II. UNE RÉFORME EN ATTENTE D'UN NOUVEAU SOUFFLE

A. UNE DÉFINITION JURIDIQUE ÉVOLUTIVE ET PROBLÉMATIQUE

1. Une définition juridique ambiguë
a) Les deux régimes de l'AAH et ses compléments

L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est un minimum social spécifique, attribué sous conditions de ressources aux personnes âgées de vingt à cinquante-neuf ans 8 ( * ) , résidant de façon régulière en France, et reconnues handicapées par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

L'article 16 de la loi Handicap du 11 février 2005 a institué une garantie de ressources pour les personnes handicapées (GRPH) constituée de l'AAH et d'un complément de ressources versé aux bénéficiaires de l'AAH à taux plein dont le handicap ne leur permet pas d'avoir un emploi.

Pour être reconnue handicapée, la personne doit présenter :

- soit un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % (article L. 821-1 du code de la sécurité sociale) ;

- soit un taux d'incapacité permanente compris entre 50 % et 79 % et connaître une « restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi » (article L. 821-2 du même code).

Dans le premier cas, la personne est présumée être incapable de travailler ou connaître des difficultés substantielles et durables d'accès à l'emploi étant donnée la lourdeur de son handicap. Dans le second cas, elle doit en apporter la preuve.

Alors que l'incapacité et les difficultés d'accès à l'emploi sont appréciées par la CDAPH, les conditions d'âge, de résidence, de nationalité et de ressources le sont par la CNAF ou la MSA. Après la décision de la CDAPH, la CNAF ou la MSA disposent d'un délai d'un mois pour liquider l'allocation.

L'AAH est versée de façon subsidiaire par rapport aux prestations vieillesse ou invalidité et se cumule, le cas échéant, avec des revenus d'activité dans la limite d'un plafond annuel de 8 543,40 euros pour une personne seule et de 17 086,80 euros pour un couple. Son montant mensuel maximal a atteint près de 712 euros au 1 er septembre dernier.

Principales allocations versées aux personnes handicapées

(en euros)

Montant mensuel

Plafond de ressources annuelles

AAH

711,95

-

Personne seule

8 543,40

Couple

17 086,80

Par enfant à charge

+ 4 271,70

Complément de ressources

179,31

Garantie de ressources

891,26

Majoration pour la vie autonome

104,77

Ancien complément d'AAH (transitoire)

100,50

Montant minimal en cas d'hospitalisation,
d'hébergement ou de détention

213,59

Source : Liaisons sociales - Montants actualisés au 1 er septembre 2010.

En complément de leur allocation, les bénéficiaires de l'AAH justifiant d'un taux d'incapacité d'au moins 80 % peuvent percevoir, à certaines conditions, l'ancien complément d'AAH 9 ( * ) , le complément de ressources ou la majoration pour la vie autonome (MVA).

Les compléments de l'AAH

La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a instauré deux nouveaux compléments à l'AAH, non cumulables : la majoration pour la vie autonome ou le complément de ressources, qui s'ajoutent à l'AAH pour garantir aux personnes handicapées dans l'incapacité de travailler un niveau de ressources minimal, la garantie de ressources des personnes handicapées.

La majoration pour la vie autonome , qui se substitue à l'ancien complément d'AAH, vise les personnes ayant un taux d'incapacité d'au moins 80 % qui peuvent travailler mais qui ne travaillent pas. Elle est destinée aux personnes qui disposent d'un logement indépendant, perçoivent une aide au logement et bénéficient d'une AAH versée à taux plein ou en complément d'une pension vieillesse, d'invalidité ou d'une rente d'accident du travail.

Le complément de ressources vise à compenser l'absence durable de revenus d'activité des personnes handicapées qui sont dans l'incapacité de travailler. Ce complément s'adresse aux personnes âgées de moins de soixante ans, ayant un taux d'incapacité d'au moins 80 %, qui bénéficient d'une AAH versée à taux plein ou en complément d'une pension vieillesse, d'invalidité ou d'une rente d'accident du travail, qui disposent d'un logement indépendant, qui n'ont pas perçu de revenus professionnels depuis au moins un an et dont la capacité de travail est inférieure à 5 %.

L'ancien complément d'AAH est en voie d'extinction progressive. Afin d'éviter toute perte de droits, les personnes bénéficiaires ne remplissant pas les conditions d'accès à ces nouveaux compléments sont autorisées à continuer de le percevoir, dans les mêmes conditions, jusqu'au renouvellement de leur AAH.

A la fin de 2008, sur les près de 850 000 allocataires de l'AAH, environ deux tiers la touchaient au titre de l'article L. 821-1 et un tiers au titre de l'article L. 821-2. Deux tiers la percevaient à taux plein et seulement 22 % bénéficiaient d'un complément.

b) Une distinction artificielle et subjective

Le premier critère d'éligibilité à l'AAH et à ses compléments est donc médical : le taux d'incapacité est fixé sur proposition de l'équipe pluridisciplinaire par la CDAPH, en fonction du type de handicap et de son intensité. Les équipes pluridisciplinaires apprécient l'état de la personne à partir du guide barème 10 ( * ) , qui recense les diverses affections et leurs traductions symptomatiques et détermine la fourchette de taux d'incapacité correspondante. Ainsi, pour l'épilepsie, la déficience est jugée légère (0 % à 15 %), modérée (20 % à 45 %), importante (50 % à 75 %) ou sévère (80 % et plus). Pour le handicap psychique, le taux d'incapacité atteint 50 % dès lors que l'affection nécessite un aménagement de la vie familiale et professionnelle et excède 80 % lorsque les troubles supposent une mobilisation importante de l'entourage.

Ce guide a été partiellement réformé en 2007 : une introduction générale intégrant la nouvelle définition légale du handicap a été ajoutée et le chapitre relatif aux handicaps liés à des déficiences viscérales et générales a été entièrement remanié.

L'appréciation du taux d'incapacité à partir du guide barème

Le guide barème s'appuie sur les concepts développés par l'organisation mondiale de la santé dans la classification internationale des handicaps : déficience, incapacité et désavantage.

L'entrée dans le guide barème se fait par types de déficiences qui sont regroupés en huit chapitres : déficiences intellectuelles et difficultés du comportement ; déficiences du psychisme ; déficiences de l'audition ; déficiences du langage et de la parole ; déficiences de la vision ; déficiences viscérales et générales ; déficiences de l'appareil locomoteur ; déficiences esthétiques.

Le taux d'incapacité est déterminé sur la base d'une évaluation globale de la situation prenant en compte l'analyse des déficiences, des incapacités et de leurs conséquences et non sur la seule nature médicale de l'affection qui en est l'origine. Ainsi le retentissement des différentes atteintes est pris en compte en fonction de leur impact dans la vie quotidienne et socioprofessionnelle de la personne, de même que les contraintes liées aux traitements. En outre, le retentissement psychique ainsi que l'existence de symptômes susceptibles d'entraîner ou de majorer d'autres incapacités doivent être recherchés et évalués afin d'en mesurer l'impact.

Il n'est pas nécessaire que l'état de la personne soit stabilisé pour déterminer un taux d'incapacité. La durée prévisible des conséquences doit cependant être au moins égale à un an.

Le guide barème ne fixe pas de taux d'incapacité précis. En revanche, en fonction des incapacités, du retentissement fonctionnel et du désavantage qui en résulte, il indique, pour chaque catégorie de déficience, différents degrés de sévérité qui peuvent être regroupés en forme légère à modérée (taux de 0 % à 45 %) ; forme importante (50 % à 75 %) ; forme sévère ou majeure (80 % et plus).

Les seuils de 50 % et de 80 % sont particulièrement importants du fait de l'impact qu'ils ont pour l'attribution de divers avantages ou prestations (dont l'AAH) et sont définis dans l'introduction du guide barème.

Le taux de 50 % correspond à des troubles importants entraînant une gêne notable dans la vie sociale de la personne. L'entrave peut soit être repérée dans la vie de la personne, soit compensée afin que cette vie sociale soit préservée, mais au prix d'efforts importants ou de la mobilisation d'une compensation spécifique. Toutefois, l'autonomie est conservée pour les actes de la vie quotidienne.

Le taux de 80 % correspond à des troubles graves entraînant une entrave majeure dans la vie quotidienne de la personne avec une atteinte de son autonomie individuelle. Cette autonomie individuelle est définie comme l'ensemble des actions que doit mettre en oeuvre une personne, vis-à-vis d'elle-même, dans la vie quotidienne. Dès lors qu'elle doit être aidée totalement ou partiellement, ou surveillée pendant leur accomplissement, ou ne les assure qu'avec les plus grandes difficultés, le taux de 80 % est atteint. C'est également le cas lorsqu'il y a déficience sévère avec abolition d'une fonction.

Source : direction générale de la cohésion sociale, audition du 4 mai 2010.

Malgré la référence au guide barème, l'appréciation du taux d'incapacité est souvent vécue par les personnes handicapées comme étant subjective et arbitraire. A ce sujet, les associations évoquent l'application de « seuils couperets » :

- un taux inférieur à 50 % compromet l'accès à l'AAH ;

- un taux d'incapacité d'au moins 80 % ouvre droit, sans autre justification, à l'AAH et à certains avantages en matière de retraite et, en cas d'inactivité prolongée ou d'une capacité de travail inférieure à 5 %, respectivement à la MVA ou à la GRPH.

- avec un taux compris entre 50 % et 80 %, la personne doit apporter la preuve qu'elle ne peut trouver un emploi en raison de son handicap et n'a droit ni à la GRPH et ni à la MVA.

Pour autant, les critiques des associations portent moins sur le contenu du guide barème que sur la faible maîtrise qu'en ont les membres des équipes pluridisciplinaires et de la CDAPH.

c) L'incapacité à travailler ou la restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi : des notions ambiguës difficiles à apprécier

Outre le taux d'incapacité, la CDAPH doit apprécier la capacité ou non des demandeurs à exercer une activité professionnelle. Cette appréciation renvoie à de multiples notions présentes dans les textes législatifs et réglementaires : inaptitude ; restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi (RSDAE) ; capacité de travail inférieure à 5 % ; efficience réduite ou encore reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

Ces différentes notions sont autant de critères qui conditionnent l'accès à différentes prestations ou aides mobilisables par les personnes handicapées et qui mériteraient d'être harmonisées et souvent mieux définies.

? Pour les personnes ayant un taux d'incapacité supérieur à 80 % , l'impossibilité de travailler ou la RSDAE est présumée, du fait de la lourdeur de leur handicap. Elle ne fait donc l'objet d'aucune évaluation de la part des équipes pluridisciplinaires, si ce n'est pour étudier l'éligibilité de ces personnes au complément d'AAH, qui suppose une capacité de travailler inférieure à 5 %. Or on observe que certains bénéficiaires de l'AAH ayant un taux d'incapacité de 80 % exercent ou ont exercé une activité professionnelle. Seuls quatre demandeurs sur dix n'ont jamais exercé d'activité professionnelle ou ont connu de longues périodes d'inactivité. Il n'y a donc aucun lien automatique entre le taux d'incapacité et la faculté d'exercer une activité professionnelle.

? Pour percevoir la MVA , il suffit de disposer d'un logement indépendant, de justifier d'un an d'inactivité et d'avoir un taux d'incapacité d'au moins 80 %. Le seuil de 80 %, apparemment objectif, se révèle en réalité discriminatoire si l'on considère que la MVA, dont le montant représente un peu plus de 100 euros par mois, se justifie par l'absence de revenus professionnels et joue le rôle de revenu d'autonomie pour la personne handicapée privée d'emploi. Pourquoi les personnes dont le taux d'incapacité est compris entre 50 % et 80 % n'y seraient pas elles aussi éligibles lorsqu'elles sont dans l'incapacité de travailler ?

? Pour les personnes relevant du second régime de l'AAH (article L. 821-2 précité), la notion de « restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi » (RSDAE) a été introduite par l'article 131 de la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007, à la suite des préconisations du rapport d'audit sur l'AAH, réalisé conjointement par l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) 12 ( * ) . Ce rapport suggérait de substituer la notion de « désavantage reconnu dans la recherche d'emploi du fait du handicap » à celle d' « impossibilité de se procurer un emploi compte tenu du handicap » . Il s'agissait d'éliminer la confusion possible avec l'incapacité à travailler ou l'inaptitude, mais aussi d'éviter que cette impossibilité déclarée de se procurer un emploi ne constitue un frein au démarrage ou à la reprise d'une activité.

Aux termes de l'article L. 821-2 précité, la notion de RSDAE devait faire l'objet d'une explication par un décret, qui n'est toujours pas paru. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) justifie ce retard en expliquant que les travaux engagés pour la préparation de ce texte ont été interrompus au début de l'année 2008 du fait de la remise en question des conditions d'attribution de l'AAH lors de la conférence nationale du handicap.

Par ailleurs, le document de la DGCS relatif au plan d'action pour l'harmonisation des pratiques d'attribution de l'AAH 13 ( * ) laisse planer un doute sur le maintien de cette notion dans la loi. Parmi les mesures à prendre, il indique : « si la notion de RSDAE du fait du handicap doit être maintenue, produire les textes normatifs et les outils nécessaires pour permettre aux MDPH d'apprécier cette notion. ». Toutefois, le projet annuel de performances (PAP) relatif à la loi de finances pour 2011 annonce leur publication avant la fin de l'année 2010.

L'association des directeurs de MDPH reconnaît que cette notion est complexe car elle conduit à prendre en compte des critères multiples qui interagissent sur le handicap, tels que l'âge, la situation familiale, les conditions de logement, les possibilités de transport, mais aussi le niveau de formation et de qualification et la capacité à se former à un nouvel emploi.

Il s'agit donc d'une notion recouvrant en première intention une évaluation médicale, mais qui suppose la prise en compte d'autres critères individuels . Ainsi, pour un même état de santé, une personne pourra être reconnue comme subissant une RSDAE, alors qu'une autre, atteinte des mêmes troubles mais dont l'environnement et la situation sociale sont différents, sera considérée comme étant apte à travailler dans le milieu ordinaire.

Le groupe de travail « Attribution de l'AAH » a conclu, en juillet 2009, à la nécessité de préciser cette notion par décret et de mettre en place un outil d'évaluation : un guide d'éligibilité comparable à celui de la PCH, compatible avec le guide barème, qui fixerait des critères liés à la motivation de la personne et tenant compte des bilans fonctionnels, des déficiences et aptitudes, des capacités professionnelles et des facteurs sociaux et environnementaux 14 ( * ) .

d) Le chevauchement des publics éligibles au RSA et à l'AAH

Dès lors que l'AAH est accordée à des personnes qui travaillent ou qui peuvent travailler, il est évident qu'il existe un risque de chevauchement des publics éligibles à cette prestation et au RSA.

Outre la difficulté d'apprécier le taux d'incapacité dès lors qu'il est inférieur à 50 %, l'ambiguïté de la notion de RSDAE peut également conduire la CDAPH à considérer comme étant substantiellement et durablement éloignées de l'emploi des personnes qui le sont davantage du fait de leur âge et de leur faible niveau de qualification que de leur handicap.

Ainsi certaines MDPH ont reconnu avoir tendance à attribuer assez facilement l'AAH à des personnes, âgées de plus de cinquante ans, qui percevaient le RSA (ou anciennement le RMI) depuis plus de trois ans, présumant ainsi que l'échec de leur insertion serait imputable à leur état de santé. A l'inverse, le taux d'incapacité d'une personne relevant du second régime, qui serait apte à travailler mais qui n'a jamais travaillé et qui perçoit l'AAH depuis plus de dix ans, est rarement reconsidéré.

Il est vrai que ces pratiques se sont légitimement accentuées consécutivement à la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 qui intègre, dans la définition du handicap, le handicap psychique. Il n'en demeure pas moins que la frontière entre ces deux publics est parfois très difficile à définir de façon objective. Ainsi, certains départements ont pu être tentés d'attribuer généreusement l'AAH, dont le montant est supérieur au RSA et dont la charge financière revient à l'Etat, à des personnes qui relevaient davantage du domaine des politiques d'insertion de droit commun.


* 8 L'AAH peut toutefois être versée dès l'âge de seize ans lorsque l'intéressé cesse de remplir les conditions pour ouvrir droit aux prestations familiales (article R. 821-1 du code de la sécurité sociale). Après soixante ans, seuls les allocataires ayant un taux d'incapacité supérieur à 80 % peuvent continuer à percevoir l'AAH en complément d'une retraite dont le montant est inférieur au minimum vieillesse.

* 9 Maintenu de manière transitoire pour ceux qui en bénéficiaient au 1 er juillet 2005 jusqu'au terme de la période pour laquelle ils perçoivent l'AAH ou jusqu'à ce qu'ils bénéficient de la majoration pour la vie autonome ou de la garantie de ressources.

* 1011 Guide barème pour l'évaluation des déficiences et des incapacités des personnes handicapées instauré par le décret n° 93-1216 du 4 novembre 1993, modifié par décret n° 2007-1574 du 6 novembre 2007 et figurant à l'annexe 2-4 du code de l'action sociale et des familles.

* 12 Mission d'audit de modernisation - rapport sur l'AAH n° 2006-M-014-02 (IGF) et n° 2006-044 (IGAS), avril 2006.

* 13 Note en date du 29 mars 2010.

* 14 Rapport CNSA du groupe de travail « Attribution de l'AAH », juillet 2009.

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