B. UNE DÉPENSE EN PROGRESSION LINÉAIRE DONT LES DÉTERMINANTS ONT DES EFFETS MAL CONNUS

1. Des déterminants d'évolution de la dépense mal maitrisés

Les déterminants de la dépense d'AAH apparaissent correctement identifiés, que leur action porte sur l'effet-volume (le nombre de bénéficiaires) ou sur l'effet-prix (le montant mensuel moyen versé).

Pour autant, il existe une réelle difficulté à identifier leur part respective dans la progression de la dépense . Ils sont à la fois nombreux, d'ordre conjoncturel ou structurel, et ils peuvent jouer autant à la baisse qu'à la hausse. Déjà, en 2006, un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) 3 ( * ) relevait que « le maintien d'un flux important de bénéficiaires entrants dans l'allocation provient du jeu combiné de multiples facteurs, dont le rôle précis et l'importance respective restent toutefois difficiles à objectiver ».

En particulier, les auteurs du rapport estimaient que plusieurs facteurs d'ordre sociologique sont difficilement mesurables : « le meilleur accès au droit des personnes handicapées, une légitimité accrue de la reconnaissance du handicap, la hausse du nombre de personnes isolées en situation de handicap, qu'elle provienne de phénomènes souhaités (accès accru à l'autonomie, politiques de maintien à domicile ou d'hospitalisation de jour) ou subis (diminution des solidarités familiales ou locales), sont des éléments qui ont pu être signalés à la mission par divers interlocuteurs, et pourraient expliquer en partie l'accroissement du nombre des allocataires, ou du montant de l'AAH versée (l'AAH versée à une personne à domicile étant supérieure à celle versée à une personne en établissement). Si l'importance et l'incidence de ces facteurs sur le dispositif d'AAH sont difficiles à mesurer, il n'en reste pas moins qu'ils pèsent vraisemblablement à la hausse sur le montant des dépenses. »

a) Des effets conjoncturels : la revalorisation de l'AAH conjuguée à la crise

La revalorisation de l'AAH de 25 % sur la durée du quinquennat est, sans aucun doute, la première raison de la croissance de la dépense. D'après les estimations transmises par la direction du Budget, l'effet-prix de cette revalorisation serait d'environ 300 millions d'euros par an, soit 1,4 milliard d'euros sur la période.

L'accroissement de l'AAH emporte également un effet-volume . La prestation est attribuée à la condition que les ressources de la personne handicapée ne dépassent pas un plafond annuel, lui-même calculé en référence au montant de l'AAH. Or, chaque année, celui-ci progresse d'environ 4,45 %, soit, en moyenne, beaucoup plus vite que les revenus d'activité. Un certain nombre de personnes handicapées, auparavant exclues de la prestation, deviennent ainsi éligibles puisque leurs revenus sont alors inférieurs au plafond.

A titre d'illustration, pour une personne seule, le plafond était fixé à 7 455,24 euros au 31 décembre 2007. Avec la revalorisation de 25 %, il atteindra 9 319,08 euros au 1 er septembre 2012. Un travailleur handicapé gagne 8 000 euros en début de période, il n'est pas éligible à l'AAH. En fin de période, ce sera toujours le cas si et uniquement si son salaire progresse de plus de 16 %, ce qui apparaît fort peu probable dans le contexte actuel, marqué par un fort chômage et une inflation quasi-nulle.

Au total, d'après les informations transmises par la direction générale de la cohésion sociale, le coût net de la revalorisation de l'AAH serait de près de 2,3 milliards d'euros sur cinq ans. L'effet-volume peut donc être estimé à 900 millions d'euros , sachant que l'effet-prix représente 1,4 milliard d'euros ( cf. supra ).

De même, en période de crise, de manière tendancielle, le revenu disponible diminue et, là encore, des personnes qui étaient en dehors du dispositif sont désormais susceptibles d'y entrer. En effet, l'AAH est non seulement une prestation différentielle, mais également « familialisée », c'est-à-dire que l'ensemble des ressources du ménage sont prises en compte. Dès lors, si le conjoint d'une personne handicapée connaît une perte de revenus, celle-ci peut devenir éligible à l'AAH .

De surcroît, la direction générale de la cohésion sociale rappelle que « l'essentiel [de la hausse de la dépense] s'explique par l'évolution du nombre d'allocataire au titre de l'article L. 821-2 (taux d'incapacité entre 50 % et 80 %) » puisqu'elle s'élève à + 8,28 % , contre une progression de 1,12 % pour les bénéficiaires de l'AAH sur le fondement de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, dont le taux d'incapacité est supérieur à 80 %.

De fait, le nombre de bénéficiaires de la première catégorie connaît une expansion importante : entre juin 2009 et juin 2010, leur nombre progresse de 8,3 %.

Ces chiffres semblent également corroborer un phénomène qui se renforce en période de difficultés économiques. Certaines commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) feraient de l'AAH un amortisseur social. Cette « AAH sociale » résulterait notamment d'effets de bord avec le RSA. En effet, pour certains publics, par exemple des déficients psychiques, la frontière peut apparaître assez floue entre RSA et AAH 4 ( * ) .

Enfin, la loi de finances pour 2009 a supprimé la condition d'inactivité d'un an pour pouvoir faire une demande d'AAH. De ce fait, d'après le Gouvernement (rapport annuel de performances pour 2009), près de 10 000 nouveaux bénéficiaires seraient ainsi entrés dans le dispositif .

b) Un effet structurel : la démographie

L'AAH est normalement accordée à des personnes âgées de vingt à cinquante-neuf ans. Dès lors, la démographie constitue l'un des effets les plus structurants de l'évolution de la prestation.

Il convient tout d'abord de distinguer, parmi les bénéficiaires de l'AAH, deux publics. Le premier recouvre les « handicapés de naissance » qui entrent dans le dispositif dès l'âge de vingt ans. Le second comprend les « accidentés de la vie » dont le nombre s'accroît au fil du temps puisque seul un quart des bénéficiaires de l'AAH sont handicapés depuis l'enfance.

A ce titre, lors de son audition par vos rapporteurs, la direction du Budget notait que la « probabilité de percevoir l'AAH augmente de façon linéaire jusqu'à 45 ans puis se stabilise entre 46 et 59 ans », comme le corrobore la pyramide des âges reproduite ci-dessous.

S'il existe une dynamique démographique propre à l'AAH, celle-ci n'est pas nécessairement liée à celle du reste de la population. Mais, actuellement, on observe une phase de concordance entre les deux phénomènes . Concrètement, comme la génération des 46-59 ans est la plus nombreuse dans la population française et que, de surcroît, elle est également surreprésentée dans les bénéficiaires de l'AAH, il est logique que le nombre total des bénéficiaires augmente régulièrement ces dernières années .

La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) rappelle ainsi que le rythme de croissance des bénéficiaires a été « soutenu entre 1987 et 2004, proche de 3 % par an, [et] s'explique en partie par le gonflement de la population des 40 à 59 ans, alors même que le risque de handicap croît avec l'âge » 5 ( * ) .

Source : direction générale de la cohésion sociale.

A l'inverse, la structure démographique de la population française devrait conduire à une diminution du nombre de bénéficiaires dans les prochaines années . En effet, compte tenu du caractère subsidiaire de la prestation, les allocataires, à partir de l'âge de soixante ans, ont l'obligation de liquider leurs droits à la retraite. Seules les personnes handicapées dont le taux d'incapacité est supérieur à 80 % peuvent cumuler l'AAH et une pension de retraite pour autant que celle-ci ne dépasse pas le montant maximal de l'AAH. Un peu moins de 50 000 personnes perçoivent ainsi l'AAH au-delà de soixante ans.

Le projet de loi sur la réforme des retraites, actuellement en cours d'examen devant le Parlement, ne devrait pas modifier cet équilibre.


* 3 IGF, IGAS, Mission d'audit de modernisation, Rapport sur l'allocation aux adultes handicapés, n° 2006-M-014-02 (IGF), n° 2006-44 (IGAS), avril 2006.

* 4 cf. infra II. A. 1. d.

* 5 DREES, Les minima sociaux en 2008-2009 - Années de transition, 12 juillet 2010.

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