Audition de M. Philippe FOUCRAS, médecin généraliste,
président du FORMINDEP
(mercredi 7 avril 2010)

M. François Autain, président - Nous poursuivons nos auditions en accueillant aujourd'hui le docteur Philippe Foucras, médecin généraliste, président du FORMINDEP - collectif « pour une formation et une information médicales indépendantes au service des seuls professionnels de santé et des patients ».

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Philippe Foucras prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer votre audition par un bref exposé liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions de monsieur le rapporteur et ensuite à celles des commissaires ici présents.

Je vous demanderai également, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Philippe Foucras - Je n'ai pas de lien d'intérêts avec les entreprises fabriquant ou commercialisant des produits de santé.

M. François Autain, président - Je vous remercie.

Vous avez la parole pour nous présenter votre intervention en vous aidant de cette vidéo-projection.

M. Philippe Foucras - Je suis médecin généraliste et responsable de FORMINDEP, association qui a pour objectif de promouvoir une formation et une information médicales indépendantes.

Vous m'avez demandé de vous présenter le point de vue du FORMINDEP sur ces questions. Je voudrais illustrer notre vision des choses à travers l'exemple concret de la grippe A (H1N1)v.

J'introduirai mon propos en citant M. Christian Vigouroux, conseiller d'Etat, président de la commission « déontologie et expertise » de la Haute Autorité de santé (HAS), qui s'est exprimé lors des rencontre de la HAS le 10 décembre dernier : « La puissance d'influence de l'industrie pharmaceutique en fait un des lobbies les plus efficaces et parfois les plus impérieux dans les rapports avec les pouvoirs publics et les caisses de sécurité sociale. Ceci en France comme en Europe. Tel est le constat que trente ans d'administration dans plusieurs domaines de l'action publique m'ont amené à formuler » .

J'illustrerai, à travers un exemple, un instrument d'influence utilisé par l'industrie pharmaceutique, celui des leaders d'opinion. Il s'agit d'un exemple concret et significatif de leur façon de procéder.

Une entreprise spécialisée dans la lutte contre le cancer précise ainsi sur son site Internet que le groupe a recours à des « KOL » (Key Opinion Leaders) qu'il estime indispensables pour faire connaître et imposer ses tests de diagnostic auprès des oncologues et des pathologistes.

Toujours selon ce document, les leaders d'opinion sont des scientifiques référents dont le comportement est susceptible d'exercer une influence sur la pratique et les prescriptions médicales des oncologues et des pathologistes. Ils constituent un outil très important pour faire passer certains messages aux professionnels de santé et aux autorités.

Des sociétés de communication mettent également leurs compétences au service de l'industrie pharmaceutique. On peut citer l'exemple d'une société de communication qui, en la matière, a fait la promotion de produits utilisés dans l'instabilité vésicale.

Sa méthode a consisté à développer des relations avec des enseignants, leaders d'opinion, en urologie, gynécologie et gériatrie, à crédibiliser l'engagement à long terme de l'entreprise développant le produit et, enfin, à initier un débat médical sur la prise en charge de l'instabilité vésicale.

Les résultats obtenus sont mesurés par le nombre d'articles publiés à ce sujet. Une recherche sur Internet permet de sélectionner pas moins de 249 occurrences de ce médicament. Par ailleurs, grâce aux actions menées par l'entreprise de communication, des universitaires ont été contactés pour faire des conférences ou présider des congrès internationaux et promouvoir, à ces occasions, le produit en question, dont la part de marché a ainsi atteint 30 % dans les deux premières années de son lancement.

Ces « leaders d'opinion » peuvent aussi être amenés à apporter leur expertise aux décideurs politiques. Ainsi un des leaders d'opinion recrutés par l'entreprise de communication pour le médicament précité a participé à l'élaboration d'un rapport remis à M. Philippe Bas, alors ministre de la santé, qui mentionnait, pour le regretter, le non-remboursement de certains médicaments, dont le produit en question.

La commission de la transparence de la HAS s'est réunie en octobre 2009 pour étudier, à la demande du laboratoire, l'inscription de ce médicament à la liste des médicaments remboursés.

Le remboursement a donc été obtenu alors que les connaissances sur ce médicament montrent qu'il s'agit tout au plus d'un médicament de même niveau que les autres, dont l'efficacité clinique est controversée.

Le leader d'opinion français s'est exprimé en 2007 dans une revue scientifique sur la question des conflits d'intérêts et la présomption d'honnêteté. Il propose, à la fin de son éditorial, d'établir une nouvelle organisation de la collaboration entre experts et instances basée sur le principe d'honnêteté. Sa conclusion prête à réflexion puisqu'il demande si l'expert lui-même n'est pas en définitive le mieux placé pour juger si ses relations avec l'industrie influencent son comportement individuel, ses prescriptions, ses indications et la teneur de ses écrits scientifiques.

Il ne s'agit pas ici de mettre en doute la bonne foi et l'honnêteté du leader d'opinion mais de voir comment s'exercent ces mécanismes à tous les niveaux de prescription.

Beaucoup d'experts indiquent être persuadés que les liens qui les unissent aux entreprises pharmaceutiques ne nuisent pas à leur indépendance.

A ce stade, je voudrais insister sur certaines notions de sociopsychologie décrites depuis de nombreuses années dans la littérature, qui mettent en évidence les influences conscientes, mais surtout inconscientes, les plus efficaces pour influencer les comportements, comme cela a été décrit dans un rapport de l'Institut of medecine de 2009, équivalent de l'Académie de médecine aux Etats-Unis.

Il convient de ne pas perdre de vue que tout expert peut être considéré comme un leader d'opinion potentiel, qu'il le veuille ou non, qu'il en soit conscient ou non.

Ce mécanisme a-t-il fonctionné pendant l'épidémie de grippe ? Le FORMINDEP s'est beaucoup intéressé à la recommandation prise par la Direction générale de la santé (DGS) le 9 décembre 2009 tendant à généraliser la prescription d'oseltamivir à l'ensemble des patients atteints par la grippe et à leur entourage. Tout cela a été décrit dans notre dossier publié sur Internet que je tiens à votre disposition et qui permet de mettre ce mécanisme en évidence.

Compte tenu de la discordance existant entre cette recommandation et les données scientifiques actuelles sur le Tamiflu, le FORMINDEP a interpellé la DGS le 15 décembre dans une lettre ouverte recommandée qui a été signée par plus de mille médecins en trois semaines. C'est, je crois, la première fois que la communauté médicale se mobilise pour demander à la DGS de lui fournir les données scientifiques sur lesquelles elle se basait pour établir cette recommandation, alors que celles qui sont portées à la connaissance des médecins n'y correspondaient pas.

C'est le 26 janvier, à la fin de l'épidémie, que la DGS a répondu à la lettre du FORMINDEP et aux mille médecins signataires, toutefois sans apporter de preuves de niveau satisfaisant pour appuyer cette recommandation.

Pour le FORMINDEP, cet exemple est révélateur de la façon dont l'épidémie de grippe a été gérée mais aussi concernant la vaccination, avec des avis d'experts qui ne se sont pas fondés sur les données scientifiques. On peut donc légitimement s'interroger sur la nature des données sur lesquelles les experts se sont appuyés et replacer la question dans le contexte que j'ai voulu illustrer par mon premier exemple.

M. François Autain, président - Merci de cette présentation illustrée qui a aidé à la compréhension d'un sujet simple mais malgré tout relativement complexe.

La parole est au rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant le dispositif de gestion de la crise, dans une interview accordée au journal L'Humanité du 27 novembre 2009, vous indiquez, en évoquant la gestion de la grippe A (H1N1)v : « Le niveau de précaution est délirant par rapport à la gravité de la maladie » . Pour développer ce point de vue, vous évoquez notamment l'évolution du virus A (H1N1)v dans l'hémisphère Sud qui aurait pu inciter le Gouvernement à infléchir plus rapidement son dispositif de gestion de crise.

Pourtant, les interlocuteurs de la commission ont indiqué qu'il était délicat d'extrapoler les données disponibles dans l'hémisphère Sud, le virus pouvant notamment muter lors de sa migration vers l'hémisphère Nord. Quelle est votre appréciation de cette observation ?

M. François Autain, président - Je me permets de préciser que, malgré tout, l'Institut de veille sanitaire (InVS) a fait état, à sa grande surprise, de la remarquable stabilité de ce virus depuis son apparition, ce qui n'est peut-être pas contradictoire...

M. Alain Milon, rapporteur - Mais qui donne raison a posteriori .

M. François Autain, président - C'est une information qu'il est nécessaire d'apporter.

M. Philippe Foucras - Fin novembre, je pense que l'on avait suffisamment d'éléments pour estimer que le virus présent dans l'hémisphère Nord était le même que celui présent dans l'hémisphère Sud et que les éléments d'appréciation mis en avant dans l'hémisphère Sud pouvaient, sans risque, être extrapolés à la situation dans l'hémisphère Nord.

J'étais en août à la Réunion à l'invitation des généralistes, en pleine épidémie de grippe dans l'hémisphère Sud. Mes rencontres avec les généralistes montraient déjà le faible impact de ce virus en termes de santé.

Les généralistes étaient donc confrontés à des demandes liées à un contexte grippal mais n'étaient pas débordés et les situations, dans leur immense majorité, n'étaient pas graves.

Les données accessibles en Australie et en Nouvelle-Zélande montraient qu'avec des précautions différentes de celles prises en France, le niveau de mortalité et de gravité de l'épidémie était relativement modéré par rapport aux craintes de départ.

Fin novembre, aucune indication ne permettait donc de dire que le virus avait muté ou était sur le point de le faire en changeant d'hémisphère.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est bien fin novembre que vous avez accordé cette interview et c'est fin novembre que vous vous rendez compte que, chez les généralistes, l'épidémie n'était pas pire que dans l'hémisphère Sud ou dans d'autres pays ?

M. Philippe Foucras - Je l'ai vu dès septembre en tant que médecin.

M. Alain Milon, rapporteur - Les décisions de la DGS arrivent fin décembre, quelques semaines après seulement ; à la même époque, les services d'urgence des hôpitaux se rendent compte que certains patients présentent des syndromes respiratoires graves.

M. Philippe Foucras - C'est une question d'incidence et de gravité. J'étais de garde en septembre, novembre et décembre. Il y a eu en effet plus de consultations que d'habitude dans un contexte hivernal mais selon mon expérience, confirmée par les généralistes avec lesquels nous sommes en contact à travers l'association et d'autres organismes, les consultations étaient davantage motivées par la peur de la grippe que par des syndromes grippaux réels.

Cela ne retire rien à la réalité des complications graves qui touchaient des populations qui ne sont habituellement pas concernées, mais le segment de population qui relève de la consultation des généralistes montrait que les cas graves n'étaient pas significatifs.

M. Alain Milon, rapporteur - De nombreux interlocuteurs de la commission ont indiqué que si le taux de mortalité lié au virus A (H1N1)v est certes plus faible que celui lié à la grippe saisonnière, il n'en demeure pas moins que certaines populations ont été touchées par des formes beaucoup plus sévères que la grippe saisonnière.

Dans l'entretien précité, vous indiquez qu'il y a des différences épidémiologiques du virus « que se plaisent à relever les experts » mais que celles-ci demeurent « marginales » et que « cela n'a pas de pertinence en matière de santé publique » . Pouvez-vous développer ce point de vue ?

M. Philippe Foucras - Lorsqu'on est acteur de soins primaires et que l'on voit la population dans sa globalité, on s'interroge toujours pour savoir comment des décisions de santé publique impliquant l'ensemble de la population peuvent avoir une pertinence pour gérer des cas qui se chiffrent à quelques dizaines de personnes.

Il ne faut pas me faire dire ce que je ne veux pas dire à propos de la situation personnelle des gens qui ont été atteints mais il faut mesurer la pertinence des outils par rapport aux objectifs. Dans le cas de la vaccination avec un vaccin, dont l'efficacité reste très modérée, ou de l'oseltamivir, et qui n'est pas démontrée pour le virus actuel, ce que nous remettons en question, c'est la pertinence des décisions de généralisation de la prescription de certains produits avec le risque d'augmentation des effets indésirables, même si les effets graves sont rares. Quand on propose un produit à plusieurs millions de personnes, des effets indésirables graves finissent par apparaître ! C'est une question de balance bénéfice-risque.

S'agissant de l'oseltamivir, que l'on a particulièrement étudié, aucune donnée fiable - celles qui existent sont en tout cas contradictoires - ne montre qu'il pourrait prévenir les complications liées à la grippe et les formes graves.

M. Alain Milon, rapporteur - Dans ce même article, vous faites référence à une étude montrant que la quasi-totalité des médecins vaccinés qui ont été interrogés dans ce cadre ont connu des effets secondaires. Vous ajoutez : « Nous n'avons pas de recul nécessaire pour évaluer d'éventuels risques plus graves à plus long terme ».

Faut-il en déduire que les procédures accélérées d'autorisation de mise sur le marché dont ont bénéficié les vaccins contre le virus A (H1N1)v n'apportent pas une garantie suffisante de leur innocuité ? Si oui, pouvez-vous préciser pourquoi ?

Je me suis fais vacciner et je n'ai pas eu d'effets secondaires - et je suis médecin.

M. François Autain, président - Je ne me suis pas fait vacciner et par conséquent je n'ai pas eu d'effets secondaires.

M. Philippe Foucras - Il s'agit d'une enquête réalisée à partir de la liste, publiée sur Internet, de médecins qui s'étaient fait vacciner. Elle représentait quelques centaines de médecins, qui décrivaient tous une grande proportion d'effets indésirables graves à ce moment-là.

M. Jean-Jacques Jégou - De quel type ?

M. Philippe Foucras - Douleurs, fébricules, des effets indésirables mineurs.

M. Jean-Jacques Jégou - Vous parlez d'effets secondaires graves et vous dites qu'il s'agit de fébricules...

M. Philippe Foucras - Si j'ai déclaré cela, je me suis trompé.

M. François Autain, président - Vous pensiez peut-être au syndrome de Guillain-Barré...

M. Philippe Foucras - Fin novembre, il existait encore une incertitude sur la sécurité vaccinale, compte tenu de la vitesse à laquelle le vaccin avait été développé - mais je reconnais volontiers que je ne reprendrai pas ces propos aujourd'hui.

M. Jean-Jacques Jégou - Un seul cas de syndrome de Guillain-Barré a-t-il été attribué à ce jour à la vaccination ?

M. Philippe Foucras - Je n'en ai pas eu connaissance.

M. François Autain, président - Nous auditionnerons le président de la commission de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), qui pourra nous répondre sur cette question.

Je puis vous dire - l'intéressé m'en ayant directement fait part - qu'un médecin qui a été vacciné une première fois contre l'hépatique B a subi, à la suite de cette vaccination, des manifestations qui pouvaient rappeler celles d'un début de sclérose en plaques, il y a maintenant seize ans de cela. Il ne s'en est pas soucié. Il s'est fait vacciner contre la grippe A (H1N1)v et il est aujourd'hui manifeste qu'il a développé une poussée de sclérose en plaques.

Il est évidemment actuellement impossible - les experts sont d'accord sur ce point - d'établir une relation de cause à effet entre la vaccination anti-hépatique B ou la vaccination contre la grippe et ces maladies que l'on appelle auto-immunes que sont la sclérose en plaques, la sclérose latérale amyotrophique, mais il n'empêche qu'un certain nombre de ces maladies surviennent postérieurement à la vaccination et alimentent - au moins dans l'opinion - une controverse par rapport à la vaccination.

Une vaccination, quelle qu'elle soit, qui peut faire l'objet dans l'opinion d'une controverse n'est pas une bonne vaccination. On a tout intérêt à éviter que de telles controverses surviennent car elles risquent de porter atteinte au principe même de la vaccination et de nourrir les ligues antivaccinales. Or, ce n'est pas le but que nous recherchons, bien au contraire.

M. Alain Milon, rapporteur - Je voudrais compléter l'information du président en disant que lorsque nous avons auditionné M. Jean Marimbert sur un cas de ce type, il nous a répondu qu'il fallait faire les études nécessaires pour savoir s'il existe ou non une relation entre la vaccination et l'évolution de la maladie.

M. François Autain, président - Ce médecin n'établit pas de relation entre la vaccination et cette sclérose en plaques mais reproche à l'AFSSAPS de ne pas avoir fait état de son cas et de ne pas jouer la transparence.

M. Alain Milon, rapporteur - Concernant la modification des conditions de prescription de l'oseltamivir, dans un document de FORMINDEP, « L'affaire Tamiflu : un scandale révélateur, fonder une expertise sanitaire indépendante » , vous faites état d'une lettre du directeur général de la santé recommandant la prescription à titre préemptif du Tamiflu avec des doses curatives pour l'ensemble des patients présentant des symptômes grippaux et leur entourage.

Vous indiquez : « La direction générale de la santé, cautionnée par l'AFSSAPS, a pris ainsi le risque d'expérimenter à grande échelle un produit de santé, en l'absence de gravité de la situation, sans bien connaître les conséquences potentielles et en confiant à la firme fabriquante le soin d'en surveiller les effets » .

Selon vous, l'exemple de la pratique suivie au Chili - où la prescription de Tamiflu semble avoir réduit le nombre d'hospitalisations et de décès - ne permettait-elle pas de justifier cette extension de l'indication du Tamiflu ?

M. Philippe Foucras - J'attends toujours l'étude demandée par courrier à la DGS. Nous avons en effet réclamé des éléments de preuve afin de pouvoir décider dans l'intérêt des patients.

En réponse, la DGS nous a communiqué une copie d'un document issu d'un blog Internet qui présentait les opinions d'experts de Harvard, qui échangeaient leurs sentiments mais sans pouvoir vérifier la fiabilité de ces données. La seule information que l'on ait retrouvée sur cette question à travers notre propre recherche documentaire est un document de l'InVS daté de juin, qui compare l'épidémie de grippe en Argentine et au Chili. Nous le tenons à votre disposition. Cette étude ne mettait pas en évidence d'autres disparités que géographiques.

Les soignants sont des professionnels de santé qui sont à même de pouvoir évaluer en fonction des données scientifiques ; pour l'instant, nous n'avons pas reçu ces données, bien qu'on ait fait l'effort de les demander de façon forte.

M. François Autain, président - Lors de l'audition des laboratoires Roche à laquelle nous avons procédé hier, ceux-ci nous ont remis un document relatif à la pratique suivie au Chili.

Peut-être n'en avez-vous pas eu connaissance. Personnellement, je n'ai pas eu le temps de lire cet article, mais nous sommes prêts, si cela vous intéresse, à vous en remettre photocopie.

M. Philippe Foucras - Bien sûr, mais l'épidémie est terminée. Nous devons soigner selon ces données scientifiques fiables. Si les données évoluent, il faut qu'on nous les communique afin d'évaluer leur niveau de preuve. Dans notre document sur cette question, nous citons un certain nombre de publications qui montrent exactement l'inverse. Il s'agit d'études et d'essais faits au Japon qui démontrent que l'administration d'oseltamivir chez des patients à risques augmente les symptômes.

On est dans des situations d'incertitude et de non-connaissance des faits et les éléments pour décider ne sont pas communiqués !

M. Alain Milon, rapporteur - On a parlé aussi du Japon avec les laboratoires Roche. Ils disaient que le Tamiflu était énormément prescrit et qu'ils n'avaient pas constaté de problèmes de résistance du virus par rapport à une prescription en forte augmentation.

M. Philippe Foucras - C'est pourquoi au Japon, du fait de sa très grande prescription, ont été signalés des cas de défenestration d'adolescents suite à la prise de Tamiflu. Les Etats-Unis ont mis en place des mécanismes d'avertissement forts sur les effets indésirables du Tamiflu : la mention de ces effets secondaires doit apparaître sur les boîtes de médicaments.

M. Alain Milon, rapporteur - C'est une information que nous n'avions pas.

M. François Autain, président - En effet.

M. Alain Milon, rapporteur - Nous avons également interrogé le directeur général de l'AFSSAPS qui a indiqué que les nouvelles conditions de prescription de l'oseltamivir se justifiaient par deux principaux éléments : d'une part, un traitement prophylactique avec des doses curatives d'oseltamivir peut présenter l'avantage d'un risque moindre d'émergence de mutants résistants ; d'autre part, les traitements préemptifs utilisent en règle générale des posologies curatives.

En ce qui concerne la pharmacovigilance, il a rappelé qu'il existe une responsabilité de base, en la matière, du fabricant, mais que celle-ci ne peut reposer uniquement sur les travaux des laboratoires. Quel regard portez-vous sur ces observations du directeur général de l'AFSSAPS ?

M. Philippe Foucras - J'ai sous les yeux la note du 7 décembre signée par le directeur général de l'AFSSAPS à l'intention du DGS, en réponse à la demande d'avis du 3 décembre sur les modalités d'utilisation de l'oseltamivir.

Elle précise : « Toutefois, il faut noter que l'incidence des cas d'émergence de ces résistances dans le contexte d'une prophylaxie et non d'un traitement curatif n'est pas ou très mal connue à ce jour. Il n'y a pas non plus de données in vitro disponibles. Les données disponibles avec le Tamiflu utilisé à dose prophylactique en cas de grippe sont très limitées et non nécessairement extrapolables au contexte épidémique pandémique actuel. Concernant le risque de toxicité relatif, il a été considéré que celui-ci pourrait être lié non pas à la dose mais à sa durée. A cet égard, il n'existe pas de données soumises par la firme ou émergeant des rapports de pharmacovigilance au niveau mondial » .

En conclusion, la note affirme : « Une recherche bibliographique à l'échelle mondiale, aussi bien du côté des autres autorités de santé et du côté des sociétés savantes, n'a pas permis de mettre en évidence de telles recommandations à ce jour » .

Il est donc difficile de pouvoir dire autre chose que le fait qu'il n'existe pas de données fiables sur l'efficacité de l'extension de l'indication de ce médicament.

En conclusion, l'AFSSAPS souhaite demander à la firme Roche de fournir les données dont elle pourrait disposer ainsi qu'un suivi détaillé de pharmacovigilance pour ce type de traitement.

Pour nous, il s'agit d'un document pour le moins étonnant qui énumère sur deux pages le fait que l'on n'a pas de données fiables ni de données extrapolables ; on va demander à la firme de surveiller l'évolution de ce qui va se passer pour établir à la fin un avis favorable. C'est en ce sens que l'on parlait d'expérimentation.

M. François Autain, président - La firme, hier, nous a indiqué qu'elle était en cours d'expérimentation et qu'elle était en train de constituer un dossier qu'elle déposerait, je pense, en vue d'obtenir cette extension d'AMM (autorisation de mise sur le marché) que la France a réussi à obtenir d'une façon tout à fait originale, à la limite même de la légalité. Je sais que l'on était en période d'épidémie et que, devant le danger ou la menace, il faut parfois savoir faire quelques entorses à la légalité mais je considère qu'il n'y avait pas matière à le faire. Cela a pourtant été fait.

M. Philippe Foucras - Cela aurait pu être acceptable si l'épidémie avait présenté, au 10 décembre, un risque majeur, et si on pouvait attendre des effets positifs importants de ce médicament, mais aucune de ces conditions n'était remplie.

M. Jean-Jacques Jégou - Je voudrais que l'on se rende bien compte de la situation dans laquelle on se trouve au regard de l'oseltamivir. Le Tamiflu n'est pas un médicament qui est apparu au moment de la pandémie.

J'ai réalisé, comme vous le savez, un rapport sur l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). Lorsque j'en ai vérifié les stocks, j'ai trouvé plusieurs dizaines de millions de doses de Tamiflu achetées en 2004. Je m'étonne donc - et ma question s'adresse aussi bien au docteur Foucras qu'à la commission - qu'un médicament sorti depuis presque huit ans n'ait pas fait l'objet de vérification de son efficacité, alors qu'il est stocké sur les sites de l'EPRUS depuis six ans !

On peut aussi s'étonner que l'on n'ait pas donné beaucoup de Tamiflu aux patients susceptibles d'être atteints du virus A (H1N1)v.

M. Alain Milon, rapporteur - Il n'existe pas d'études sur l'efficacité du médicament à titre préventif ; par contre, des études sur l'efficacité du Tamiflu à titre curatif existent.

M. François Autain, président - La Commission de la transparence a été saisie par le laboratoire et a émis un avis qui remonte à 2006. Celui-ci n'était pas très favorable à l'efficacité de l'oseltamivir, à tel point qu'elle avait estimé qu'il n'était pas suffisamment efficace pour être pris en charge à 65 % ; à l'époque, il n'a été pris en charge qu'à 35 %. C'est un médicament qui n'a jamais été considéré comme très efficace et dont l'efficacité a, depuis de nombreuses années, été sujet à controverse. Encore aujourd'hui, à propos d'une indication différente, il n'existe pas de consensus chez les experts.

M. Philippe Foucras - L'oseltamivir a été testé dans la grippe saisonnière avec des résultats moyens, comme le rappelle la méta-analyse de M. Thomas Jefferson, parue dans le British Medical Journal du 8 décembre 2009, mais il n'a jamais été testé dans le cadre d'une grippe pandémique. En août 2009, dans ce même journal, des experts indépendants de la fondation Cochrane demandaient la mise en place d'études destinées à évaluer l'efficacité du Tamiflu en période de pandémie. Ces études n'ont pas encore été réalisées. On ne savait pas et on ne sait toujours pas.

M. Alain Milon, rapporteur - On a questionné le laboratoire Roche sur ses relations avec M. Thomas Jefferson ; il nous a été répondu qu'il existait quelques problèmes relationnels actuels mais que M. Thomas Jefferson avait travaillé pour Roche à une certaine époque.

J'en arrive aux problèmes de liens d'intérêts.

Le recours à des experts sans aucun lien avec l'industrie pharmaceutique vous semble-t-il être une solution réaliste et souhaitable pour la qualité de l'expertise elle-même ?

La DGS a indiqué que certaines pistes d'amélioration des dispositifs de prévention de conflits d'intérêts sont peut-être à rechercher dans la reconnaissance et la valorisation de l'expertise. Quel regard portez-vous sur ces propositions que nous allons peut-être reprendre dans le cadre du rapport ?

Quelles sont les propositions de votre collectif pour repenser l'organisation et les conditions d'application des dispositifs de prévention des conflits d'intérêts ?

M. Philippe Foucras - Il ne s'agit pas de se priver de l'expertise des experts hospitalo-universitaires qui ont des liens d'intérêts mais de la considérer pour ce qu'elle vaut, à sa juste valeur, en intégrant les dimensions que j'ai présentées sur les leaders d'opinion.

On s'aperçoit que des décisions ont été prises, comme dans le cas du Tamiflu, en l'absence de données et avec un certain déni d'influence de la part des experts qui va à l'encontre des connaissances sociopsychologiques. Le fonctionnement interne de l'expertise hospitalo-universitaire n'est plus adapté à de telles situations.

L'expertise indépendante existe. Depuis 2008, un quart des experts de l'AFSSAPS sont indépendants. En juin, un article paru dans le British Medical Journal a dressé la liste de 200 experts anglo-saxons indépendants, de différentes spécialités, auxquels on pouvait faire appel.

Enfin, les médecins de soins primaires ont pu mettre en évidence une certaine qualité d'expertise à travers l'affaire du Tamiflu, aussi acceptable - sinon meilleure pour l'analyse des données - que l'expertise à partir de laquelle les décisions, dans le cadre de la gestion de la grippe A (H1N1)v, ont été prises.

Notre idée n'est pas de se passer des compétences sans doute indiscutables des experts actuels mais de ne pas en faire une mono-expertise, de pouvoir mettre en place des instances collégiales d'expertise indépendantes de tout lien avec l'industrie et élargies aux professionnels de santé de proximité.

Il est sans doute nécessaire de repenser l'expertise actuelle, comme l'indique le rapport de Mme Marie-Dominique Furet, et de développer une expertise interne rémunérée au sein des agences sanitaires, exemptes de tout lien avec l'industrie pharmaceutique. Ceci nécessite des moyens et une certaine volonté.

Ce sont ces différents niveaux de qualité d'expertise qui, pris ensemble, augmenteraient les chances de prendre des décisions réellement fondées sur des données scientifiques et donc dans l'intérêt de la population, à l'abri d'autres influences, quelles qu'elles soient.

M. François Autain, président - Nous auditionnerons Mme Marie-Dominique Furet, auteur du rapport auquel s'est référé M. Philippe Foucras.

Y a-t-il des questions ? Il ne semble pas qu'il y en ait.

Nous vous avons entendu et compris. J'espère que nous saurons en tirer les conséquences en ce qui concerne les recommandations que nous serons amenés à faire à l'issue de notre travail et en conclusion de notre rapport.

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