etc. Eurostat était donc bien au courant.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Je me souviens de l'impôt remboursable.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Si je vous faisais la liste...

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - La créativité comptable n'a pas de bornes.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Pour comprendre la créativité comptable en matière de finances publiques, il faut partir de la créativité comptable dans le secteur privé, parce que les principes y sont les mêmes. Il y a deux grands principes : l'un est de changer le périmètre et de mettre hors bilan des choses qui devraient normalement y être.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Il va falloir commencer à s'occuper du hors-bilan.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Vous avez certainement entendu parler d'un certain nombre de scandales comptables dans les entreprises privées, et vous savez que le hors-bilan joue un grand rôle.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Les engagements hors-bilan de l'Etat sont quand même faramineux.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publiqu e. - Exactement, et il y a donc un problème de périmètre.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Dans le partenariat public/privé, par exemple ; c'est du hors-bilan.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Disons qu'il y a un problème de périmètre du secteur public et cela doit être harmonisé, et ça l'est. Au début, les divers pays avaient des pratiques différentes, et pas forcément avec de mauvaises intentions, mais cela a été harmonisé.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Ils ont été harmonisés par une moyenne statistique ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non, ils ont été harmonisés au niveau des méthodes, c'est-à-dire qu'il a été dit à certains pays qu'ils ne pouvaient pas envisager de faire les opérations de telle ou telle manière. Des corrections ont donc été faites par les comptables des divers pays suite à des réunions avec Eurostat sur la manière de conduire les opérations. La soulte se situe dans ce cadre-là.

L'autre grande chose est la répartition.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Vous ne pensez pas qu'à la faveur de la crise financière et de la crise économique actuelle, on a plutôt harmonisé par le bas dans certains pays, par des accommodements ? Vous ne pensez pas qu'il y a eu des accommodements ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, je trouve qu'on est globalement plutôt en progrès.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, mais il est vrai que, au départ, on a fait attention aux grands pays, c'est-à-dire que nous nous sommes beaucoup surveillés avec les Allemands, tout le monde surveillait les Italiens, et personne n'a vraiment regardé la Grèce. Je parle du début des années 2000.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Le comptable national va vérifier l'activité de l'institut statistique, mais si la comptabilité budgétaire, en dessous, n'est pas sincère, il faut aller profond et c'est compliqué. En général, cela se passe et tout cela est fiable bien mais le cas grec vient d'un problème des institutions, le système des finances lui-même qui ne fonctionnait pas. Après, la comptabilité nationale a reflété ces dysfonctionnements mais n'a pas joué un rôle de correctif et de régulation interne. C'était peut-être trop demander à la comptabilité nationale d'un pays comme la Grèce, d'autant plus que, institutionnellement. - et là, c'était une responsabilité du système statistique européen. -, les statisticiens grecs étaient dans une situation qui ne correspondait pas à la norme de déontologie. Le Trésor était beaucoup trop consanguin vis-à-vis de la statistique. On a donc tiré la conclusion qu'il fallait refaire l'architecture institutionnelle, avec une statistique publique indépendante, la présence d'experts étrangers pour quelques années afin de vérifier in situ que tout se passe bien.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Des regards croisés... A cet égard, le rapporteur général. - il est excusé pour cette réunion car il est en mission à l'étranger. - était au Portugal voici deux semaines. La banque centrale a un regard dans ce pays. Demander aux banques centrales, lorsqu'elles sont indépendantes, qu'elles s'expriment et donnent leur avis sur les comptes publics ne pourrait-il pas être une contribution à la recherche de sincérité ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - En termes d'équilibre institutionnel, c'est un peu compliqué d'avoir une autorité indépendante qui porte un jugement sur un autre compartiment de l'action publique. Ceci dit, les banques centrales contribuent à la comptabilité nationale et à la comptabilité publique puisqu'elles en produisent la partie financière et monétaire. Elles font donc partie du processus.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Est-ce qu'elles expriment formellement leur opinion ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Non, parce que ce n'est pas de leur responsabilité. Par contre, la Commission pour les statistiques monétaires, financières et de balance des paiements ( Committee for Monetary, Financial and Balance of Payments statistics , CMFB) est une instance consultative qui joue un rôle important sur les cas méthodologiques épineux. Elle réunit des experts issus pour moitié des instituts statistiques et pour moitié des statisticiens des banques centrales. Cette commission mixte se penche sur tous les cas de doctrine un peu épineux et elle conseille l'appareil statistique européen sur des aspects de méthodologie. Quand il y a des problèmes épineux, c'est en général déféré pour avis à cette commission où les banquiers centraux représentent donc la moitié des membres. Cette collaboration méthodologique existe donc déjà pour la notification de finances publiques.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quelle est la composition d'Eurostat ? J'imagine que l'Insee désigne des représentants ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - On n'a pas de représentants nationaux.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - C'est une instance purement communautaire ; par contre, il anime des comités statistiques européens.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Elle a des représentants dans ce cas-là, mais Eurostat est une administration européenne et il recrute comme elle l'entend. Il peut très bien recruter des gens venant d'Allemagne, d'Angleterre, de France, etc., mais ce sont alors des fonctionnaires européens. Par contre, dans les comités, il y a des représentants de chaque pays.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il y a donc une activité très intense des comités avec des groupes de travail et c'est un chantier considérable parce qu'on gagne tous, évidemment, à mettre en commun nos ressources. On a, les uns et les autres, des contraintes budgétaires fortes. On est réputé produire des statistiques communes et il y a évidemment de grands investissements méthodologiques à faire aujourd'hui et on se met donc à plusieurs. Eurostat est un peu l'organisateur de ces réseaux dans lesquels cinq ou six pays ayant des ambitions dans un domaine mettent en commun leurs moyens pour bénéficier de l'expertise des autres et pour faire baisser des coûts qui peuvent être très importants. Il y a vraiment une communauté statistique européenne avec des relations de collègue à collègue qui sont importantes, c'est-à-dire que les réputations comptent dans le milieu, et il est vrai que la Grèce était un peu excentrée de ce point de vue-là.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Avec les banques centrales, il y a deux niveaux : le niveau national et le niveau européen. Au niveau européen, que vient de décrire Jean-Philippe, je pense que l'équilibre qui s'est établi est assez satisfaisant. Ensuite, au niveau de chaque pays, il y a des situations extrêmement variées avec des pays où le rôle de la banque centrale est extrêmement important et d'autres ou son rôle est plus faible. C'est d'ailleurs plutôt le cas en France. Cela dépend beaucoup de l'histoire et des moyens que la banque centrale ou l'administration ont mis sur le sujet. Il est donc difficile de porter un jugement de l'extérieur. Pour prendre l'exemple de la Belgique, que je connais bien, elle a eu à un moment du mal à faire sa comptabilité nationale et une grande partie en est faite par la banque centrale de Belgique, qui en a les moyens

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - La banque centrale devient alors l'Insee?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non, ce n'est pas l'Insee parce qu'il n'y a pas que la comptabilité nationale. Disons que le coeur de la comptabilité nationale en Belgique, si ma mémoire est bonne, parce que je ne sais pas ce qu'il en est...

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous décrivez un monde très divers avec des pratiques pas franchement homogènes. Si vous aviez des recommandations à faire pour que l'Europe n'ait plus à connaître de telles situations de crise et de telles déconvenues, quelles seraient-elles ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il faut déjà être très vigilant sur la qualité des institutions. C'est quand même malgré tout un paradoxe qu'on ait laissé les Grecs avec une gouvernance très atypique par rapport à la moyenne européenne, avec un Trésor qui peut quasiment contrôler l'appareil statistique et est lui-même sous contrôle politicien. Les choses se sont très mal emboîtées, mais il est un peu surprenant que cette anomalie-là ait pu perdurer aussi longtemps en dépit d'une crise précédente. Par ailleurs, quand je regarde l'ensemble de l'Union européenne, il me semble que les instituts statistiques et les banques centrales sont aujourd'hui infiniment plus indépendants professionnellement et respectés qu'avant l'euro, par exemple.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Il y avait des traditions nationales.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les plus indépendants sont-ils les statisticiens ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Les statisticiens se vivent en tout cas comme indépendants.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les statisticiens sont vraiment l'indépendance faite homme ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est compliqué parce que cela dépend des institutions. Je vais parler pour l'Insee parce que je n'y suis plus... Elle a des fonds propres, etc., et cela joue un grand rôle.

M. Jean-Jacques JEGOU. - Il y a les banques centrales, quand elles sont indépendantes et surtout quand elles se regroupent ; y a-t-il partout l'équivalent d'une Cour des comptes ? A quoi ressemble la Cour des comptes grecque ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Je ne sais pas s'il y avait une Cour des comptes grecque.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Il y a une Cour des comptes dans tous les grands pays européens ; elle est un élément important.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Avant l'admission au groupe euro, il faudrait quand même se mettre d'accord sur un minimum de principes.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Le point est que la comptabilité publique. - à ne pas confondre avec la comptabilité nationale, qui va au-delà de la comptabilité publique parce qu'elle intègre l'ensemble de l'activité nationale. - doit être de bonne qualité.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - C'est essentiel, parce que si vous avez de mauvaises institutions de finances publiques, vous pourrez mettre tout ce que vous voudrez sur la statistique mais elle n'arrivera pas à redresser les choses.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - Cela suppose l'Etat, la protection sociale et les collectivités territoriales ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, absolument. Quand j'étais directeur général de l'Insee, je me suis intéressé aux comptes de la sécurité sociale. A l'époque, cela se faisait dans des conditions qui n'étaient pas extraordinaires, y compris en termes de moyens. J'ai donc discuté, on m'a confié une mission, et on a créé une sous-direction comptabilité à la direction de la sécurité sociale. Cela s'est traduit par des recrutements.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les comptes de la sécurité sociale étaient un peu comme les manifestations dans les rues de Paris : les comptes selon la sécurité sociale et les comptes selon les syndicats, et cela variait du simple au double.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Les choses se sont beaucoup améliorées mais il y avait besoin qu'elles s'améliorent. Vous voyez bien que l'on n'aurait pas pu rétablir la situation par l'Insee avec une telle base.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Ce sont les systèmes d'information qui sont en cause. C'est aussi le problème de l'Etat : les systèmes d'information sont complètement défaillants.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Je ne dirais pas « complètement ».

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Peut-être pas complètement, mais la multiplication des systèmes fait qu'on a quand même du mal, dans les ministères, à aller voir ce qui se passe. Certains ne savent même plus dans quel lit ils se couchent parce qu'ils ont la LOLF mais ils n'ont pas les systèmes d'information appropriés.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Ce qu'on décrit se passe avant la LOLF.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Le cas grec relève à la fois d'une crise dans la comptabilité publique et d'une crise de la comptabilité nationale.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Vous ne pouvez pas tirer la sonnette d'alarme. Quand la comptabilité publique ne fonctionne pas, la comptabilité nationale et les statisticiens ne peuvent pas vraiment y remédier, mais ils peuvent par contre tirer la sonnette d'alarme. Cela n'a pas eu lieu en Grèce. Quand j'étais directeur général de l'Insee, il m'est arrivé à plusieurs reprises de dire au gouvernement de faire attention parce que cela n'allait pas en matière de comptes sociaux. Avant Maastricht, tout le monde se fichait des comptes publics en comptabilité nationale ; l'Insee faisait sa cuisine.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Avant Maastricht, toute information sincère qui décrivait une situation grave revenait à se tirer une balle dans le pied parce que cela jouait finalement contre le franc. Moins on en disait et mieux c'était. Il y avait espèce de culture de l'opacité, et le premier qui disait que cela n'allait pas jouait contre la monnaie nationale et devenait un ennemi de l'intérieur. C'était un pacte d'opacité.

M. Jean-Jacques JEGOU . - Pour en revenir à la Grèce, tout le monde pouvait voir la situation, y compris le Français moyen qui y allait, regardait et posait quelques questions. Personne ne payait d'impôts, la fraude fiscale était le sport national ; il y avait quand même quelque chose qui allait au-delà de la connaissance des comptes nationaux et qui était l'attitude même de l'ensemble des concitoyens grecs.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est la culture d'un pays ; peut-on y porter atteinte ?

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Je me suis beaucoup occupé d'économie dans une vie antérieure, et la Grèce n'était pas considérée comme un point important. On n'avait pas imaginé une telle crise systémique et il a fallu une crise mondiale et une Europe extraordinairement affaiblie pour qu'un aléa grec joue un rôle de déclencheur.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Voyez-vous autre chose pour nous prémunir ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publiqu e. - La chose fondamentale est que le Parlement soit le garant de la transparence en matière de comptes de tout le secteur public et veille comme à la prunelle de ses yeux à ce que les institutions en charge de ces comptes publics fonctionnent bien et veillent. C'est cela qui est fondamental.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On souhaitait mettre un peu de pression sur l'Insee mais la pression est maintenant sur la commission des finances du Sénat ; c'est l'arroseur arrosé !

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Non. Dans ce genre d'affaires, on est dans le même bateau. Si le Parlement n'y arrive pas, il ne faut pas s'imaginer que le problème sera résolu à l'intérieur de l'administration.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - A la différence de la crise précédente en Grèce, il y a maintenant une réforme des institutions statistiques. Elle se fait un peu sous tutelle internationale, avec des représentants de la statistique internationale qui sont restés dans le système pour piloter cette phase de transition. Celle-ci sera sans doute assez longue. On ne s'est pas arrêté cette fois-ci aux symptômes et on fait la gouvernance : indépendance de l'institut, séparation d'avec le Trésor. Elle est un peu sous tutelle pendant quelques années, mais ce que je dis là n'est pas une expression officielle et publique.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - J'ai mis l'accent sur les institutions nationales, cela voulant dire qu'Eurostat a un rôle à jouer mais qu'on ne peut pas tout attendre de lui. - de lui et des instituts statistiques en général. On ne peut pas attendre d'Eurostat qu'il fasse la statistique nationale d'un pays à sa place. Fondamentalement, il faut suffisamment de gens ayant une influence politique qui souhaitent l'existence d'une statistique correcte et qu'ils soient en situation de tirer la sonnette d'alarme si besoin est. A ce moment-là, Eurostat peut agir, mais on ne va pas recréer à Eurostat une unité par pays chargée de le faire. Cela ne marche pas et ce serait d'un coût faramineux ; c'est irréaliste.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances. - C'est un pacte de confiance et cela suppose que chaque pays adhère à quelques règles de bonne gouvernance publique.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - J'ai souvent rendu visite à mes collègues italiens, allemands, anglais, etc., et on se parlait très directement. Je leur expliquais comment fonctionnait le système français parce qu'ils ne le comprenaient pas bien, et je ne comprenais pas bien le leur. Les relations étaient directes. Vous savez que, à un moment. - et je ne pense pas que cela soit votre cas. -, il y avait des relations qui ne nous plaisaient pas énormément avec certains conseillers qui expliquaient comment arranger les comptes. Un savoir-faire s'est développé en la matière et mes collègues italiens m'expliquaient le type de conseils que leur ministre des Finances avait reçus. On se soutenait donc.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Vous parliez de « tensions internes » ; il peut y avoir des pulsions contradictoires au sein d'un gouvernement.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Bien sûr. Il y a eu en 1993 une crise assez forte et certains chiffres pouvaient gêner. A l'époque, je ne vous cache pas que j'ai eu des pressions pour différer la sortie d'un certain nombre d'entre eux. Je n'ai pas cédé.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Vous étiez bien défendu par le conseiller économique de l'époque.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Tout à fait. Qu'ai-je fait à ce moment-là ? Je suis monté et les plus hautes autorités de l'Etat m'ont soutenu. Le premier ministre a accepté de mettre sous calendrier toute l'information conjoncturelle économique. - ce qu'elle est maintenant. - et on n'en a plus jamais parlé ; c'était terminé. C'est crucial et cela s'est produit dans tous les grands pays, mais pas en Grèce.

M. François REBSAMEN . - Je voulais poser une dernière question sur l'indépendance de la statistique nationale. Peut-on faire pression sur les statisticiens par le biais des politiques publiques menées (suppression de postes, etc.) ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique. - Oui, on peut le faire, mais je n'ai pas dit que cela se faisait.

M. François REBSAMEN . - Moi non plus, je vous pose la question.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On peut faire pression mais le statisticien est déontologiquement invulnérable

M. François REBSAMEN . - Quand on retire à la statistique publique nationale son indépendance parce qu'on lui retire les moyens, de facto... Et c'est peut-être ce qui s'est passé en Grèce.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - C'est ce qu'on appelle « casser le thermomètre » pour faire baisser la fièvre.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee. - On peut aussi faire des gains de productivité.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Monsieur Cotis préfère peut-être que je réponde. La statistique a bénéficié depuis un certain temps d'un environnement très favorable avec les progrès de l'informatique. Il est devenu possible de mobiliser beaucoup plus d'informations à des coûts plus faibles.

M. François REBSAMEN. - C'est évidemment un gain de productivité.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Je peux en vous donner de multiples exemples. C'est assez difficile, ensuite, de faire l'arbitrage, mais il y a objectivement des opérations statistiques qui coûtent beaucoup moins cher aujourd'hui qu'auparavant, parce que tout le monde est informatisé, les mairies y compris.

M. François REBSAMEN . - Et l'information avec Eurostat circule différemment.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On a maintenant une imprégnation en voie d'opération sur l'exigence de sincérité des comptes publics.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Oui, mais encore une fois, il faut bien comprendre que ce n'est pas une science exacte, c'est-à-dire qu'un certain nombre d'opérations donnent normalement lieu à contestation et à des opinions divergentes.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Fin ances. - Il y a par exemple tout ce que l'on devrait provisionner comme charges à venir.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - En comptabilité publique, cela ne se fait pas.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quelle est l'opinion des statisticiens à ce sujet ? Vous pensez que c'est normal puisque la loi le dit ?

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Le problème des provisions. - et c'est le même cas de figure dans le privé. - est qu'elles sont très arbitraires et que dans notre jargon elles relèvent plutôt du domaine des études et des projections que de la statistique constatée. Le souci principal des statisticiens au cours des années passées a été vraiment de s'assurer que les comptes du passé hors provisions. - parce que les provisions concernent le futur. - étaient corrects. Quand on raisonne par exemple sur les retraites, vous voyez bien qu'inscrire des provisions est très problématique parce que cela dépend de votre schéma de référence quant à l'évolution du système.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Quand vous faites des prévisions, et les statisticiens en font.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - On change alors de casquette.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Les statisticiens prennent alors au moins autant de risques que ceux qui font des provisions.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - Il n'y a pas beaucoup de statisticiens qui en font.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - L'Insee est un cas un peu particulier.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Permettez-moi tout de même de vous dire que si on faisait des provisions, en termes de pédagogie en direction des citoyens, et de la pression qu'ils exercent alors sur ceux qui les représentent et conduisent la politique, cela pourrait être, peut-être, plus efficace pour anticiper et accélérer les réformes, tandis que là, on se dit que l'on ne va pas trop inquiéter les gens. Cela fait penser à ces temps du franc que vous évoquiez où l'on ne voulait pas affoler les gens. On est bien sortis de cette époque-là.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique . - Vous avez tout à fait raison et on a les mêmes questions dans le domaine environnemental. Il est vrai que les statisticiens de tous les pays sont extrêmement prudents à l'égard de ce type de sujet et ne veulent pas s'y lancer.

M. Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'Insee . - C'est quand même un sujet qui est d'actualité. Le rapport Stiglitz, destiné aux statisticiens du monde entier, s'est penché sur ces problèmes de l'actif net et de l'actif naturel. Il est vrai qu'il faudrait faire quelque chose mais c'est très difficile, techniquement et scientifiquement, à calibrer, c'est-à-dire que ce rapport Stiglitz qui était animé de grandes ambitions a finalement renoncé à cette idée d'actif net naturel, par exemple. La mesure est trop incertaine et le rapport a plutôt préconisé d'avoir cinq ou six indicateurs physiques. Le problème est que l'on publie aujourd'hui des dizaines d'indicateurs, ce qui revient à ne rien publier. Le rapport Stiglitz propose donc d'en avoir cinq ou six très importants et de les suivre. Mais en termes comptables, la notion d'une épargne nette ajustée de la dépréciation environnementale est quelque chose que les meilleurs esprits n'arrivent pas, pour l'instant, à mettre en oeuvre.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - Je vous remercie. Je voudrais solliciter votre expertise sur une autre préoccupation de la commission. Nous avons eu l'honneur d'accueillir, il y a quelques semaines, M. Pascal Lamy, en sa qualité de directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, et nous sommes convenus d'organiser un colloque, à l'automne, sur les statistiques du commerce extérieur. L'idée est d'appréhender les flux en termes de valeur ajoutée et nous souhaiterions avoir l'expertise des statisticiens et l'autorité de la statistique pour voir si l'on peut avancer dans cette direction.

M. Paul CHAMPSAUR, président de l'Autorité de la statistique publique. - Je crois que c'est un débat qui a commencé en Allemagne. Comme vous le savez, leurs exportations ont été extrêmement dynamiques mais leur contenu en importation est beaucoup plus élevé. Ils ont donc commencé à faire un début de comptabilité du type de celle que vous préconisez. Je ne sais pas s'ils ont été jusque-là.

M. Jean ARTHUIS, président de la commission des Finances . - On vous invitera avec vos collègues allemands mais on a besoin de données plus significatives car l'on risque de s'égarer avec certaines données du commerce extérieur.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page